Itinéraires du désir dans la philosophie de Giordano Bruno

Nous avons décidé de consacrer le présent travail à la question du désir telle qu’elle émerge dans la philosophie de Giordano Bruno. En dépit de sa place relativement marginale dans le corpus très vaste des études bruniennes et malgré sa présence discrète dans les écrits du Nolain, nous pensons qu’une recherche sur le statut du désir peut ouvrir une perspective pertinente et radicale sur la pensée de ce philosophe de la Renaissance tardive. En efet, loin d’être une question accessoire, le désir se situe au cœur de la philosophie de Bruno et incarne le rythme immanent de sa réflexion. Cela est d’autant plus vrai que sa pensée possède une nature profondément unitaire ainsi qu’un caractère intimement systématique. Le fondement unitaire de la philosophie de Bruno repose sur un efort constant de structurer ses raisonnements en fonction de la nature de l’objet étudié, en d’autres termes, sur une instance cherchant inlassablement à naturaliser la pensée. L’élément central de la spéculation de Bruno est la théorisation d’un univers un, infini et immanent (caractères qui s’impliquent réciproquement) qui exclut toute forme de transcendance et d’ontologie scalaire. Outre qu’il rend impossible l’inscription du Nolain parmi les promoteurs de la nouvelle science mathématique et expérimentale ou parmi les défenseurs du géocentrisme scolastique, un tel postulat fait converger les multiples plans du discours. Assumer la perspective de l’infini (qui ne peut qu’être unitaire et immanent), signifie de facto nier la possibilité des théologies, des éthiques et des philosophies “traditionnelles”. Ainsi, dans l’univers unitaire et infini de Giordano Bruno les multiples ordres du discours constituent des déclinaisons d’un même problème et la pensée est conforme à l’objet qu’elle se propose de questionner. La philosophie est, par conséquent, l’interrogation des lois sous jacentes à cet univers infini (dont rien n’est externe) ; elle manifeste sa propre substantialité avec ce même monde. Partie intégrante de la matière infinie en constante métamorphose (qui l’amène à devenir en acte tout ce qu’elle peut être en puissance), la pensée qui appréhende le monde conceptuellement devient monde à son tour … l’un des infinis mondes possibles. De même, le caractère unitaire de la spéculation brunienne se manifeste dans le défi, pleinement assumé, de penser une éthique, une politique et une anthropologie résolument naturelles. Loin de pouvoir être considéré comme une thématique parmi d’autres, l’infini incarne l’horizon de sens et la méthode philosophique elle-même de Giordano Bruno.

Quant à l’organicité et au caractère systématique de la Nolana filosofia, il ne s’agit en réalité que d’un aspect complémentaire à l’unitariété de sa pensé et de son lien indissoluble avec la matière. Malgré la période plutôt restreinte pendant laquelle se développe la production intellectuelle de Bruno – une dizaine d’années car il passera huit ans en prison avant d’être condamné par l’Inquisition – et au cours de laquelle il doit faire face à un certain nombre de diicultés matérielles – il sera obligé de sillonner une Europe ravagée par les guerres de religion et ne trouvera que rarement le confort d’un séjour stable –, son œuvre demeure très vaste (plus de trenteneuf travaux !). Ainsi, ses écrits sont caractérisés par une étonnante variété de registres linguistiques, par la coprésence de sources parfois divergentes et par un éventail d’intérêts tout à fait remarquables – des traités cosmologiques aux manuels mnémotechniques, des dialogues moraux aux réflexions sur la magie. Toutefois, malgré les diférences relatives à la spécificité de chaque argument et les caractéristiques propres à chaque étape de l’expérience personnelle et intellectuelle de l’auteur, nous croyons reconnaître une uniformité substantielle dans ses travaux. Certes, la singularité des questions et de la matière traitées implique un discours qui interagit systématiquement avec la méthodologie la plus approprié (souvent pour la contester et proposer des solutions alternatives). Toutefois, le noyau théorétique de la philosophie de Bruno et le mouvement unique de sa pensée sont à notre avis constants et procèdent au moyen de reformulations et de déclinations construites autour d’un axe portant, celui de la réalisation de l’infini au sein de chaque atome de la matière. Les êtres naturels tout comme le monde des hommes, les lois qui règlent la période de révolution des planètes aussi bien que l’éthique et la religion doivent libérer la puissance sous-jacente à chaque forme de vie pour lui permettre d’exprimer explicitement (dans le temps et dans l’espace) l’Un implicatus. Face aux modalités à travers lesquelles le fini réalise et exprime l’infini – thème central de la Nolana filosofia –, la question du désir nous permet d’emprunter des chemins sugestifs au sein de l’œuvre imposante de l’ex-moine dominicain.

