Les conséquences sociales de la crise économique

LA CRISE ÉCONOMIQUE

   D’entrée de jeu, il importe de définir l’aspect conjoncturel de la crise économique. Si la crise de 1929, dans les pays industrialisés, s’inscrit dans les jalons importants de l’histoire récente, pour Eric J. Hobsbawm, elle est le point focal dans la première moitié du XXe siècle et ses conséquences sont multiples. Elle est à l’origine de la prise du pouvoir par Hitler en Allemagne en 1933. Elle fait, de la même façon, du communisme soviétique un modèle social sérieux pour les Occidentaux, en opposition au libéralisme qui semble avoir perdu sa suprématie. Elle contribue à la réorientation d’un capitalisme puriste vers un nouveau modèle d’économie mixte qui se traduit par la mise en place de l’État providence. Sur le plan historique, la crise s’inscrit dans la continuité logique de la Première Guerre mondiale et des incertitudes des années 1920, mais est vécue comme le premier événement marquant du siècle à toucher l’ensemble de la population mondiale . Le concept de crise vient aussi définir la trame historique de l’économie capitaliste depuis la Révolution industrielle. Elle fait ressortir l’existence d’économie dominante, dictant les règles de l’économie mondiale et d’économies dominées qui subissent les contrecoups des mouvements qui agissent sur les précédents. On retrouve cette analyse dans Histoire de la Révolution industrielle de l’historien Jean-Pierre Rioux et dans l’ouvrage du géographe Jean-Marie Deblonde et de l’historien Philippe Veyron, L’économie mondiale de 1880 à nos jours. Ces régions dominées sont les réservoirs de matières premières alimentant l’industrie occidentale, qui assoit sa domination par une politique colonialiste. Dans le contexte de la crise, ces économies sont directement touchées par la contraction des marchés industriels et comptent parmi les premiers à accuser le choc de la baisse des importations par les pays industrialisés. À l’instar de l’Amérique latine, de l’Afrique et de plusieurs pays asiatiques, la crise vécue au Canada s’insère dans ce schéma de domination des marchés. Bien qu’en voie d’industrialisation, son économie repose encore majoritairement sur les produits non transformés dont l’exportation diminue dès les premiers soubresauts de la débâcle américaine.

