La critique du psychologisme chez HUSSERL

La crise de la science grecque

   Il faut, de prime abord, rappeler cette école importante sans laquelle aucun psychologisme ne saurait voir le jour : l’empirisme ou, plus exactement, l’empirisme anglais. Pour comprendre cet empirisme anglais, il faut remonter à Aristote 9 qui en est le précurseur. C’est ce philosophe qui, le premier, rejette la théorie platonicienne des idées. Il s’oppose catégoriquement à son maître pour montrer que le sensible n’a pas besoin de l’intelligible pour être compris. Qu’est-ce qui est donc à l’origine de cette critique de la théorie platonicienne des Idées ? L’amour du sensible bien sûr. « Tous les hommes ont un désir naturel de savoir, comme le témoigne l’ardeur avec laquelle on recherche les connaissances qui s’acquièrent par les sens. »10 Ce propos d’Aristote qui débute son livre et son premier chapitre montre à quel point il tient au sensible. Dès le début, il donne le primat aux sens comme moyen par lequel l’homme acquiert des connaissances. La race humaine, pour lui, est capable d’accéder à la connaissance vraie par les sens. En effet, regrette-t-il le fait que Platon sous estime les choses sensibles et les considère comme la racine de tout mal. Ainsi le Stagirite rend compte de la pensée de son maître Platon en la déplorant. Il dit en ces termes : Socrate s’étant occupé de morale, et non plus d’un système de physique, et ayant d’ailleurs cherché dans la morale ce qu’il y a d’universel, et porté le premier son attention sur les définitions, Platon qui le suivit et le continua fut amené à penser que les définitions devaient porter sur un ordre d’êtres à part et nullement sur les objets sensibles (…). Or, ces autres êtres, il les appela Idées, et dit que les choses sensibles existent en dehors des idées et sont nommées d’après elles. Ce long propos prouve combien Platon, en minimisant le sensible, accorde de l’importance aux idées. Et pour ce philosophe, ce monde des idées est la cause du bien. Toutefois, Aristote ne se limite pas uniquement à déplorer ce qu’il trouve insensé dans le système de son maître, il prend le contre-pied de ce qu’il pense être une erreur de pensée en montrant les contradictions qui se cachaient dans le système platonicien. Ainsi en le comparant aux anciens philosophes qui prenaient plusieurs éléments comme principes des êtres, le disciple estime que son maître est tombé dans le même piège en multipliant, ce qui est plus grave, ces principes. Laissons-le parler : Quand à ceux qui posent pour principe les idées, d’abord, en cherchant à saisir les principes des êtres que nous voyons, ils en ont introduit d’autres en nombre égal à celui des premiers, comme si quelqu’un voulant compter des objets, et ne pouvant le faire, alors même qu’ils sont en assez petit nombre, s’avisait de les multiplier pour les compter Cette métaphore aristotélicienne fait montre de l’incohérence des idées platoniciennes. Le savant-philosophe trouve d’ailleurs cette idée insensée puisqu’il est bien plus facile et agréable de compter les plus petits nombres. Pourquoi vouloir se compliquer la tâche en augmentant, sans aucune raison valable selon lui, les nombres ? Pour compter des objets, a-ton besoin de les multiplier à l’infini ? Si nous ne pouvons pas les compter alors qu’ils sont à un nombre réduit, comment est-ce que cela serait possible après les avoir multiplié ? Cette inconséquence dans la démarche du maître ne laisse donc pas indifférent le disciple qui en profite pour fonder son système philosophique en opérant un retour au sensible. De là, on ne sent aucun besoin de faire recours au monde intelligible pour accéder au vrai. Le vrai, penset-il, est de l’ordre du sensible. Et cette ‘’participation’’ platonicienne laisse à désirer. Aussi note-t-il que « les choses ne sauraient venir des idées, dans aucun des cas dans lesquels, on