La conception d’usages : un point aveugle des approches contemporaines

Les termes d’“usage” ainsi que celui d’“usager”, sont aujourd’hui intégrés dans le langage commun pour désigner toute une variété d’acteurs et de phénomènes. On assiste progressivement à une confusion entre ces termes et leurs proches sémantiques : utilisation, usage, emploi et usager, utilisateur, client, consommateur, destinataire, ou encore opérateur . . . Il en résulte un paradoxe qui tient au caractère très général des deux notions, d’autant plus qu’ils souffrent d’imprécisions sous un apparent sens évident. Dans ce premier chapitre, nous revenons tout d’abord sur ces différentes notions pour en décrire l’épaisseur sémantique, principalement par une approche historique et étymologique. Nous proposons ensuite d’investiguer les différentes vagues de rationalisation dans la littérature du rapport entre les biens et leurs usages, ainsi que du rapport entre concepteurs et usagers.

En guise de préambule : usage et usager, polysémie des termes

Usage : une ambiguité liée à une double définition étymologique

Bien qu’il ne soit pas l’objet ici de faire une analyse approfondie de la formation de la notion d’usage, un retour sur la définition du terme nous permet de formaliser les deux grandes lignes directrices de la notion telle qu’on la retrouve aujourd’hui utilisée. Une première définition donnée  du terme d’usage est celle d’une “pratique, manière d’agir ancienne et fréquente”, d’un “ensemble de règles et de pratiques [. . .] qui sont les plus couramment observées” ou encore “d’habitudes, [de] comportements qu’il convient de respecter, qui ne doivent pas être transgressés”. La définition renvoie à la notion d’une activité qui n’est pas originale, une habitude, une action qui a déjà été réalisée par le passé et que l’on répète —  de façon impérative — de la même manière. La seconde définition  du terme d’usage est celle de “l’utilisation, emploi de quelque chose ; possibilité de se servir de quelque chose”. La mise en usage est définie comme étant de “se servir de quelque chose, mettre en action un procédé, quelque chose afin d’obtenir un résultat déterminé”. Cette seconde perspective introduit la notion de dispositif, d’objet que l’on met en usage, que l’on utilise, ce quelque chose pouvant même être une autre personne (avoir l’usage de quelqu’un, c’est bénéficier de ses services). Ces deux visions, l’une qui renvoie à la notion de tradition, d’histoire de l’action et de conformité avec des règles, l’autre comme une démarche qui opère un dispositif au vu d’une finalité espérée, se retrouvent aussi dans l’étymologie latine du terme d’usage. Usage est un dérivé d’usus  , participe passé d’utor (Se servir de, jouir de, profiter de, recourir à).

On retiendra de ce détour étymologique la polysémie qui se retrouvera souvent au travers de l’emploi du terme dans les différentes littératures qui l’utilisent : l’usage comme habitude préexistante et répétée, ou alors l’usage comme action d’un opérateur sur un “quelque chose” dans la volonté de réaliser une finalité.

Il ne s’agit pas de débattre de la bonne définition, ni même de les opposer. Car s’il y a assurément une ambiguité qui sous-tend cette double définition (Proulx, 2005), il nous semble que c’est bien ce couplage entre connaissance traditionnelle de manières de faire et description de l’action qui fait l’intérêt de la notion. On parle d’usage d’un bien à partir du moment où il a déjà eu lieu, le terme apparaît comme une manière de définir l’ensemble des utilisations d’un bien en tant qu’ils sont des phénomènes déjà installés, existants et observables.

Usage et utilisation
Le terme d’usage renvoie à la notion d’utilisation, c’est-à-dire à l’action attendue d’un utilisateur de l’objet. Elle est souvent retranscrite dans un manuel d’utilisation ou un mode d’emploi détaillant les procédures pour manipuler un bien. La distinction habituellement faite entre usage et utilisation est celle d’un degré de généralisation des utilisations. Le répertoire d’utilisations stabilisées d’un bien en constitue l’usage. On retrouve ici le couplage entre l’usage comme utilisation présente d’un objet ainsi que comme connaissance des utilisations passées.

L’usage, une pratique sociale
On ne peut négliger aujourd’hui l’influence des études sociologiques sur la manière d’appréhender le terme d’usage. La sociologie des usages a depuis une trentaine d’années produit une vaste quantité de propositions sur la question des usages d’objets techniques. Elle est en grande partie responsable d’avoir instauré un consensus aujourd’hui sur la notion d’usage en tant qu’il est un mécanisme d’appropriation sociale. Les biens et leurs usages sont vus au travers d’une dialectique technique et sociale : le développement des usages comme forme d’émancipation de l’usager médiée par un objet technique, mais également l’influence du cadre social sur l’émergences de pratiques nouvelles.

