Introduction à la photophysique des complexes polypyridyles de ruthénium

Généralités sur l’état fondamental

Le ruthénium est un métal de transition qui possède 44 électrons. Sa configuration électronique, qui constitue une des exceptions à la règle de Klechkowski dans sa colonne, est 1s2 2s2 2p6 3s2 3p6 4s2 3d104p6 5s1 4d7 . Ce métal est connu pour former des complexes à 18 électrons. A l’état fondamental, dans de tels systèmes, le ruthénium se trouve généralement au degré d’oxydation +II. On parlera de complexe d6 . On distingue deux extrêmes pour ces complexes en termes de groupes ponctuels de symétrie (GPS). Ils peuvent par exemple être de symétrie octaédrique (Oh) mais aussi sans symétrie (C1). La perte de symétrie d’un complexe de ruthénium implique de nombreuses modifications sur les orbitales moléculaires (OM) centrées sur le métal . Au cours de ces travaux, nous avons principalement étudié des complexes sans symétrie (ou possédant un GPS C2 voire C2v) et hétéroleptiques dans lesquels la dégénérescence de toutes ces OM est levée. Après la perte de la symétrie octaédrique, par exemple dans un complexe de type [Ru(bpy)2L2] 2+, on note Ru-d(π) les trois OM qui résultent des combinaisons linéaires des orbitales dxy, dyz, dxz. Elles sont doublement occupées et selon les cas, non-liantes ou éventuellement liantes. On note Ru-d(σ)*, les deux OM vides issues des anciennes orbitales dz² et dx²-y². Elles sont dans la plupart des cas antiliantes.

De manière générale, pour un complexe polypyridyle de ruthénium, homoleptique ou hétéroleptique, la HOMO (Highest Occupied Molecular Orbital) est principalement portée par le métal et la LUMO (Lowest Unoccupied Molecular Orbital) par un ou plusieurs ligands polypyridyles [1]. Par exemple, le couple HOMO-LUMO associé à l’état fondamental couches fermées du complexe [Ru(bpy)2(PH3)2] 2+, qui ne déroge pas à cette tendance, est représenté sur la figure 1.2. Ce complexe possède un GPS C2. En conséquent, les deux ligands bpy sont équivalents et la LUMO, de type π*, est délocalisée sur ces deux ligands et possède une orientation qui la rend nettement non liante. La HOMO est centrée sur le métal et il s’agit d’une OM de type Ru-d(π).

Les états excités, diagramme de Perrin-Jablonski

Le diagramme de Perrin-Jablonski est la représentation privilégiée qu’utilisent les photochimistes pour discuter du devenir d’un complexe après absorption d’un photon. Il permet de rassembler les différents états excités dans lesquels le complexe étudié peut se trouver, tout en présentant les voies de désactivation envisagées. L’axe des ordonnées correspond aux énergies par rapport à une référence qui est généralement choisie comme étant l’état fondamental du complexe. L’axe des abscisses est une coordonnée de réaction qui varie significativement selon la nature de l’état formé. On prend généralement une distance. Nous choisissons par exemple une liaison impliquant le métal et l’atome coordinant d’un ligand. On représente sur ce diagramme l’évolution de chaque état par sa courbe d’énergie potentielle que l’on nommera ensuite, par abus de langage, Surface d’Energie Potentielle (SEP). On attribue à chaque état sa multiplicité de spin. Ceci permet de placer les états les uns par rapport aux autres, chacun possédant des caractéristiques géométriques propres, et de percevoir de manière très commode les propriétés photophysiques d’un complexe donné. Les SEP sont représentées par des pointillés car nous ne connaissons pas leurs formes exactes. Les niveaux vibrationnels de chacune de ces SEP sont représentés par des traits pleins horizontaux. Considérons un complexe de la famille de l’archétype [Ru(bpy)3] 2+ se trouvant initialement dans son état fondamental singulet couches fermées. L’absorption de photons entraîne des transitions électroniques qui forment des états excités singulets de différentes natures. Ces états sont nommés en fonction de l’OM d’où un électron est extrait et de celle de l’OM qui va le recevoir. Les transferts de charge se font généralement du métal vers le ligand (MLCT, Metal to Ligand Charge Transfer) [2] ou du ligand vers un autre ligand (LLCT, Ligand to Ligand Charge Transfer). Il peut également se former d’autres états excités, centrés sur le ligand (LC, Ligand Centered) ou encore centrés sur le métal (MC, Metal Centered) [3]. Après relaxation vibrationnelle en restant sur leurs SEP, ces états sont, pour la plupart, électroniquement chauds. S’ils ne se sont pas relaxés thermiquement, ils sont dits vibrationnellement chauds. Au cours des différents chocs intermoléculaires (avec les molécules de solvant, ou avec d’autres complexes), ces systèmes peuvent se désactiver thermiquement, de manière non radiative. Ils peuvent aussi passer sur la SEP d’un autre état excité singulet par conversion interne (CI), c’est à dire par recouvrement des fonctions d’ondes vibrationnelles de ces deux états et ainsi de suite jusqu’à atteindre l’état excité singulet le plus bas. D’après les règles de Kasha [4], c’est seulement à partir de cet état le plus bas que l’on peut observer de la luminescence. Si l’on considère que l’état excité singulet le plus bas est un état  MLCT .

