LA DECENNIE NEOLIBERALE : PRIVATISATIONS ET PAUVRETE URBAINE DE 1990 A 2000

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L’alternance de gouvernements constitutionnels et militaires (1955-1976)

Révolution Libératrice », a contraint Perón à l’exil et a ouvert une longue période d’alternance au pouvoir entre gouvernements militaires et gouvernements constitutionnels. Cette période s’est achevée avec le retour du leader charismatique du mouvement péroniste en 1973, après dix-huit années d’exil. Cette alternanc du pouvoir permet, aujourd’hui, d’expliquer la discontinuité des politiques alors mises en œuvre, notamment dans les domaines sociaux et urbains. Plus spécifiquement en ce qui concerne la politique inhérente aux bidonvilles, les décisions n’ont cessé d’osciller entre deux pôles : d’une part, des plans centralisés et autoritaires d’éradication des quartiers et, d’autre part, des programmes d’amélioration in situ, ouvrant la voie à des revendications portées par des associations de quartier. Malgré tout, la tendance générale de laériodep peut être caractérisée par l’avènement des règles du marché en matière d’urbanisme et l’ouverture à des financements internationaux pour les projets urbains, annonçant et amorçant, de facto, la fin de l’interventionnisme péroniste.
En ce qui concerne les lotissements populaires, principale forme urbanistique de la périphérie, les vendeurs ont continué à bénéficier de la grandepermissivité des pouvoirs publics. Cependant, cette période marque un véritable tournant, non seulement dans le rythme de croissance de ce type de quartier mais aussi dans les règles régissant le secteur. Les inondations de 1957 ont joué un rôle déterminant dans ce mouvement. Elles ont peu à peu fait prendre conscience aux pouvoirs publics de la nécessité de redéfinir les normes urbanistiques et des changements se sont progressivement opérés,malgré la pression forte exercée par les propriétaires terriens de l’agglomération : en 1960, sont adoptées les premières lois sur la cote minimale d’inondation pour la vente de parcelles, en 1968, une loi imposant la desserte des parcelles en services urbains est adoptée, puis révoquée un mois plus tard sous la pression des vendeurs80.
Par ailleurs, le régime autoritaire du début de la période estimait que les bidonvilles, communément appelésvillas miseria, les « villes de la misère », commençaient à poser un problème d’un point de vue urbanistique et social81. Dans cette perspective, les pouvoirs centraux se sont donné pour objectif de mettre de l’ordre au plus vite dans les quartiers et de régulariser une situation qui devait rester provisoire. Fut alors créée en 1956, la Comisión Nacional de la Vivienda (CNV) afin de coordonner l’action de l’Etat en matière d’urbanisme. L’une de ses missions fut d’organiser l’éradication des villas de emergencia, au moyen d’un plan d’urgence spécifique. La CNV commença alors les premiers recensements – très imparfaits – pour organiser son action.

Le « Proceso » de réorganisation nationale : les dictatures militaires (1976-1983)

Le coup d’état des militaires en 1976 a engagé le pays dans une période de terreur de huit longues années. Si les régimes militaires qui scandaient la vie politique du pays depuis les années 1930 avaient réussi à incarner l’ordre et lastabilité dans l’esprit de la population, la dictature de cette période a pris une tournure beaucoup plus répressive et violente . La volonté affichée était celle de « nettoyer » et d’« ouvrir » le pays en mettant fin, de manière radicale, aux protestations de toute sorte (mouvements péronistes ou d’extrême gauche) par l’exil, la torture ou la disparition des personnes identifiées par le pouvoir comme subversives »86. Le travail de fond des militaires consistait en un démantèlement progressif et irréversible de l’Etat en Argentine, une préparation de la société et de l’économie nationales au grand tournant néo-libéral qu’ils allaient expérimenter quelques années plus tard en plaçant Carlos Menem aux rênes du pays.
En matière urbaine, il s’agissait de passer « du chaos à l’ordre » 87 en engageant, d’une part, des réformes de la législation du secteur de l’immobilier et, d’autre part, des politiques d’éradication des bidonvilles dans une optique de « nettoyage ».
La loi n° 8912 de 1977 qui « régit le mise en ordre de la province de Buenos Aires et vise à réguler l’usage, la subdivision et l’occupation du sol, de même que l’équipement en infrastructures »88 a été adoptée dans un souci d’ordonner le marché des lotissements populaires de la périphérie et, de cette manière, edcontrôler les populations de ces quartiers. Ses effets ont été paradoxaux : malgré un discourshygiéniste et de garantie de conditions décentes pour l’habitat populaire, la principale conséquence de l’application de cette loi fut une augmentation notable des prix de l’immobilier, excluant de facto une grande partie de la population potentiellement concernée par ce segmentdu marché. En définitive, la politique de réglementation urbanistique sous les dictatures militaires a été à l’origine d’une marginalisation conséquente d’une partie de la population de la périphérie de Buenos Aires.

