INFLUENCES D’UNE INDUSTRIE 

INFLUENCES D’UNE INDUSTRIE 

RÉFLEXIONS :

L’homme qui voulait savoir :

Nous aimerions proposer une anecdote qui illustre bien notre propos. En 1990, nous étions quelques amis à regarder ensemble le film néerlandais Spoorloos, en français L’homme qui voulait savoir, de George Sluizer (1988). Signe des temps, nous regardions le film sur un magnétoscope. Brève description du film : Saskia et Rex, jeune couple en vacances en France, s’arrêtent à une stationservice. La jeune femme va chercher des rafraîchissements. Elle ne reviendra jamais. Rex passera désespérément les trois années suivantes à sa recherche.

Raymond a une femme et deux filles. Il mène une vie bourgeoise qui semble normale en tout point. Mais c’est lui qui a enlevé Saskia. Fasciné par la détermination de Rex, il l’observe. Trois ans vont passer. Un jour, Raymond écrit à Rex, le rencontre et propose de lui apprendre ce qui s’est passé. Pour ce faire, Rex doit boire une tasse de café. Rex demande alors à Raymond si le café est empoisonné. Le silence de Raymond est éloquent : il ne fait aucun doute que le café est empoisonné. Pour avancer dans l’histoire, Rex n’a qu’un choix : boire le café.

C’est à ce moment du film qu’un de nos amis décide d’interrompre le film. Considérons cette intervention comme une interaction. Une interactivité simple sur la temporalité du film, sur la narration. Puis l’ami nous pose une question : que ferions-nous à la place de Rex? Nous avons tous à peu près répondu la même chose : nous ne boirions pas le café puisque nous le savons empoisonné. Une réponse logique et sensée. Puis un autre de nos amis a demandé : que fera Rex? Est-il prêt à boire le café? A-t-il le profil psychologique nécessaire pour faire ce geste? Est-ce que le film (le réalisateur, le scénariste, l’auteur) a bien campé le personnage pour qu’il agisse ainsi ? Allons-nous y croire? Allons-nous accepter ce geste qui est, au regard de notre première réponse, une aberration pour nous?

Cette pause durant le film a donc forcé une réflexion sur le film, nous amenant à nous poser des questions sur notre perception, notre compréhension et notre interprétation de plusieurs scènes, mais surtout du personnage. Et nous n’aurions jamais fait cet exercice de déconstruction sans cette forme minimale d’interactivité : la possibilité de suspendre le récit en forme de question. Transposée dans le contexte interactif du jeu vidéo, notre première réponse est celle du joueur qui applique sa logique à la diégèse proposée, la deuxième est celle du protagoniste, l’avatar. C’est cet espace, cette différence entre l’un et l’autre qui nous intrigue et que nous nous proposons d’explorer.

L’avatar comme point de départ :

avatar comme point de départ
L’avatar se veut le porte-parole du joueur dans le jeu, son héraut. C’est le portail par lequel le joueur s’insère dans le continuum narratif du jeu et l’influence. À travers son avatar, le joueur s’exprime dans l’œuvre — c’est à tout le moins le but recherché par le créateur de jeux vidéo. À cause de la relation inédite joueur|avatar -^histoire, le joueur occupe un espace nouveau dans le contexte de l’œuvre. Un espace ambigu, à définir dans le contexte actuel de l’interactivité et de la narrativité. Portée par un vecteur technologique possiblement sans précédent, la relation joueur|avatar diffère de la relation empathique classique entre le personnage principal et le destinataire puisque l’avatar, et par extension le joueur vont influencer le déroulement de l’histoire. Et cette proposition met l’auteur en porte-à-faux avec à sa propre création. Dans le cas de Spoorloos, que faudrait-il proposer au joueur pour qu’il arrive à la conclusion que son doppelgànger doit boire la tasse de café? Quelles conditions semblent les plus intéressantes, d’un point de vue narratif? D’un point de vue interactif? Mais surtout, du point de vue de l’élusive  jouabilité? Que faut-il proposer au joueur — et que pouvons-nous attendre de ce joueur? Est-ce que cette situation dramatique est aussi intéressante dans un média interactif que dans le film? La réinterprétation de cette question dans un nouveau contexte est-elle pertinente? Qu’avons-nous à gagner à suivre cette piste? En 1962, SpaceWar (1962), possiblement le premier jeu vidéo, voit le jour. La même année, à une question posée en 1958, Umberto Eco (1965) aborde le thème de l’œuvre ouverte. Eco propose dans son essai que « l’œuvre d’art est d’un côté un objet dont on peut retrouver la forme originale, tel qu’elle a été conçue par l’auteur » -p. 17. Si le créateur ouvre la porte à l’avatar, le jeu vidéo est-il résolument une œuvre ouverte ?

