Jeux sérieux et gestion de crise

Contexte général de la thèse 

Notre travail s’inscrit dans le domaine des Environnements Informatiques pour l’Apprentissage Humain (EIAH) et plus précisément le domaine des Jeux Sérieux (JS). L’intérêt porté aujourd’hui aux JS est le fruit de plusieurs travaux qui cherchent à singulariser et à crédibiliser ce domaine [53]. Les jeux sérieux traduisent une convergence de plusieurs domaines préexistants comme les environnements d’apprentissage virtuels, les jeux éducationnels, la simulation et les jeux vidéo [95]. Cette convergence s’est faite autour d’un principe fondateur qui se traduit par la prise en compte simultanée et cohérente d’aspects dits sérieux, pour des fins d’apprentissage, de communication ou d’information ; et d’aspects dits ludiques issus des jeux vidéo, qui mettent l’accent sur la motivation et l’engagement des apprenants-joueurs [6]. Ces aspects contribuent à l’efficacité et à l’acceptation du JS et représentent des enjeux cruciaux pour son succès. Leur usage se justifie notamment dans des contextes d’apprentissage particuliers multi-joueurs [68], multi compétences [19] ou scolaires [52].

La versalité des usages des jeux sérieux les amènent à répondre à des besoins variés (formation, sensibilisation, publicité) et touchant plusieurs domaines d’application (apprentissage scolaire/universitaire, ressources humaines, commerce) [99]. Un domaine privilégié d’application des JS est celui de la Gestion de Crise (GC) où le jeu forme ses utilisateurs à agir et prendre les bonnes décisions dans une situation de crise simulée dans un environnement immersif tout en réduisant les coûts et en gagnant du temps. La popularité de ce domaine réside dans l’exploration de divers types de crises à savoir les catastrophes naturelles, les attaques terroristes, et les accidents nucléaires ou industriels. Chacune de ces crises implique différents rôles comme les pompiers, les policiers, et les intervenants de l’unité médicale ayant des comportements collaboratifs tels que le sauvetage des victimes, la sécurisation des interventions, l’évacuation et la prise de décision de groupe [30]. Dans la littérature, il existe plusieurs travaux d’évaluation basée sur des critères qui se focalisent sur les Jeux Sérieux de Gestion de Crise (JSGC). L’évaluation des JSGC collaboratifs est particulièrement intéressante car ceux-ci sont basés sur une hétérogénéité des compétences et des émotions ainsi que des interactions sociales constituant ainsi un champ de recherche riche. C’est exactement le contexte principal de notre travail qui vise à proposer une nouvelle approche d’évaluation et d’adaptation des JSGC collaboratifs en tenant compte de plusieurs critères à la fois dans le but d’améliorer leur efficacité.

Jeux sérieux et gestion de crise

Présentation du concept de jeux sérieux

L’objectif de cette section est de situer les jeux sérieux par rapport aux jeux vidéo, simulateurs et applications utilitaires. Pour cela, nous commençons par la présentation de quelques définitions existantes de ce concept de jeux sérieux ; puis nous proposons une nouvelle définition traduisant notre vision des jeux sérieux que nous adoptons. Ensuite, nous effectuons un survol sur les domaines d’application des jeux sérieux ainsi que quelques exemples illustratifs de ceux-ci. Enfin, nous présentons les classifications existantes des jeux sérieux, et nous tentons de positionner le jeu sérieux par rapport aux concepts qui lui sont proches.

Définitions

Une revue de littérature a été effectuée afin de voir comment les spécialistes du domaine définissent le terme « jeu sérieux » (en anglais « serious game »). Parmi la multitude de définitions répertoriées, nous en avons sélectionné cinq qui résument l’essentiel de ce qu’est le jeu sérieux. La première définition rencontrée est celle de Clark Abt tirée de son ouvrage publié en 1970 [1]. Dans cet ouvrage, le chercheur ne caractérise pas le jeu sérieux en tant qu’application informatique, mais, en faisant le lien entre la possibilité d’apprendre « sérieusement » tout en jouant [1]. L’expression « jeu sérieux » est utilisée plutôt pour désigner tout jeu de cartes ou de plateau conçu à des fins éducatives.

