Jupiter et la sismologie

Contexte scientifique 

La sismologie s’est révélée extrêmement efficace dans la connaissance de la structure interne du Soleil, comme le montrent les très nombreux résultats de la sonde SOHO ou des réseaux, tel GONG . Elle se montre, aussi, très prometteuse dans le cas des étoiles (e.g. Bouchy et al. 2005). Il est apparu naturel de rechercher des contraintes sur la structure interne des planètes géantes par le même biais. Bien que l’on oppose généralement la nature des planètes à celle des étoiles, la sismologie jovienne présente plus de points communs avec l’héliosismologie qu’avec la sismologie terrestre, en raison de la fluidité de sa structure interne. Les premières études théoriques du spectre des oscillations de Jupiter remontent au milieu des années 1970 avec les travaux de Vorontsov & Zharkov . Il faut attendre la fin des années 1980 pour voir les premières tentatives d’observations de ces oscillations, par photométrie dans l’infrarouge thermique et spectrométrie Doppler (respectivement Deming et al. 1989 et Schmider et al. 1991). Ces observations furent suivies d’autres campagnes, utilisant la spectrométrie par transformée de Fourier (Mosser et al. 1993, Mosser et al. 2000), mais aucune n’apporta l’identification claire d’oscillations. Seule la levée de dégénérescence des modes, due à la rotation (voir chapitre 2), fut identifiée (Mosser et al. 2000). La limite supérieure de vitesse des oscillations a été déterminée à 60 cms−1 . Si ces observations n’ont pas permis l’identification des oscillations, elles laissèrent tout de même fortement supposer leur présence. Ces travaux sont présentés en détail dans la première partie. Les observations menées jusqu’alors ont été réalisées sur des instruments qui n’étaient pas spécifiques, et donc pas forcément adaptés, à la pratique de la sismologie jovienne. En fin 2002, le sujet de thèse proposé par Benoît Mosser s’est inscrit dans le cadre des micro-satellites du CNES . Le projet proposé, intitulé JOVIS , avait pour ambition de détecter les oscillations de Jupiter par une méthode encore jamais utilisée dans le cadre jovien, de surcroît avec un instrument spatial. L’idée était de chercher des signatures des oscillations par photométrie à haute précision, dans le visible. En effet, si l’on considère Jupiter comme un miroir réfléchissant la lumière solaire, les déformations de la planète dues aux oscillations engendrent une fluctuation du flux réfléchi. Des modèles de propagation d’ondes acoustiques dans l’atmosphère jovienne, fixent les amplitudes des fluctuations du flux réfléchi autour du ppm, pour des oscillations de 60 cms−1 (Mosser 1995). De telles variations sont détectables depuis l’espace, avec une instrumentation simple, comme tel sera le cas avec le satellite COROT (Baglin et The COROT Team 1998). JOVIS est, en quelque sorte, une petite réplique de COROT, consacrée à Jupiter. L’esprit de ce doctorat était donc d’étudier précisément la réflexion du flux solaire par Jupiter, qui oscille, afin de préparer l’interprétation des données de JOVIS.

La modélisation du flux solaire réfléchi par une sphère qui oscille avait été abordée par Séverine Candelier, lors d’un stage effectué sous la direction de Benoît Mosser au printemps 2000. Elle s’était intéressée à la visibilité et à l’identification des modes sur des simulations d’images prises par JOVIS. Il ressortait que la détection des modes par cette technique était possible, bien que difficile. Ce travail supposait Jupiter tel un miroir sphérique réfléchissant la lumière de manière isotrope. Seule la géométrie du problème était prise en compte. La première étape de cette thèse était de voir si cette approximation “géométrique » était valable ou non. En effet, la haute troposphère de Jupiter est complexe et comprend une importante couche nuageuse, de laquelle dépend la majeure partie du flux visible réfléchi. La question était de savoir si la couche nuageuse suivait passivement les oscillations ou si elle réagissait de quelque manière. Un nuage étant un système à l’équilibre thermodynamique entre une phase condensée et une phase gazeuse, il semblait fort probable que l’introduction d’une perturbation de pression dans ce système ne fut pas sans conséquence. Si l’équilibre des phases est perturbé, soit le rapport de la masse de matière condensée sur la masse de matière gazeuse, il est raisonnable d’imaginer que l’albédo des nuages s’en trouve perturbée, et ainsi le flux solaire réfléchi. Ce travail de thèse a donc commencé par l’étude de la réponse photométrique d’un nuage soumis aux oscillations de Jupiter. Pour la suite, il apparaissait nécessaire de reprendre de manière approfondie les simulations d’images de Jupiter prises par JOVIS, entamée par Séverine Candelier, afin de simuler les observations, le traitement de données et l’identification des modes. Tel était le plan de départ.

