Influence du genre sur les interventions en classe

Problématique

Apports théoriques

Un grand nombre de chercheurs s’accordent à dire que dès leur plus jeune âge filles et garçons sont « élevés, éduqués, socialisés, pensés, projetés » (Dafflon Novelle, 2006, p. 361) en fonction de représentations stéréotypées du féminin et du masculin. Autant à un niveau émotionnel que matériel, la famille contribue largement à cette forme de socialisation primaire différenciée. En effet, envers leurs enfants des deux sexes, les parents adoptent des « comportements […] nettement différen[ts] » même s’ils ont « souvent […] l’impression d’agir de manière égalitaire » (Dafflon Novelle, 2004, p. 6). Inconsciemment, ils vont être, par exemple, moins tolérants avec l’indiscipline des petites filles, mais plus émotionnellement engagés dans la communication avec elles qu’avec les garçons (Dafflon Novelle, 2006, p. 362). Cette différenciation se ressent aussi dans les habits et jouets proposés aux enfants. La conséquence est que d’eux-mêmes, ils vont avoir tendance à se conformer à ces stéréotypes de genre ancrés par leur contexte familial, et donc à « joue[r] plus souvent à des jeux considérés comme adéquats vu leur sexe » (Duru-Bellat, 1995, p. 81) notamment avec des poupées pour les filles et des voitures pour les garçons. En somme, depuis tout petit, les enfants sont absorbés dans un système social fondamentalement « organisé sur des rapports asymétriques entre les sexes », où la prépondérance masculine y apparaît comme « naturel[le] » (Mosconi & Loudet-Verdier, 1997, p. 127). A leur arrivée dans la scolarité, les filles et les garçons ont donc déjà fortement intériorisé certaines normes sociales fondées sur une hiérarchisation des sexes.
Basée sur le principe d’égalité des chances pour tous, l’École pourrait donner à penser qu’elle neutralise, voire supprime, cette dichotomie inégalitaire entre genres. Or, comme l’ont constatés de nombreux sociologues, notamment Duru-Bellat (1990), Mosconi et Loudet-Verdier (1997) et Zaidman (1996), l’institution contribue, au contraire, « à cette production-reproduction de rapports sociaux de domination entre les sexes » (Mosconi & Loudet-Verdier, 1997, p. 127). Les outils didactiques mis à disposition des élèves présentent des modèles de normes et de valeurs (inégalitaires) qui ont un impact sur leur construction identitaire. Dans ce sens, beaucoup de manuels scolaires tendent à persuader les filles que les femmes n’ont jamais rien fait d’important dans l’histoire, les sciences, la culture, la littérature, les arts, la politiques, ce qui n’aident pas à les valoriser dans leur sexualité. C’est ce que beaucoup de chercheurs comme Duru-Bellat (1990), Mosconi et Loudet-Verdier (1997) et Zaidman (1996) appellent l’effet du curriculum caché, par lequel, les élèves apprennent tacitement un mode de sociabilité. En outre, Duru-Bellat (1995) explique que l’action des enseignants a un grand rôle à jouer dans l’image que les adolescents se forgent d’eux-mêmes. En effet, leurs discours, attentes et réactions peut « renforce[r] » ou « modifie[r] » certains « habitus de genre » (Mosconi & Loudet-Verdier, 1997, p. 127). Ce phénomène a été amplement observé parmi les sociologues qui, tels Hassaskhah et Zamir, parlent de leur rôle comme « […] models for students, and therefore, their actions become important in communicating messages that shape students’ beliefs and their self-concepts” (2013, p. 9).
Souvent d’ailleurs, cette action socialisatrice des enseignants se fait de manière non contrôlée. La majorité d’entre eux ne se rendent pas compte qu’ils véhiculent des stéréotypes de genre et qu’ils confortent les élèves dans des rôles cloisonnés où l’élément masculin est plus valorisé. En effet, comme le note Duru-Bellat « garçons et filles vivent à l’école quelque chose de profondément différent, une socialisation de fait très sexuée » (citée par Zaidman, 1996, p. 38) qui s’inscrit dans la continuité de l’éducation (primaire) familiale. Ces inégalités se manifestent notamment dans la distribution et le type d’interactions et de feedbacks que l’enseignant fournit à l’élève.
Premièrement, au niveau des interactions, plusieurs recherches1 ont démontré que les professeurs, hommes ou femmes, interagissent plus souvent avec les garçons que les filles. Comme le mentionnent Mosconi & Loudet-Verdier, c’est « la fameuse loi des deux tiers d’interactions avec les garçons – un tiers avec les filles » (1997, p. 129) qui permet d’affirmer que l’élément masculin domine l’espace sonore de la classe. Comme l’ont relevé certains experts, le fait que les garçons imposent facilement leur présence est lié au développement de leur virilité à l’adolescence. En pleine construction identitaire, ils tendent à affirmer leur appartenance au groupe ‘homme’ en mettant en scène des représentations du masculin et de la virilité qui lui est associée. En d’autres termes, ils se conforment aux idéaux de la masculinité hégémonique (hegemonic masculinity, comme l’appelle Connell, 2005, cité par Collet, 2011, p. 69) en adoptant un comportement plus agressif, affirmé, compétiteur, dynamique et moins insubordonné que les filles. Ces dernières ont, quant à elles, appris à correspondre aux stéréotypes du genre qui leur sont attribués en prenant moins facilement la parole, en s’effaçant, en étant plus dociles, obéissantes et calmes.
