Justice distributive : opinions, jugements et choix individuels

Il convient de faire précéder la présentation de notre travail par une courte discussion critique de la validité des approches empiriques et expérimentales sur le thème de la justice distributive ainsi que de leur apport dans des disciplines telles que l’économie normative et la théorie du choix rationnel. On distingue généralement deux groupes de travaux empiriques sur la justice distributive. Un premier groupe vise à fournir un test empirique des comportements individuels, son enjeu étant d’identifier les raisons qui justifient l’action individuelle afin de parvenir à une expression de la rationalité qui soit adéquate à des fins explicatives et éventuellement prédictives. Un deuxième groupe de ces études s’est développé dans une ligne différente et autonome. Ce deuxième groupe de travaux tire son origine des théories normatives de la justice et c’est donc avec ces dernières, et plus généralement avec l’éthique appliquée et l’économie normative, qu’il entretient son dialogue critique. Nous ne voulons pas ici procéder à une description de ces deux groupes de travaux (pour laquelle nous renvoyons à Konow, 2003) ; nous revenons en revanche sur les différences essentielles entre les deux approches dans le cadre de leur justification méthodologique respective. La pertinence de la démarche empiriste dans les questions de justice distributive n’a pas manqué de susciter des débats dans la communauté scientifique ([6][9][14][16]). Notamment, les philosophes mettaient en garde contre l’utilisation de la méthode empirique, avec l’idée que ses résultats ne prouveraient pas le bien-fondé de telle ou telle conception de la justice. La critique portée à la recherche empirique est qu’elle ne serait pas en mesure de fournir une validation des arguments normatifs mobilisés par une théorie. C’est le point de vue de Miller (1994), pour qui il existe une différence importante entre acceptabilité et justification. Montrer que certains principes sont partagés à grande échelle n’est pas une preuve du fait qu’ils soient justifiés, ainsi il se pourrait que les gens aient une conviction particulière pour des mauvaises raisons. Or, le but d’une théorie normative est de montrer en quoi un jugement est justifié. Pour Elster (1992) la justesse d’une théorie morale se définit en termes indépendants de la confrontation entre principes et intuitions éthiques.

Cette critique, que nous partageons dans cette formulation si générale, s’est exprimée sous des formes propres à l’objet précis auquel elle s’adressait. Si dans le cadre des travaux empiriques sur les jugements distributifs, l’objection portait notamment sur la légitimité de cette approche à des fins de justification des matériels normatifs, en revanche, les expériences de laboratoires ou les études de terrains ayant pour objet les choix factuels, ont été jugés en décalage par rapport au contenu des théories normatives.

Il nous semble important d’indiquer que les expérimentalistes reçoivent plutôt favorablement cette objection. Les économistes expérimentaux se montrent en premier très prudents sur la généralisation des résultats au delà de la sphère ‘positive’ par rapport à laquelle ses résultats sont obtenus (Konow, 2003). L’objectif principal de ces tests expérimentaux n’est pas, en effet, la mise en évidence des critères de justice tels que les théories morales les définissent. Pour voir cela, il suffit d’examiner l’objet immédiat de leur travail.

Suivant l’exemple des recherches expérimentales dans les sciences exactes, les tests de laboratoire en économie ont principalement visé à la validation empirique de théories élaborées pour décrire, expliquer et éventuellement prédire les actes individuels. Par ailleurs, certaines expériences ont servi à mettre en évidence des régularités comportementales et à délimiter l’observable. Les études expérimentales mises en œuvre avec un tel objectif permettent d’identifier les réalisations possibles de certains faits, éventuellement d’en mesurer l’occurrence, et enfin d’évaluer la probabilité que ces faits se produisent dans des conditions semblables. Lorsque ces tests sont réalisés pour isoler des facteurs causaux sans hypothèses au préalable, les tests participent plutôt de la démarche que Roth (1988) appèle “searching for facts”.

Dans le cadre des expériences de laboratoire, les décisions de justice distributive ont été appréhendées comme résultat d’un choix interactif (on renvoie au chapitre final de la thèse pour certaines références de ces travaux). L’objectif de ces expériences est la caractérisation des solutions distributives auxquels les sujets parviennent et la compréhension des motivations individuelles et des facteurs cognitifs qui justifient leurs choix. Ce type d’expérience a pour but l’identification des motivations — éventuellement de type éthique — qui guident les décisions individuelles ayant des dimensions sociales. L’enjeu majeur de ses travaux ne se situe pas dans la définition des principes de justice que l’on estime adéquats pour bâtir une théorie normative.