Des objectifs à la pratique 

Un travail de thèse n’étant pas effectué par une machine mais par un être humain en contact avec d’autres êtres humains, il est normal que la pratique s’éloigne légèrement du concept de départ. Surtout lorsqu’il s’agit d’un premier vrai contrat de travail, pour la durée non-négligeable de trois années. Aussi, en fin de DEA, si ce sujet m’a paru d’emblée intéressant, par son originalité, j’ai exprimé le regret de ne pas avoir à observer durant la thèse. L’astronomie, comme pour beaucoup, a commencé par l’observation du ciel à l’œil nu, aux jumelles, puis au télescope, et l’idée de me détacher totalement de ce premier contact avec l’univers mystérieux et paisible de l’observation nocturne ne me satisfaisait pas totalement. Ce désir, couplé avec une envie de collaborer avec un groupe de recherche externe à Meudon, m’a conduit à participer aux observations et à l’analyse des données du projet SŸMPA . Ce choix fut rapidement encouragé par la remise en question de la filière micro satellite du CNES. L’instrument SŸMPA, imaginé et construit entre l’Université et l’Observatoire de Nice est un spectromètre à transformée de Fourier, spécialement adapté à la sismologie jovienne . Deux exemplaires de cet instrument ont été construits, ce qui permet l’observation coordonnée de la planète depuis deux sites, afin d’augmenter la qualité des données par réduction de l’effet de fenêtrage du signal (voir paragraphe 3.2.2). C’est ainsi qu’a commencé ma collaboration avec François-Xavier Schmider (LUAN ), Jean Gay (OCA) et Cédric Jacob (LUAN). En fin de compte, les trois années de thèse se sont organisées autour de quatre principaux thèmes : modélisation de nuages, simulation d’images de JOVIS, observations et traitement de données du projet SŸMPA. Au cours de la première moitié du temps, nous avons modélisé la réponse photométrique d’une couche de nuages joviens soumise à des ondes acoustiques (Gaulme & Mosser 2005). Cette étude a fait appel à la thermodynamique et à la cinétique des nuages, ainsi que du transfert de rayonnement. Au milieu de la deuxième année a commencé la collaboration avec le groupe de Nice, lors de ma participation à la campagne d’observation à l’Observatoire de San Pedro Martir, au Mexique, menée en parallèle avec l’Observatoire d’Izaña, aux Canaries. Cette mission s’est suivie par une année de travail de traitement de données en collaboration constante avec Cédric Jacob, en thèse au LUAN. Outre les compétences physiques et informatiques acquises, ce travail a eu le mérite de me remettre les pieds sur Terre, par le fait de passer sans transition de la modélisation à l’observation. Les observations et l’analyse des données ont évidemment révélé des surprises et des problèmes insoupçonnés, nous donnant du fil à retordre. L’identification des problèmes rencontrés lors de l’analyse des données du printemps 2004, ainsi que le mauvais temps aux Canaries, ont motivé la réalisation d’une campagne d’observations supplémentaire, conduite en parallèle entre le Mexique et les Canaries. La qualité des observations a nettement augmenté entre les campagnes 2004 et 2005 et l’analyse des données est encore en cours. Enfin, ce doctorat ne pouvait pas s’achever sans revenir à son objectif de départ, soit à simuler la visibilité des modes d’oscillations par photométrie, d’un Jupiter couvert partiellement de nuages, dont les albédos oscillent.