Actuellement, le terme « jeu sérieux » est généralement utilisé dans un contexte informatique plus marqué et caractérise une gamme de jeux vidéo bien plus large que le simple jeu éducatif. En effet, la définition la plus générale est celle des concepteurs de jeux Sandra Chen et David Michael qui présente le jeu sérieux comme étant : « jeux dont la finalité première n’est pas le simple divertissement » [63]. En même temps, le professeur Michael Zyda propose une définition plus spécifique dans son article « From Visual Simulation to Virtual Reality to Games » qui présente le jeu sérieux comme étant : « un défi cérébral, joué avec un ordinateur selon des règles spécifiques, qui utilise le divertissement en tant que valeur ajoutée pour la formation et l’entraînement dans les milieux institutionnels ou privés, dans les domaines de l’éducation, de la santé, de la sécurité civile, ainsi qu’à des fins de stratégie de communication » [99].

De son côté, l’industriel Ben Sawyer, co-directeur du « Serious Game Initiative » explique que celui-ci permet de « créer des plate-formes informatiques réalisées par des développeurs, des chercheurs et des industriels, qui observent l’utilisation des jeux vidéos et des technologies associées en dehors du divertissement » [83]. Julian Alvarez, chercheur et concepteur de jeux sérieux, a énoncé lui aussi dans le cadre de sa thèse sa définition de ce nouveau type de jeu. Il le caractérise ainsi comme étant : « une application informatique, dont l’intention initiale est de combiner, avec cohérence, à la fois des aspects sérieux (Serious) tels, de manière non exhaustive et non exclusive, l’enseignement, l’apprentissage, la communication, ou encore l’information, avec des ressorts ludiques issus du jeu vidéo (Game). Une telle association, qui s’opère par l’implémentation d’un scénario pédagogique, qui sur le plan informatique correspondrait à implémenter un habillage (sonore et graphique), une histoire et des règles idoines, a donc pour but de s’écarter du simple divertissement. Cet écart semble indexé sur la prégnance du scénario pédagogique » [6]. Cette dernière définition se résume par la mise en relation suivante [6] :

Jeu sérieux = scénario utilitaire (dimension sérieuse) + jeu vidéo (dimension vidéo-ludique)

En résumé, nous avons un ensemble de définitions formalisant ce qu’est le jeu sérieux. Bien qu’elles soient différentes, ces définitions convergent toutes vers un aspect commun : celui de rendre ludique la compréhension d’une donnée et/ou d’une information pour atteindre des objectifs d’éducation et/ou de formation. C’est pour cette raison que nous proposons de les fusionner pour formaliser la définition suivante du jeu sérieux : »application informatique développée à partir des technologies et modalités scénaristiques du jeu vidéo (3D temps réel, mécaniques de jeu, interaction homme-machine, techniques de simulation et d’immersion etc.) pour les mettre au service d’objectifs pédagogiques tels que la formation/l’entraînement, l’éducation/l’enseignement, la communication, l’information, ou encore l’acquisition de compétences/connaissances dans des domaines d’application variés comme la santé, la défense et la gestion des urgences. Il s’agit alors d’un jeu dont le but ne se résume pas au simple divertissement mais surtout à des finalités utiles » [30]. Cette définition met en évidence les caractéristiques suivantes d’un jeu sérieux :
— Il maintient l’équilibre entre le plaisir de jouer d’une part et l’aspect apprentissage (pédagogique) d’autre part ;
— Il vise à atteindre de multiples objectifs pédagogiques tels que l’enseignement, la formation, et l’éducation.
— Il est utilisé dans nombreux domaines comme la santé, la défense, et l’armée.
— Il est destiné à toutes les tranches d’âge, y compris les enfants, les adolescents, les adultes, et les personnes âgées.

Classifications existantes

La classification des jeux sérieux ne peut pas se baser uniquement sur le domaine d’application (appelé aussi le marché ou encore le secteur) car il y a d’autres critères très importants qu’il faut prendre en compte. En effet, les champs d’application sont trop nombreux pour pouvoir construire une typologie robuste. De plus, le système qui se focalise sur les secteurs d’application ne prend pas en considération le type de finalité visée par chaque jeu. Nous présentons dans ce qui suit deux classifications différentes des jeux sérieux.