De manière assez systématique et inconsciente, les enseignants valorisent plus l’attitude transgressive des garçons et se font même complices de leur prise de pouvoir puisque “[…] soucieux de maintenir une forte participation des élèves appuyée sur une émulation entre les enfants et un rythme soutenu dans le développement de la séquence pédagogique, [ils] relèvent certaines prises de pouvoir sans pour autant réellement freiner les garçons leaders” (Zaidman, 1996, p. 139).
Effectivement, comme l’expliquent Clarricoates et Mosconi (cité par Duru-Bellat, 1995), les enseignants vont juger les comportements d’agressivité ou d’agitation déplorables mais naturels quand il s’agit de garçons et ces mêmes comportements hautement condamnables quand il s’agit de filles. En somme, les enseignants encouragent les élèves masculins dans le développement de leur identité, et ne restreignent que peu ou rarement leur propensions hégémoniques. A l’opposé, ils ont tendance à plus facilement affecter la confiance en soi de leurs pairs féminins en sanctionnant systématiquement leurs comportements déviants. Il est d’ailleurs attendu des filles, comme le cite Mosconi (cité par Duru-Bellat, 1995), qu’elles se placent aux premiers rangs de la classe ; dans le cas contraire, elles peuvent être perçues comme des opposantes en puissance.
Au niveau des feedbacks, qui sont un retour d’information sur la performance de l’élève, l’enseignant n’en a pas toujours conscience mais filles et garçons ne les absorbent pas de la même manière. En cours de langues, les feedbacks sont particulièrement importants car d’une part, cela permet aux élèves d’évaluer leur performance et d’autre part, cela peut être une source de motivation. A ce sujet Hall et Walsh soulignent que les élèves « are expected to provide a brief but correct response to the question, which is then evaluated by the teacher with such phrases as “Good,” “That’s right,” or “No, that’s not right. » (2002, p. 188). Mais on sait selon Roberts « que les femmes sont plus sensibles [à ces] évaluations d’autrui (elles en tiennent davantage compte pour évaluer leurs propres compétences) » (cité par Duru-Bellat, 1995, p. 81) que les hommes. Il se peut donc que selon le type de feedback qu’il fournit, l’enseignant fragilise plus facilement la confiance des filles. De manière générale, les garçons ont plus confiance en eux même si, d’après Duru-Bellat (1995), ils reçoivent plus de feedbacks négatifs et les filles plus de feedbacks positifs.
Cependant, en cours de langue, nous faisons l’hypothèse que cette loi des deux tiers d’interactions pour les garçons et un tiers pour les filles est ébranlée. Nous estimons que l’apprentissage des langues crée des situations d’actes sociaux, surtout depuis le développement de l’approche communicative et actionnelle, qui sont plus favorables à l’appropriation féminine de la parole. Pour développer cette hypothèse, nous sommes parties de la théorie de West et Zimmerman qui voient « […] la société [comme] segmentée en territoires masculins et féminins : la sphère des chiffres et de la technique [étant] perçue comme masculine, la vie sociale, les beaux-arts, etc. […] comme féminins » (cités par Mosconi, 1998, p. 179). Selon cette perspective d’un découpage sexué des activités, les mathématiques, les sciences, la technique appartiendraient à l’univers masculin. A l’inverse, les langues, les sciences sociales, la littérature seraient assimilées à la sphère féminine. Et puisque Mosconi a observé que « nous essayons de confirmer notre confiance en nous par des activités conformes aux territoires de notre sexes » (1998, p. 179), nous émettons la possibilité que les filles, plus en conformité avec les stéréotypes de leur genre en cours de langues, y sont plus enclines à s’approprier la parole, à s’affirmer, à démontrer leur confiance que les garçons. Ensuite, comme cette croyance (arbitraire) selon laquelle certaines disciplines seraient masculines et d’autres féminines « exist[e] aussi chez les enseignants » (Mosconi, 2010, p. 5), nous faisons également l’hypothèse que par effet Pygmalion, les enseignants prêteraient aux filles de meilleures capacités linguistiques que les garçons. En conséquence, ils solliciteraient plus leurs compétences, les encourageraient plus à participer et leur donneraient plus de feedbacks qu’aux garçons. Nos résultats de recherche viendront corroborer ou infirmer ces hypothèses de base qui, d’une part, s’inscrivent dans une perspective stéréotypée de genre et d’autre part, transcende cette loi largement répandue des deux-tiers d’interactions pour les garçons et un tiers pour les filles.

