La clinique du discontinu : la psychomotricité au contact de l’adolescence et de la psychose

Ce mémoire est le fruit de quatre années à découvrir mon futur métier, quatre années au contact de psychomotrien⸱ne⸱s qui ont pris le temps de me dévoiler la singularité de leur engagement corporel. Durant ces quatre années, j’ai pu ressentir le besoin de prendre mon temps, d’en gagner, ou bien le sentiment que je perdais du temps, qu’il m’en manquait, qu’il pressait. Ainsi, en faisant le choix du report de mémoire, je me suis accordé du temps. On pourrait aussi dire que je me suis soustraite au temps imposé par la formation.

Ces quatre années m’ont appris à être à l’écoute des temporalités : la mienne d’abord, celle des patient⸱e⸱s ensuite, celle de nos rencontres enfin. Qu’elles soient trop courtes, trop rapides, trop lentes, hebdomadaires ou quotidiennes, ces rencontres ont toutes résonné en moi de manière différente. Chacun de ces rythmes, me plongeant tantôt dans l’urgence, tantôt dans l’immensité de l’existence, a enrichi ma compréhension et ma lecture des vécus corporels.

Cette dernière année est celle qui me met le plus à l’épreuve. À l’Hôpital de Jour B. (HDJ B.) cohabitent les temporalités de chaque patient⸱e, celles des soignant⸱e, les temps de la cure, les temps des interactions, les temps libres, les temps répétitifs, les temps de l’imprévu, les temps des évolutions, les temps éclatés. M’y accorder prend du temps, suffisamment pour reconsidérer la durée du stage, initialement de deux mois : on m’accorde une année, peut-être plus. Ce délai me permet de m’engager dans une rencontre avec Estelle .

Estelle est une adolescente que je rencontre dès mon premier jour à l’HDJ B. C’est une rencontre médiatisée par ma posture de stagiaire (du côté des soignants, donc) et la sienne de patiente, par les espaces de l’institution, sa temporalité. Ces éléments de cadre apportent une certaine distance entre elle et moi. Pourtant, je suis saisie par la violence d’une de ses crises dès mon premier jour. Je suis témoin d’une explosion spectaculaire de mouvements anarchiques, de cris injurieux, et de mobilier volant au travers de l’espace d’accueil. Estelle monte sur les tables, jette les chaises et se cogne contre le mur. Je me trouve impuissante face à cette situation, incapable d’agir, je la regarde. Les autres jeunes présent⸱e⸱s sont à leurs occupations, cette scène paraît faire partie du quotidien. Un soignant l’interpelle : « Ça ne va pas Estelle ? » Elle répond en criant : « Non ben non ça ne va pas, ça ne se voit pas ? Vous êtes aveugle ? » Effectivement, son mal-être saute aux yeux. Quelques minutes plus tard, elle se présente à l’infirmerie, le bras ensanglanté. Sa détresse n’est plus uniquement portée par sa parole (aussi sonore soit-elle), ses mouvements, ou son acte de se blesser, elle est inscrite de manière permanente sur son corps.

Clinique de la discontinuité

Contexte de la rencontre : l’HDJ B., lieu et temps du soin

L’HDJ B. accueille plus de cinquante adolescent⸱e⸱s de douze à vingt ans souffrant en majorité de formes diverses de psychoses, bien que certain⸱e⸱s présentent des troubles de l’humeur ou des névroses invalidantes. Sa mission est de proposer, au quotidien, un lieu et un temps d’accompagnement dans lequel peuvent se déployer les expériences structurantes pour les jeunes. Rattachée à une association gestionnaire de plusieurs structures de psychiatrie infantojuvénile, cette institution assure la prévention et le soin des troubles psychiatriques, ainsi que l’accompagnement de l’insertion sociale et l’autonomie scolaire, psychique et corporelle des patient⸱e⸱s qu’elle reçoit. Ce projet d’établissement, ancré dans la psychanalyse, se tisse avec les valeurs de l’association et les recommandations de la Haute Autorité de santé et de l’Agence régionale de santé. Les adolescent⸱e⸱s sont adressé⸱e⸱s par des hôpitaux de jour pour enfants, des instituts médico professionnels (IMPRO), instituts médico-éducatifs (IME), des centres médicopsychologiques (CMP), centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP), des hôpitaux publics, ou directement par des psychiatres consultants ou des établissements scolaires. Comme tout Hôpital de Jour, l’HDJ B. est une alternative à l’hospitalisation complète, permettant aux adolescent⸱e⸱s de se maintenir dans leur environnement familial, social et parfois scolaire.

