Intérêts et limites des étiquettes d’engagement thérapeutique en oncologie

Le contexte est décrit d’un point de vue paramédical (en l’occurrence infirmier), en milieu hospitalier et plus précisément au sein d’un service d’oncologie. Ce dernier accueille des patients atteints de diverses tumeurs graves et évolutives telles que des cancers pulmonaires, ORL, gynécologiques, urologiques… Doté d’un plateau technique innovant, renforcé par une large offre de soins non cancérologique (cardiologie, orthopédie, diabétologie…) ; le service offre une expertise de pointe. Par le prisme d’éléments de ce récit de situation clinique et authentique, nous explorerons plusieurs dimensions. Dans un premier temps, celle de l’oncologie (plus communément connue sous le nom de « cancérologie »). Ensuite celle de son contexte thérapeutique qui, dans le cas précis de Mme A, questionne les notions d’engagements thérapeutique et d’obstination déraisonnable. Enfin, nous nous interrogerons sur la place des représentations en matière de soins palliatifs, et notamment comment ces dernières peuvent influer dans les projets d’engagement thérapeutique.

SITUATION CLINIQUE

Mme A. est une patiente de 63 ans, entrée dans le service mutualisé d’oncologie médicale et thoracique de X pour hyperthermie, dans un contexte de cancer pulmonaire multi-métastatique d’emblée. Elle est statuée réanimatoire et sous chimiothérapie per-os. Auparavant autonome dans les actes de la vie quotidienne, Mme A. est souvent alitée depuis quelques semaines, et ce sans doute du fait de son asthénie grandissante. De plus, sa légère oxygénoréquérence la contraint dans ses transferts lit/ salle de bain, mais des séances de kinésithérapie quotidiennes lui permettent un certain maintien d’autonomie. Dénutrie, elle bénéficie d’un suivi diététique régulier, avec la mise en place de compléments nutritionnels oraux (CNO). Début décembre, je prends en charge Mme A. sur la matinée. Peu après la fin de mon tour de 8h, la patiente désature drastiquement. Mise sous masque à haute concentration, on lui prélève un bilan complet ainsi que des gaz du sang. Je m’étonne intérieurement, car elle ne présente aucun signe clinique d’anoxie. Avant son transfert quelques heures plus tard en USIP, je me veux rassurante auprès de son mari et son fils, visiblement effondrés et inquiets par la rapidité de sa dégradation. « Ne vous inquiétez pas, elle est transférée pour une surveillance rapprochée mais surtout pour bénéficier de manomètres spécifiques dont nous ne sommes pas dotés dans le service ». Les semaines suivantes, la patiente est toujours hospitalisée, en réanimation cette fois. Son état est très grave. Taraudée par un sentiment de culpabilité (pourquoi avoir rassuré son époux et son fils si aveuglément ?), je prends de ses nouvelles auprès de son oncologue, qui lui rend visite quotidiennement en réanimation. Elle m’explique qu’elle bataille pour que son traitement anti cancéreux lui soit administré : « En soins intensifs quand tu as le Covid-19 et un cancer, pour eux il n’y a déjà plus rien à faire ».

Les semaines, les mois passent. Mars 2021, la France est en pleine reprise épidémique : la 3ème vague de Covid-19 est là. Un matin, j’apprends le retour de Mme A. dans notre service. Je ne la prends pas en charge avant plusieurs jours, mais mes collègues échangent souvent à son sujet. J’apprendrai plus tard que son séjour en réanimation fût houleux, ponctué de tensions entre la famille de la patiente et les réanimateurs, désireux d’initier une limitation des soins. Très vite, des interrogations jaillissent dans l’équipe : pourquoi est-elle encore réanimatoire, malgré l’altération flagrante de son état général ? Quelle posture adopter face au discours de son époux qui lui répète sans cesse « qu’il compte sur elle, qu’elle doit être combative (…) » ?

