Influence du vieillissement statique sur la transition ductile-fragile des aciers au C-Mn

Vieillissement statique et bandes de Lüders

Depuis les premières observations d’instabilités plastiques découvertes en 1842 par Piobert [Piobert, 1842] puis en 1860 par Lüders [Lüders, 1860], le vieillissement par la déformation des métaux et des alliages est un sujet de recherche mêlant métallurgie physique et mécanique des milieux continus. De nombreuses études ont été effectuées sur ce sujet en cherchant à comprendre les mécanismes du phénomène et ses conséquences mécaniques sur les matériaux. Étant donné la complexité de ce phénomène et la documentation considérable le concernant, cette étude bibliographique a pour objectif de présenter les éléments fondamentaux du phénomène de vieillissement sous déformation des métaux et des alliages d’une manière synthétique.
La déformation plastique des solides cristallins a été très tôt reconnue comme hétérogène. Elle se produit généralement par formation et croissance de bandes de glissement. La distribution statistique des divers systèmes de glissement possibles, leur déclenchement erratique dans un même cristal, et l’orientation au hasard des nombreux grains du corps d’une éprouvette, font que la déformation macroscopique observée reste généralement homogène lors d’un essai de traction sur éprouvette lisse. Cependant, il existe des matériaux dans lesquels la déformation plastique apparaît hétérogène [Piobert, 1842, Lüders, 1860, Le Chatelier, 1909, Portevin and Le Chatelier, 1923] à l’échelle macroscopique. Les courbes de traction présentent des instabilités telles que des décrochements répétés et toute la vitesse de déformation semble confinée, à un instant donné, dans une bande de matière de quelques millimètres de largeur au plus, inclinée à 50◦ ou 60◦ par rapport à l’axe de sollicitation et se déplaçant le long du fût de l’éprouvette quand la déformation se poursuit. Ces phénomènes sont liés au vieillissement par la déformation [Cottrell, 1953, Baird, 1963].

Mécanismes et modèles de rupture

Deux types de rupture sont caractéristiques de l’acier de l’étude : la rupture ductile aux températures élevées (supérieures à la température de transition ductile-fragile) et le clivage aux températures basses (inférieures à la température de transition ductile-fragile).
Dans le domaine de transition ductile-fragile, les deux types de rupture peuvent coexister, et les cupules ductiles ainsi que les facettes de clivage se trouvent souvent sur la surface de rupture. Le clivage est le mode fragile de rupture, impliquant de faibles valeurs de ténacité et/ou résilience, avec très peu de déformation plastique. Cela peut être vrai à l’échelle macroscopique, mais pas nécessairement à l’échelle microscopique ; pour déclencher le clivage, la déformation plastique doit être localement présente.

Rupture fragile

Mécanisme :Ce mode de rupture intervient aux basses températures. Les surfaces de rupture sont relativement planes et correspondent très généralement à des plans cristallographiques du type {100} pour le cas des aciers ferritiques (structures cubiques centrées). La contrainte théorique de séparation des plans atomiques n’est jamais globalement atteinte, mais elle peut le devenir localement grâce à un phénomène essentiellement lié à la présence d’une zone de déformation plastique en pointe de fissure. Les conditions de propagation d’un défaut pré existant sont évaluées en fonction du critère de Griffith. La rupture ultime par clivage est due à la séparation des plans cristallins par rupture des liaisons interatomiques.

Transition ductile–fragile

Les aciers ferritiques présentent une zone de transition ductile–fragile : lorsque l’on parcourt le domaine de température, des basses températures vers les températures plus élevées, il existe un domaine appelé domaine ductile–fragile, où la rupture par clivage est précédée par des fortes déformations plastiques puis par l’amorçage et la propagation d’une déchirure ductile. Ce domaine est généralement caractérisé par une dispersion importante des énergies à rupture.
Le domaine de la transition ductile–fragile peut être décomposé en deux parties. La première correspond au déclenchement du clivage après peu ou pas de déchirure ductile.
Pour la seconde, le clivage se déclenche après propagation de la déchirure. Celle-ci se produit sur l’ensemble de l’éprouvette lorsque la température du plateau ductile est atteinte. [Houssin et al., 1980] ont étudié un acier de cuve de réacteur nucléaire dans le domaine de la transition. Ils ont montré que lorsque l’on écrouit le matériau de 5%, on décale la courbe de la transition ductile-fragile vers les plus hautes températures. Si le matériau préalablement écroui subit un vieillissement thermique pendant 30 min à 250 ◦C , un décalage supplémentaire de la température de transition est noté.