Les divers destinataires de l’objet : l’usager, le client, le consommateur, le bénéficiaire

Tout comme la notion d’usage, le terme d’usager est aujourd’hui devenu un terme générique pour désigner un type particulier de bénéficiaire d’un bien : celui qui l’utilise ou encore celui qui en use. Jullien (1978) considère même que d’une manière générale, toute personne entrant en contact avec un objet donné peut être considérée comme un de ses usagers, depuis le premier utilisateur jusqu’à la personne éventuellement amenée à recycler le bien en fin de vie, en passant par les agents de maintenance, etc. On assiste aussi aujourd’hui à un entremêlement de la figure d’usager à celles du client, ou encore du consommateur dans les industries de service, en particulier à la suite de mutations au centre des services publiques (Jeannot, 1998). Dans son rapport aux activités de conception de nouveaux produits, le terme d’usager est avant tout une formule condensée permettant aux concepteurs de s’affranchir de la complexité intrinsèque à la multiplicité des bénéficiaires futurs de l’objet de la conception en les regroupant sous une dénomination abstraite. L’usager désigne cet acteur inconnu qui viendra “user” du bien en cours de conception. La complexité de la figure d’usager se retrouve également dans le fait qu’il n’existe pas, à priori. Car la notion même d’usager est problématique lorsqu’on la regarde à travers le prisme des activités de conception : ces usagers sont tout aussi incertains que l’objet à concevoir. Avant de pouvoir décrire plus précisément cette figure d’usager dans la littérature sur les activités de conception nous souhaitons tout d’abord procéder à une analyse historique de la notion d’usager et de ses caractéristiques dans le panorama plus large des notions de destinataire d’un objet conçu, à savoir l’usager, le client et le consommateur.

L’usager : droit d’usage à la notion de service publique
Une étude de l’histoire du terme d’usager montre que dès 1319, la notion d’usager renvoie au domaine du droit réel, c’est-à-dire portant sur une chose. Ici, l’usage sur un bien appartenant à autrui : “usager : celui qui a droit d’usage dans certains bois”  . Par construction, la figure de l’usager s’affranchit de la question de propriété et par extension de la notion d’échange marchand pour se concentrer plutôt sur la notion d’usus, c’est-à-dire le droit d’utilisation. L’usager désigne celui qui jouit d’un droit d’user de certains bois sans en être le propriétaire.

L’évolution du terme amène, à partir de 1904, à une notion d’usager qui renvoie plutôt au service public : “personne qui utilise un service public”  . Cette notion de service public vient ajouter de nouvelles dimensions à la figure de l’usager : le concept de service incarne la nature relationnelle de l’usage, relations qui s’expriment tant dans l’évaluation que dans l’action réciproque qu’elle engage. Dans un paradigme interactionniste, le service n’existe que par l’interaction des usagers avec le fournisseur du service (Goffman, 1991) et le concept de self-service vient faire de l’usager l’un des coproducteurs du service. De plus, les mutations contemporaines des services publiques viendront davantage renforcer le lien entre le fournisseur du service et les usagers. Hatchuel, Jougleux et Pallez (1990) montrent en particulier que l’introduction de nouveaux objets  au sein d’un service publique entraine de nouvelles formes de relations plus “personnalisées” avec l’usager, mais aussi de nouvelles responsabilités sociales (sécurité, gestion des contentieux, . . . ). Le terme d’usager est d’emblée accompagné d’une hypothèse de relation étroite et continue entre la firme et le destinataire du bien, qui dépasse le simple instant de l’échange commercial.

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Table des matières

Introduction générale
1 Le rapport entre les biens et leurs usages : contexte et nature des crises
2 Comment étudier le rapport entre les biens et leur capacité à susciter de nouveaux usages ?
3 Méthodologie : les nouvelles technologies de l’information et de la communication, cas révélateurs de ces crises
4 Structure du document et synopsis de la thèse
I La conception d’usages : un point aveugle des approches contemporaines
1 En guise de préambule : usage et usager, polysémie des termes
2 L’usage comme leitmotiv pour les approches en gestion de l’innovation
3 L’usage réduit aux fonctions dans la conception réglée
4 L’innovation par l’usager : les limites de l’omni-concepteur
5 Le détournement d’usage légitimé : une conception qui reste mystérieuse
6 Des usages générateurs de biens aux biens génératifs d’usages
II Les biens comme espaces de conception : un nouveau cadre théorique pour la conception d’usages
1 Une axiomatique des biens et des usages : les biens comme espaces de conception
2 Propriétés statiques du modèle : réinterprétation des théories du consommateur et de l’usager-concepteur
3 Propriétés dynamiques du modèle : penser la conception collective d’usages
4 Variété des espaces de conception d’usage : les conditions de l’action collective
5 Conclusion : une théorie des biens comme espaces de conception d’usages
III Organiser l’action collective associée aux biens génératifs d’usages, un nouveau rôle pour la firme
1 Les difficultés de la gestion des biens génératifs d’usages : le cas de Fondue au Chocolat de Nestlé Dessert
2 Organiser une conception systématique des usages : le cas de l’iPhone et de l’iPad
3 Organiser la genèse des biens génératifs d’usages : le cas du compteur à scintillation liquide
4 Conclusion : sophistication des dispositifs et de l’ingénierie nécessaire à l’organisation de l’action collective de conception d’usages
Conclusion générale

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