La chimie bioorganométallique et le cancer

Chimie bioorganométallique 

Le terme « chimie bioorganométallique » a été utilisé pour la première fois il y a vingt-huit ans[1,2] et les débuts de cet axe peuvent être liés à des études spectroscopiques par FT-IR de complexes de métaux carbonyle associés à des protéines réceptrices. [3] Cette spectroscopie bénéficiait alors d’un saut technologique, puisqu’on passait des appareils dispersifs peu sensibles à d’autres appareils faisant appel à des techniques comme l’interféromètre de Michelson et le traitement des données par transformée de Fourier permettant des études quantitatives. Ces études ont ouvert les portes au développement de dosages immunologiques par CMIA (de l’anglais : carbonyl metallo immunoassay).

Située à l’interface de la chimie, la biologie et la médicine, l’étude des espèces chimiques –synthétiques ou naturelles– ayant au moins une liaison covalente carbone-métal (C-M) ou carbone-métalloïde présentant des activités biologiques, a été définie comme chimie bioorganométallique. [5] Les composés organométalliques –en tant qu’espèces à stabilité cinétique plus élevée que les complexes inorganiques de coordination et dotés d’une vaste diversité structurale– sont de fait attractifs pour le design des nouvelles classes de composés présentant des applications biologiques originales.

Composés organométalliques naturels

Quand le « coenzyme B12 » a été identifié comme un composé organométallique naturel de la famille de la vitamine B12, [6] il a été admis ipso facto que les liaisons C-M pouvaient être importantes pour la vie, même si l’unicité de cet exemple faisait alors débat.

Coenzyme B12 et méthylcobalamine

La vitamine B12 a été isolée il y a 65 ans et surnommée « facteur d’anti-anémie pernicieuse ». [7] Aujourd’hui, on sait que cette biomolécule et ses dérivés sont nécessaires pour le métabolisme de nombreuses espèces mais les microorganismes sont les seuls à pouvoir les biosynthétiser. En conséquence, chez l’homme –qui ne possède pas cette capacité– les complexes B12 sont des vitamines qui doivent être prises lors de l’alimentation. Ils sont impliqués dans la formation d’érythrocytes et sont essentiels pour le développement et le fonctionnement correct du cerveau.

Dans les années suivant de près à sa découverte, la molécule a été caractérisée[9,10] comme un complexe de coordination relativement inerte comportant un noyau de cobalt(III) hexacoordiné, lié à un groupe cyano (CN) et entouré de la corrine –un macrocycle hétérocyclique azoté ressemblant aux porphyrines–. La vitamine B12 est indistinctement appelée « cyanocobalamine » et bien que celle-ci soit la forme des B12 la plus répandue commercialement, il semble qu’elle n’ait aucune fonction physiologique par elle-même.[11] Parmi les formes actives B12, l’on peut trouver la coenzyme 5’-déoxy-5’-adénosylcobalamine et la méthylcobalamine (Figure 1).

Possédant une liaison directe et covalente carbone-cobalt (C-Co), ce sont donc des espèces organométalliques ou, plus précisément, bioorganométalliques. Parmi les espèces organométalliques naturelles, on estime que celles-ci représentent les cofacteurs physiologiques les plus pertinents. La 5’-déoxy-5’-adénosylcobalamine  mieux connue sous le nom de « coenzyme B12 » et considérée comme un transporteur de radicaux alkyle– agit comme le cofacteur de l’enzyme méthylmalonyl-CoA mutase pour catalyser la réaction d’isomérisation de la méthylmalonyl-CoA en succinyl-CoA.[12] Pour sa part, la méthylcobalamine  également appelée mécobalamine– avec la méthionine-synthase effectuent le transfert du radical méthyle (CH3• ) via le clivage homolytique de la liaison C-Co de la méthylcobalamine afin de convertir l’homocystéine en méthionine.[13] Comme nous pouvons imaginer, ces dérivés de la vitamine B12 présentent un fort caractère de chimie organométallique non seulement dû à l’existence de la liaison C-M dans leurs structures mais surtout à leur réactivité dans les transformations métaboliques [14] Un certain dégrée de parenté réactionnelle avec les réactifs de Grignard peut être noté.