Modélisation du comportement en présence de vieillissement sous déformation

Depuis environ trente ans, des efforts sont fournis pour proposer des modèles représentant les mécanismes physiques du vieillissement, capables de décrire les phénomènes, comme les instabilités de Piobert-Lüders. Pour cela il est important de bien définir les interactions des solutés avec les dislocations. Dans ce domaine, deux types de lois de comportement se distinguent : à base physique et phénoménologique.

Lois de comportement à base physique

Des lois d’évolution ont été proposées afin de représenter plus en détail les mécanismes physiques du vieillissement, qu’il soit statique (Lüders) ou dynamique (PLC). Cela nécessite la description correcte de l’interaction des solutés avec les dislocations. Il s’agit principalement de descriptions unidimensionnelles des contraintes engendrées par le phénomène de vieillissement. Le plus ancien modèle, celui de [Cottrell, 1953], ensuite rapporté par [Friedel, 1964], suppose que les solutés mobiles interagissent par diffusion en volume à l’aide des lacunes avec les dislocations. Les dislocations se déplacent alors en traînant des nuages de Cottrell formés par les solutés. Le modèle permet de prévoir d’une manière qualitative la dépendance du déclenchement des instabilités de déformation plastique (« serrated yielding ») à la température et à la vitesse de déformation. Néanmoins, le modèle semble peu réaliste car le mouvement des dislocations est nécessairement discontinu du fait de la présence d’obstacles tels que les «dislocations de la forêt», c’est-à-dire les dislocations générées par des sollicitations antérieures mais non sollicitées ensuite. Des difficultés sont également présentes sur la prédiction de la déformation critique à laquelle les instabilités de déformation plastique apparaissent sur la courbe de traction.
Compte-tenu des limites évoquées du modèle de [Cottrell, 1953], de nouveaux modèles ont été proposés par [Van den Beukel, 1975, Van den Beukel and Kocks, 1982, Estrin and Kubin, 1989] afin de mieux représenter les phénomènes de vieillissement. Ils supposent tous un mouvement des dislocations discontinu avec un temps d’attente tw devant les obstacles avant de les surmonter. Le temps de vol entre les obstacles est négligeable.
La diffusion des solutés vers les dislocations pendant le temps d’attente des dislocations tw augmente la résistance des obstacles. Ainsi, le désancrage des dislocations nécessite une augmentation de la charge. Ce désancrage « brutal » entraîne la localisation de la déformation en bandes de Lüders (ou PLC).

Lois de comportement phénoménologique

Loi locale adoucissante :[Tsukahara and Iung, 1998, Aguirre et al., 2004] ont montré qu’il est possible de simuler le vieillissement statique à l’aide d’une loi de comportement phénoménologique. Ce modèle est capable de reproduire le palier de Lüders et la surcontrainte qui le précède observés lors des essais de traction. La loi de comportement élastoplastique proposée repose sur la notion de limité d’élasticité haute et basse. Un pic traduit par un adoucissement local est introduit dans la loi d’écrouissage entre la limite d’élasticité basse (σY l) et la limite d’élasticité haute (σY u) qui représente l’ancrage des dislocations. Puis, cet adoucissement rejoint la courbe d’écrouissage durcissant classique. L’adoucissement ainsi introduit provoque la localisation de la déformation sous forme de bandes de Lüders. L’avantage de cette loi de comportement est sa facilité d’utilisation dans les codes de calcul par éléments finis (description point par point ou par une fonction multilinéaire). Les simulations d’un essai de traction uniaxiale permettent ainsi d’observer le passage de bandes de Lüders au travers de l’éprouvette ainsi que le plateau sur la courbe force/déplacement. Les morphologies de bandes observées et les formes de paliers de Lüders obtenus sur la courbe simulée contrainte– déformation sont en bon accord avec l’expérience. Cependant il n’est pas possible de simuler un essai de type traction–vieillissement–traction comme observé expérimentalement.

