La chimie et les sciences de la vie à l’heure de la révolution scientifique

La chimie et les sciences de la vie à l’heure de la révolution scientifique

La question du Moi

Sur la question du Moi, Madame d’Arconville s’inscrit dans une continuité où l’on retrouve, entre autres, Montaigne qui, dans ses Essais, fait de lui-même la matière de son livre en montrant que le Moi est une entité toujours en mouvement, instable et changeante. Dans ses Essais, il fait la découverte du Moi pour se raconter de façon nouvelle, et souhaite approfondir ses idées à partir de l’expérience qu’un individu fait du monde.Toutefois, ce sont les jansénistes qui ont fait du Moi un concept, comme le souligne Charles-Olivier Sticker-Métral, qui rappelle que la dérivation du pronom moi en nom commun est attribuée à Pascal, dont 1’« originalité [ … ] est de croiser l’interrogation morale de Montaigne sur le statut de l’individu avec la tradition spirituelle qui fait du moi l’objet d’un amour illégitime23 • » Cette tradition qui lie le moi à l’amour-propre était apparue au cours du Moyen Âge tardif chez les mystiques italiens. L’introduction dans la langue française de cette idée d’amour de soi est une des conséquences inattendues des efforts de réunification de l’Église après les guerres de religion du XVIe siècle. Des membres de la Réforme catholique retournèrent alors aux activités liées à la vie spirituelle par la préparation d’ouvrages de dévotion pour les laïcs et les religieux.Sticker-Métral considère ainsi que les premières apparitions de ce terme dans la langue française datent des écrits dévots de la dernière décennie du XVIe siècle.
Dans ce contexte, la conception que se fait du Moi le XVIIe siècle serait donc issue de ces deux traditions, l’une morale, héritée de Montaigne, sur le statut de l’individu, et l’autre religieuse, héritée des mystiques italiens, en tant qu’amour de soi illégitime éloignant l’homme de l’amour de Dieu. Ces deux traditions se croisent ensuite chez les jansénistes à travers les écrits de Pascal. Aussi le cœur doctrinal de la tradition morale janséniste résulte-il d’une synthèse entre, d’une part, une conception de l’amour propre, c’est-à-dire de cette passion qui fait du Moi l’objet d’un amour omniprésent, et, d’autre part, cette entité intérieure représentant notre personnalité qui est le Moi. En outre, Charles-Olivier Sticker-Métral met bien en évidence les liens qui se nouent entre le
péché originel et l’amour-propre, le Moi et le mensonge des apparences:
Dans le domaine de la morale, le péché a interdit toute transparence: il ouvre l’ère du signeincertain et de l’équivoque. En effet, l’idée claire du moi et sa représentation immédiate sont devenues impossibles: le rapport entre le moi et sa représentation n’est plus celui du reflet,archétype du signe naturel dans la Logique. La représentation du moi est au contraire un reflet déformé, qui signifie autre chose que ce qu’elle est censée représenter. Ainsi, la confusion de l’idée que l’on a de soi, causée par la contamination d’l’idées étrangères », de « choses extérieures », qui se donnent comme appartenant au moi, est à l’origine de l’opacité de la représentation. La représentation du moi, à l’instar des cartes et des tableaux évoqués ailleurs par les logiciens, est bien un signe, mais, contrairement à eux, elle introduit une différence entre la chose qui représente et la chose représentée, et occulte la seconde par la première. Le moi est ainsi constitué avant toute chose en objet d’amour et, conjointement, en objet de regards: c’est dans le regard porté sur soi-même que l’homme s’aime, et dans le regard porté par autrui qu’il veut être aimé •
À la différence de l’amour-propre, dont les mécanismes sont cachés, le Moi est l’objet des regards. Certes, ce qu’il offre à voir aux autres ne représente pas sa nature profonde, car la vue de cette corruption secrète du cœur le ferait assurément mépriser. Le Moi se révèle être, en ce sens, une «idée confuse », car d’une part sa nature est repoussante, mais d’autre part il doit être estimé des gens à qui il s’offre à voir. Il doit donc prendre des traits qui ne sont pas les siens, afin de pouvoir non seulement plaire aux autres, mais aussi satisfaire aux exigences de l’estime de soi. La tromperie s’ingère donc partout:
«L’amour propre est donc amour d’une « idée confuse » du moi: en cela, il n’est jamais amour de soi, mais d’un simulacre qui reçoit le nom de moPs. » De fait, personne n’oserait se voir tel qu’il est, car comme l’a écrit Pierre Nicole à propos des hommes, « Rien ne leur est plus odieux que cette lumière qui les découvre à leurs propres yeux, et qui les oblige de se voir tels qu’ils sont . »

