Invasion des côtes françaises par le mollusque exotique Crepidula fornicata

Le phénomène d’introduction biologique : un cas spécifique du processus de colonisation

   Dans sa définition la plus simple, un processus de colonisation est décrit comme l’apparition d’une population dans une localité où l’espèce n’existait pas récemment (Brown & Burdon, 1987). Grâce à ce processus naturel, une espèce a la possibilité d’accroître ses chances de survie en étendant son aire de distribution vers de nouveaux habitats favorables. Par ailleurs, en favorisant l’action des forces évolutives de dérive génétique (i.e. fluctuation aléatoire de la fréquence des gènes liée à un effet d’échantillonnage des gamètes dans une population d’effectif limité ; Wright, 1921) et de sélection (i.e. survie différentielle des individus dans un environnement donné), ce phénomène peut être à l’origine d’événements de spéciation (Carson, 1987). Reznick & Ghalambor (2001) ont notamment montré qu’il existait une forte association entre l’établissement de nouvelles populations dans un nouvel environnement et l’évolution rapide des espèces. En effet, sur 47 études écologiques mettant en évidence des adaptations « contemporaines » (i.e. ayant eu lieu durant les 200 dernières années) et documentant des changements dans la morphologie, les traits de vies, le comportement ou les caractères physiologiques, 41 portaient sur des cas de colonisation et la majorité était attribuable à des influences anthropiques. Par exemple, Byrne & Nichols (1999) ont mis en évidence un changement dans la diapause et le comportement reproductif chez le moustique Culex pipiens au cours de la colonisation du « métro » londonien par cet insecte. Le processus de colonisation de nouveaux sites a lieu lorsqu’une espèce envahit une nouvelle région mais également quand elle recolonise un habitat suite à une perturbation. Une distinction est alors faite entre colonisation primaire (e.g. établissement d’une population dans une aire qui n’était pas occupée par l’espèce) et colonisation secondaire (e.g. réinstallation de l’espèce après une extinction locale). Au cours d’une colonisation secondaire, la source de propagules est proche de l’aire altérée tandis que la colonisation primaire peut impliquer une dispersion à longue distance. Une classification des phénomènes de colonisation peut ainsi se faire en fonction de l’échelle géographique considérée (Brown & Burdon, 1987). Dans cette optique, on peut concevoir deux extrêmes dans ces processus de colonisation : d’une part, l’introduction liée à l’homme (ce processus n’est donc plus naturel) d’une espèce exotique venant d’une zone géographiquement lointaine (isolée par des barrières biogéographiques) et d’autre part, les processus localisés d’expansion géographique des espèces qu’elles soient natives ou exotiques. Une introduction biologique peut donc être considérée comme un cas spécifique du processus plus général de colonisation.

Introduction de la crépidule en France : une histoire complexe

   C. fornicata , originaire de la côte Est de l’Amérique du Nord a été introduite à la fin du 19ème siècle en Angleterre avec des huîtres provenant de l’Est de l’Amérique du Nord (Hoagland, 1985). En France, les premières observations remonteraient aux années 1930 mais la deuxième guerre mondiale est l’occasion d’une deuxième vague d’introductions dans le port de Brest et en Normandie dans les années 40 (Blanchard, 1995). L’évolution est ensuite progressive du nord vers le sud de la côte Atlantique, elle est relativement lente jusque dans les années 1960 après lesquelles elle s’accélère (Marteil, 1963). L’extension de C. fornicata dans les parcs ostréicoles aurait ensuite été favorisée par l’introduction de l’huître japonaise Crassostrea gigas dans les années 70 (Blanchard, 1995). C. fornicata est maintenant largement distribuée le long des côtes de l’Atlantique et de la Manche (Blanchard, 1997). L’expansion de cette espèce continue en mer du Nord (Sjotun, 1997) bien que la croissance des populations soit limitée par les faibles température hivernales (Thieltges et al., 2004) et dans des baies françaises plus isolées (Chauvaud, 1998 ; Sauriau et al., 1998). Compte tenu de ces données historiques, issues d’observations de terrain pour la plupart, il est certain que la colonisation primaire et l’expansion géographique de cette espèce ont été facilitées par les activités humaines, en particulier par les échanges entre les sites de conchyliculture ou de pêche à la coquille (par transport avec du naissain d’espèces exploitées ou par des activités de dragage des fonds ; Blanchard, 1997 ; Sauriau et al., 1998)