a coutume de l’entendre. » Et puisque ce langage ne semble pas convaincre les partisans des idées, il ajoute avec certitude ceci : « Dire que ce sont des exemplaires et que les autres choses en participent, c’est prononcer de vains mots et faire des métaphores poétiques. »14 Car le raisonnement de Platon qui suggère que l’Idée est différente de la chose ne peut logiquement pas tenir la route. Le savant-philosophe s’étonne de ce que son maître puisse commettre d’aussi graves erreurs de pensée. « De plus, il semble impossible que l’essence soit séparée de la chose dont elle est l’essence : si cela est, comment les idées qui sont les essences des choses, en seraient-elles séparées ? »15 Cette question, au-delà de la pensée, pose un problème de logique interne dans le système platonicien. Toutefois, Aristote ne nie pas, en tout cas pas clairement, l’existence des idées, du monde intelligible. Et cela s’affirme à travers cette question qu’il pose : « Pourquoi doit-il y avoir des intermédiaires entre le monde sensible et les Idées ? »16 Dans cette même logique, Charles Renouvier nous fait l’historique en commençant par pointer du doigt la différence entre le père Socrate et le maître Platon. Si Socrate, s’indigne-t-il, « n’a jamais considéré les choses autrement que dans leur nature »17, grâce à sa fameuse méthode dialectique, Platon, lui, s’inscrit dans un réalisme qui fait reculer cette méthode avant de se heurter à de graves conséquences. Si l’un utilise l’induction et fait des définitions générales, l’autre plus réaliste, attribue la réalité « aux termes généraux séparés des choses ».18 En effet le partisan des Idées multiplie les êtres pour mieux les compter. Mais cette multiplication arbitraire change complètement la donne et rend incompréhensible la chose. Toutefois, l’autre aspect (le fait que les idées, selon Platon, soient les causes de l’être) fait sortir le disciple de sa réserve et lui permet d’instaurer une rupture définitive d’avec la conception du maître. Privilégiant le sensible, il va jusqu’à nier complètement l’utilité des Idées. Commentant la pensée d’Aristote sur les idées platoniciennes, Renouvier pense qu’ « elles ne sont pas principe du changement ; elles le seraient d’immobilité, plutôt ». Et continue-t-il « parler d’exemplaires et de modèles des choses, c’est pur langage poétique ». Alors, dire que les Idées sont les causes de l’être et du devenir, c’est une paresse tendant à négliger la recherche des causes qui est le but de la philosophie. Voilà en fait cette paresse, qui pousse les philosophes à ne pas déployer toutes leurs facultés pour rechercher la cause première, qu’Aristote déplore avec toute son énergie. Ainsi reprend-il sa plume : « Elles ne sont causes pour elles ni d’aucun mouvement, ni d’aucun changement (…) elles ne servent en rien à la connaissance des choses, puisqu’elles n’en sont point l’essence ».21 Il est donc clair qu’il faut prendre son courage à deux mains pour aller à la quête des causes premières. En effet, il se rend compte que les causes se rapportent à quatre principes différents dont les deux se rapportent directement au changement : la cause efficiente et la cause finale. Charles Renouvier dit haut et fort à qui veut l’entendre qu’ « Aristote prenait les réalités dans le monde de l’expérience et chez les individus, êtres véritables, dont les Idées n’expriment que des propriétés plus ou moins générales ».22 Tout se ramène alors au sensible, véritable monde réel dans lequel nous vivons et existons. Et comme pour donner une leçon au maître Platon, le disciple Aristote conclut en ces termes : « Enfin quand il appartient à la philosophie de rechercher la cause des phénomènes, c’est cela même que l’on néglige : car on ne dit rien de la cause qui est le principe du changement ; et on s’imagine expliquer l’essence des choses sensibles, en posant d’autres essences ».