Les adolescent⸱e⸱s sont accueilli⸱e⸱s en temps complet de 9 heures à 16 heures ou en temps partiel par demi-journées selon les besoins et les possibilités. Les modalités temporo-spatiales de prises en charge sont évaluées et discutées à l’arrivée de l’adolescent⸱e et lui sont proposées comme un réel travail d’appropriation du soin tout au long de sa cure . Le projet de soin individualisé est donc élaboré par le⸱la patient⸱e et l’équipe. Cette dernière est composée d’une Directrice Administrative et d’un Médecin Directeur psychiatre, d’une médecin psychiatre, de six psychologues, d’une psychomotricienne, de deux infirmier⸱e⸱s, de huit éducateur⸱rice⸱s spécialisé⸱e⸱s, d’une équipe administrative et logistique, et de nombreux⸱se⸱s stagiaires. À ces professionnels s’ajoutent les sept enseignant⸱e⸱s spécialisé⸱e⸱s mis⸱e⸱s à disposition par l’Éducation nationale, assurant le parcours scolaire du niveau primaire au niveau collège/lycée.

Ce lieu est tout à fait singulier, car il doit accueillir et contenir d’une part les problématiques adolescentes, et d’autre part les problématiques psychotiques, en recréant du lien entre les deux. L’organisation de la vie de l’établissement préserve donc le temps et l’espace nécessaires à l’autonomisation et à l’individuation. Elle accompagne, soigne et compense les difficultés psychiatriques.

Un espace où se joue le soin

L’HDJ B. est une belle bâtisse, camouflée, à l’angle d’un boulevard très passant. La cour, protégée par un grand portail, est vaste, lumineuse, entourée de fresques colorées et de verdure. Le portail filtre les interactions avec le dehors et préservant l’espace du soin pour les jeunes, car les parents/l’entourage ne peuvent y accéder que lors d’un rendez-vous ou lors de fêtes institutionnelles. Malgré tout, cette barrière n’est pas opaque : les échanges entre l’intérieur et l’extérieur se font notamment par l’intermédiaire du téléphone et des réseaux sociaux.

À l’entrée du bâtiment se trouve un espace d’accueil. Je devine que les adolescent⸱e⸱s y évoluent en autonomie. Des fauteuils mobiles lacérés et des tables abîmées sont à leur disposition, ainsi qu’un baby-foot. L’espace me semble immense, et intentionnellement débarrassé de décoration. Au mur, les quelques affiches (dessins des jeunes ou cartes de Paris) sont arrachées. Les couloirs et l’escalier me donnent la même impression d’animosité, contrairement à toutes les autres pièces de l’établissement, colorées, décorées, vivantes. Tout laisse à penser que ces espaces de transition, sans autre fonction précise que le passage ou l’attente, sont difficilement investis et qu’une certaine violence s’y déploie.

Le bureau des éducateur⸱rice⸱s, celui de la secrétaire et le self donnent directement sur ce hall. Les autres pièces sont réparties sur quatre étages, desservis par un escalier en colimaçon. Les étages sont tous marqués d’une couleur pour les identifier. Les salles sont méthodiquement réparties selon les étages : l’étage marron pour les grandes pièces de vie (salle de forum, foyer, etc.), l’étage jaune majoritairement pour les classes de niveau primaire et le bureau infirmier, l’étage rouge pour les classes de niveau collège/lycée et le dernier étage, vert, pour les bureaux des psychologues. Au sous-sol se trouve la salle de psychomotricité. Ce choix d’emplacement pourrait tout à fait révéler un isolement de ce soin, ou encore un clivage entre l’école, travail psychique en hauteur, et le travail corporel en bas. Il me semble pourtant que cette remarque ne trouve pas de résonance dans la vie de l’institution : la psychomotricité a une place importante et l’emplacement de cette salle relève plutôt de la praticité et du besoin de calme pour l’exercice de la relaxation .

L’HDJ B. possède les éléments du soin tout en répondant aux besoins adolescents de socialisation et d’autonomie. Des éléments tels que les couleurs des étages ou les écriteaux sur les portes indiquant la fonction de la salle sont de bons soutiens au repérage spatial, tout en incitant à l’autonomie.

Des temps structurants

L’organisation des soins se structure autour de plusieurs temps bien définis, à l’échelle d’une journée, d’une semaine, d’un mois, d’une année, et de la durée d’une cure à l’HDJ B. :
– Les matins du lundi, mardi, jeudi et vendredi sont dédiés aux temps scolaires.
– Les après-midi du mardi, jeudi et vendredi, ainsi que la journée du mercredi, sont les temps d’ateliers thérapeutiques.