Intermédiaires dans le métabolisme microbien 

Même quand fût prouvée –chez les dérivés de la vitamine B12– la réalité des liaisons carbone-métal (C-M) dans les biomolécules, on a longtemps cru que les composés de cobalt étaient les seules espèces organométalliques présentes dans la nature. Il a fallu attendre la fin du XXe siècle pour que la présence de ce type de liaisons dans la nature soit considérée comme plus générale. Maintenant, il est connu que plusieurs processus métaboliques dépendent d’intermédiaires organométalliques. L’existence des liaisons C-M est ainsi possible pour le nickel (Ni) et le fer (Fe) au sein des enzymes.[15,16] Par exemple, l’acétyle-coenzyme A synthase (ACS) et la monoxyde-de-carbonedéshydrogénase (CDH) sont des enzymes bactériennes bifonctionnelles qui constituent une pièce fondamentale dans la voie métabolique « Wood-Ljungdahl » pour la fixation du carbone dans les bactéries et archées. L’ACS promeut la synthèse de l’acétyle-CoA via la combinaison du monoxyde de carbone (CO) avec un groupe méthyle (CH3).[17] La CDH, pour sa part, catalyse l’oxydation réversible du CO en dioxyde du carbone (CO2) dans un complexe hétérobimétallique de Ni et Fe situé dans le site actif de l’enzyme.[18] La participation d’intermédiaires organométalliques comportant différents ligands carbonés a été postulée. Ainsi, des complexes méthyl (Ni-CH3), acétyle (Ni COCH3), carbonyle (Ni–CO) et carboxylate (Ni–COO- ) ont été identifiés par différentes techniques analytiques. Parmi celles-ci, on peut citer les études par marquage isotopique, par cinétique et par des spectroscopies appropriées telles que FT-IR, EPR, ENDOR et Mößbauer.[19] Un autre exemple des biomolécules contenant des motifs organométalliques sont les hydrogénases. Ces métalloenzymes –très apparentées à celles que l’on vient de décrire– catalysent la réaction d’activation de l’hydrogène moléculaire (H2). La nature de leurs sites actifs observée dans leurs structures cristallines permet de les grouper en trois classes : hydrogénases hétérobimétalliques [Ni/Fe], hydrogénases homobimétalliques [Fe/Fe] et hydrogénases monométalliques [Fe].

Les trois types d’enzymes présentent une caractéristique structurale en commun : leurs sites actifs contiennent au moins une unité organométallique Fe(CO)n (Figure 2). Ainsi, le site actif de l’hydrogénase-[Ni/Fe] est composé d’un centre bimétallique où l’atome de Ni est coordonné par des groupes thiolates provenant de résidus de cystéine. Ces thiolates coordonnent aussi le Fe qui à son tour est coordonné par deux ligands CN et un ligand CO. Dans l’hydrogénase-[Fe/Fe] les atomes métalliques dans le cluster homodinucléaire [FeFe] sont coordonnés par les ligands CN, CO et azanediyldiméthanethiolate. Dans d’autres rapports, des structures portant un des ligands CO ponté aux deux atomes de Fe sont décrites.[22] Pour le cas des hydrogénases-[Fe], leur sphère de coordination est composée de deux ligands CO et de l’azote du pyridinol, en revanche, à la différence des deux autres, il manque de ligands CN. Cette représentation a été proposée avec quelques caractéristiques manquantes, par exemple, un des sites de coordination est occupé par un ligand inconnu. Un rapport de l’année dernière[23] semble indiquer que ce ligand pourrait être un groupe acyle provenant de la position ortho de l’hétérocycle (pyridinol), ce qui pourrait établir une liaison C-M de plus.

D’autres exemples d’espèces organométalliques dans les processus biologiques sont les intermediaires pour le mécanisme réactionnel proposé pour la formation du gaz méthane (CH4) dans les archées (Schéma 1). Ces microorganismes possèdent l’enzyme méthylcoenzyme M réductase (MCR) dont la structure cristalline révèle l’existence du Ni dans le site actif.