Influence de Hume sur l’empirisme

   Alors étudiant, et s’inscrivant dans une dynamique d’apprentissage tellement intense telle qu’il se trouvait au bord du surmenage et de la dépression, Hume prend la résolution de s’installer en France, plus précisément à la Flèche. Dans ces lieux où Descartes avait fait ses études, le philosophe écossais met en place un programme qui détermine sa conduite dans le champ de la philosophie. Dans une lettre de 1734, il disait : Je trouvai que la philosophie morale que nous ont transmise les Anciens souffrait du même inconvénient que celui que l’on pouvait trouver dans leur philosophie de la nature, à savoir d’être entièrement hypothétique et de dépendre beaucoup plus de l’invention que de l’expérience. Chacun consultait son humeur pour ériger des programmes de vertu et de bonheur, sans prendre en considération la nature humaine, dont toute conclusion morale doit forcément dépendre. Je déciderai donc de prendre cette nature humaine comme sujet principal d’étude et d’en faire la source d’où je déduirais toute vérité. Très jeune il fixe son objectif et aspire à se défaire de l’ancienne philosophie qui n’accordait pas trop d’importance à la nature humaine. Cette philosophie qui dépendait beaucoup plus de l’invention devra être remplacée par celle qui fonde son socle sur l’expérience. Alors le retour à l’expérience, donc au sensible pose les fondements de l’empirisme selon David Hume. Au lieu de chercher la vérité dans tel ou tel domaine, cherchons à comprendre les modes de fonctionnement de l’entendement d’où l’Enquête sur l’entendement humain. La nature humaine, contrairement à la philosophie qui précède celle de Hume, est son principal sujet d’étude, son véritable objet de recherche. Pour le philosophe, l’annonce de l’empirisme est une sorte de révolution qu’il prétend faire dans la philosophie. Parlant de cette philosophie qui précède la sienne, Hume la nomme précise et abstruse. Et ses tenants sont des philosophes profonds et difficiles. Ainsi se donne-t-il la peine de décrire l’effet qu’elle a chez le public : « leurs spéculations peuvent sembler abstraites et même inintelligibles aux lecteurs ordinaires ; c’est l’approbation du public cultivé et savant qu’ils recherchent, et ils estiment qu’ils sont assez récompensés des efforts de toute une vie. » Cette philosophie abstruse est donc destinée à un lectorat particulier, à ceux qui ont un niveau de culture élevé. Pour le grand public, c’est un jeu de mots sans importance aucune et sans intérêt puisqu’il n’y comprend rien. « Il est certain, continue-t-il, que la philosophie facile et claire sera toujours préférée par le grand nombre à la philosophie abstruse. » Le philosophe écossais entend par philosophie facile et claire celle qui fait de l’homme un être d’action qui recoure à ses goûts et ses sentiments. La distinction est donc manifeste : la philosophie facile pénètre le domaine des affaires et de l’action, domaine pratique qui intéresse les lecteurs ordinaires ; celle difficile ne s’occupe que des concepts difficiles et confus qui intéressent les spécialistes, les professionnels de la réflexion poussée. Ces philosophes professionnels sont constamment dans l’ombre, dans leur solitude et leur tour d’ivoire au point d’oublier de rendre service à l’humanité, au grand public. Aussi avoue-t-il avec objectivité : Il faut aussi avouer : la philosophie facile s’est acquise la renommée la plus durable aussi bien que la plus juste ; et ceux qui raisonnent dans l’abstrait paraissent n’avoir joui jusqu’ici que d’une réputation momentanée, due au caprice ou à l’ignorance de leur époque ; ils ont été incapables de soutenir leur renom auprès de ce juge plus équitable qu’est la postérité. Un philosophe profond commet facilement quelque erreur au cours de ses subtils raisonnements. (…) Mais un philosophe qui se propose seulement de représenter sous les couleurs les plus belles et les plus engageantes le sens commun de l’humanité, tombe-t-il par accident dans l’erreur. Cette longue affirmation de Hume montre à quel point il est mieux de cultiver la philosophie facile au détriment de celle abstruse et difficile qui fait de l’homme un être raisonnable s’attachant plus à former son entendement qu’à cultiver ses mœurs. A force de voyager dans les concepts obscurs, on risque de perdre de vue ou même de négliger ce qui se passe dans sa propre société. Il faut certes avoir une passion pour la science, il faut également nourrir l’âme de sciences, mais cette science doit nécessairement, pourvu qu’elle soit utile, avoir un rapport direct avec l’action et la société. Sans cela, le détenteur de cette science risque de n’avoir aucune valeur voire même être un étranger dans son propre pays. Ainsi hausse-t-il le ton et sanctionne sévèrement en ces termes : La pensée abstruse et les profondes recherches, je les interdis, et leur réserve de sévères punitions : la morne mélancolie qu’elles mènent à leur suite, l’incertitude sans fin où elles vous plongent, et l’accueil glacé qu’on réserve à vos prétendues découvertes, dès que vous les avez communiquées. Soyez philosophes : mais que toute votre philosophie ne vous empêche pas de rester homme.