LES IDÉOLOGIES POLITIQUES ET L’ACTION GOUVERNEMENTALE

  La crise économique des années 1930 a comme conséquence d’avoir redéfini le cadre politique dans lequel évoluent les États. Un peu partout dans le monde, la plus ou moins grande efficacité des remèdes économiques proposés convainc à chercher des solutions sur le plan politique. Dans cette analyse des mouvements politiques qui se développent au cours de la crise, nous concentrerons nos réflexions sur l’exemple canadien, et plus particulièrement québécois, en gardant de vue la dimension internationale de l’évolution idéologique.La réponse politique à la crise économique varie dans le temps et dans l’espace. Au sein des États industrialisés, le libéralisme domine la pensée politique. Ainsi, de façon générale, les pouvoirs publics, au Canada comme ailleurs, ne sont guère interventionnistes tout au long de la décennie 1930. Au Québec, la notion de libéralisme pose problème : existe-t-il d’autres idéologies que le clérico-nationalisme omniprésent dans le discours de l’élite francophone nationale? Selon Fernande Roy38, cette analyse domine l’historiographie québécoise. En effet, pour Fernand Dumont39, c’est cette idéologie qui domine tout le paysage québécois sans partage depuis l’échec des Rébellions de 1837- 1838. À peine une petite place est-elle réservée aux tenants du libéralisme qu’il décrit comme des survivants du libéralisme de la première moitié du XIXe siècle. Gérard Bouchard, quant à lui, identifie cette idéologie conservatrice au « paradigme de la survivance » qui s’impose jusque dans les années 1940. Il se définit idéologiquement enmarge d’une pensée libérale propre à la grande bourgeoisie canadienne dont elle se fait aussi la servante mais aussi en retrait d’une idéologie des classes populaires plus ouvertes politiquement aux influences continentales40. Inversement, Roy fait la démonstration qu’il n’y a pas unanimité autour de la question de l’homogénéité idéologique du Québec au tournant du XXe siècle. Elle cite François-Albert Angers qui propose l’existence d’un discours plus industrialiste qu’agriculturiste chez les hommes d’affaireset les politiciens du tournant du XXe siècle. Elle met en évidence le discours de William F. Ryan qui affirme le soutien d’une certaine partie du clergé catholique au développement industriel du Québec. Selon elle, l’existence d’un discours libéral cohérent est bel et bien réelle dans la pensée québécoise au cours du premier tiers du XXe siècle. Au-delà de la bourgeoisie d’affaire anglophone, le message industrialiste, progressiste et individualiste trouve écho. Dans leur vaste synthèse sur l’histoire contemporaine du Québec, pour la période de 1897 à 1929, Paul-André Linteau, René Durocher et Jean-Claude Robert ne craignent pas de parler du triomphe du libéralisme sur un clérico-nationalisme relégué à la résistance .Au cours des années 1930, cette idéologie libérale est durement contestée. Linteau, Durocher, Robert et Ricard la qualifient pour la décennie des années 1930 comme allant de soi et assez mal défini dans la mesure où sa pensée est associée au fonctionnement régulier de l’économie et de l’État44. On le considère alors comme étant responsable de la crise, qui elle-même représente l’échec et l’obsolescence du libéralisme. L’alternative internationale socialiste semble aller de soi. La gauche socialiste s’est présentée depuis déjà longtemps comme la solution historique à une déchéance annoncée du libéralisme. Chez l’historien britannique Eric J. Hobsbawm, cette affirmation ne tient pas la route. Les mouvements syndicaux connaissent partout des baisses d’effectifs. Les conditions de vie difficiles n’incitent pas les ouvriers à se montrer exigeants. Sur le plan mondial, la gauche révolutionnaire se crispe. En URSS, dont le modèle étonne par l’apparente absence de crise,on construit le socialisme dans un seul pays et on n’a cure du socialisme international qui s’entredéchire dans des querelles internes au profit d’une extrême droite montante. Pour les États-Unis, nous retenons l’explication de Morris Dickstein qui décrit lui aussi des mouvements syndicaux fortement démobilisés. Malgré cela, il dépeint une gauche dont le discours et la présence dans la culture se font fortement sentir tout au long de la décennie. Néanmoins, cette gauche est traditionnellement marginalisée par une idéologie dominante où l’individualisme et l’esprit d’initiative sont fortement implantés dans la pensée et donc dans la construction d’un mythe national d’inspiration libérale. Essentiellement, la crise est vécue aux États-Unis comme un puissant traumatisme qui, sans véritablement remettre en question la pensée dominante, cause un choc plongeant le pays dans une profonde apathie. En définitive, le réformisme de la gauche est récupéré par le New Deal de Roosevelt à partir de 1933.

LA COLONISATION

  Le concept de colonisation est celui qui occupera tout le dernier chapitre de cette recherche. Le mouvement de colonisation des années 1930 est la dernière véritable poussée pionnière que connaît le Québec. Ce mouvement s’inscrit tout d’abord dans une politique gouvernementale visant à réduire la pression sur les agglomérations urbaines qui subissent davantage le fléau du chômage industriel. Cependant, cette solution contre la crise est aussi l’expression d’une conception idéologique propre au mouvement de restauration sociale qui se développe au sein de l’idéologie clérico-nationaliste. L’occupation du sol, la pratique agricole et le développement du monde rural demeurent au cœur du projet véhiculé par l’idéologie de la survivance depuis le milieu du XIXe siècle. Elle s’exprime à travers une conception du territoire à occuper pour les Québécois francophones66 et prend la forme idéalisée d’un mythe d’expansion vers le nord comprenant, selon Christian Morissonneau, les dimensions de terre promise, de mission providentielle et de régénération67. Ces dimensions sous-tendent un mouvement géopolitique nationaliste et religieux qui propose la construction d’une utopie sociale originale en marge des normes dominantes du libéralisme anglo-canadien68. C’est l’utopie salvatrice que Gérard Bouchard met en lumière dans son interprétation de la construction sociale d’une société idéalisée au tournant du XXe siècle dans la région du Saguenay. Cette définition porte en elle un germe idéologique profond et ne reçoit pas l’assentiment de Normand Séguin qui y voit un détournement du sens précis de la colonisation. Pour lui, la colonisation au Québec se résume au fait « de se porter acquéreur d’une terre publique selon les conditions déterminées et résolutoires d’établissement. L’octroi par l’État des titres de propriété signifie que toutes les exigences d’établissement ont été convenablement exécutées. » Selon lui, les deux véritables pôles de l’histoire de la colonisation au Québec sont le colon et l’État.