Nombre de philosophes reconnaissent l’utilité de la confrontation systématique entre les matériels théoriques de la théorie de la justice et les jugements distributifs individuels. Toutefois, il y a une certaine divergence sur la nature et l’intensité de ces liens, ainsi que sur les modalités appropriées avec lesquelles l’expérimentation devrait se tenir.

Miller (1994), par exemple, exclut systématiquement l’utilisation de protocoles expérimentaux dans lesquelles l’intérêt personnel serait en jeu lorsque l’expérience porte sur une vision normative de l’équité. On retrouve ici la tradition Rawlsienne des jugements bien pesés : “des jugements solides et avisés, auxquels nous parvenons avec un raisonnement éclairé, sans influence aucune de l’émotion ou de la peur. Ils ne pourraient pas se déployer, par exemple, si leur expression comportait “des chances d’en tirer profit d’une manière ou d’une autre ” ou s’ils “ (étaient) influencés par un soin excessif de nos propres intérêts (Rawls, 1971)”[12]. Selon Konow (2003) l’objectif principal des études sur la justice distributive est celui d’appréhender les attitudes d’un observateur impartial, plutôt que celles des parties directement concernées par la distribution. Ceci soulève la question de la pertinence de la rémunération des sujets dans le cadre de ce type d’études (alors que la rémunération est nécessaire dans les expériences de laboratoire) et d’autre part implique des restrictions quant à la typologie de méthode à utiliser. Ainsi, on préconiserait l’utilisation de questions formulés comme des scénarios hypothétiques qui fassent abstraction de la situation personnelle de l’interrogé. L’avantage de ce type de questionnaire est aussi à entrevoir dans la richesse informationnelle du contexte de choix, ce qui rend possible l’expression des jugements. En effet, le but de tels enquêtes étant la mise à jour d’évaluations et de jugements moraux, il semble nécessaire que ceux-ci puissent se déployer selon les modes du discours normatif. Clément (1997) insiste sur le fait que la nature des jugements et des préférences qui font l’objet de l’examen requièrent des conditions expérimentales particulières. Ceci signifie entre autre : a) que le “contexte institutionnel de l’expérience doit favoriser un raisonnement impartial de la part des sujets” ; b) que les jugements “aient la caractéristique d’être des choix éclairés”.

A la différence de l’économie expérimentale classique, qui procède à la validation des théories positives à travers l’observation des comportements individuels, les méthodes empiriques qui mettent à jour les intuitions éthiques et les opinions en matière de justice distributive n’ont pas l’ambition de fournir un test des théories normatives de la justice. La justesse d’une théorie normative n’est pas à rechercher prioritairement dans la conformité de ses hypothèses aux données du réel (dans les cas étudiés dans la thèse ces données sont les intuitions éthiques et les évaluations individuelles du juste). Elle demande en revanche l’explicitation d’un certain nombre d’arguments substantiels ainsi qu’une articulation cohérente et adéquate de ceux-ci.

Il faut donc, préliminairement à toute discussion sur les apports des études expérimentales aux questions de justice distributive, qualifier le sens de l’entreprise. Il ne s’agit pas d’une procédure qui vise à la validation empirique d’une théorie normative- tentative, qui en elle même n’aurait pas beaucoup de sensmais d’une procédure qui peut se révéler utile pour un examen séparé des arguments sur lesquels une théorie normative devrait se fonder (lorsque la nature de ces arguments rend pertinent cet examen)- ou pour éclairer des faits autour duquel le discours normatif pourrait se construire.

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Table des matières

1. Introduction.
2. Les apports de la thèse.
Chapitre I :
Choosing Impartially.
Chapitre II :
Les conséquences de la malchance sont-elles injustes ?
Chapitre III :
What people think is the ‘just’ distribution of health care ?
(Co-écrit avec Peter Martinsson)
Chapitre IV :
Should Age matter in Life Saving Programs ?Empirical Results from India and Sweden.
(Co-écrit avec Peter Martinsson)
Chapitre V :
Social Preferences on Public Intervention : an Empirical Study.
(Co-écrit avec Christine Le Clainche)
Chapitre VI :
Interpersonal Comparisons of Utility in Bargaining : Evidence from a Transcontinental Ultimatum Game.
3. Conclusion

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