L’empirisme : point de départ du psychologisme

    Il est important de reconstituer le contexte du psychologisme tout bonnement, parce que les philosophies ne naissent pas au hasard mais tissent entre elles de liens étroits qui permettent de reconstituer la logique interne qui les produit selon une certaine nécessité. Or, il est clair que ce contexte ne saurait manquer de refléter l’actualité scientifique qui l’engendre et le propulse. Ainsi l’histoire de la philosophie n’est pas une histoire d’idées pures et simples, c’est beaucoup plus complexe puisqu’elle reflète l’histoire matérielle des crises politiques, culturelles, idéologiques, religieuses et des débats scientifiques. Pour ce faire il va falloir la regarder sous l’angle de l’histoire des sciences pour en avoir une compréhension plus nette. En fait les périodes de grandes pensées philosophiques correspondent presque toujours à celles de grandes créativités scientifiques au cours desquelles les fondements de la rationalité dominante sont bouleversés. C’est donc dire sans risque de nous tromper qu’à chaque fois qu’une grande révolution scientifique se produit, naît une grande philosophie qui aspire à déterminer sa signification. Nous notons, en Grèce antique, la crise des irrationnels qui donne naissance au platonisme ; la coupure galiléenne au XVIIème siècle produit la physique nouvelle et le cartésianisme ; la physique de Newton laisse place au kantisme au XVIIIème siècle et la crise des fondements en mathématiques engendre la phénoménologie husserlienne. Ainsi la critique du psychologisme chez Husserl doit être comprise selon cette perspective de crise sans cesse renouvelée en science. Il règne une aussi grande divergence d’opinions concernant la définition de la logique que dans la manière de traiter cette science elle-même. C’est ce à quoi il fallait naturellement s’attendre en une matière ou la plupart des auteurs se sont contentés de se servir des mêmes mots, mais pour exprimer des idées différentes. Dès le début, le problème de la définition de la logique se pose et s’impose. Stuart Mill influence bon nombre de penseurs de son époque à reconsidérer cette discipline et à réorienter leur plume envers elle.Tout part du fait que cet empiriste anglais souligne la grande problématique définitionnelle et le traitement de la logique. Les logiciens ne s’entendent pas sur ce qu’elle est réellement et comment elle devrait être traitée. Rappelons, avant de pousser plus loin la réflexion, les principaux courants en logique à cette époque : le psychologique, le formel et le métaphysique. Toutefois, sous l’influence de John Stuart Mill, le premier domine largement puisqu’il y avait beaucoup plus de penseurs qui s’y réclamaient. Pour les partisans de ce courant, rien ne fonctionnait dans cette discipline. On note un bras de fer permanent et continue, une mésentente et un désaccord inouï jusque dans un même et unique courant. Le psychologique qui est le courant dominant n’en fait pas exception. Ici si entente il y a, c’est uniquement dans « la délimitation de la discipline, à ses buts et à ses méthodes essentiels ».56Ainsi la grande domination du courant psychologiquene constituerait-elle pas l’avènement du psychologisme ? A cette question, la réponse de Husserl raisonne : « Avec le grand essor des études psychologiques, le courant psychologique s’imposa de son coté en logique ».57 Il va de soi que le psychologisme ne naît pas ex-nihilo. Il voit le jour au moment où la logique devient plus fragile et ne parvient pas à maîtriser son destin. Le mathématicien-philosophe résume de manière succincte les maux de la logique en ces propos : « Les définitions d’une science reflètent les étapes de son développement ».58 Comment une science pourrait-elle fonctionner normalement si sa définition pose problème ? La marque indéfinissable de la philosophie ne marchera pas dans ce contexte ; la logique se veut une science objective. Et en science on définit d’abord, on détermine les concepts d’abord, on essaie de comprendre sur quoi on s’est engagé d’abord. Rien de plus normal si elle se heurte à des difficultés de ce genre ; cela est plus qu’évident. En fait c’est plus qu’une nécessité de délimiter les sciences puisqu’il y a des sciences qui ne peuvent pas être ensemble, leur assemblage donne une hétérogénéité et c’est ce que Husserl appelle confusion des domaines. Parlant de délimitation, il précise : Le domaine d’une science est une unité objectivement fermée ; nous ne sommes pas libres de délimiter n’importe où et n’importe comment des domaines de vérité. C’est objectivement que le territoire de la vérité s’articule en