PRÉMICES À LA CRISE ÉCONOMIQUE : L’ÉCONOMIE DES ANNÉES 1920

   L’économie mondiale des années 1920 est marquée par les conséquences de la Première Guerre mondiale et par une Europe en déclin. Le continent s’est ruiné dans la guerre. Les monnaies sont frappées par l’inflation causée par les dettes, l’abandon de l’étalon-or, les révolutions et l’instabilité tant politique que sociale. Dans ce nouveau monde, les États-Unis dominent l’économie. Plusieurs États, comme le Royaume-Uni et la France, sont ses débiteurs. L’Allemagne, frappée par les réparations de guerre, voit son économie fragilisée. Entre 1922 et 1924, elle est aux prises avec une hyperinflation qui ne peut être jugulée que par des investissements accrus des États-Unis et par une redéfinition des termes des remboursements de réparation de guerre. De ce point de vue-là, la cruciale intervention politique et économique des États-Unis provient des propositions des plans Dawes et Young. L’éclatement de l’Autriche-Hongrie a créé nombre de pays  dont les économies sont encore instables ou à peine viables. C’est le cas de l’Autriche, dépendante des investissements américains. En URSS, la défaite militaire, la révolution et la guerre civile ont anéanti l’économie qui peine à se remettre au cours des années 1920 grâce à la NEP. Le niveau économique de 1913 n’est atteint qu’en 1927. L’URSS souffre d’une faible intégration à l’économie mondiale. Parmi les économies européennes les plus performantes, celles d’Europe de l’ouest, le rééquilibre n’apparait qu’au milieu de la décennie. Néanmoins, la croissance demeure faible, sauf pour la France, et certains problèmes chroniques se maintiennent comme le chômage qui touche plusieurs pays européens. Pour la période 1924-1929, celui-ci se situe, entre 10 % et 12 % au Royaume Uni, en Allemagne et en Suède, et entre 17 % et 18 % au Danemark et en Norvège. Au cours de la seconde moitié des années 1920, l’Europe de l’ouest reprend la voie de la croissance. L’Allemagne est la deuxième puissance industrielle mondiale. De 1924 à 1930, la France détient le 2e rang mondial pour ce qui est du taux de croissance industrielle. Au Royaume-Uni cependant, le taux de croissance industrielle est le plus faible des pays industrialisés. Malgré quelques succès, la conversion vers une industrie de type seconde révolution industrielle est difficile : la vétusté des équipements s’ajoute à des prix peu compétitifs, aboutissant à une situation économique préoccupante pour toute la décennie et à un chômage qui affecte toujours plus d’un million de travailleurs.