Le week-end, un interne et un oncologue d’astreinte sont présents sur la matinée. L’après-midi, seul un recours à l’interne de garde est possible. J’apprécie le temps dont je dispose parfois durant le weekend. Les soins prescrits en dernière minute, RDV et examens en urgence s’enchaînent nettement moins, ce qui dégage un temps certain pour l’échange ; auprès du patient et de ses proches. Je reprends justement en charge Mme A. un après-midi ce week-end-là. Désormais alitée en permanence, sa toilette complète et ses changes s’effectuent au lit. Très douloureuse, elle bénéficie d’une PCA d’Oxynorm. Elle présente également un ralentissement psychomoteur (post-intensive care syndrome). La fille de Mme A – que je rencontre pour la première fois – est aussi présente auprès d’elle et semble avoir acquis de nombreux réflexes en étant à son chevet en réanimation. Elle m’aide à décrypter ses mots et besoins. Mme A. est également douloureuse ce samedi-là, sa réinstallation nécessite du temps, comprendre ses mots aussi (15 minutes d’efforts pour accueillir avec émotion son « merci » pour avoir pris le temps de coiffer la masse de nœuds que formait désormais ses cheveux). Mais Mme A. tient à préserver coûte que coûte sa posture combative. Lors d’un soin en présence soignante, elle verbalise qu’elle « (…) souhaite se battre, mais sans souffrir ». Hasard ou coïncidence, cette confession nous fût faite le lendemain de la pose de sa Sonde Naso-Gastrique à visée alimentaire, qui fût traumatique (aura nécessité l’intervention d’un médecin ORL pour la pose après plusieurs échecs en salle). Ma collègue IDE, qui l’accompagnait la veille me transmet qu’elle n’a pu rester en chambre, devant les hurlements poussés par la patiente. Cette pose de SNG, initiée par l’oncologue référente de Mme A. puis plébiscitée par sa famille après un premier refus de la patiente, aura divisé parmi les membres de l’équipe. L’alimentation est débutée depuis le matin même. Elle est bien tolérée le premier jour, mais vomit massivement le lendemain, au décours d’une réinstallation. Plusieurs jours passent. Malgré son asthénie, j’entends que Mme A. insiste désormais pour être installée au fauteuil chaque jour, parfois même dès très tôt le matin. Elle est désormais passée « SMS » (Soins Maximum en Salle), après insistance de l’équipe paramédicale auprès de son oncologue référente.

10 jours plus tard, je commence mon tour de 8h sur un autre secteur. Une dizaine de minutes plus tard, une collègue aide-soignante vient me chercher inquiète pour Mme A., qui ne se réveille pas pour les constantes. Assise dans son lit, le corps penché en avant, je constate son arrêt cardiorespiratoire. Sa fille est présente, et se réveille après avoir dormi auprès d’elle. Un sentiment de solitude m’envahi : ma collègue ne semble pas prendre conscience de la gravité de la situation. Je lui demande donc d’appeler le numéro de la réanimation puis d’aller chercher d’autres membres de l’équipe. Comprenant qu’il se passe quelque chose de grave, sa fille hurle auprès d’elle. Je débute un massage cardiaque et lui demande doucement d’aller m’attendre dehors. Mes deux autres collègues AS arrivent à leur tour, mais restent toute deux statiques, visiblement en état de sidération. L’idée me repousse, mais je poursuis mon massage cardiaque en attendant l’arrivée du réanimateur. Ma collègue IDE en charge du secteur me rejoins. Nous réinstallons la patiente (à 5 soignants).  Je suis froide auprès de mes collègues, mécanique. Je dois masser Mme A. comme elle l’aurait souhaité, en dépit de mes valeurs, comme je le fais pour sa fille aussi. La réanimatrice et son équipe arrive très vite. Elle connaît visiblement très bien Mme A. et me dit dès son entrée en chambre d’arrêter en soupirant : « laissons là enfin tranquille ». Toujours 5 en chambre, nous réinstallons toutes ensembles Mme A. Je retire son aiguille de Hubert, sa SNG, aidée de ma collègue., Je me surprends à m’assurer que l’image renvoyée par son corps sans vie soit le plus apaisé, le plus « réassurant » possible. J’installe une chaise auprès de son lit, lisse les plis du drap, réinstalle la tête de la patiente… Comme pour m’aider à croiser le regard de sa fille en lui indiquant son retour en chambre possible. Pendant ce temps, l’annonce du décès est faite par la réanimatrice en salle des familles.

« Oncologie / cancérologie » :

Le dictionnaire Larousse définit la cancérologie comme « la spécialité médicale qui se consacre à l’étude et au traitement des cancers ». Quant à la 9ème édition du Dictionnaire de l’Académie Française, elle le désigne comme un « terme générique désignant une tumeur maligne constituée de cellules proliférant anormalement, qui peuvent envahir les tissus voisins et donner lieu, à distance, à des métastases. (…), le terme de cancer est couramment appliqué à toutes les variétés de tumeurs malignes. Fig. Mal insidieux susceptible de se généraliser ». Ce terme est emprunté du latin cancer, « cancri », traduction du grec karkinos, « écrevisse ».

Selon le manuel des soins palliatifs, « [cette] spécialité a été créée pour comprendre le cancer, pour s’opposer à lui, et l’éradiquer (…) elle se définit comme une spécialité “de lutte contre le cancer“ » . L’identité dite « curative » (combative ?) de cette spécialité, s’explique également par l’ampleur des chiffres : en effet, en 2018 près de 160 000 personnes décédaient du cancer en France  . De ce fait, cette pathologie et sa spécialité font l’objet depuis plusieurs décennies d’un intense travail de construction sociale qui concerne à la fois sa nature, mais aussi ses traitements, son vécu ou encore les manières de s’en protéger.