La première classification, proposée par Alvarez [6], distingue les jeux sérieux selon l’intention initiale souhaitée et implémentée par les concepteurs. Elle répertorie les cinq catégories suivantes :
— Les jeux éducatifs (Edugame) : le terme « jeu éducatif » nous renvoie au terme anglais « edugame » (pour « education » et « game »). Un jeu éducatif vise à transmettre une connaissance ou un apprentissage en mobilisant des ressorts ludiques [6] comme le jeu éducatif « Smart Grids » qui propose une découverte des réseaux intelligents, et le jeu « Arcademic Skill Builders » qui permet aux jeunes élèves de 3 à 8 ans de compléter leur enseignement (en mathématiques) de manière ludique.
— Les jeux publicitaires (Advergaming) : le terme « advergaming » combine deux mots anglais « advertising » (publicité) et « game » (jeu). L’objectif des jeux publicitaires est de se baser sur la technologie interactive et la jouabilité des jeux vidéo pour en faire un outil de communication en diffusant un message publicitaire destiné aux consommateurs [6]. L’idée étant de libérer le joueur de l’apprentissage du gameplay pour qu’il se focalise sur les éléments graphiques ou sonores. Ces derniers véhiculent des marques que l’on souhaite mettre en valeur. Citons le jeu « Milka Biscuit Saga » comme exemple qui est un jeu permettant à « Milka » de promouvoir sa marque, ses valeurs et ses produits. Citons aussi, le jeu « La Chuuuuute » visant à mettre en valeur la marque « Oasis », une marque à l’identité visuelle bien définie.
— Les jeux de marché (Edumarket game) : le terme « edumarket » désigne le jeu dont l’intention est d’éduquer sur un type de marché. Cette catégorie désigne les jeux sérieux dont l’intention est d’informer, ou tout au moins de sensibiliser les utilisateurs à un message socio-éducatif [6]. Cette forme différente de communication permet de modifier la sensibilité des publics afin qu’ils appréhendent avec plus d’aisance les enjeux sociaux. Par exemple le jeu « Food-Force » dont la vocation est de sensibiliser les enfants aux missions humanitaires que mènent les Nations Unies dans leurs combats quotidiens contre la famine. « S.O.S. Mission Eau » est un autre exemple de jeux de marché destiné aux enfants de 7 à 11 ans pour les initier au fonctionnement des réseaux et infrastructures de gestion d’eau potable.
— Les jeux engagés (Political game) : ces jeux sérieux expriment des messages de nature politique, religieuse ou militaire. Pour y parvenir, cette catégorie a pour objectif de détourner les règles classiques des jeux vidéo ou leurs aspects graphiques et sonores afin d’interpeller les joueurs. Citons l’exemple de « Save The Peoples » qui tente d’envoyer un message anti-guerre où le joueur doit sauver les civils des zones critiques en les guidant vers une tente de base. « People Power : The Game of Civil Resistance » est un autre exemple de jeux engagés qui oppose le joueur, incarnant un mouvement populaire non-violent, à un régime contrôlé par l’ordinateur. La lutte s’inscrit dans des scénarios différents comme la dictature, l’occupation, la défense des droits des minorités, la corruption, etc.
— Les jeux d’entraînement et de simulation (Training and simulation game) : ces jeux ont pour vocation de permettre à l’utilisateur de s’entraîner à exécuter une tâche donnée ou d’étudier un phénomène s’inspirant du réel qui a été reproduit dans un environnement virtuel [6]. A titre d’exemple, nous citons le jeu « Security Game » destiné aux collaborateurs d’entreprises désireuses de sensibiliser leurs employés aux nombreux risques encourus avec l’utilisation omniprésente d’Internet (la cybersécurité). « Granualts Game » est un autre exemple de jeux d’entraînement et de simulation permettant de mesurer les risques au sein d’une carrière d’exploitation.