Question et Hypothèses de Recherche

Nous sommes dès à présent en mesure de formuler notre question de recherche ainsi que nos hypothèses.

Question de Recherche

Quelles différences, quantitatives et qualitatives en fonction du genre de l’élève peut-on relever dans les interactions enseignants et élèves en classe de langues étrangères, et quels peuvent être les éléments qui les influencent ?

Hypothèses de Recherche

Influence des feedbacks sur l’intervention des élèves :
Nous faisons l’hypothèse que les feedbacks des enseignants peuvent influencer le niveau de participation des élèves en cours de littérature.
Influence du genre sur les interventions en classe :
Les interactions entre enseignants et élèves en classe de langue sont au bénéfice des filles tant quantitativement que qualitativement.

Méthodologie de recherche

Population étudiée

Afin de mesurer l’occupation sonore des filles et garçons à l’intérieur de l’espace éducatif, notre travail d’investigation s’est spécifiquement focalisé sur les interactions verbales, produites dans deux classes de l’enseignement post-obligatoire. Situées chacune dans un gymnase vaudois différents, elles se distinguent par le profil de formation des élèves. En effet, la première classe (2EC) accueille des adolescents âgés entre 16 et 17 ans, en deuxième année de filière culture générale et commerce. Se destinant principalement à intégrer une haute école commerciale ou sociale, soit le marché du travail dès la fin du cursus gymnasial, ils reçoivent un enseignement proche des réalités professionnelles. D’ailleurs, la distinction identitaire de ce groupe-classe se produit à un double niveau : à l’intérieur de leur filière, ces élèves ont procédé à d’autres sélections. Ils ont notamment opté pour l’option « commerce, communication et information », ainsi que l’allemand comme langue seconde qu’ils avaient à choix avec l’italien. En tout, le groupe se compose de 18 élèves avec un ratio de 10 garçons et 8 filles. En voici une représentation schématique montrant comment ces derniers se divisent l’emplacement dans la classe :