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Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE 1 – CADRE THÉORIQUE
1.1 PROBLÉMATIQUE, QUESTIONNEMENT ET LIMITES DE LA RECHERCHE
1.1.1 PROBLÉMATIQUE ET QUESTIONNEMENT
1.1.2 LES LIMITES DE LA RECHERCHE
1.2 DÉFINITION DES CONCEPTS ET REVUE HISTORIOGRAPHIQUE
1.2.1 LA CRISE ÉCONOMIQUE
1.2.2 LES IDÉOLOGIES POLITIQUES ET L’ACTION GOUVERNEMENTALE
1.2.3 LA COLONISATION
1.3 LES SOURCES UTILISÉES
1.3.1 LES SOURCES ARCHIVISTIQUES
1.3.2. LES SOURCES IMPRIMÉES
CHAPITRE 2 – CONTEXTE HISTORIQUE DE LA GRANDE DÉPRESSION
2.1 LA CRISE MONDIALE
2.1.1 PRÉMICES À LA CRISE ÉCONOMIQUE : L’ÉCONOMIE DES ANNÉES 1920
2.1.2 DU KRACH BOURSIER À LA DÉPRESSION AUX ÉTATS-UNIS
2.1.3 LES RÉPERCUSSIONS MONDIALES
2.1.4 LA REPRISE ÉCONOMIQUE
2.2 LA CRISE ÉCONOMIQUE AU CANADA ET AU QUÉBEC
2.2.1 LA CRISE ÉCONOMIQUE DANS L’ENSEMBLE CANADIEN
2.2.2 LA CRISE ÉCONOMIQUE AU QUÉBEC
2.3 LA CRISE ÉCONOMIQUE AU SAGUENAY—LAC-SAINT-JEAN
2.3.1 CONTRACTION DE L’ÉCONOMIE RÉGIONALE
2.3.2 LES CONSÉQUENCES SOCIALES DE LA CRISE ÉCONOMIQUE
2.3.2.1 EN MILIEUX URBAINS
2.3.2.2 EN MILIEUX RURAUX
2.3.3 LA REPRISE ÉCONOMIQUE
CHAPITRE 3 – À LA RECHERCHE DE SOLUTIONS
3.1 LES PERCEPTIONS DE LA GRANDE DÉPRESSION AU SAGUENAY—LACSAINT-JEAN
3.2 SOLUTIONS D’URGENCES, SOLUTIONS PERMANENTES 
3.2.1 LES RÉSEAUX DE SOLIDARITÉ SOCIALE
3.2.1.1 DÉBROUILLARDISE ET SOLIDARITÉ INFORMELLE
3.2.1.2 L’ÉGLISE ET SES INSTITUTIONS
3.2.2 L’ACTION GOUVERNEMENTALE APPLIQUÉE AU SAGUENAY LACSAINT-JEAN
3.2.2.1 LES TRAVAUX PUBLICS ET LES SECOURS DIRECTS
3.2.2.2 L’APPAREIL MUNICIPAL EN CRISE
3.2.2.3 SAINT-JOSEPH-D’ALMA AU COURS DE LA CRISE DES ANNÉES 1930
3.3 DES SOLUTIONS DURABLES À LA CRISE : À LA RECHERCHE D’UN NOUVEAU MODÈLE SOCIAL
3.3.1 À LA RECHERCHE DE SOLUTIONS À GAUCHE COMME À DROITE
3.3.1.1 LA MENACE RÉVOLUTIONNAIRE ET L’ÉLITE RÉGIONALE
3.3.2 LA NÉCESSITÉ D’UNE RÉFORME SOCIALE : LE PROGRAMME DE RESTAURATION SOCIALE
3.3.2.1 LE TRAVAIL FORESTIER
3.3.2.2 LA MUNICIPALISATION DE L’ÉLECTRICITÉ
CHAPITRE 4 – LE RETOUR À LA TERRE AU SAGUENAY—LAC SAINT-JEAN
4.1 LA COLONISATION COMME SOLUTION AU CHÔMAGE 
4.1.1 LA PRISE EN CHARGE DE LA COLONISATION PAR L’ÉTAT AU QUÉBEC
4.1.2. LES PLANS D’AIDE À LA COLONISATION
4.2 PORTRAIT DU RETOUR À LA TERRE AU QUÉBEC
4.2.1 RÉPARTITION TERRITORIALE DE LA COLONISATION AU QUÉBEC
4.2.2 LES COLONS DU SAGUENAY—LAC-SAINT-JEAN EN ABITIBI ET EN GASPÉSIE
4.3 LA COLONISATION DES ANNÉES 1930 AU SAGUENAY—LAC SAINT-JEAN
4.3.1 LA COLONISATION AU SAGUENAY—LAC-SAINT-JEAN AVANT 1930
4.3.2 LE RETOUR À LA TERRE AU SAGUENAY—LAC-SAINT-JEAN DE 1930 À 1939
4.3.3 LA VIE DES COLONS DU RETOUR À LA TERRE
4.3.4 L’OUVERTURE DE NOUVELLES PAROISSES AU SAGUENAY
4.3.4.1 LES CANTONS DE FERLAND ET BOILLEAU
4.3.4.2 LA COLONIE DU CANTON HÉBERT
4.3.4.3 L’ÉTABLISSEMENT DE SAINT-DAVID-DE-FALARDEAU
4.3.4.4 LA COLONIE DU LAC-DES-HABITANTS
4.3.4.5 LE PROJET DE LA SAVANE DE BAGOTVILLE : LA PAROISSE AVORTÉE
4.3.5 L’OUVERTURE DE NOUVELLES PAROISSES AU LAC-SAINT JEAN
4.3.5.1 LES CHÔMEURS DE JONQUIÈRE ET L’OUVERTURE DE LA COLONIE DE SAINT-LUDGER-DE-MILOT
4.3.5.2 LES GENS DE LA BAIE À SAINTE-ÉLISABETH-DE-PROULX
4.3.5.3 AUX LIMITES NORDIQUES DU LAC-SAINT-JEAN : NOTRE DAME-DELORETTE
4.3.5.4 UNE NOUVELLE TENTATIVE DE COLONISER VAUVERT
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
1 SOURCES
1.1 JOURNAUX ET LES PUBLICATIONS EN SÉRIE
1.2 FONDS D’ARCHIVES
1.3 AUTRES SOURCES
2 BIBLIOGRAPHIE
2.1 OUVRAGES DE RÉFÉRENCE MÉTHODOLOGIQUE, MÉDIAGRAPHIQUE ET BIOGRAPHIQUE
2.2 OUVRAGES DE RÉFÉRENCE GÉNÉRALE
2.3 BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE
ANNEXES

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