Le retour à la démocratie et l’émergence du discours néo-libéral (1983-1989)

L’ « équilibre » qui avait été trouvé au cours duingtièmev siècle dans le Grand Buenos Aires entre une législation peu exigeante, des salaires permettant de payer les lots immobiliers à crédit et des bénéfices élevés pour le secteur immobilier avait été totalement détruit par la crise des années 1970 en Argentine, destruction qui s’était vue aggravée par la politique menée par les gouvernementsde fait entre 1976 et 1983, situation irréversible qui s’imposa au gouvernement d’Alfonsín après le retour à la démocratie95. La crise du logement se poursuivit donc dans les années 1980, ouvrant la voie à une multiplication des phénomènes d’ asentamientos, du fait du caractère nettement moins répressif dugouvernement à l’égard des situations d’illégalité.
Le retour à la démocratie a eu un triple effet sur les pratiques de logement des populations qui avaient été marginalisées pendant leProceso. D’une part, il a permis le développement massif d’occupations spontanées de terrains, initiatives visant à la régularisation d’un statut de propriétaire pour les occupants, avec son pendant paradoxal de « violation de la propriété privée dans le but de l’obtenir »96 . D’autre part, le retour à la démocratie, et avec lui la fin d’une ère de répression généralisée, a égalementé étl’occasion, pour de nombreuses personnes, d’investir à nouveau les quartiers éradiqués pendant les dictatures militaires : on note, à partir de 1983, une recrudescence significa tive des villas de emergencia dans la capitale97; enfin, par une série de réformes, il ouvre la voie à la mise en place de programmes alternatifs visant à résoudre la crise du logement, laissant plus de place à la participation des populations : constructions appuyées par des coopératives de logement, programmes d’habitations progressives, obligation d’utilisatio n des terrains oisifs (ouverture à la vente des squats aux occupants), programmes de régularisation domaniale, solutions clés en mainface à l’augmentation du nombre des villas 98.
En ce qui concerne la politique de logements sociaux, le référentiel urbanistique de la période précédente, legrand ensemble, est entré dans une ère de dégradation matériellecontinue, associée à un processus de densification de la population, phénomènes qui se sont mutuellement alimentés pour aboutir à une situation actuelle extrêmement critique en termes sanitaires et sociaux.

Les premiers services urbains à Buenos Aires (1880-1940)

Le fait de concentrer cette recherche sur trois secteurs de services urbains (eau/assainissement, électricité, télécommunications) n’implique pas pour autant de s’abstraire totalement des logiques et des évolutions d’autres secteurs qui ont pu s’avérer déterminants pour l’évolution urbaine. En effet, sans approfondir davantage ici leurs effets, il est intéressant de noter le rôle central joué par esl réseaux de transport (tramway puis ferroviaire) dans le développement urbain de Buenos Aires. Si les réseaux de services domiciliaires ont constitué par la suite un enjeu pour les populations récemment installées, les réseaux de transport ont eu une incidence plus que structurante sur la configuration de l’extension de même que sur la conception de la ville par les acteurs politiques. Nous verrons par la suite que les choix opérés dans le secteur ed l’eau pour l’extension du réseau ont été entièrement guidés par les effets attendus de la configuration du réseau ferroviaire.
A Buenos Aires, les premiers services urbains sont apparus dès la fin du XIXème siècle : le premier réseau d’eau a été construit en 1856 par lacompagnie privée Ferrocarril Oeste pour ses ateliers et desservait, en outre, 3000 riverains100 ; en 1886, la première concession d’éclairage public a été accordée à une entrepriseprivée pour le parc Tres de Febrero ; en 1880, quatre ans seulement après son invention, le téléphone est apparu à Buenos Aires, à l’initiative de la Société suisse du Pan Téléphonede Locht pour un public réduit d’environ 20 clients102. Si les années 1880 ont marqué le début de l’histoire des services urbains de Buenos Aires, ils ont connu par la suite des évolutions, bien que comparables dans leur périodicité, empreintes des innovations techniques et des enjeux politiques propres à chaque secteur.