Technique d’analyse des données

Instrument de récolte des données

C’est à partir d’un recueil de données empiriques que nous avons essayé de comprendre comment s’organisent les actes de parole selon le genre des élèves. Notre travail de recherche se base donc sur l’étude de situations langagières qui se sont déroulées dans les classes 2EC et 3M en contexte naturel, c’est-à-dire non provoquées volontairement pour les besoins de l’enquête. Nous avons ainsi observé chacune deux séquences d’enseignement de nos formateurs respectifs, soit un enseignant pour la 2EC et une enseignante pour la 3M. Dans un premier temps nous avons récolté les données à partir d’un dictaphone pour les interactions verbales et d’un tableau pour les interactions non verbales, notamment lorsque les élèves lèvent la main pour répondre à une question de l’enseignant. Nous avons ainsi cristallisé le contenu exact de ces séquences et leur intonation à l’aide d’un dictaphone placé à l’arrière de l’espace-classe chez les 2EC et à l’avant chez les 3M (cf. schémas). Puis, dans un second temps, nous avons retranscrit méticuleusement ces séquences (cf. annexe). Dans un grand nombre de recherches publiées impliquant une démarche de type « ethnographique » (Cicurel, 2011, p. 12), c’est-à-dire menées ainsi sur le terrain, le caméscope avait largement été utilisé comme support d’enregistrement. Dans le cadre de notre étude, nous n’avons délibérément pas introduit ce genre de matériel en classe afin de préserver des conditions de travail habituelles. En effet, pour en avoir eu fait l’expérience auparavant, le filmage nous semblait parasiter les comportements usuels des élèves. Nous pouvions donc mieux neutraliser l’impact de cette présence technologique avec la discrétion d’un dictaphone.
Dans une première phase, nous n’avions pas rigoureusement sélectionné les leçons que nous enregistrions, d’après des critères fixés au préalable. Le but était de laisser ouvert l’éventail à des questions d’hypothèse. Ce n’est qu’au terme d’une série d’enregistrements audio que nous avons quantitativement délimité notre champ d’investigation. Afin de pouvoir considérer en profondeur les échanges interactionnels des deux classes, nous avons retenu, en totalité, quatre séquences de 45 minutes qui constitueront le support primaire à notre étude (cf. chapitre Résultats et analyse de notre recherche) eux des enregistrements prélevés proviennent de la classe 2EC, en leçon d’allemand, et les deux autres de la classe 3M, en leçon d’anglais. Le paramètre commun à ces quatre périodes étant une action didactique axée sur de l’analyse littéraire. Autrement dit, pendant ces périodes les élèves sont constamment invités à commenter et à analyser le texte qu’ils étudient en classe. Nous avons ainsi réalisé qu’elles offraient un plus grand panel de situations langagières que les leçons de grammaire ou de production écrite. De surcroît, elles engagent une modalité de travail propice à des échanges verbaux qui suivent une structure de rotation relativement bien découpée entre enseignant et élèves. Ceci nous a permis de construire des comparaisons quantitatives assez nettes par rapport à chaque élève puisque la parole ne circule pas entre eux, mais d’eux à l’enseignant.

Utilisation et description des grilles utilisées

L’École engage une forme particulière de rapports interpersonnels et de comportements langagiers spécifiques à son contexte éducatif. En effet, le mode de communication qui s’y établit diffère de celui de la vie courante où les locuteurs négocient eux-mêmes le thème conversationnel et les tours de parole. Située dans des actions « cognitives réglées » (Cicurel, 2011, p. 21), l’interaction didactique se distingue par une oralité, que Bernard Rey qualifie de « scripturale », (2009, p. 69) puisqu’elle possède une « directionalité » (Cicurel 2011, p. 21) prédéfinie par des objectifs d’apprentissage.

Résultats et analyse de notre recherche

Dans une première partie, nous allons examiner les résultats globaux des deux classes en fonction du genre des élèves. Ainsi nous pourrons relever les différences quantitatives et qualitatives de notre recherche basée sur les interactions enseignants et élèves. Pour cela, nous avons procédé de la manière suivante, à savoir que nous avons comptabilisé à chaque fois les quatre séquences d’enseignement. Puis dans une seconde partie, nous allons interpréter et analyser ces résultats pour faire apparaitre les éléments qui influencent la participation des élèves en classe de langue et répondre à nos hypothèses formulées au départ.