Si la dimension ludique a pour objectif de procurer du plaisir, il reste à cerner les fonctions associées à la dimension sérieuse. Pour cela, la recherche référencée par [32] propose une autre classification prenant en compte les dimensions ludique et sérieuse des jeux sérieux de manière simultanée en se basant sur les trois critères suivants :
— Jouabilité (Gameplay) : ce critère renseigne sur la dimension ludique en définissant toutes les activités et stratégies de jeux vidéo mises en oeuvre pour maintenir l’engagement et la motivation du joueur tout au long de la session de jeu.
— Intention (Purpose) : ce critère couvre la finalité du jeu sérieux. Il renseigne sur la ou les fonctions utiles dépassant le « simple divertissement » comme la diffusion d’un message éducatif, l’entraînement et l’échange des biens.
— Secteur (Scope) : ce critère est basé sur les domaines d’application visés par le jeu sérieux. Il informe sur le type de public (marché et âge) que le concepteur cherche à cibler.

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Table des matières

Introduction générale
1 Jeux sérieux et gestion de crise
1.1 Introduction
1.2 Présentation du concept de jeux sérieux
1.2.1 Définitions
1.2.2 Domaines d’application
1.2.3 Classifications existantes
1.2.4 Positionnement
1.3 Proposition d’une nouvelle classification des jeux sérieux
1.3.1 Nouvelle classification des jeux sérieux
1.3.2 Portail Web associé à la classification proposée
1.4 Gestion de crise : domaine privilégié d’application de jeux sérieux
1.4.1 Définition de la gestion de crise
1.4.2 Enjeux et spécificités de la formation à la gestion de crise
1.5 Jeux sérieux de gestion de crise
1.5.1 Exemples représentatifs
1.5.2 Évaluation des joueurs dans les jeux sérieux de gestion de crise
1.6 Conclusion
2 Évaluation des jeux sérieux de gestion de crise : une revue systématique de la littérature
2.1 Introduction
2.2 Méthode de recherche : revue systématique de la littérature
2.2.1 Questions de recherche
2.2.2 Termes de recherche
2.2.3 Base de données de recherche
2.2.4 Critères d’inclusion et d’exclusion
2.2.5 Diagramme de PRISMA Flow
2.3 Synthèse des travaux d’évaluation dans les jeux sérieux de gestion de crise
2.3.1 Concept de l’évaluation
2.3.2 Étude bibliographique
2.3.3 Travaux représentatifs
2.4 Discussion
2.4.1 Critique de l’existant
2.4.2 Solution proposée et objectif
2.5 Conclusion
3 Un cadre théorique pour l’évaluation des apprenants dans les jeux sérieux de gestion de crise
3.1 Introduction
3.2 Contexte théorique
3.2.1 Informatique affective et émotions
3.2.2 Théorie du Flow
3.2.3 Modèle de déséquilibre cognitif
3.2.4 Fouille de données éducatives
3.3 Le concept de facette d’évaluation
3.3.1 Facette pédagogique
3.3.2 Facette émotionnelle
3.3.3 Facette sociale
3.4 Grille d’analyse multicritères pour la caractérisation et l’évaluation des JSGC
3.5 Cadre théorique pour l’évaluation individuelle et collective dans les JSGC basé sur les états émotionnels
3.5.1 Architecture générale du cadre proposé
3.5.2 Processus d’évaluation émotionnelle individuelle
3.5.3 Processus d’évaluation collective
3.6 Conclusion
4 Approche d’évaluation des apprenants dans les jeux sérieux de gestion de crise : mise en oeuvre du cadre théorique
4.1 Introduction
4.2 Méthode d’évaluation de la facette sociale
4.2.1 Vue générale de la méthode d’évaluation de la facette sociale
4.2.2 Modélisation du réseau social d’apprentissage
4.2.3 Évaluation quantitative du réseau social
4.2.4 Évaluation qualitative des interactions sociales
4.3 Méthode d’évaluation de la facette émotionnelle
4.3.1 Vue générale de la méthode d’évaluation de la facette émotionnelle
4.3.2 Collecte et annotation des données
4.3.3 Fusion des données collectées
4.3.4 Analyse des données
4.3.5 Visualisation des données
4.4 Conclusion
Conclusion générale

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