L’eau et l’assainissement : la mise en place progressive d’un véritable service public103

Dans le domaine de l’eau, avant 1870, les conditions d’accès à la ressource n’étaient que très précaires : le service assuré par des porteurs d’eau était d’une qualité peu fiable, l’eau distribuée, issue du Río de la Plata, n’étant pas raitée ; quelques privilégiés bénéficiaient de l’accès à l’eau des nappes phréatiques par un puit ; le recours à l’eau de pluie n’était alors que très marginal. Dès 1828, des projets de réseaux alimentés par l’eau issue du Río de la Plata avaient pourtant été conçus, mais il fallut attendr une succession d’épidémies meurtrières (8000 morts du choléra en 1867 et 20 000 morts de la fièvre jaune en 1871) pour que les autorités publiques ouvrent la voie à leur réalisation. En 1868, la province de Buenos Aires autorisa la construction d’une première adduction d’eau 104, puis confia à l’ingénieur Batemane en 1871, suite à l’épidémie de fièvre jaune et à de violentes réactions populaires, le soin d’étendre le réseau d’eau et de concevoir, encomplément, un réseau d’assainissement. Cependant, les travaux n’ont pas progressé aussi vite que l’aurait souhaité la municipalité (ils ne commencèrent qu’en 1874 et furent interrompus dès 1877 faute de budget). En effet, étant encore sous l’autorité de la Province, la ville avait du mal à faire entendre sa voix contre celle de la classe politique conservatrice, vivant principalement des revenus agricoles et, de ce fait, réticente à financer les travaux en milieu urbain dont elle ne percevrait pas de bénéfices directs.
Il a donc fallu attendre 1880, date de la fédéralisation de la ville, pour que le gouvernement national prenne la situation en main et redéfinisse les priorités. Il a alors créé la Comisión Nacional de Obras de Salubridad et imposé une taxe de 5% sur les loyers pour financer les travaux. L’Etat fédéral a hérité d’une situation uspl que problématique : seulement 6085 maisons étaient alors desservies en eau . Malgré les nouvelles dispositions adoptées par l’Etat fédéral et face aux difficultés de financement, les travaux, qui avaient repris en 1883, ont à nouveau été interrompus en 1886. L’Etat a alors envisagé la possibilité d’avoir recours à une entreprise privée et d’organiser un système deconcession permettant de finaliser le projet Batemane. Le contrat d’affermage, qui prévoyait l’exécution du plan Batemane en 3 ans, de même que la gestion des services d’eau, d’assainissement et de drainage pour un tarif de 6,5 pesos oro106, a été signé en 1888 avec une société anglaise amuel:S Hale and Cie puis transféré l’année d’après à la Buenos Aires Water upplyS and Drainage Company Ltd avant d’être résilié dès 1891 principalement pour manquede rentabilité de l’activité. Cet échec a marqué le tournant de la politique de l’Etat en matière de services urbains et a été à l’origine d’une politique étatique volontariste en matière sanitaire, ce qui a d’emblée conféré au secteur de l’eau et de l’assainissement une place s ingulière au regard des autres secteurs : contrairement au système de concession privée adopté pour la construction et la gestion des infrastructures urbaines comme le métro, les lignesde chemin de fer, l’électricité, le téléphone et d’autres secteurs encore, le choix effectué dans le secteur de l’eau a été celui d’une prise en charge de l’Etat, au nom de la santé publique. Puisqu’il se heurtait aux critères de rentabilité du secteur privé de même qu’aux capacités financières réduites de la municipalité, le secteur de l’eau, ressource considérée comme bien social, ste passé, à partir de ce moment, sous l’autorité du gouvernement de la Nation. Il a progressivement affirmé son rôle au niveau national, malgré quelques entreprises privées florissantes en province, et a décidé, en 1912, la création d’Obras Sanitarias de la Nación (OSN), qui s’est par la suite imposée comme un véritable pilier de la politique argentine. Comme el souligne T. Bodard107, la tendance argentine, prenant le contre-pied de nombreux exemples où la gestion de l’eau était jugée comme relevant par nature du niveau local, illustre, in fine, un fédéralisme en trompe l’œil où la Nation est la seule collectivité publique à disposer de moyens financiers suffisants pour mener une politique de service social. En effet, les enjeux sanitaires, les coûts importants d’infrastructure d’eau dépassant le budget municipal de même que les critères de rentabilité du secteur privé, ont progressivement poussé l’Etatfédéral à affirmer son rôle dans le secteur. En ce sens, Obras Sanitarias de la Nación , créée en 1912, a été conçue comme le « modèle » de service public du fait de sa triple vocation : hygiène publique, redistribution des revenus et aménagement du territoire . En 1919, la loi n°10 998 confia à OSN « l’approvi sionnement en eau potable de toute population urbaine à partir de 3000 habitants ainsi que l’assainissement complet de celles qui dépass[aient] le nombre de 8000 habitants », par convention entre OSN, les provinces et les municipalités.