domaines ; c’est d’après ces unités objectives que les recherches doivent s’orienter et se grouper en sciences. C’est donc là tout le problème auquel la logique est confrontée à l’époque de Mill surtout. Et c’est d’ailleurs ce manque important de délimitation de la logique et de la psychologie qui ramène au psychologisme comme doctrine ôtant à la première toute autonomie et faisant d’elle une branche de la psychologie. Ce manque d’autonomie pousse les psychologistes à chercher les fondements de la logique dans la psychologie. Comprenons de manière beaucoup plus simple que les lois psychologiques fondent et régissent celles logiques. Le besoin de recourir aux lois strictement logiques ne se fait plus sentir du seul fait que tout s’explique désormais par la discipline mère : la psychologie. Revenant sur la mentalité des logiciens psychologistes de l’époque, Edmond Husserl s’indigne et regrette ce préjugé : « Il va de soi que les prescriptions qui visent à donner des règles à l’activité psychique sont fondées psychologiquement. En conséquence, il est également manifeste que les lois normatives de la connaissance doivent trouver leur fondement dans la psychologie de la connaissance ».60 Tout laisse présager que le statut même de la vérité logique doit être revu à la dimension de l’expérience. Tout découle des faits, donc du sensible. Nous voyons plus nettement à quel point la logique de l’époque est rabaissée à un niveau jusque-là insoupçonné. Stuart Mill n’est pas le seul à discréditer cette discipline théorique, Sigwart aussi est de la partie. Certes l’idée est la même mais celui-ci se montre plus radical et beaucoup trop catégorique dans son bras de fer avec les logiciens antipsychologistes. Dans ses prolégomènes, Husserl renseigne sur le radicalisme de Sigwart : Le psychologisme n’est pas chez lui un accessoire secondaire et séparable du reste, mais la conception fondamentale qui prédomine systématiquement. Il nie expressément, dès le début de son ouvrage, « que les normes de la logique (…) puissent être connues autrement qu’en se fondant sur l’étude des forces naturelles et des formes fonctionnelles qui doivent être réglées par ces normes ». Et c’est à cette conception que répond entièrement la manière dont il traite cette discipline. Ce propos montre le degré d’enfoncement de Sigwart dans la doctrine psychologiste ; il en fait une priorité. Ainsi il donne une interprétation psychologiste à toutes vérités ou à toutes lois. Tout a un lien aux faits, à l’expérience sensible et ce serait une absurdité que de croire qu’un jugement n’importe lequel puisse être indépendamment vrai. Si la logique opte, pour se tirer d’affaire, aux vérités valables en soi, ce penseur nie fondamentalement l’existence de ce genre de vérité. Son psychologisme poussé à l’extrême scepticisme affirme que toute vérité se réduit à des vécus de conscience. Ainsi, la vraie nature de la vérité s’est vue remise en question et c’est ce qui l’a motivé à donner à son psychologisme le nom d’anthropologisme. Partant de ce radicalisme, un deuxième préjugé se met en place et tisse davantage ses liens avec la psychologie. Il est quasiment impossible de faire la dichotomie entre ces deux disciplines ou entre les sciences logico-mathématiques en général et la psychologie. Rappelons également ce préjugé : Le psychologiste se réclame du contenu effectif de toute logique. De quoi y est-il question ? Uniquement de représentations et de jugements, de raisonnements et de démonstrations, de vérité et de probabilité, de nécessité et de possibilité, de cause et d’effet, ainsi que d’autres concepts étroitement connexes ou apparentés avec ceux-ci. Or, sous ces rubriques, peut-on concevoir autre chose que des phénomènes ou des formations psychiques. Il ressort de cette assertion que les concepts logiques ne sont que des formations psychiques. Alors, quelle utilité à vouloir opposer logique et psychologie ? Ne devrons-nous pas penser de ce point de vue leur point de convergence. Toutefois, lorsqu’on s’accentue sur les concepts ‘représentation’ et ‘jugement’, le lien devient plus qu’évident. La psychologie s’occupe entièrement de ces concepts comme son véritable but alors que vérité, probabilité, nécessité et possibilité sont tous des jugements. Et dire qu’un raisonnement est vrai ne suppose-t-il pas que ce même raisonnement est jugé ? Là également nous sommes dans le champ de la psychologie quoique nous ayons affaire à la logique d’autant plus que chaque vérité fait appel à un jugement pour qu’elle ait un soupçon de légitimité. Pour cacher leur jeu, les logiciens parlent de raisonnement démonstratif, analytique ou