En bref, si en fin 2005, le thème prédominant de ce doctorat reste l’évaluation de la faisabilité de la détection des oscillations joviennes par photométrie, il s’est étendu à la recherche plus générale des oscillations joviennes, avec les premiers projets instrumentaux dédiés à Jupiter : SŸMPA et JOVIS. Il va sans dire que beaucoup de méthodes acquises dans l’un ou l’autre projet ont été échangées et mises à profit. Que ce soit par photométrie ou par effet Doppler, les modes d’oscillations globales restent décrits par les harmoniques sphériques. Dans un premier temps, nous allons récapituler des connaissances actuelles de la structure interne jovienne, les problèmes qui subsistent et en quoi la sismologie pourrait être utile. Cette introduction se poursuivra avec quelques éléments de sismologie, indispensables à la compréhension de la suite, et se conclura avec l’historique des premières tentatives d’observation des oscillations joviennes.

Jupiter et la sismologie

“À partir du monde jovien, nous entrons dans une région toute différente […]. Avec Jupiter, nous abordons une série de planètes légères, à densité de 1,26 en moyenne, c’est à dire se rapprochant à celle du Soleil. Les grosses planètes sont donc encore chaudes et gazeuses ; tout au plus à l’état pâteux ou semi-fluide au centre, tandis que nulle écorce solidifiée ne limite la surface. Voila ce qu’ignoraient les astronomes d’autrefois, qui discutaient sur la forme probable des habitants de Jupiter et de Saturne, alors que ces planètes, comme Mercure et Neptune d’ailleurs, doivent offrir des températures supérieures peut-être à celle de l’arc électrique” Le ciel et l’Univers, Abbé Th. Moreux 1928.

Les principales caractéristiques qui viennent à l’esprit, lorsque l’on évoque cette planète, sont sa taille immense, ses bandes de nuages colorées et contrastées, sa rotation rapide, et son cortège de satellites. Jupiter est essentiellement composée d’un mélange d’hydrogène et d’hélium, dans des proportions voisines de celles du Soleil ; il irradie plus d’énergie qu’il n’en reçoit, et possède un fort champ magnétique. La température centrale, d’environ 20000 K, implique un intérieur fluide et non solide. L’énergie émise étant plus élevée que l’énergie reçue, l’intérieur doit être convectif, afin de transporter la chaleur vers les couches externes. Le profil de température s’en trouve, donc, adiabatiquement stratifié et la composition chimique homogène. La mesure des abondances en haute atmosphère devrait donc suffire à connaître la structure interne. Cependant, plusieurs motifs compliquent la simplicité d’un tel raisonnement. Premièrement, l’observation des abondances atmosphériques tend à indiquer que plusieurs espèces chimiques (telles l’hélium, le néon et l’eau) sont partiellement séquestrées en profondeur. Deuxièmement, la forte pression qui règne à l’intérieur ionise l’hydrogène, qui peut se comporter comme un métal fluide, ce qui entraîne l’existence d’une transition de phase ainsi que des inhomogénéités de composition chimique (Saumon et Guillot 2005). Enfin, la convection elle-même est modifiée par présence de gradients de poids moléculaire moyen et par un couplage avec la rotation et le champ magnétique. La connaissance de la structure interne s’avère, donc, extrêmement compliquée. Nous allons, dans ce chapitre, présenter succinctement les outils actuels employés pour étudier les entrailles joviennes, le modèle standard qui en découle, les questions qui restent ouvertes et finalement l’intérêt de la sismologie.