Les premiers temps du secteur électrique: une gestion privée questionnée par le local112

Les premiers temps du secteur électrique ont été marqués par quelques initiatives privées (construction de petites centrales électriques en ville) orientées vers des usages plutôt collectifs (éclairage d’un parc, du port, alimentation en électricité pour l’opéra, pour les lignes de tramways et quelques rares résidences). En 1898,la Compañía Alemana Transatlántica de OSN se lança dans une entreprise progressive de retrai t des compteurs qui avaient été installés par l’opérateu privé.
L’entreprise porte le nom de Travaux Sanitaires de la Nation ; dès sa création en 1912, laconnexion au réseau urbain prend un caractère obligatoire pour les usagers, etc.
Electricidad (CATE) a été créée. Elle a installéusieurspl centrales dans le centre et racheté une compagnie de tramways. Au début du siècle, la Compañía Angloargentina (anglaise) a racheté une dizaine d’entreprises de tramways à cheval pour les convertir en tramways électriques. Ces deux entreprises se sont réparti el marché de la capitale pendant que la Compañía de Electricidad de la Provincia de Buenos Aires (CEP) opérait sur le reste de l’aire métropolitaine .
La gestion des entreprises privées a rapidement mené à un vif débat sur une éventuelle municipalisation des services, qui n’a finalement jamais eu lieu : en 1907, la première réglementation municipale relative au service électrique a été adoptée sans pour autant qu’elle ne contraigne trop les entreprises dans leurs pratiques gestionnaires (tarifaires, entre autres). Cette date marque tout de même la première concession de service électrique dans le pays : l’entreprise CATE opérant sur le territoire de la ville de Buenos Aires114. En 1912, une seconde concession municipale a été accordée à la Compañía Italo Argentina de Electricidad (CIADE) afin d’introduire de la concurrence entre opérateurs, ce qui a finalement échoué du fait d’un partage tacite du marché par les deux entreprises. En 1921, une ordonnance municipale a autorisé le transfert de l’entreprise CATE à la Compañía Hispanoamericana de Electricidad (CHADE), qui opérait déjà dans le Grand Buenos Aires et dans la ville de Rosario. En 1936, la concession de la Compañia Argentina de Electricidad (CADE, ex CHADE) a été renouvelée pour 25 ans dans des circonstances douteuses115.
Cette succession de changements institutionnels constitue, malgré tout, une période homogène, qualifiée par P. Pirez de modèle décentralisé-privé, où l’échelon pertinent d’activité et de régulation était celui de la munipalitéc et où la logique du secteur était guidée, dans un premier temps, exclusivement par les intérêts des compagnies privées puis, après l’institutionnalisation de la régulation municipale, par les intérêts partagés entre entreprises et autorités locales (contrôle des tarifs, de la qualité, généralisation de la desserte, politique de transports).