encore déductif. Mais tous ces raisonnements ont pour but de donner des preuves. Or, l’acte de prouver est une activité psychique ; nul penseur ne saurait, en ce sens, rendre aux sciences logico-formelles toute leur autonomie. Parler de sciences logico-mathématiques, c’est penser que logique et mathématique ont le même sort. En effet, dire que toute logique appartient à la psychologie, c’est aussi affirmer avec exactitude que toute mathématique pure deviendrait une branche de cette même psychologie. C’est du moins ce que pense Lotze qui déclare sans ambages que la mathématique devait être considérée comme « une branche de la logique générale continuant à se développer pour elle-même ». Pourquoi donc avoir séparé ces deux sciences ? Quelle en est la raison ? Husserl rapporte la réponse de Lotze dans ses Prolégomènes: « Seule, pense-til, une division de l’enseignement, pour des raisons d’ordre pratique, empêche de s’apercevoir du plein droit de cité de la mathématique dans le domaine général de la logique ».64 Le débat est clairement tranché ; la mathématique pure est rattachée à la logique. Un argument vrai en logique sera également vrai en arithmétique. Or, tout comme la logique s’occupe des lois de la pensée, l’arithmétique donne des lois aux nombres, à leurs relations et à leurs combinaisons. Mais ces relations et ces combinaisons (addition, multiplication, soustraction) sont toutes des processus psychiques. En fait, pour mieux étayer ces arguments psychologistes, un troisième préjugé revient à la charge : « Toute vérité réside dans le jugement. Mais nous ne reconnaissons un jugement comme vrai que dans le cas de son évidence (Evidenz). Ce mot désigne – dit-on – un caractère psychique particulier et bien connu de chacun d’après son expérience intime, un sentiment d’une nature propre qui garantit la vérité du jugement auquel il est lié ».65 Ces mots résument dans leur exactitude les imbrications notées entre les deux disciplines. Tout se joue sur le concept d’ ‘’évidence’’ qui est un ‘’caractère psychique’’ ; or nous disons de la logique qu’elle est une théorie de l’évidence. Elle est donc, sans doute aucun, une psychologie de l’évidence ; telle est l’idée dominante de la fin du XIXème siècle.

L’antipsychologisme husserlien

   Frege a certes du mérite de s’opposer à cette doctrine qui aspire à tuer les ambitions de la logique, mais il n’a pas été assez systématique dans son antipsychologisme ; c’est du moins ce que pense Edmund Husserl. Eu égard aux balbutiements de la logique et l’incapacité à s’entendre sur ce qu’elle est, le retour aux principes s’impose comme une nécessité. Qu’estce qu’une vérité ? Comment reconnaître un point de vue personnel ? Voilà les problèmes auxquels sont confrontés les penseurs de cette époque. Et puisque la science n’avance que sur des bases solides, la reconsidération des questions de principes de cette discipline serait obligatoire. Reconsidérons alors les principes logiques pour qu’elle (logique) puisse avoir un soupçon de légitimité. Husserl remarque un manque notoire de niveau à l’époque des logiciens psychologistes qui se reflète dans l’incompréhension qu’ils ont des principes logiques. L’idéal c’est de poser clairement le débat et de faire comprendre avec beaucoup de subtilité et de rigueur dans l’argumentation aux détracteurs de la logique tout ce qu’ils ignorent de cette science. Il s’y prend en ramenant sur la scène de discussion la problématique de la formalité ou de la dimension pratique ou technologique de cette discipline, son indépendance ou encore son caractère apriorique. Heureusement la tâche semble plus facile puisqu’il n’y a que deux parties : soit elle est formelle et donc indépendante de la psychologie et du coup démonstrative, soit elle est une technologie et donc dépendante d’elle. Le but de ses recherches est fixé et il ne sent aucun besoin d’intervenir dans cette interminable dispute ; son objectif c’est de clarifier les divergences de principe qui empêchent la logique d’avancer. Par bonheur, ses recherches aboutissent au résultat suivant : Le résultat de nos recherches à ce sujet sera de dégager une science nouvelle et purement théorique, constituant le fondement le plus important de toute technologie de la connaissance scientifique et possédant le caractère d’une science apriorique et purement démonstrative. C’est cette même science que Kant et les autres représentants d’une logique « formelle » ou « pure » avaient en vue, mais dont ils n’ont bien saisi et déterminé ni le contenu ni l’extension. De ces réflexions il résultera, en dernier lieu, une idée clairement délimitée du contenu essentiel de