Présentation de l’acier A42

L’acier étudié est un acier au carbone-manganèse non allié utilisé dans les circuits secondaires des centrales nucléaires à eau pressurisée. On le retrouve principalement dans le circuit d’alimentation en eau des générateurs de vapeur (circuit ARE) et dans l’alimentation de secours des GV (circuit ASG). Ces tubes sont soumis, en conditions de fonctionnement, à une pression de l’ordre de 70 à 80 bars et à des températures légèrement supérieures à 0 ◦C jusqu’à à 280◦C . L’acier A42 utilisé ici provient d’une tôle d’épaisseur 40 mm (dimensions initiales 2000×1000 mm). La tôle porte le repère magasin T160 dans le cadre du [PEX 1721/A1, 2010]. Ces aciers sont divisés en deux sous catégories avec la désignation A42 pour les tôles et TU42 pour les tubes sans soudure. Ils sont mis en forme par laminage à chaud. Les aciers au carbone–manganèse sont des aciers d’usage général. Ce sont des aciers hypo-eutectoïde constitués essentiellement de fer, dont la dureté à l’état pur est faible, contenant des éléments durcissants en solution solide d’insertion ou de substitution. Au-delà d’une certaine quantité de ces éléments, de nouvelles phases sont créées par précipitation.
La désignation de l’acier étudié est A42 selon la norme NF EN 10-216 et n’a pas d’équivalence selon la norme ASTM mais la norme approchante est A106GrB. Ces types d’aciers non alliés sont généralement utilisés en chaudronnerie pour les tuyauteries et choisis pour leur bonne soudabilité.

Composition chimique

L’acier A42 a fait l’objet d’une caractérisation chimique dans le [PEX 1695/A0, 2009]. L’acier A42 est très proche de l’acier TU48C étudié dans les thèses de [Belotteau, 2009, Wang, 2011] mais en comparaison à ce dernier, l’acier TU42C présente des teneurs en carbone et manganèse différentes ainsi que des propriétés mécaniques en-dessous de l’acier TU48C. L’acier A42 est un acier semi-calmé au silicium qui contient très peu d’aluminium pouvant former des nitrures d’aluminium (AlN). Aussi, de l’azote libre subsiste dans le réseau cristallin, rendant cet acier sensible au phénomène de vieillissement sous déformation. En effet, dans les aciers au C–Mn, les éléments interstitiels qui participent aux phénomènes de vieillissement sont les atomes de carbone et d’azote. La présence du carbone dans les aciers est liée au mode d’élaboration (affinage de la fonte) et à son caractère durcissant. Lors d’un refroidissement relativement lent, une partie de l’austénite se transforme en ferrite, puis au passage de la température de transformation eutectoïde, le reste de l’austénite se transforme en perlite.
Le reste du carbone précipite principalement dans ces aciers sous forme de cémentite (Fe3C) en général sous forme de perlite. Le taux de perlite dépend de la teneur en carbone. L’autre élément qui peut être présent en solution solide d’insertion est l’azote qui reste présent quel que soit le procédé d’élaboration. Le taux d’azote en insertion dépend de la vitesse de refroidissement (et des traitements thermiques ultérieurs : revenu, traitement thermique de détensionnement,…) et surtout de la teneur en aluminium de l’acier.

Microstructure

La microstructure de l’acier A42 est formée de ferrite et de perlite. Des micrographies sur le matériau ont permis de mettre en évidence cette microstructure. Des observations ont été réalisées dans les 3 directions : sens long (L), sens travers (T), sens normal au plan de la tôle (S). La structure se présente sous forme de «couches» alternées de ferrite et de perlite issues du procédé de mise en forme par laminage. La périodicité des bandes est relativement constante à coeur avec un affinement concomitant du grain ferritique au voisinage des peaux. Le grain ferritique apparaît équiaxe dans les deux plans LS et TS. La structure apparaît relativement homogène dans l’épaisseur de la tôle sans anomalie particulière. L’attaque révèle une taille de grains relativement homogène de 22 à 31 µm, évaluée selon la norme ISO643 [AFNOR, 2003]. Les inclusions observées sur coupes brutes de polissage, se présentent sous forme d’alignements de type «sulfures» étirés dans le sens de laminage. Ils sont largement présents à mi épaisseur de tôle, graduellement un peu moins aux quarts-épaisseurs et quasi absents au voisinage des peaux.