Le mécanisme montre les étapes pour la formation de CH4 à partir de la réduction de la méthyl-coenzyme M (CH3-SCoM) en collaboration avec le coenzyme B (CoB-SH) dans des conditions anaérobies. Le cycle commence par l’attaque nucléophile (1) du Ni1+ au groupe méthyle de la CoM formant un adduit organométallique [CH3 Ni3+]. Il semble que le transfert du méthyle est facilité quand le groupe partant est protoné –sans doute, par la CoB-SH–. Dans la deuxième étape, le pouvoir oxydant du Ni3+ attire un électron de la CoM-SH (2) pour générer un radical thiyle –qui est fortement acide et par conséquent facilement dissociable–. Dans l’étape suivante, l’intermédiaire organométallique de nickel [CH3-Ni2+] est protonolysé autour d’une réaction spontanée (3). Simultanément, le radical thiyle de la CoM est couplé au groupe thiolate de la CoB et l’électron excédent retourne au Ni2+. Dans la dernière étape, le CH4 et le CoMS-SCoB sont libérés (4) et le cycle peut être recommencé au vu de la présence du Ni1+ .

Composés d’arsenic dans les plantes, lichens et champignons

Un métalloïde présent dans la nature est l’arsenic (As) qui est distribué largement dans la lithosphère, l’hydrosphère et la biosphère.[27] Il s’agit de l’élément 33 du tableau périodique et son nom latin arsenĭcum dérivé du grec ἀρσενικόν signifie « qui dompte le mâle » faisant ainsi référence à sa forte toxicité. Son rôle de poison tout au long de l’histoire est bien documenté, d’où le nom de « poudre de succession» donné à l’arsenic blanc en France au XVIIe siècle. Curieusement, des études sur la composition de certains organismes terrestres et aquatiques comme les plantes, lichens, champignons et algues ont montré l’existence des composés d’arsenic hydro et liposolubles.[28] Ainsi, il est possible de trouver dans ces organismes des espèces telles que l’acide méthylarsonique 1, l’acide diméthylarsinique 2, l’oxyde de triméthylarsine 3, la triméthylarsine 4 et l’ion tétraméthylarsonium 5 (Figure 3). Il est assuré que ces dérivés organométalliques sont un peu moins toxiques que les espèces inorganiques et que, parmi eux, les arsénoribosides (6 ou 7, R = motif ribose) sont considérés comme des espèces non toxiques. D’autres composés organoarséniques ont été aussi trouvés dans la nature, particulièrement dans les systèmes marins. L’arsénobétaïne (6, R = COO- ) et l’arsenocholine (6, R = (CH2)2OH) sont les analogues arséniques de la « betaïne » et la « choline », respectivement. Celles-ci ne présentent pas de danger en termes de toxicité.

Métallocarbènes du cytochrome P-450 

Le système cytochrome P-450 (CYP) comprend une grande famille de métalloenzymes dont la principale fonction est de catalyser l’oxydation de composés endogènes et exogènes afin de les rendre plus faciles à excréter de l’organisme.[29] Chez les vertébrés, ces enzymes sont exprimées au niveau du foie et montrent une importance particulière en médecine et en pharmacologie grâce à leur forte participation dans la biotransformation des molécules xénobiotiques. Ainsi, les médicaments et les drogues, par exemple, peuvent être inactivés et excrétés. De même, le passage des promédicaments ou des prodrogues par le CYP les transforme en molécules biologiquement actives. Les enzymes du CYP contiennent le groupe prosthétique « hème », ce qui les fait appartenir à un type spécifique de protéines : « les hémoprotéines » dont l’hémoglobine est l’exemple le plus connu. La réactivité des métalloenzymes du CYP dépend de l’état d’oxydation du centre métallique. Dans le CYP, on trouve le fer qui est lié à une macromolécule de protoporphyrine IX et à deux ligands axiaux (Figure 4).[30] Un de ces ligands est le groupe thiolate –dérivé des résidus de cystéine présents dans la structure protéinique du CYP– et le second ligand varie en fonction du cycle enzymatique.

Il est connu que les composés polyhalogénés comme le tétrachlorure de carbone (CCl4) ou l’agent anesthésique « halothane » (CF3CHClBr) peuvent être biotransformés dans le foie par le cytochrome P-450. Ce métabolisme conduit à des complexes intermédiaires et cinétiquement stables avec des liaisons carbone-fer (C-Fe) générés par la rupture des liaisons carbone-halogène (C-X) des substrats à niveau du site actif du CYP.