Particularité du cycle de vie : une longue phase larvaire

   C. fornicata est une espèce à cycle bentho-pélagique possèdant une larve qui peut passer de 2 à 4 semaines dans le plancton (Figure i.5), une caractéristique favorisant à la fois un important flux de gènes entre populations (Palumbi, 1994) et le recrutement de groupes de larves potentiellement différents génétiquement (Hedgecock, 1994). La nutrition, le taux de croissance, la métamorphose de la larve de C. fornicata ont été intensivement étudiées dans l’aire native (Pechenik & Gee, 1993 ; Pechenik et al., 1996 ; Pechenik et al., 2001 ; Pechenik et al., 2002) mais également dans l’aire d’introduction (Marty et al., 2003). La présence d’une phase larvaire dans le cycle de vie peut être particulièrement avantageuse pour une espèce invasive ou colonisatrice car c’est un moyen d’éviter la compétition pour les ressources entre adultes et juvéniles, de diminuer le taux de consanguinité et de s’échapper d’habitats défavorables ou instables (Pechenik, 1999). Ces avantages sont néanmoins contrebalancés par des taux importants de mortalité larvaire durant la phase pélagique, par la phase de recrutement et par une sensibilité plus importante aux stress environnementaux. Des expériences en laboratoire sur des larves pré – compétentes ont montré qu’une diminution de la concentration en phytoplancton induisait une diminution de la durée du stade larvaire de C. fornicata, stimulant la métamorphose et diminuant ainsi la période de dispersion (Pechenik et al., 1996). Jusqu’au stade véligère où se produit l’éclosion, les larves sont incubées dans des capsules ovigères au sein desquelles plusieurs œufs sont réunis (Figure i.6). Toutes les capsules d’une ponte sont fixées au même point du substrat, par la base de leur long pédoncule. Après une fécondation interne, la femelle pond entre 5000 et 10000 œufs par ponte (J. Richard, communication personnelle). Le Gall (1980) a constaté dans ses élevages qu’une même femelle pouvait pondre deux fois à six semaines d’intervalle.

Isolement, caractérisation et mise au point de marqueurs microsatellites

   Dans un premier temps, une banque génomique non enrichie a permis d’obtenir sept locus polymorphes chez C. fornicata. Le protocole détaillé d’isolement, de caractérisation et de mise au point des locus microsatellites élaboré, par Estoup & Martin est à l’adresse http:/www.inapg.inra.fr/dsa/microsat/microsat.htm ; il est résumé dans l’annexe 4. Le développement de ces marqueurs a fait l’objet d’une publication sous forme d’une note présentée en annexe 10.B. Cependant, l’utilisation en routine de certains de ces marqueurs a mis en évidence un taux non négligeable d’allèles nuls pour certains d’entre eux. Des amorces ont donc été redéfinies pour les locus CfCA6, CfCATGT, CfGT3 et CfGT9. Malgré de nouvelles amorces, les profils obtenus avec les locus CfCA6 et CfGT3 restaient ambigus, ils n’ont donc pas été utilisés au cours de ce travail. Une autre banque a ensuite été réalisée au laboratoire par Inken Kruse et une optimisation (toujours en cours) a permis d’obtenir un nouveau locus (CfH7).

Analyse de la structure sexuelle des populations

   La sex-ratio peut être un indicateur de l’intensité du recrutement chez C. fornicata. En effet, une population de C. fornicata présentant un excès de mâles (généralement 60% de mâles et 40% de femelles, c’est-à-dire un ratio femelle : mâle de 0,67 : 1) est considérée dans la littérature comme une population ayant un bon recrutement annuel (Wilczynski, 1955). Réciproquement, un excès en femelles est le signe d’un vieillissement de la population. Afin d’analyser l’évolution au cours du temps de la structure sexuelle dans les populations, le stade de maturité sexuelle (Figure i.7) a été déterminé pour chacun des individus à partir de la présence ou non de pénis, mais aussi de sa forme et de sa taille (Coe, 1938). Les jeunes individus, de taille inférieure à 1 cm, chez lesquels le pénis est absent ou à peine perceptible sont de jeunes mâles immatures. Les animaux avec un pénis bien visible et généralement de couleur noire sont des mâles. Les individus de taille normale présentant un pénis avorté sont des animaux en transition sexuelle. Lorsque le pénis a totalement disparu les individus sont femelles. La distribution des différents types sexuels est calculée pour chaque population et chaque cohorte. Des déviations par rapport à des ratios femelles : mâles de 1 : 1 et de 0,67 : 1 ont été testées à l’aide d’un test binomial d’après Wilson & Hardy, p.54 (2002).