La nécessité de nous relationner au corpus brunien comme à un système unitaire nous a paru confirmée par l’insistance avec laquelle l’auteur lui-même revendique la nature rédemptrice de sa philosophie, la Nolana filosofia. À notre sens, il faut reconnaître dans l’identification entre auteur et pensée un caractère qui dépasse la subjectivité même du philosophe. Giordano Bruno sentait qu’il se situait à un moment historique fondamental dans le cycle des pensées, des mœurs et des civilisations qui, comme tout être naturel, étaient sujettes à des périodes expansifs et à des moments de crise. À ses yeux, l’Europe était en train de subir une transformation très profonde du sens naturel, agravée par la violence des guerres de religion et par des savoirs incapables de comprendre et d’agir sur le réel. Œuvre d’un « Mercure envoyé par la providence des dieux », la Nolana filosofia représentait ainsi l’antidote capable de s’opposer aux facettes multiples du « siècle malheureux ». La critique de la perversion des sciences, la lutte contre l’intolérance religieuse et la réflexion toujours présente sur les implications politiques des savoirs doivent être considérées comme les innombrables fronts d’un même combat. Cette vocation “civile” de la pensée de Bruno nous permettra de montrer comment l’insistance sur les pulsions désidératives immanentes au corps social donne la possibilité à notre auteur de bâtir une philosophie politique fortement alternative à celle de théoriciens contemporains (Bodin et Hobbes par exemple). Au désamorçage de la puissance humaine et à l’institution d’un espace public fondé sur la peur (fondement des penseurs contractualistes), Bruno oppose une politique construite autour de la nature polyédrique de l’homme gouvernable en fonction de son désir.

Persuadé du caractère uniforme et systématique de la philosophie de Bruno, nous avons privilégié un regard visant à rendre explicites quelques-unes des voies que le désir – à l’instar d’une rivière souterraine – emprunte dans l’œuvre de notre auteur.

Nous avons donc préféré procéder de manière diachronique, en choisissant une approche conceptuelle plutôt qu’un exposée chronologique de la philosophie brunienne. Par conséquent, nous avons dû faire abstraction d’un certain nombre d’aspects, certes intéressants de la pensée de Bruno mais qui nous auraient éloigné de notre sujet principal. Nous nous sommes d’abord penchés sur un traité tardif, la Lampas triginta statuarum, où le désir apparaît comme la force qui amène les «ténèbres » indistinctes à exprimer la richesse infinie des formes qu’elles renferment en puissance. Ensuite, dans les dialogues italiens à sujet cosmologique, le désir – force immanente des révolutions des planètes qui assurent la succession des saisons et des civilisations –, réalise dans chaque être la vicissitude qui lui permet « d’être tout et de devenir tout ». Puis, la comédie italienne le Chandelier montre comme la poursuite d’un désir statique, obsessionnel et contraire à la nature mène inévitablement les personnages à leur perte. Cette même aspiration “civile” sera présente dans le traité magique Des liens où le philosophe-mage s’appuie sur l’amour, « le lien le plus puissant », pour donner vie à une république qui reflète la puissance infinie inhérente à la nature à travers ses citoyens. Enfin, nous verrons comment, dans Des fureurs  héroïques, l’élan cognitif qui amène Actéon à « devenir nature » correspond à la manière plus proprement humaine de réaliser l’infini.

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Table des matières

Note introductive
Prélude
Dans la sylve du désir. Labyrinthes, palais, miroirs
Parcours I
Mécanique du désir
1. Une nouvelle herméneutique du désir
2. Lampas triginta statuarum : une cosmogonie du désir
3. Les dialogues italiens
3.1 Le Souper des Cendres : l’essence du mouvement
3.2 De la cause, du principe et de l’un : l’iris de la Monade
3.3 De l’infini, de l’univers et des mondes : espace matériel et désir infini
Parcours II
Morphologie du désir : désir et forme de vie
1. Cantus Circæus : physiognomonie du désir
2. De vinculis : les liens du désir
Parcours III
Le Chandelier ou Naples comme topographie du désir
Réouveture
Devenir désir
Épilogue
Bibliographie

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