Positionnement du créateur, du destinataire et du média dans un contexte interactif:

II y a une distance entre l’écrivain et le lecteur, entre le réalisateur et le spectateur, entre tout créateur et son auditoire. Cette distance peut être sociale, culturelle, économique, physique, temporelle, etc. Ainsi,quatre cents ans séparent les lecteurs actuels du Don Quichotte de son auteur, Cervantes. Plusieurs milliers de kilomètres et un fossé culturel séparent le mangaka et ses lecteurs belges, reconvertis de Tintin à Death Note. Le sens de la lecture, la traduction, les symboles graphiques, etc. viennent interférer entre le mangaka et le bédéphile. Cet espace entre le créateur et le consommateur est rempli d’une matière noire, une substance hypothétique qui remplit l’univers, qu’Umberto Eco (1985:95) définit comme l’encyclopédie, n’est pas une constante, mais une variable dans l’équation.

Nous pouvons aisément concevoir que cette distance n’est ni immuable ni fixe. Le lecteur a toujours la possibilité d’apprendre le japonais et de s’imprégner de la culture nippone, peut-être de vivre quelques semaines ou quelques mois au Japon pour réduire l’écart et ainsi mieux appréhender l’œuvre. Le créateur peut ne vouloir créer une œuvre que pour l’initié. L’initié pourra apprécier une œuvre offrant un défi à son érudition, l’investissement de l’un et de l’autre comblant ainsi la distance.

Certains éléments peuvent être ajustés pour réduire cette distance : le destinataire peut être éduqué, préparé, voire manipulé à recevoir l’œuvre. Une campagne de marketing, par exemple, peut préparer le terrain pour le nouvel opus d’un auteur. Par le style de l’auteur, son approche, sa manière, cet écart, à l’inverse, peut être figé. Romain Gary, voulant altérer ce lien intrinsèque, s’était créé un alter ego : Emile Ajar. Bernard Perron (2007a:24), pour le cinéma de genre, présente ainsi la situation « Avant même qu’ils soient assis dans la salle de cinéma, des intermédiaires culturels (bandes annonces, publicités, promotion et les critiques de film) vont permettre aux destinataires d’inférer l’histoire. » [je traduis]. Cette distance peut être ajustée aussi a posteriori de l’acte de création. Par exemple, au théâtre, en fait pour tous les arts de la scène, le metteur en scène pourra adapter l’œuvre à l’époque actuelle, transposer Vérone et les conflits familiaux de Roméo et Juliette dans le contexte urbain des guerres de gangs de rue, ajoutant à l’œuvre et modifiant cette relation entre Shakespeare et le spectateur. L’acteur peut encore ajuster l’espace relationnel en adaptant son jeu au public, d’une manière globale, mais aussi, d’une manière spécifique, soir après soir en fonction de la réaction du public qui peut applaudir, chahuter, huer ou simplement ne pas être convaincu.

Cette chaîne de transformation de l’œuvre est à retenir: l’œuvre voyage, se transmute, se modifie constamment avant d’être, comme le dit Umberto Eco (1965), consommée par son destinataire. Lancée sur cette distance entre un créateur et son auditoire, nous retrouvons l’œuvre, transformée par le média. Ce média transporte l’idée du créateur vers le destinataire, porte l’œuvre, établit un pont entre l’un et l’autre, et définit largement l’expérience. Le média impose des règles, certains codes sont entendus, certains signes sont attendus. Ainsi chaque média a ses propres contraintes et limitations techniques, son histoire, une portée sociale, définit une forme spécifique de narrativité et ainsi de suite. Jay Bolter et Richard Grusin (1999:65) proposent une définition simple du média : un média est ce qui transforme (remediates).