 Généalogie et accroissement de la corruption du cœur

Outre les grands thèmes chers aux moralistes, plusieurs autres sujets qu’abordent les écrits de Madame d’Arconville sont l’occasion d’évoquer la corruption du cœur. Rappelons d’abord que c’est une femme qui connaît les usages du monde et, en tant que moraliste, elle se plaît à reconnaître et à déconstruire les mécanismes qui régissent la vie mondaine:
Il semble que la politesse soit une parure dont l’esprit se décore pour paraître dans le monde avec plus d’agrément, ainsi que chez soi, lorsqu’on y reçoit compagnie. Quand on est sur le point de sortir, on s’en affuble, quelqu’étrangère qu’elle soit à la nature, qui la rejette, comme on prend son chapeau et on en orne son esprit, de manière qu’elle ne nous fasse pas faux bon lorsque nous en aurons besoin, en effet, il faut d’avance se préparer à placer à propos quelques compliments adroits et bien apprêtés qui puissent flatter la vanité d’une jolie femme, dont on admire lesgrâces.
Cet-extrait montre à quel point l’illusion fait aussi partie de la vie sociale. De fait, cette politesse valorisée dans le monde depuis l’essor de la civilisation curiale à la Renaissance est le fondement d’une société des apparences dont les moralistes classiques ont fait l’étude pour en tirer leurs principales critiques. En tant que « spectateurs de la vie », les moralistes percent à jour les mécanismes de l’amour-propre à l’œuvre dans le monde.
D’emblée, comme le souligne Madame d’Arconville, la politesse est une parure contrenature, puisqu’elle cache les véritables sentiments ou opinions de ceux qui s’en revêtent. Il s’agit de ce «masque» dont les moralistes aiment tant parler et qui couvre les vraies intentions de ceux qui le portent. La politesse sert donc les intérêts propres des individus, car en flattant l’amour-propre des autres par des compliments, il devient plus facile de s’attirer les grâces d’autrui et, enfm, d’user de ce pouvoir que l’on acquiert ainsi sur les autres afin d’obtenir ce que l’on veut. L’intérêt est un ressort essentiel que les moralistes tentent de dévoiler, car il est au cœur des entreprises de l’amour-propre:
Il Y a une espèce d’intérêt personnel, qui sans en porter particulièrement le nom, est cependant le mobile de toutes nos actions: on conçoit aisément que l’amour propre y joue toujours son rôle petit ou grand: car il est presqu’en général la base primordiale de notre conduite. Il n’y a aucune de nos moindres démarches qui ne puisse se rapporter à un intérêt quelque peu important qu’il soit même sans l’abandonner, car nous tenons toujours à ce qui nous touche de quelque genre qu’il puisse être. Nous osons porter nos espérances sur des objets qui peuvent contribuer à notre réputation39.
L’intérêt conduit donc toutes les actions humaines, surtout dans le monde où il sert non seulement à bâtir une réputation, mais également à obtenir des bénéfices de celle-ci.
Outre la politesse, l’univers des salons encourage chacun à multiplier, pour mieux se faire voir, des preuves d’esprit qui ne sont pas toujours flatteuses pour les personnes qui s’en targuent:
Il en résulte ce me semble de ces observations, qu’on peut avec beaucoup d’esprit, dire des absurdités et des bêtises, mais qu’avec moins d’esprit peut-être, on ne tombe point dans cet inconvénient, quand on est modeste et assez prudent, pour ne pas risquer de donner a des gens instruits s’il s’en trouve parmi ceux devant lesquels on parle, des preuves de son ignorance et d’une prétention aussi déplacée que ridicule .
Bref, l’amour-propre et la vanité inspirent des mots d’esprit dont la frivolité est à l’image du faux-semblant des apparences, puisque seule l’ambition de plaire et de flatter les fait proférer, le plus souvent sans une connaissance réelle des choses.
Par delà la politesse et l’esprit qu’apprécie tant le monde, le rapport à autrui fait aussi naître d’autres penchants que suscite, encore là, la corruption du cœur. Dans son texte «Sur la reconnaissance et l’ingratitude », la présidente montre que l’amitié et la 39 PRA, « De l’intérêt », VII, p. 13-14. 40 PRA, « Sur les prétendues connaissances des gens du reconnaissance peuvent justement se corrompre au point où les bienfaits n’ont pour toute récompense que l’ingratitude:
On ne saurait donc s’examiner avec trop de soin, pour découvrir au fond de son cœur le germe d’un penchant qu’il faut travailler de bonne heure à en déraciner avant qu’il ait acquis assez de force, pour devenir indomptable car à la honte de l’humanité, l’ingratitude, que je crois avoir démontré être contre nature, est cependant le vice le plus commun, ce qui prouve combien il est facile de se corrompre et de résister même au penchant que nous apportons en naissant à l’amitié et à la reconnaissance.