Résultats de notre recherche

Les interactions enseignants et élèves

Nous avons comparé les filles et les garçons en fonction du nombre d’interactions dans les deux classes. Nous entendons par interaction une séquence où l’élève prend la parole, car l’enseignant s’est adressé à lui pour lui poser une question ou pour le remettre à sa place ou bien, à l’inverse, l’élève s’est adressé à l’enseignant. Ainsi nous avons pu compter comme le démontre le tableau n°1 première colonne, un total de 224 interactions, dont 38.4% pour les filles et 61.6% pour les garçons. On voit donc que les interactions sont reparties de manière inégales puisque l’écart entre les filles et les garçons est relativement grand.
Nous avons également comptabilisé les différents types d’interventions. Cela permet de vérifier si les filles participent d’avantage, c’est-à-dire spontanément aux interactions, que les garçons et si elles sont plus sollicitées par leur enseignant que ces derniers. Nous avons alors trouvé les résultats suivants, à savoir qu’il y a 51.2% d’interventions spontanées à une question de l’enseignant pour les filles et 48.8% pour les garçons. Sans le levé de la main nous avons noté qu’il y’en a 20.6% pour les filles et 79.6% pour les garçons. On constate à travers ce dernier résultat plutôt conséquent, que les garçons se permettent plus souvent ce genre de comportement que les filles. Nous avons cependant relevé très peu de moments où l’enseignant choisit une fille ou un garçon pour une réponse spontanée à une question, car sur un total de 224 interventions l’enseignant choisit qu’une seule fois une fille et deux fois un garçon. De plus, il faut préciser que ce comptage n’est pas d’une précision exacte, car il n’était pas toujours évident de voir et de noter dans notre grille d’observation qui levait la main ou non aux questions des deux enseignants. Par ailleurs, nous avons compté 34.8% d’interventions spontanées sans question de la part de l’enseignant pour les filles et 65.2% pour les garçons.
Si on prend en compte toutes les interventions spontanées, c’est-à-dire que l’on ne fait pas la distinction entre les différents types d’interventions spontanées, on trouve 39.5% d’interventions spontanées pour les filles et 60.5% pour les garçons. On voit donc que les garçons interviennent plus spontanément que les filles. Un résultat intéressant puisque notre hypothèse de départ stipulait que les filles participeraient d’avantage que les garçons en classe de langue. Pour ce qui est des interventions non spontanées on trouve 37.9% pour les filles et 62.1% pour les garçons. Cela démontre également que les garçons sont plus souvent sollicités que les filles. On peut donc supposer, à un niveau quantitatif, que les cours de littérature sont au bénéfice des garçons.
Pour finir, on peut également relever que les garçons font plus souvent l’objet d’appréciations négatives concernant leur conduite en classe que les filles. Dans ces quatre séquences d’enseignement les garçons ont été interpellés cinq fois pour leur comportement inadéquat alors que chez les filles ont relève qu’une remise à l’ordre.

Les feedbacks des enseignants

En termes de feedbacks, nous avons pu constater à travers nos retranscriptions que les enseignants ont la possibilité de varier leurs feedbacks en fonction des réponses des élèves. Nous avons ainsi comptabilisé les feedbacks des quatre séquences d’enseignement et dans l’ensemble, les deux enseignants en allemand et en anglais donnent plus de feedbacks aux garçons qu’aux filles. Le tableau n°2 montre en effet que les garçons reçoivent 57.7% de feedbacks de leur enseignant alors que les filles en reçoivent 42.4%.
Pour ce qui est des feedbacks qui expriment une critique envers la réponse des élèves, on a relevé que les filles en reçoivent 43.8% et les garçons un peu plus soit 56.3%. De plus, on constate que les feedbacks qui font appel à une remédiation ou qui se caractérise par une appréciation positive sont plus au moins sur un même pied d’égalité puisque l’écart entre ces résultats est minime. On trouve ainsi, pour ce qui est de la remédiation, 47.3% pour les filles et 52.7% pour les garçons et pour ce qui de l’appréciation positive, 48.1% pour les filles et 51.9% pour les garçons. Mais là où la différence est la plus nette entre les filles et les garçons c’est les feedbacks qui expriment un accord de leur l’enseignant face à leurs réponses. En effet, les garçons reçoivent nettement plus d’acceptation de la part de leur enseignant que les filles, soit 67% contre seulement 32.9%.

Analyse des résultats

Au travers des résultats de notre recherche nous avons mis en évidence les différences entre filles et garçons que nous avons observés en cours de langues étrangères. Nous voulions savoir si, en allemand et en anglais, on peut constater des différences de genre liées aux distributions et aux types d’interactions et de feedbacks des enseignants.