« Obstination déraisonnable » : 

La notion d’obstination déraisonnable a été introduite par la loi du 22 avril 2005. Cette dernière fût érigée en critère pour justifier d’un arrêt de traitement ou de ne pas en entreprendre un. Elle se substitue à celle d’acharnement thérapeutique . Cette notion fait d’ailleurs écho au principe éthique de « non-malfaisance » ; il fait obligation de ne pas infliger de mal à autrui. Il consiste donc à épargner au patient des souffrances et/ou préjudices indus, non nécessaires et non porteurs de sens car non annonciateurs d’un futur mieux-être. C’est ce principe qui est invoqué lorsqu’il s’agit de mettre un terme à une prise en charge devenue inutile et disproportionnée dont le patient ne tire plus aucun bénéfice, constituant alors une situation d’obstination déraisonnable. Ainsi, une volonté de bienfaisance exercée sans discernement et sans prudence, c’est-à-dire en oubliant sa finalité, risque de produire son lot de malfaisance.

« Engagement thérapeutique, dit « statut » dans le service

Comme abordé plus haut, c’est théoriquement au nom du même principe de non-malfaisance que l’évaluation du ratio bénéfice / risque est devenu le préalable de toute prise de décision médicale. Pour illustrer la notion d’engagement thérapeutique, explorons la place de cette dernière en réanimation de terrain. La « médecine intensive et réanimation » est une discipline dont l’objectif premier est de faire survivre des patients en situation critique. Ces malades présentent, de façon aiguë et souvent brutale, des défaillances vitales qui les conduiraient inéluctablement au décès, faute de traitement de suppléance ; il s’agit alors d’éviter la mort. La décision du réanimateur est parfois délocalisée hors de son unité, en service conventionnel ou aux urgences. Elle reposera soit sur les souhaits du patient, soit sur l’analyse de la solution la plus respectueuse de sa personne, alimentée par la collégialité réglementaire. Il est fréquent que la décision de limitation soit prise dès l’admission en médecine intensive. « Dans bon nombre de cas, le projet thérapeutique aurait pu être précisé avant la situation critique amenant le malade en réanimation, dans une planification anticipée des soins de maladies chroniques ou par la rédaction de directives anticipées »  . Difficile donc de définir un concept encore peu mobilisé dans les prises en charges de terrain. En revanche, quand l’action porte premièrement sur la voie à suivre et la chose à faire, la seconde porte sur la justification. La question de l’engagement thérapeutique pourrait d’ailleurs être: comment peut-on justifier qu’une option puisse prévaloir sur les autres ? Son but n’est-il pas de permettre à toutes les personnes concernées d’approfondir leurs réflexions respectives et de favoriser ainsi l’évolution des positions en présence, afin qu’elles convergent sur une décision qui sera reconnue collectivement comme la meilleure ou la moins mauvaise vu les circonstances ?

« Représentation »

Sur le site de ressource en ligne CNRTL (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales) on retrouve plusieurs notions intéressantes pour illustrer ce terme. En psychologie analytique, le terme de représentation indique que « [L’enfant] s’est d’abord imité lui-même, parce que cela était plus facile, parce que cette conduite était facilitée par l’automatisme de certaines stéréotypies gestuelles (…). Maintenant il va aussi imiter les autres, et c’est un monde nouveau qui s’ouvre, le monde de la représentation, le monde de l’acteur.». Autre notion citée ; la communication de la pensée par la parole exige que celle-ci soit une sorte de « tableau », « d’imitation », de la pensée. Quand (…) [certains grammairiens] disent que la langue a pour fonction la représentation de la pensée, ce mot doit donc être pris dans son sens le plus fort. Il ne s’agit pas seulement de dire que la parole est signe, mais qu’elle est miroir, qu’elle comporte une analogie interne avec le contenu qu’elle véhicule ». La représentation semble ainsi être la capacité de perception que possède un individu à appréhender, ressentir les choses, selon ses propres codes. Elle semble constituer l’individu dès l’enfance. Ce sont par exemple ses enseignements, ce qu’elle en a retenu, son vécu, ses expériences heureuses ou non, son imprégnation en quelque sorte. C’est ce qui fait sens en lui, mais aussi son unicité et sa singularité. La représentation individuelle rend-elle par essence la perception collective clivante ? Est-ce ce constitutif de la problématique retrouvée chez Mme A ? Pourtant, on peut imaginer que les représentations individuelles se mêlent aux individus évoluant ensemble au sein d’un groupe. Ainsi, l’individu apporte son lot d’expérience à la collectivité.

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Table des matières

INTRODUCTION
I. SITUATION CLINIQUE
II. ANALYSE DE LA SITUATION
a. Problèmes généraux posés par la situation, identification de la problématique
1) Définitions des mots clés
i. « Oncologie / cancérologie »
ii. « Engagement thérapeutique »
iii. « Obstination déraisonnable »
iv. « Représentation »
2) Recherche documentaire
a. Contexte thérapeutique en oncologie
b. Vocabulaire combatif, vision dualiste ?
c. Quels sont les enjeux en situation d’urgence vitale chez un patient atteint de cancer ? Quels biais pour les acteurs de soins ?
3) Questionnaire pluriprofessionnel et anonyme réalisé au sein du service
III. SYNTHESE
CONCLUSION
• BIBLIOGRAPHIE
• ANNEXES

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