A partir de cet état  MLCT, le complexe peut :
(i) revenir à l’état fondamental en émettant un photon. On appelle cette émission de la fluorescence. L’électron se désexcite sans changer de spin.
(ii) passer dans un état excité triplet, par exemple un état  MLCT, ce qui correspond à une conversion inter système (CIS). Ce type de passage se produit par recouvrement des fonctions d’ondes vibrationnelles des deux états et nécessite l’existence d’un couplage spin-orbite.

L’état  MLCT formé par CIS depuis l’état  MLCT le plus stable n’est pas nécessairement l’état MLCT le plus bas. Il peut aussi être vibrationnellement chaud. Par CI, il peut passer sur la SEP d’un autre état excité triplet. Tout comme les états excités singulets, les états excités triplets peuvent se désactiver thermiquement au fil des collisions avec d’autres molécules. Si l’on considère que l’état excité triplet émissif le plus bas est un état  MLCT, formé après relaxations électronique et vibrationnelle, cet état peut :

(i) revenir à l’état fondamental en émettant un photon. Cette émission est de la phosphorescence. Dans ce cas, le retour de l’électron vers l’état fondamental se fait avec un changement de son spin.
(ii) repasser sur la SEP d’un état excité singulet (CIS), s’il est vibrationnellement chaud.
(iii) passer sur la SEP d’un état  MC par CI.

Notons que les couplages spin-orbite sont faibles pour les états excités LC mais plus prononcés pour les états MLCT [5]. Nous avons présenté le diagramme de Jablonski pour un état  MLCT car pour la plupart des complexes polypyridyles de ruthénium étudiés expérimentalement, ce sont ces types d’états qui sont à l’origine de la phosphorescence observée, qu’elle se produise à température ambiante ou bien à de plus basses températures. La phosphorescence est un phénomène interdit par les règles de sélection portant sur la multiplicité de spin. Ce type de luminescence est rendu possible par couplage spin orbite et correspond au retour radiatif d’un électron à l’état fondamental avec un changement de spin. Pour cette raison, il s’agit d’un phénomène lent et la durée de vie de la luminescence est généralement de l’ordre de la µs à 77 K [5]. A l’inverse, la fluorescence est un phénomène radiatif rapide car autorisé par les règles de spin, avec une durée de vie de l’ordre de la ns à 77 K [6].

Lorsque les états 3 MLCT, 3 LLCT ou 3 LC sont les états excités triplets les plus bas en énergie, ils sont généralement luminescents à température ambiante. Les états 3 MC sont des états non radiatifs car ils ne possèdent qu’une très faible composante singulet [7]. Ils se désactivent thermiquement ou encore par croisement de leurs SEP avec celle de l’état fondamental. Ainsi, si l’on souhaite synthétiser des complexes luminescents à température ambiante, on souhaite que les états 3 MC restent inaccessibles thermodynamiquement et cinétiquement à partir de l’état excité triplet émissif le plus bas en énergie. Ces états 3 MC agissent comme des piégeurs de luminescence. Par ailleurs, la formation de ces états entraîne une augmentation du volume de la sphère de coordination autour du métal qui peut provoquer une photodissociation. On peut employer cette propriété pour synthétiser de nouveaux complexes par photoréactivité. Dans ce cas, la formation de l’état 3 MC est recherchée pour réaliser des réactions de substitution du ligand éjecté [8]. Nous allons à présent détailler les principales tendances rencontrées ainsi que les propriétés photophysiques qui ont été proposées pour les complexes polypyridyles de ruthénium et notamment pour l’archétype [Ru(bpy)3] 2+. Dans ce domaine, les principales expériences reposent sur l’emploi de la spectroscopie d’absorption UV/visible, de la spectroscopie d’émission et la détermination des propriétés électrochimiques. Pour interpréter leurs observations, décrire les spectres d’absorption ou encore attribuer des caractéristiques aux états émissifs, les expérimentateurs se sont appuyés sur les développements théoriques proposés au cours du siècle dernier. La théorie du champ cristallin [9] permet de décrire la structure électronique des complexes de métaux de transition ou encore leurs propriétés magnétiques. L’emploi de cette théorie associée à celle des OM a donné naissance à la théorie du champ des ligands [10] qui permet en plus de déterminer les modes de coordination entre le métal et les ligands. C’est à partir de ces théories que les expérimentateurs ont attribué les bandes caractéristiques des spectres d’absorption des complexes de métaux de transition à certains transferts de charge. Ces attributions reposent sur la construction préalable des diagrammes d’OM ainsi que sur les règles de sélection spectroscopiques.