Pour Madame d’Arconville, l’ingratitude est, elle aussi, la conséquence directe de la corruption du cœur. Toutefois, comme elle le souligne dans cet extrait et le prouve précédemment dans son texte, ce vice ne tient pas à la nature humaine, contrairement à son penchant vertueux, la reconnaissance, qui est dans l ‘homme dès sa naissance : par exemple, un bébé n’est-il pas reconnaissant du lait que lui donne sa nourrice, ne se met-il pas à pleurer quand on le retire de ses bras? Quant à ce penchant renfermé au fond du cœur de l’homme, qu’il est préférable de commencer tôt à essayer de déraciner, il s’agit d’un mélange d’amour-propre et d’orgueil: «Qui peut produire un semblable égarement? L’orgueil, l’amour propre, ce tyran de la vertu, qui souille tout ce qu’il touche, et qui s’emparant avec empire de notre esprit et de notre cœur corrompt l’un et
l’autre . » Entre ingratitude et reconnaissance, Madame d’Arconville conçoit donc que la corruption du cœur est enracinée dans l’homme et qu’elle y ruine l’innocence depuis la naissance de l’individu, mais elle croit apercevoir, en même temps, des germes naturels de vertu. Cette conception ambiguë est, d’une part, la conséquence de sa croyance au péché originel, puisque le cœur de l’homme ne peut être pur. Mais cette corruption, d’autre part, entre en tension avec certaines vertus intrinsèques à la nature humaine, 41 PRA, «Sur la reconnaissance et l’ingratitude », l, p. 87-88. 42 Ibid., p. 82. comme la reconnaissance, interagissant ensuite avec celles-ci afin de les changer en vice. Bref, tout semble se passer comme si les conséquences de la Chute n’avaient pas investi
d’emblée toutes les dimensions de la nature humaine et que la corruption s’inscrivait dans une dynamique où les vertus sont viciées après coup par l’orgueil et l’amour-propre.
L’humain étant fondamentalement faible, on devine qu’il cède facilement à ces séductions et, de ce fait, aux progrès de la corruption. Toutefois, Madame d’Arconville conçoit que l’homme peut faire des efforts pour sortir de cette mainmise, mais seulement dans une certaine limite. La religion soutient fortement ses efforts, mais le physique et le moral s’opposent souvent à l’atteinte à long terme de ces aspirations vertueuses, comme la présidente l’exprime dans ce texte où elle avoue qu’il est fort difficile de corriger l’humeur d’une personne:
En effet, un semblable effort demanderait un travail continuel sur soi-même et nous sommes trop faible, pour oser même l’entreprendre, il faut donc qu’une indulgence réciproque, (car qui est né assez heureusement pour n’en pas avoir besoin) nous engage à pardonner les défauts physiques et moraux de ceux avec lesquels nous vivons, sans quoi notre propre expérience doit nous apprendre que sans elle, nous devenons injustes et peut-être plus coupables que ceux dont nous nous plaignons.
La faiblesse de l’humain ainsi que sa naissance même, marquée par les conséquences de la Chute, font en sorte qu’il est incapable de soutenir un long effort pour améliorer son état. L’indulgence devient donc primordiale, afin de ne pas juger l’autre trop rapidement.
Madame d’Arconville reprend alors ce qu’elle a affirmé plus haut dans le même volume, dans son texte «Sur l’observation»: «Si nous sommes indulgent pour nous, nous devenons pour eux d’une sévéri~é implacable [ … ] mais un sage, que la raison éclaire assez pour le rendre équitable envers son prochain, pardonnera sans effort ce qu’il se pardonne à lui même44• » La différence c~nsiste en ce qu’elle ne considère plus qu’il faut être un sage pour porter sur autrui le même jugement que l’on se rend à soi-même. Enfin, ces quelques lignes résument le constat que la présidente tire des vices de 1 ‘homme : «Il en résulte de ces réflexions que la race humaine est un composé de défauts sans nombre, qui méritent d’autant plus l’indulgence de chaque individu, qu’il a sa part comme tous ses confrères aux infirmités morales et qu’il n’y a que les vices qui doivent exciter notre mépris et notre indignation45 . » Madame d’Arconville semble ici fa~e une différence
entre les vices et l,es défauts, ces derniers étant moins graves même s’ils contribuent aux désordres moraux, Ils peuvent inciter à l’indulgence, puisqu’ils procèdent des faiblesses humaines telles que la jeunesse et l’inexpérience. En revanche, les vices sont dignes de mépris, car ils sont néfastes pour la vie en société et pour l’épanouissement de la vertu.
De plus, ils peuvent se cacher sous des apparences de vertus: «l’amour et l’ambition portent quelquefois à des actions grandes et généreuses, qu’on serait presque tenté d’appeler des vertus si le motif en était plus noble et plus pur46. » Le vice se terre donc partout où il peut afin de mieux agir pour servir ses intérêts: cependant, comme le montrent déjà quelques remarques sur la reconnaissance comme sentiment naturel, cette conception pessimiste va être remise en cause au cours du XVIIIe siècle et la vision de Madame d’Arconville ne restera pas absolument étrangère au projet de réhabiliter l’affectivité humaine.