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Table des matières

1 Introduction 
2 Étude bibliographique 
2.1 Vieillissement statique et bandes de Lüders 
2.1.1 Introduction
2.1.2 Observations à l’échelle macroscopique
2.1.3 Problème de la limite d’élasticité
2.1.4 Origine et mécanismes physiques
2.1.5 Aspect polycristallin et front de bande
2.1.6 Mesures de champs
2.1.7 Influence de différents paramètres
2.2 Mécanismes et modèles de rupture 
2.2.1 Rupture fragile
2.2.2 Transition ductile–fragile
2.2.3 L’essai Charpy
2.2.4 Simulation de l’essai Charpy
2.2.5 Relation résilience–ténacité
2.2.6 Résumé
2.3 Modélisation du comportement 
2.3.1 Lois de comportement à base physique
2.3.2 Lois de comportement phénoménologique
2.4 Conclusion 
3 Comportement mécanique : étude expérimentale 
3.1 Présentation de l’acier A42 
3.1.1 Composition chimique
3.1.2 Microstructure
3.2 Caractérisation du comportement de l’acier A42 
3.2.1 Procédure expérimentale
3.2.2 Comportement en traction quasi-statique
3.2.3 Influence de la méthode de mesure de la déformation lors des essais de traction
3.2.4 Analyse des résultats
3.3 Effet du trajet de chargement 
3.3.1 Procédure expérimentale
3.3.2 Résultats des essais de « traction/compression »
3.3.3 Analyse des résultats
3.4 Mesures de champs 
3.4.1 Procédure expérimentale
3.4.2 Observation et propagation des bandes de Lüders
3.5 Étude d’essais de « désancrage » 
3.5.1 Procédure expérimentale
3.5.2 Résultats des essais de fatigue et de traction associés
3.5.3 Analyse des résultats
3.6 Conclusion 
4 Modélisation du comportement mécanique et identification 
4.1 Analyse mécanique d’une bande de Lüders 
4.1.1 État de contrainte
4.1.2 État de déformation
4.2 Étude au dépendance de maillage 
4.2.1 Loi de comportement
4.2.2 Résultats numériques : dépendance au maillage
4.2.3 Conclusion
4.3 Modèle de microplasticité à gradient de déformation 
4.3.1 Motivation
4.3.2 Théorie
4.3.3 Étude numérique
4.3.4 Régularisation : résultats
4.4 Identification des paramètres matériau du modèle de vieillissement statique 
4.4.1 Présentation du modèle
4.4.2 Méthodes d’intégration et de résolution
4.4.3 Procédure d’identification sur un point matériel
4.4.4 Validation sur des simulations par éléments finis 2D
4.4.5 Validation sur éprouvettes 3D
4.5 Conclusion 
5 Comportement à rupture : étude expérimentale 
5.1 Essais de résilience Charpy 
5.1.1 Procédure expérimentale
5.1.2 Matrice d’essais
5.1.3 Pré-écrouissage des éprouvettes Charpy
5.1.4 Résultats des essais de résilience
5.2 Courbes de transition ductile–fragile 
5.2.1 Traçage des courbes de résilience Charpy
5.2.2 Courbe de transition ductile–fragile à l’état ER
5.3 Comparaison des 3 conditions matériau 
5.3.1 Courbe de transition ductile–fragile, « cristallinité »
5.3.2 Courbe charge–déplacement
5.4 Étude à une température de dispersion à -20◦C 
5.5 Observations fractographiques
5.5.1 Aspect macroscopique
5.5.2 Aspect microscopique
5.6 Conclusion 
6 Modélisation et prévision de la rupture fragile et courbe de transition 
6.1 Simulation numérique de l’essai Charpy 
6.1.1 Présentation des maillages utilisés
6.1.2 Conditions aux limites
6.1.3 Étude de convergence
6.1.4 Formulations et types d’éléments
6.2 Application du modèle de rupture fragile 
6.2.1 Rappels sur le modèle de Beremin
6.2.2 Démarche globale
6.2.3 Identification du modèle de Beremin
6.2.4 Résultats courbe de transition basse pour le matériau ER
6.3 Prévision pour les autres conditions du matériau 
6.3.1 Comportement écroui et écroui–vieilli
6.3.2 Localisation de la déformation plastique dans la simulation de l’essai Charpy
6.3.3 Prévision de la courbe de résilience (transition basse) pour les autres conditions
6.3.4 Synthèse de la prévision de la partie basse de la courbe de transition de la résilience pour les trois conditions
6.4 Courbes Charge-déplacement 
6.4.1 Analyse numérique
6.4.2 Comparaison expérimental–numérique
6.5 Discussion
6.5.1 Prise en compte de l’écrouissage cinématique
6.5.2 Prise en compte du « désancrage partiel »
6.6 Conclusion 
7 Conclusion et perspectives 
7.1 Conclusion 
7.2 Perspectives 
Bibliographie

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