L’ère des nationalisations : puissance et déclin des monopoles publics

Avec l’arrivée au gouvernement du péronisme en 1943, les services urbains sont entrés dans une nouvelle période : devenant de véritables piliers politiques, ils sont tous progressivement passés aux mains de l’Etat, les nationalisations étant parties prenantes du modèle sociétal populiste proposé par Perón. En effet, la prolifération d’entreprises étatiques pendant cette période, due à la nationalisation ou à la création d’entreprises, s’explique par les objectifs affichés liés au développement du pays, le gouvernement se positionnant en garant de l’équilibre entre objectifs sociaux et coût raisonnable. Selon certaines analyses120, les trois principales missions assignées à ces entreprises sous les gouvernements péronistes étaient : la fourniture des matières premières essentielles à l’industrie (comme l’acier, le charbon, le pétrole, le gaz, l’électricité…), la réduction du chômage et la redistribution des revenus, missions exclusives ou complémentaires selon les secteurs. Cependant, les résultats de cette analyse montrent également que les entreprises étatiques ont continué à être utilisées comme des outils de politiques macroéconomiques sous d’autres types de gouvernements (militaires, en particulier), seuls changeaient les objectifs assignés.

Les évolutions du modèle OSN : apogée et déclin

A cet égard, OSN, qui était déjà en situation de monopole public et incarnait une politique volontariste dans le secteur, est progressivement devenue la vitrine de la politique sociale du gouvernement : salaires, conditions de travail, etc. Par ailleurs, comme nous l’avons déjà évoqué, le début des années 1940 marquait la signature du projet de district sanitaire bonaerense.
Les années 1940 ont marqué l’élimination définitivedu secteur privé dans le domaine de l’eau. Une série de lois (loi n°33425 en 1944 et loi n°13577 en 1949) a obligé les collectivités locales à abandonner toute concession privée pour la gestion de l’eau sur leur territoire.
Comme le précise T. Bodard, « l’éviction du secteur privé [était] sans doute nécessaire pour mener une véritable politique sociale dans le secteur de l’eau potable, mais l’Etat [avait] probablement anticipé une évolution devenue inévitable, tant la rentabilité des réseaux d’eau était devenue faible » . En effet, à partir de 1943, ces entreprises privées sont passées aux mains d’OSN 122 mais il a fallu attendre 1947 pour que soit ratifié le décret entérinant le projet de district sanitaire. Les obstacles à sa réalisation étaient de taille : outre les dispositions institutionnelles freinant le transfert des compétences d’un niveau local vers l’Etat fédéral, le coût important d’une politique sanitaire et sociale volontariste et la non rentabilité croissante des réseaux d’eau furent autant d’éléments qui ontobligé l’Etat, dans les années 1950, à chercher d’autres sources de financement que les ressources du Trésor national pour pouvoir supporter le poids financier de l’investissement nécessaire à la construction du réseau. Ainsi, 1947 marque à la fois l’apogée du modèle OSN et le début de sa crise.
Rappelons à cet égard le gigantisme du projet124, qui visait à construire un réseau qui permettrait de suivre le rythme d’urbanisation de la capitale, en mettant en place, en particulier, la technique des ríos subterráneos (rivières souterraines), canalisations gigantesques permettant d’acheminer l’eau en très grande quantité et à très forte pression vers les points les plus éloignés de la périphérie. Comme nous pouvons le constater dans les projections suivantes, la périurbanisation de Buenos Aires a dépassé de loin les pronostics sur lesquels reposaient les calculs financiers d’OSN 125.