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Table des matières

Introduction
Références bibliographiques
Chapitre 1 : Introduction à la photophysique des complexes polypyridyles de ruthénium
1.1 Généralités sur l’état fondamental
1.2 Les états excités, diagramme de Perrin-Jablonski
1.3 Les spectres d’absorption
1.4 Orbitales moléculaires remarquables des états excités triplets relaxés
1.5 Les spectres d’émission
1.6 Les études électrochimiques
1.7 Classification des ligands
a) Les effets π-accepteurs primaires : influence sur la LUMO et sur le potentiel de réduction
b) Les effets π-accepteurs secondaires : influence sur la HOMO et sur le potentiel d’oxydation
c) Les effets π-donneurs
d) Les effets σ-donneurs
Références bibliographiques
Chapitre 2 : Théorie et méthodes
2.1 La théorie de la fonctionnelle de la densité
2.2 Choix des bases et du pseudo-potentiel relativiste
2.3 Choix de la fonctionnelle
2.4 Simulation des spectres d’absorption
2.5 Optimisation des états excités triplets
2.5.1 Généralités
2.5.2 Cas particulier : les états excités 3 MC
2.6 Calcul vertical de l’énergie d’émission
2.7 Les états de transition
2.8 Les modèles de solvatation
2.9 Simulation des spectres d’émission résolus en vibration (VRES)
2.10 Récapitulatif des paramètres énergétiques remarquables
2.11 Analyse Natural Bond Orbital (NBO)
2.11.1 Fondements
2.11.2 Utilisation de la NBO pour l’analyse de l’état fondamental et d’un état 3 MLCT du complexe [Ru(bpy)3] 2+
a) L’état fondamental
b) L’état 3 MLCT
2.12 Précisions sur les calculs et la présentation des résultats
Références bibliographiques
Chapitre 3 : Etude de systèmes [Ru(tpy)(bpy)L]n+ (L= ligand phosphoré)
Introduction
3.1 Le complexe 1, [Ru(tpy)(bpy)PPh2H)]2+
3.1.1 Les données expérimentales
3.1.2 L’état fondamental
3.1.3 Calcul TDDFT du spectre d’absorption
3.1.4 Propriétés de luminescence
3.1.5 Analyse des SOMO+1 de l’état 3 MLCT avec B3LYP et MPWB1K
3.1.6 Détermination d’un état 3 MC
3.1.7 Caractérisation de l’état de transition connectant l’état 3 MLCT à l’état 3 MC
3.2 Umpolung de la liaison P-H dans le complexe 1, une liaison dangereuse
3.2.1 Introduction
3.2.2 Etude théorique du complexe 2, [Ru(tpy)(bpy)PPh2]+
a) L’état fondamental
b) Détermination du spectre d’absorption
c) Propriétés de l’état 3 LLCT
3.2.3 Etude théorique du complexe 3, [Ru(tpy)(bpy)PPh2] 3+
a) L’état fondamental
b) Détermination du spectre d’absorption
c) L’état émissif : l’état 3 MLCT
3.3 Etude du complexe 4, [Ru(tpy)(bpy)P(O)Ph2]+
3.3.1 L’état fondamental
3.3.2 La nature de la liaison P-O
3.3.3 Spectre d’absorption
3.3.4 Les propriétés de luminescence du complexe 4
a) Caractérisation de l’état émissif. Calcul ΔSCF
b) Détermination des VRES du complexe 4 à 77 K. Extension à l’étude d’un adduit avec une molécule de méthanol
3.3.5 Détermination d’un état 3 MC et de l’état de transition 3 MLCT 3 MC
3 3.3.6 Comparaison des propriétés des ligands PPh2H et P(O)Ph2-
3.4 Etude théorique du complexe 5, [Ru(tpy)(bpy)PPh2OH]2+
3.4.1 Détermination de l’état fondamental et des états 3 MLCT et 3 MC
3.4.2 Modélisation de l’absorption et de l’émission du complexe 5
3.4.3 Comparaison des diagrammes de Jablonski des complexes 1 et 5
3.5 Etude théorique et expérimentale des propriétés photophysiques du complexe 6, [Ru(tpy)(bpy)P(OPh)2O]+
3.5.1 L’état fondamental
3.5.2 Propriétés photophysiques du complexe 6
a) Spectre d’absorption
b) Propriétés d’émission
3.5.3 Comparaison des diagrammes de Jablonski des complexes 4 et 6
3.6 Can a functionalized phosphine ligand promote room temperature luminescence of the [Ru(tpy)(bpy)]2+ core ?
Conclusion
Références bibliographiques
Conclusion

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