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Table des matières

INTRODUCTION
i.1 Invasions biologiques et processus de colonisation : convergences et divergences
i.1.1 Le phénomène d’introduction biologique : un cas spécifique du processus de colonisation
i.1.2 Comment distinguer les espèces invasives des espèces colonisatrices et/ou introduites ?
i.1.3.Le processus d’introduction biologique : différentes étapes et différents modèles de dispersion
i.1.4 Les introductions biologiques en milieu marin : que sait-on des étapes d’expansion et d’intégration ?
i.2 Colonisation en milieu marin : le rôle de la phase larvaire
i.2.1 Capacité de dispersion des espèces marines par voie larvaire
i.2.2 Une forte capacité à la dispersion fait-elle d’une espèce une bonne colonisatrice ?
i.2.3 Les méthodes d’étude de la dispersion en milieu marin
i.2.4 Quelles sont les limites au flux de gènes en milieu marin ?
i.3 Les stratégies de reproduction des espèces colonisatrices
i.4 Crepidula fornicata : un modèle biologique pour l’étude du processus de colonisation en milieu marin côtier
i.4.1 La crépidule : un cas typique parmi les mollusques introduits des bassins conchylicoles
i.4.2 Introduction de la crépidule en France : une histoire complexe
i.4.3 Impact de la crépidule sur l’habitat et les espèces indigènes
i.4.4 Particularité du cycle de vie : une longue phase larvaire
i.4.5 Un système de reproduction original
i.4.6 Les questions
CHAPITRE I : MODES ET STRATEGIES DE DISPERSION
I.1 Analyse des scénarios d’introduction à l’echelle européenne
I.1.1. Comparaison de la diversité génétique des populations natives et introduites
I.1.2. Identification des populations sources
I.1.3 Conclusion
I.2 Expansion de la crépidule a l’échelle des bassins conchylicoles français
I.2.1 Quels facteurs jouent un rôle majeur dans la dissémination de l’espèce à l’échelle des côtes Manche-Atlantique ?
I.2.2 Mer d’Iroise et Péninsule du Cotentin : des barrières naturelles à la dispersion ?
I.2.3 Quid de l’influence des gyres à l’échelle d’une baie : le golfe Normano-Breton ?
I.2.4 Conclusion
CHAPITRE II : LES MODALITES DE RECRUTEMENT LOCAL
II.1 Microstructure et dynamique de recrutement dans une baie fortement colonisée
II.1.1 Site et populations étudiées
II.1.2 Quelle est la structure démographique de C. fornicata dans les populations étudiées en Baie du Mont-St-Michel ?
II.1.3 Existe- t’ il une variation temporelle de fréquences alléliques dans les populations de C. fornicata ?
II.1.4 Conclusion
II.2 Dynamique d’installation de la crepidule dans une baie récemment colonisée
II.2.1 Site d’étude et stratégie d’échantillonnage
II.2.2 Densité et répartition des crépidules sur le site d’étude
II.2.3 Quelle est la dynamique de recrutement en baie de Morlaix ?
II.2.4 Quelle est l’origine des recrues en baie de Morlaix : autorecrutement ou apport extérieur ?
II.2.5 Conclusion
CHAPITRE III : UN SYSTEME DE REPRODUCTION ORIGINAL
III.1 Théorie d’allocation des ressources et protandrie : sex-ratio et taille des morphes sexuels chez C. fornicata
III.1.2 Introduction
III.1.2 La sex-ratio dans les populations de C. fornicata
III.1.3 La taille de changement de sexe dans les populations de C. fornicata
III.1.4 Conclusion
III.2 Analyses de paternité chez Crepidula fornicata
III.2.1 Introduction
III.2.2 Matériel et méthodes
III.2.3 Résultats
III.2.4 Discussion
III.2.5 Conclusion et perspectives
CONCLUSIONS & PERSPECTIVES
C.1 Synthèse des résultats
C.2 Les clefs du succès de la colonisation
C.1.1 Une installation réussie dans les bassins conchylicoles français
C.1.2 Un processus de colonisation initié par l’homme mais qui se poursuit via la phase larvaire
C.2.2 Taille démographique et taille efficace des populations
C.3 Perspectives
C.3.1 Les modèles de dispersion
C.3.2 L’étude de la phase larvaire
C.3.3 L’étude du déterminisme du sexe
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXES

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