Les nationalisations des grands secteurs économiques

Comme dans le reste des pays d’Amérique Latine, la période des années 1950 et 1960 a été marquée en Argentine par une série de nationalisations des industries clés de l’économie. Cette dynamique avait été engagée dès 1938, après déclaration de Marcelo de Alvear qui avait présenté comme nécessaire la nationalisationprogressive des services d’intérêts généraux (chemins de fer, télécommunications, pétrole, électricité, gaz) dès que l’Etat argentin en aurait les moyens financiers. La réforme constitutionnelle de 1949 a entériné cette vision du rôle de l’Etat en stipulant, dans son art icle 40, que « les services publics appartenaient naturellement à l’Etat et que leur ex ploitation ne pouvait être, en aucun cas, cédée ou mise en concession ». Par ailleurs, cet article prévoyait une vente ou une expropriation des activités gérées par des entreprises privées de services publics contre indemnisation dès qu’une loi stipulant la nationalisation entrerait en vigueur.

SEGBA dans le secteur électrique

Après la seconde guerre mondiale, le gouvernement commença à faire pression sur les entreprises d’électricité en les contraignant sur al fixation des tarifs. Il en résulta une contraction de l’investissement, et de ce fait, une détérioration visible de la qualité de service.
En effet, au cours des années 1950, la demande en énergie électrique ayant augmenté considérablement du fait de la politique d’industrialisation, le secteur est progressivement entré en crise : le manque d’investissement, de même que la faiblesse de la production ont commencé à se faire ressentir, ce qui a poussé le pouvoir exécutif à envisager la nationalisation du service. La période de gestion publique dans le secteur de l’énergie électrique a commencé en 1947 avec la création de guaA y Energía Eléctrica (AYEE), première entreprise de service détenue à 100% par l’Etat Fédéral argentin dans le secteur, opérant dans le Grand Buenos Aires. L’année 1950 amarqué l’entrée du pays dans l’ère du nucléaire par la création de la Comisión Nacional de Energía Atómica (CONEA) venant ouvrir la palette des modes de production, qui alternaient, jusque là, entre thermique et hydraulique. En 1957, l’Etat a nationalisé l’entreprise ANSEC, qui opérait en province. L’année suivante, en 1958, il a acheté les entreprises CADE et CEP et créé, sur cette base, l’entreprise publique Servicios Eléctricos del Gran Buenos Aires (SEGBA), qu’il détenait alors à 61% du capital puis à 100% en 1961 131. L’Etat a assigné à l’entreprise la mission d’assurer l’ensemble des maillons d’activité du secteur de l’énergie électrique (production, transformation, transmission, distribution et vente) sur l’agglomération -très étendue- de Buenos aires (capitale + 31 districts).