la discipline en litige, ce qui eo ipso définit clairement la position à prendre à l’égard des controverses qui ont été soulevées à son sujet. Il se dégage de ce propos du mathématicien-philosophe une maturité jamais égalée dans la manière d’aborder et d’engager le débat. Sa formation de mathématicien et sa rigueur rationnelle lui ont permis d’éviter toute dispute de bas niveau en clarifiant d’entrée de jeu son but. S’agissant également de but, son propos laisse croire que la logique est une théorie de connaissance. Qu’est-ce qu’alors une théorie de connaissance ? Est-ce seulement la métaphysique qui peut être désignée comme telle ? Cette philosophie première, dit-il en filigrane, est une théorie de la connaissance mais elle ne s’occupe que des sciences qui ont un rapport avec la réalité naturelle ; en dehors de ces sciences, elle n’est théorie d’aucune autre science. Une théorie de la connaissance serait donc un fondement d’une science. Alors la logique est-elle fondement des sciences ? Bien plus que cette métaphysique qui se limite aux seules sciences qui ont affaire au réel, la logique concerne toutes les sciences sans exception aucune. Elle est le fondement de toutes les sciences en général puisque ses recherches « portent sur ce qui fait que des sciences en général sont des sciences ». Mais puisqu’elle est le fondement des sciences, alors est-elle un savoir ou une science ? « La science, renseigne-t-il, a en vue le savoir. Non pas qu’elle soit elle-même une somme ou un ensemble organique d’actes de connaissance ». Ainsi même si elle n’est pas savoir, elle est au moins une science du seul fait qu’elle vise le savoir ; un savoir qui ne repose que sur l’évidence et tant que cette évidence est lumineuse, le savoir s’étend également. Après avoir replacé et réorienté la discussion en posant les vraies questions pour espérer une issue heureuse, l’auteur des Prolégomènes à la logique pure s’emploie à démonter par pièces les arguments fallacieux des empiristes.Mill tout comme Spencer, pense-t-il, tombent dans une fausse interprétation des lois logiques. Ils pensent, grâce au principe de contradiction, pouvoir démontrer que les lois logiques sont dérivées de l’expérience. Mais en réalité, ce principe de contradiction est mal interprété puisque très mal compris par ces anglais. Le terme ‘’contradiction’’ du principe de contradiction en logique trompe la vigilance de Mill et de Spencer. Ils traduisent ce terme par le verbe ‘’s’exclure’’. De deux propositions contradictoires, elles s’excluent mutuellement, déclarent-ils en croyant avoir raison. Cette interprétation est due au fait qu’ils utilisent les termes ‘’phénomène positif’’ et ‘’phénomène négatif’’ pour désigner deux propositions contradictoires comme ‘’bruit’’ et ‘’silence’’. Or, c’est là la fausse interprétation car, en logique le principe de contradiction ne signifie pas nécessairement que ces deux propositions doivent s’exclure mutuellement. Malheureusement, ils n’ont pas, en leur qualité de logicien, pu se défaire de cette idée qui trahit ce principe capital en logique. C’est l’occasion pour Husserl de croire que le niveau en logique de cette époque laisse véritablement à désirer. Ces arguments des empiristes anglais ne laissent pas indifférent l’autrichien qui s’étonne réellement du sort de cette discipline. Le fait de dire que les actes de conscience ne peuvent pas subsister en même temps, est-ce là une loi reconnue par tous ? Cette question de taille nécessite une forte réflexion. « A-t-on effectué, poursuit-il, des recherches scientifiques pour savoir s’il n’arrive pas des choses de ce genre chez les fous et peut être concernant cette affirmation contradictoire ? La loi s’applique-t-elle aux animaux ? ».118 Toutes ces questions posent le problème de l’universalité de cet énoncé que l’on ne pourrait appeler ‘’loi’’.

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Table des matières

Introduction Générale
PREMIERE PARTIE :Des origines du psychologisme
Chapitre I : Le processus de naissance du psychologisme
1- La crise de la science grecque
2- La crise des fondements en mathématiques
Chapitre II : Le statut du psychologisme
1- Influence de Hume sur l’empirisme
2- L’empirisme : point de départ du psychologisme
DEUXIEME PARTIE : La critique du psychologisme
Chapitre I :La crise de la logique classique
1- La crise de la logique classique
2- La critique du psychologisme chez Frege
Chapitre II :Husserl et la critique de la doctrine psychologiste
1- L’antipsychologisme husserlien
2- L’antipsychologisation husserlien
Conclusion Générale
BIBLIOGRAPHIE

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