Outils observationnels

Composition chimique et structure de la haute atmosphère

Les principales contraintes observationnelles sur les modèles de structure interne proviennent de données atmosphériques. La composition chimique de l’atmosphère a commencé à se dévoiler avec les observations spectroscopiques de Rutherfurd (1863). Il faut attendre les années 1920 pour se rendre compte de la faible densité de Jupiter, de sa composition riche en hydrogène, et de sa composition générale proche de celle du Soleil. Jusqu’aux survols de Jupiter par les missions Voyager en 1979 et 1980, les modèles supposaient les abondances chimiques égales à celles du Soleil. En effet, les scénarii de formation du système solaire justifiaient cette hypothèse par le fait que Jupiter s’est formé dans une région de la nébuleuse proto solaire, suffisamment froide pour avoir conservé les éléments les plus légers, tels l’hydrogène. Les observations par les sondes Voyager, puis par l’orbiteur Galileo ont révélé une abondance en éléments lourds en moyenne trois fois supérieure à celle du Soleil. L’atmosphère étant probablement homogène dans l’intérieur profond, il est naturel de supposer que l’équilibre chimique interne conduise à la réduction, au sens chimique, des éléments communs avec l’hydrogène. Le carbone, l’azote, l’oxygène et le soufre, par exemple, sont représentés dans l’atmosphère sous forme de méthane, ammoniac, eau et hydrogène sulfuré. La table (1.2) reprend les dernières mesures d’abondances chimiques des principaux composants atmosphériques. Le profil de certains composants, tels l’ammoniac et l’eau, est compliqué en raison de leur condensation en haute atmosphère (fig. D.1). Dans un modèle d’équilibre chimique qui utilise les abondances solaires, l’ammoniac se combine avec l’hydrogène sulfuré pour former de l’hydrosulfure d’ammonium, NH4SH. Ce composé condense, sous forme solide, au niveau de pression 2.2 bar. Les résidus d’ammoniac qui ne se sont pas associés à l’hydrogène sulfuré condensent autour du niveau de pression 0.7 bar, formant ainsi des nuages de glace d’ammoniac. Quant à l’eau, elle condense probablement en dessous des nuages d’hydrosulfure d’ammonium, en se liant avec de l’ammoniac.

La question des nuages reste encore un problème ouvert. En effet, ce modèle de structure en trois couches (eau + ammoniac, hydrosulfure d’ammonium et ammoniac) découle de la mesure des abondances chimiques et de modèles thermodynamiques et chimiques, mais ne provient pas directement des observations (Atreya et al. 1999). L’identification de composés condensés, dans le spectre de Jupiter, est difficile à réaliser en raison de signatures spectrales faiblement marquées et de la présence d’éléments parasites qui viennent “salir » les spectres. La première partie de cette thèse s’intéresse à la réaction de la couche supérieure des nuages aux ondes acoustiques; les modèles de nuages y seront rediscutés.

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Table des matières

Introduction
I. Jupiter et la sismologie
1 Jupiter
1.1 Outils observationnels
1.2 Les équations d’état
1.3 Modèle standard et sismologie
2 Éléments de sismologie
2.1 Les oscillations en équations
2.2 Résolution des équations des oscillations
3 Sismologie observationnelle
3.1 Quelles observables possibles ?
3.2 Séries temporelles et extraction de l’information
3.3 Historique des observations
II. Recherche des oscillations par photométrie dans le visible
4 Modèle atmosphérique
4.1 Équation d’état
4.2 L’atmosphère sèche au repos
4.3 Présence d’un élément condensable
4.4 Modèle simple des nuages d’ammoniac
5 Ondes acoustiques et nuages
5.1 Introduction d’une couche nuageuse
5.2 Réaction des nuages
5.3 Transitions de phases et microphysique
5.4 Variations d’albédo
6 Visibilité des modes par photométrie
6.1 Simulation d’observations photométriques
6.2 Méthode d’identification des modes
6.3 Résistance de la méthode au bruit
6.4 Conclusions sur la sismologie par photométrie visible
III. Observations avec l’instrument SŸMPA
7 L’instrument SŸMPA
7.1 Concept instrumental
7.2 Du concept à la pratique
7.3 Simulations de franges
8 Trois campagnes d’observations
8.1 De l’instrument idéal à l’instrument réel
8.2 Les campagnes d’observations
8.3 Prétraitement des données
8.4 Vers l’extraction de la phase
8.5 Conclusion
Conclusion
Remerciements

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