ENTel dans le domaine des télécommunications

Dans le domaine des télécommunications, la principale entreprise du secteur (la UT : 530 000 abonnés) a été rachetée par l’Etat en 1946, créant,àcette occasion, la Empresa Mixta Telefónica Argentina (EMTA). Son territoire de compétence regroupait alors les provinces de Buenos Aires, de Santa Fé, de Córdoba, de San Luis, de La Pampa et une partie de Río Negro.
Son personnel est alors passé de 15 200 à 32 600 employés . Dix ans plus tard, la EMTA est devenue la Empresa Nacional de Telecomunicaciones (ENTel) et a vu son territoire de compétence étendu à l’ensemble du territoire national à l’exception de six provinces 136. Malgré quelques innovations techniques dans les périodes suivantes137, la gestion étatique des télécommunications s’est avant tout caractérisée rpaune dégradation progressive du service et de la performance au regard des avancées qu’avait connues le secteur dans la période précédente. Les difficultés de l’entreprise à assurer une extension du service ont été à l’origine de la création d’une multitude de petites coopératives locales.
En 1968, ENTel a lancé le plan Dietrich dont l’objectif était l’extension rapide du réseau et la construction de 700 000 lignes. Des irrégularités ansd le contrat passé entre l’entreprise et deux fournisseurs privés ont mené à son annulation pure et simple par les autorités péronistes de retour au pouvoir en 1973 de même qu’au gel des relations entre ENTel et ses fournisseurs jusqu’en 1976, début des dictatures militaires en Argentine. Les militaires ont porté une attention particulière au secteur des télécommunications, notamment en 1978, année du championnat mondial de football en Argentine, dont la transmission impliquait une nécessaire amélioration des équipements de télécommunications (téléphone, radio, télévision). Cette même année, l’électronique at faison apparition139. Le début des années 1980 a vu la mise en oeuvre de deux programmes importants : d’une part, le réseau ARPAC (système de transfert de données) importé d’Espagne et, d’autre part, le premier système de fibre optique du monde a été installé dans la capitale par NEC, entreprise japonaise, afin de mettre en place le Cinturón Digital de Buenos Aires (CIDIBA) qui devait permettre de résoudre les problèmes de trafic sur les lignes. Par ailleurs, en 1985, l’entreprise a lancé le plan Megatel, destiné à l’installation d’un million de lignes téléphoniques, comme partie du plan quinquennal d’investissement dans le secteur. Les fonds pour son développement provenaient d’un plan de trente quotes-parts à paye r par les usagers potentiels. Cependant, ce plan a rencontré plusieurs limites : en raison de problèmes techniques, de la négligence et de la corruption existant dans l’administration publique, un nombre important d’usagers associés au plan, ayant achevé leurs paiements, n’ont jamais été connectés aux lignes téléphoniques correspondantes. En 1987, il restait encore 444 215 lignes à installer 141.
Malgré les efforts effectués en matière technologique, l’Argentine s’est laissée dépasser par le Brésil dans les années 1970 et le secteur des télécommunications n’a pu enrayer une dynamique de dégradation continue. Comme le note B. De Gouvello à juste titre, l’organisation de l’entreprise s’est détériorée ua fil du temps : elle se transforma en un géant qui, ayant la responsabilité juridique sur la quasi-totalité du territoire de la République Argentine, maintenait la résolution de tous les problèmes et le pouvoir de décision concentrés en un seul lieu géographique : la Capitale Fédérale»142. Il convient de retenir, pour le secteur des télécommunications, une très nette différencee ddéveloppement d’infrastructure et de niveau de technologie entre la capitale et le reste du pays. En outre, comme le montrent S.Finquelievich et A.Vidal: « en général, à BuenosAires, l’accès au service téléphonique est plus facile pour ceux qui habitent ou transitent pas les secteurs urbains de meilleur niveau socio-économique »143.

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
PARTIE I – LES HERITAGES : ANALYSE SOCIO-HISTORIQUE DE L’EVOLUTION DES SERVICES URBAINS ET DES QUARTIERS CARENCIADOS A BUENOS AIRES DE 1870 A 2004
CHAPITRE 1- QUARTIERS POPULAIRES ET SERVICES URBAINS A BUENOS AIRES DE 1870 A 1990
CHAPITRE 2 – LA DECENNIE NEOLIBERALE : PRIVATISATIONS ET PAUVRETE URBAINE DE 1990 A 2000
CHAPITRE 3 – LA CRISE DU MODELE NEOLIBERAL ARGENTIN : DECEMBRE 2001 ET SES SUITES
PARTIE II – LES PRATIQUES DES ENTREPRISES : STRATEGIES ET PROJETS POUR LES QUARTIERS CARENCIADOS DE BUENOS AIRES
CHAPITRE 4 – L’EAU ET L’ASSAINISSEMENT
CHAPITRE 5 – LA DISTRIBUTION D’ENERGIE ELECTRIQUE
CHAPITRE 6 – LES TELECOMMUNICATIONS
PARTIE III : LES RESSORTS DE L’ACTION : EVOLUTIONS DES INTERACTIONS ENTRE ACTEURS DU DEVELOPPEMENT : LA CONSTRUCTION PROGRESSIVE D’UNE COMPETENCE DE COOPERATION
CHAPITRE 7 – LES OPERATEURS A LA RECHERCHE D’UNE « PROFESSIONNALISATION» EN INGENIERIE SOCIALE ?
CHAPITRE 8 – LA MOBILISATION DES COMPETENCES MUNICIPALES AU SERVICE DES OPERATEURS
CHAPITRE 9 – « FAIRE ENSEMBLE » : LA CONSTRUCTION PROGRESSIVE D’UNE COMPETENCE DE COOPERATION
CONCLUSION GENERALE

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