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Table des matières

Introduction
• Partie A
Chapitre I. La chimie bioorganométallique et le cancer
1. Chimie bioorganométallique
2. Composés organométalliques naturels
2.1 Coenzyme B12 et méthylcobalamine
2.2 Intermédiaires dans le métabolisme microbien
2.3 Composés d’arsenic dans les plantes, lichens et champignons
2.4 Métallocarbènes du cytochrome P-450
3. Métalloporphyrines
4. Chimie médicinale des composés organométalliques
4.1 Antiinflammatoires
4.2 Antibactériens
4.3 Antiparasitaires
5. Le cancer : un défi pour les chimistes médicinaux
5.1 Le cancer du sein
5.1.1 Cancer du sein hormono-dépendant
5.1.2 Cancer du sein triple-négatif
6. Les composés organométalliques contre le cancer
6.1 Les ferrocifènes
6.2 Composés à base de ferrocène
6.3 Composés à base d’or
6.4 Composés à base de ruthénium
• Partie B
Chapitre II. Combinaison ferrocifène et motif HDACi
1. Introduction
1.1 Pharmacophore
1.2 Epigénétique : cause de cancer
1.3 Le SAHA : une molécule HDACi
1.3.1 Modifications structurales
1.4 Conception des hybrides
2. Résultats et discussion
2.1 Synthèse
2.1.1 Synthèse de précurseurs
2.1.2 Synthèse des acides carboxyliques
2.1.3 Synthèse des acides hydroxamiques et des amides primaires
2.1.4 Synthèse du ferrocifène
2.2 Stabilité
2.3 Lipophilie
2.4 Interactions avec le récepteur α des œstrogènes (ERα)
2.4.1 Affinité relative de liaison (RBA) sur l’ERα
2.4.2 Régulation du signal des œstrogènes
2.4.3 Effets œstrogéniques et antiœstrogéniques
2.5 Interactions avec les enzymes histones-désacétylases (HDAC)
2.5.1 Modélisation
2.5.2 Inhibition enzymatique des HDAC
2.6 Effet de chélation
2.7 Effet sur l’expression du gène p21WAF1
2.8 Activité antiproliférative sur les cellules de cancer humain
3. Conclusion
4. Partie expérimentale
4.1 Considérations générales
4.1.1 Procédures chimiques
4.1.2 Modélisation moléculaire
4.1.3 Affinité relative de liaision (RBA)
4.1.4 Lipophilie
4.1.5 Détermination de l’effet HDACi
4.1.6 Test avec la luciférase
4.1.7 Activité antiproliférative
4.1.8 Quantification de l’ARNm
4.2 Dérivés activés de l’acide subérique
4.3 Acides carboxyliques hybrides
4.4 Subéramides
4.5 Tamoxifène et ferrocifène
Chapitre III. Rôle de la longueur de la chaîne alkyle
1. Introduction
2. Résultats et discussion
2.1 Synthèse des dérivés adipiques
2.2 Synthèse des dérivés succiniques
2.3 Activité antiproliférative sur les cellules de cancer du sein
3. Conclusion
4. Partie expérimentale
Chapitre IV. Rôle de la fonction phénolique
1. Introduction
2. Résultats et discussion
2.1 Synthèse
2.2 Isomérisation
2.3 Activité antiproliférative
2.4 Électrochimie
3. Conclusion
4. Partie expérimentale
Chapitre V. Rôle de l’entité organométallique
1. Introduction
2. Résultats et discussion
2.1 Synthèse
2.2 Activité antiproliférative
2.3 Électrochimie
3. Conclusion
4. Partie expérimentale
Chapitre VI. Rôle des substituants sur des cycles aromatiques
1. Introduction
2. Résultats et discussion
2.1 Synthèse
2.1.1 Synthèse alternative de la dianiline Fn-dialine
2.1.2 Synthèse de diamides Fn-diBUT, Fn-diHEX et Fn-diOCT
2.1.3 Synthèse de la dianiline organique Ph-dialine
2.1.4 Synthèse des dianilines tétraméthylées
2.2 Activité biologique
2.2.1 Activité antiproliférative des dianilides
2.2.2 Activité antiproliférative de la dianiline organique
2.2.3 Activité antiproliférative des dianilines tertiaires
2.3 Électrochimie
3. Conclusion
4. Partie expérimentale
• Partie C
Conclusion générale

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