Dans ces demi-journées, s’ancrent des grands moments de réunion pour les jeunes :

– Le forum a lieu toutes les semaines, le lundi après-midi. Tou⸱te⸱s les patient⸱e⸱s et, dans la mesure du possible, tou⸱te⸱s les soignant⸱e⸱s y sont convié⸱e⸱s pour discuter de la vie de l’établissement.
– Les groupes de parole sont organisés toutes les semaines. Les jeunes et quelques éducateur⸱rice⸱s y sont réuni⸱e⸱s par petits groupes pour échanger autour d’un sujet.
– Les réunions de groupe de référence sont, elles aussi, hebdomadaires et réunissent les adolescent⸱e⸱s ayant le⸱la même éducateur⸱rice référent⸱e.
– Les réunions de référence, pendant lesquelles chaque jeune rencontre son éducateur⸱rice référent⸱e et son⸱sa psychologue référent⸱e, ont lieu à une fréquence hebdomadaire.
– Les réunions avec chaque jeune, ses parents et ses référent⸱e⸱s sont, en théorie, mensuelles.

Ces temps, qui structurent la semaine, multiplient les échanges et permettent aux adolescent⸱e⸱s d’être impliqué⸱e⸱s dans la vie de l’établissement, d’être autonomes vis-à-vis des décisions.

Les temps attribués à l’échange clinique sont nombreux :
– La synthèse hebdomadaire réunit tout le personnel soignant de l’établissement pour transmettre les informations importantes de la semaine, mais aussi échanger autour d’une ou plusieurs situations cliniques.
– Le temps de séminaire du vendredi midi est réservé aux professionnel⸱le⸱s disponibles et il est dédié à la théorie principalement psychanalytique.
– Les réunions de l’équipe éducative et des psychologues ont toutes les deux lieu le jeudi matin, pendant la scolarité.
– Le matin, pendant l’arrivée progressive des jeunes, et le soir, après leur départ, les professionnel⸱le⸱s se retrouvent pour échanger sur la clinique, notamment autour des évènements quotidiens. Ce sont des temps informels mais compris dans les espaces de réflexion, et qui sont plutôt investis par l’équipe.

Ces temps témoignent d’un besoin institutionnel de partage des situations cliniques et d’une nécessité de faire des liens. Nous le verrons, une grande partie du travail des soignant⸱e⸱s est de démêler les temps confus de la psychose.

L’institution, par son cadre spatio-temporel,se place comme accueillant des problématiques entre adolescence et psychose. Animé par la psychothérapie institutionnelle, l’HDJ B. met l’accent sur les dynamiques relationnelles entre soignant⸱e⸱s et soigné⸱e⸱s. L’objectif est de faire émerger le singulier dans le collectif. En partant du principe que le⸱la patient⸱e n’investit pas de la même manière chaque soignant⸱e, l’équipe peut alors reconstituer le puzzle de son état psychocorporel .

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Table des matières

INTRODUCTION
PARTIE 1 : CLINIQUE DE LA DISCONTINUITE
I. CONTEXTE DE LA RENCONTRE : L’HDJ B., LIEU ET TEMPS DU SOIN
1. Un espace où se joue le soin
2. Des temps structurants
II. LE SUIVI D’ESTELLE : DE RUPTURE EN RUPTURE
1. Présentation de l’adolescente
2. Éléments du bilan
3. Un suivi chaotique
III. COUPLE CONTINU DISCONTINU
1. Continu/discontinu dans le champ du langage
2. Continu/discontinu dans le champ de l’expérience
PARTIE 2 : LES TEMPS DU CORPS : ENTRE ADOLESCENCE ET PSYCHOSE
I. L’ADOLESCENCE : UNE TEMPORALITE QUI S’IMPOSE A ELLE
1. La temporalité sociétale : le passage flou
2. La temporalité du corps : la rupture brutale
3. Le sentiment identitaire dans l’après-coup
II. LA PSYCHOSE : DISCONTINUITE OU PROTECTION DE LA CONTINUITE ?
1. Psychopathologie du Temps à l’adolescence
2. La psychose
III. RECOURS AU CORPS : REPONSE AU CROISEMENT DE L’ADOLESCENCE ET DE LA PSYCHOSE
1. Ici et maintenant : moment de l’effraction
2. La trace
PARTIE 3 : LA RELATION, SUPPORT DE LA CONTINUITE
I. SUPPORT TRANSFERENTIEL, MEDIUM MALLEABLE OU SUPPORT D’IDENTIFICATION ?
1. Le transfert
2. Le médium malléable
3. Le support identificatoire
II. MA RELATION AVEC ESTELLE
1. Ce qui m’est inaccessible
2. Ce que je vois
3. Ce que j’interprète
III. QUE FAIRE DE CE TRANSFERT PARTICULIER ?
1. Comprendre ma place
2. Me laisser jouer
3. M’ajuster
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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