L’arrivée des jeux vidéo, mais surtout l’arrivée de l’hyperfiction, ajoute une composante à l’équation : l’interaction, une relation bidirectionnelle : le destinataire doit maintenant réagir à l’œuvre ; il doit répondre à des questions, des demandes du créateur – le créateur peut donc, par ces mécaniques établir une réciprocité avec le destinataire.

Le conflit entre l’auteur et le joueur, entre la narrativité et l’interactivité:

Le joueur est invité à participer, à interagir à un niveau ludique/compétitif et à un niveau narratif. Dans le cadre du jeu ou du jeu vidéo, nous donnons au joueur des instructions très précises. Un sous-ensemble de ces instructions donne au joueur les paramètres nécessaires pour compléter le jeu, un second sousensemble de ces règles détermine les paramètres pour gagner. Un ensemble supplémentaire d’instructions, sans être complémentaire aux premières, mais pouvant y être greffé, définit comment le jeu s’intègre dans une fiction.

La majorité des jeux classiques, non vidéo, donne un contexte narratif global: les pièces du jeu d’échecs proposent un monde médiéval, le jeu de Monopoly, une ère industrielle et ainsi de suite. Le contexte se veut narratif et s’ancre dans une fiction. Le jeu Bataille navale, par sa simplicité, n’a aucun besoin de la fiction pour être joué ou compris, mais la fiction, l’enrobage narratif, aide à donner une prise au jeu dans notre imaginaire. Nous donnons un contexte narratif, mais l’histoire n’a pas besoin de se développer dramatiquement. La reine du jeu d’échecs ne trahira pas le roi des blancs par amour du cavalier en B1. Une fois le contexte donné, le joueur peut simplement le sublimer .

Le jeu vidéo propose une relation souvent similaire à celle du jeu traditionnel. Par exemple, toujours dans le jeu Bioshock, il sera expliqué au joueur qu’il peut recueillir des magnétophones personnels laissés en arrière par les différents personnages du jeu. Le jeu peut facilement être terminé sans avoir collecté l’ensemble des magnétophones, l’aspect narratif du jeu ne devant, idéalement, jamais empiéter sur son aspect ludique. Nous y reviendrons plus loin. Dans Bioshock, ce sont des magnétophones, dans Amnesia, the Dark Descent (Grip, Nilsson et Hedberg, 2010), les pages d’un journal personnel, etc. Nous cacherons quelques fois un code secret, une information nécessaire pour faire avancer le jeu et valoriser l’artifice, mais cette information sera facilement accessible, à un moment opportun, sans conséquence sur le déroulement du jeu. Ces artifices narratifs, la scénographie des niveaux et les cinématiques sont les outils narratifs disponibles pour guider le joueur à travers l’histoire, faire avancer la trame dramatique.

Nous proposons donc au joueur deux ensembles distincts de règles: l’un régissant l’interaction, l’autre la narrativité. Comme le jeu ne peut être complété que par l’application des premières, le créateur du jeu aura tendance à favoriser celles-ci et aura tendance à négliger la narrativité. Il en ira de même pour le joueur qui veut compléter le jeu et voir la fin l’histoire. Le jeu est considéré comme complété lorsque le joueur a gagné et non pas lorsque l’histoire est terminée. Les deux coïncident uniquement par un artifice : comme le jeu est complété, le système amorce la cinématique finale, basée sur un ensemble de règles prédéterminées basées sur des éléments de la performance du joueur et de ses choix .

Jasper Juul (2005) fait ressortir le prix que la créativité paie à l’interactivité : abandonner au joueur le contrôle de certains paramètres de l’histoire, sinon d’éléments complets de celle-ci. Plus l’interactivité est complète, plus l’abandon du contrôle est total, moins la proposition originale du créateur transparaîtra. Le jeu vidéo parfait serait l’équivalent d’un éditeur de texte: le joueur pourra imaginer sans fin son univers sans contraintes aucunes. L’exemple de l’holodeck de Star Trek, repris par Janet Murray (1997), est l’exemple parfait de ce problème : l’holodeck est un environnement ludique futuriste qui propose une immersion totale et une interactivité complète, mais les programmes proposés, les jeux, sont toujours à la merci de l’utilisateur. Le modèle de l’holodeck, modèle préconisé par Janet Murray, passe par une interaction totale — sans considération pour l’histoire. Le modèle narratif est alors clairement asservi à l’interactivité.