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Table des matières

REMERCIEMENTS
IN »TRODUCTION
CHAPITRE 1 LA CORRUPTION MORALE SELON GENEVIÈVE THIROUX D’ARCONVILLE
1. Une œuvre de moraliste classique
1.1 La question du Moi
1.2 Généalogie et accroissement de la corruption du cœur
2. La réhabilitation de l’affectivité humaine
2.1 Parallèle avec Madame de Lambert
2.2 Vers une morale du sentiment
2.3 Une réflexion en phase avec les Lumières
CHAPITRE II LA QUESTION DE L’UTILITÉ
1. Historique de la notion d’utilité
1.1 La notion d’utilité depuis la Renaissance
1.2 L’utilité au siècle des Lumières
2. L’idée de progrès
2.1 Fluctuations de la foi dans le progrès au XVIIIe siècle
2.2 Progrès des sciences et progrès de l’esprit humain
3. L’utilité chez Geneviève Thiroux d’ Arconville
3.1 Suite du parallèle avec Madame de Lambert
3.2 L’utilité dans les œuvres publiées non-scientifiques chez Geneviève Thiroux d’Arconville
CHAPITRE III ÉTUDE DE LA CORRUPTION PHYSIQUE DANS L’ŒUVRE DE GENEVIÈVE THIROUX D’ARCONVILLE
1. La chimie et les sciences de la vie à l’heure de la révolution scientifique
1.1 La chimie
1.2 Les sciences de la vie
2. Parcours scientifique de Geneviève Thiroux d’Arconville
2.1 Son éducation scientifique
2.2 Son premier projet de recherche
3. De la nature de ses expériences sur la putréfaction
3.1 Motivations envers un sujet peu commun
3.2 Dévoilement des secrets de la nature
4. De l’utilité de ses expériences sur la putréfaction
4.1 Pour l’avancée des sciences
4.2 Pour mieux comprendre la nature humaine
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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