Aujourd’hui, cet équilibre est perdu par l’utilisation de cinématiques, où la narration du récit n’est pas intégrée au ludisme de l’œuvre : nous enlevons le contrôle au joueur, pour lui conter une partie essentielle du récit en revenant à une approche cinématographique. La balance entre la narrativité et l’interactivité – que nous avons définie en introduction comme la jouabilité — penche presque toujours vers l’interactivité — nous verrons plus loin les raisons possibles de cette tendance, mais ce modèle est celui qui prédomine actuellement. Cette approche propose une relation entre le joueur et le jeu, où l’avatar semble principalement devoir simplement fournir au joueur un espace physique, un «placeholder ». L’extrapolation de ce résultat peut être entrevue, toujours dans l’exemple de l’holodeck de Janet Murray où le joueur sera totalement immergé dans le jeu et n’aura plus besoin d’un avatar. Les prémisses de ce continuum commencent dès aujourd’hui avec des technologies comme la Kinect de Microsoft, la captation de nos mouvements et l’utilisation d’un avatar que nous avons adapté et qui nous représente.

Types d’émotion que le jeu vidéo peut susciter:

Nous voulons d’emblé émettre l’hypothèse que le jeu vidéo peut générer un éventail d’émotions similaire à celui qu’engendrent les médias classiques tels que le cinéma, la littérature, le théâtre, sinon dès aujourd’hui, certainement dans un futur rapproché. Il est vrai que le jeu vidéo peut certainement faire peur, créer chez le joueur un sentiment d’euphorie dans la réussite, de frustration dans l’échec; toutefois, le jeu vidéo n’a pas encore prouvé qu’il pouvait générer des émotions complexes telles que le ressentiment, la culpabilité, la jalousie, etc.

CONCLUSION:

Le jeu vidéo, et par extension, les médias interactifs, commencent à peine à explorer la complémentarité de la narration et de l’interaction. Et ces balbutiements tendent à prouver que leur potentiel conjugué semble sans limites. Janet Murray (1997), propose Vholodeck de Star Trek comme le parangon de cette combinaison. Elle met en exergue le conflit intérieur du capitaine Kathryn Janeway face à sa relation avec le personnage de lord Burleigh et dépeint ce conflit comme l’exemple parfait d’un mariage entre la narration et l’interactivité .

 

 

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Table des matières

INTRODUCTION 
CHAPITRE 1  RÉFLEXIONS 
1.0 L’homme qui voulait savoir
1.1 L’avatar comme point de départ
1.2 Positionnement du créateur, du destinataire et du média dans un contexte interactif.
1.3 Le conflit entre l ‘ auteur et le j oueur, entre la narrativité et l ‘ interactivité
1.4 Types d’émotion que le jeu vidéo peut susciter
1.5 Fondations d’une expérience
CHAPITRE 2  INFLUENCES D’UNE INDUSTRIE 
2.0 Le second âge d’or du jeu vidéo
2.1 Le «jeu »dans le jeu vidéo
2.2 Équilibre entre la narrativité et l’interactivité
2.2.1 Narrativité, environnement narratif
2.2.1.1 Avancement audio-visuel
2.2.2 L’interactivité
2.2.3 Jouabilité
2.3 Le joueur
2.4 Le joueur versus le non-joueur
2.5 Conclusion du positionnement
CHAPITRE 3  CRÉATION ET PRODUCTION 
3.0 Choix finaux de design et motivations
3.1 Public cible,persona
3.2 L’histoire et le moment narratif
3.3 Contraintes et limitations
3.4 Choix rejetés
3.5 La bible : conception et développement
3.5.1 Traitement narratif.
3.5.2 Traitement visuel
3.5.3 Développement des personnages
3.5.4 Développement des environnements
3.5.4.1 Montréal comme toile de fond
3.5.4.2 L’espace de l’interacteur
3.5.5 Principales mécaniques de jeu
3.5.5.1 Le contrôle du joueur
3.5.5.2 Environnement physique du niveau
3.5.5.3 Intelligence artificielle
3.5.6 Interface et navigation
3.5.7 Sauvegarde
3.5.8 Une production qui n’en est pas une
CONCLUSION

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