Influence du genre sur les interventions en classe

Selon la loi des deux tiers d’interactions avec les garçons – un tiers avec les filles, nous avons fait l’hypothèse de ne pas retrouver cette observation classique dans notre recherche. En effet, nous avons postulé que les filles sont plus souvent sollicitées par les enseignants en cours de langue que les garçons. Cependant, si nous avions voulu nous conformer à cette loi, nous aurions dû trouver, dans le cas présent, sur ces 66 sollicitations directes formulées par l’enseignant, un taux de 66.7% pour les garçons et 33.4% pour les filles. Nous pouvons dès lors constater à l’aide du tableau numéro 1 que nos résultats empiriques ne sont pas très éloignés de notre calcul théorique. On voit que les résultats de notre recherche et celle de la littérature à ce sujet, montre une différence quantitative nette quant à l’attention que les enseignants consacrent aux garçons et aux filles. Duru-Bellat relève notamment que « [b]ien que […] certains chercheurs aient mis en doute l’importance de ces différences ainsi que leur caractère universel (Dart et Clarke, 1988; Mifsud, 1993), il semble que cette tendance s’observe bien chez la majorité des maitres (avec plus au moins d’intensité), à tous les niveaux d’enseignement […] » (1995, p. 76). De ce point de vue, on peut dire qu’il n’y a donc pas de différence entre les matières scolaires dites féminines et masculines, car nos résultats ne reflètent pas notre hypothèse de départ.
De plus, les résultats trouvés pour les sollicitations directes formulées par l’enseignant, ne diffèrent pas de beaucoup de ceux trouvés pour la participation spontanée des élèves. En effet, dans les deux cas, ce sont les garçons qui dominent l’espace sonore de la classe. Cette influence du genre sur les interventions en classe peut être due, comme nous avons pu le lire dans la littérature, au fait que les enseignants ont une certaine attente envers leurs élèves filles et garçons. A ce sujet, Duru-Bellat fait remarquer que « les stéréotypes concernant les différences de comportement attendus de la part des garçons et des filles sont tellement prégnants que les maitres pensent réellement que les garçons sont plus actifs » (1990, p. 61). On peut dès lors supposer que les enseignants sont plus enclins à faire participer les garçons, car ils se montrent plus disponibles et confiants que les filles. Celles-ci, en revanche, se montrent « plus discrètes », et attirent moins l’attention. Ainsi, la suprématie, en termes de présence masculine, se fait avec une certaine complicité de l’enseignant qui tend à s’appuyer pédagogiquement sur la plus grande initiative et affirmation des garçons. Par ailleurs, les garçons ont également ce besoin de se conformer aux idéaux de la masculinité hégémonique (hegemonic masculinity, comme l’appelle Connell, 2005, cité par Collet, 2011, p. 69) et donc de se mettre en avant en monopolisant l’espace sonore de la classe. En effet, il est intéressant de soulever que d’une part les garçons n’hésitent pas à prendre la parole sans y avoir été invités et d’autre part que ces comportements ne soient jamais, du moins ce que nous avons pu analyser dans nos transcriptions, condamnés par leur enseignant. Pour Claude Zaidman, ces initiatives à caractère transgressif restent largement « dévalorisée[s], stigmatisée[s] comme comportement de ‘sauvage’, d’êtres non policés » (1996, p. 121) auprès des professeurs. Malgré tout, elles sont mieux acceptées lorsqu’un garçon en est l’auteur. Pour essayer de comprendre ce fait, Duru-Bellat explique que « les maitres auront plus tendance à « repérer » les comportements des garçons et des filles qui vont dans le sens attendu. » (1990, p. 61). Autrement dit, ils perçoivent les filles comme plus disciplinées que les garçons, ce qui pourrait expliquer une tolérance plus élevée de ce genre de comportement venant de leur part.
D’une certaine manière, les garçons sont donc encouragés dans leur mise en vedette de soi. Inconsciemment, les enseignants leur donnent l’opportunité d’occuper le devant de la scène et d’affirmer leur masculinité. A l’opposé, les filles ont tendance « à s’effacer devant leurs camarades [masculins] » (Duru-Bellat, 1990, p. 75). Plus sensibles à la notion du collectif et de la solidarité, elles ne « cherche[nt] pas à briller aux dépens d’autrui » (Zaidman, 1996, p. 121) et ne sont pas dans une logique de prise de pouvoir et de domination comme leurs pairs masculins. En somme, dans l’espace scolaire, l’identité de genre ne se conjugue pas de la même façon pour les filles et les garçons.
Un autre point, qui nous semble intéressant à soulever est l’emplacement des élèves dans la classe. Bien que les filles en 2EC ou 3M soient placées pour la plupart dans les premiers rangs, cela ne contribue pas à renforcer leur participation au sein de la classe. Contrairement aux travaux de Delamont (1980), qui « montrent que les filles ne reçoivent de l’attention de la part du maitre que si elles sont physiquement proches de lui […] » (cité par Duru-Bellat, 1990, p. 65), s’avère ne pas correspondre aux résultats de notre recherche. En effet, l’emplacement des élèves dans la classe ne semble pas être un élément déterminant dans la participation des élèves ou du moins dans notre analyse.

Influence des feedbacks sur l’intervention des élèves

Un autre élément qui met en avant cette différence entre les filles et les garçons sont les feedbacks qu’ils reçoivent de l’enseignant. Il n’est bien sûr pas toujours évident pour un enseignant de fournir des feedbacks de manière égale aux élèves. Mais la tendance générale, comme l’ont noté M.Sadker et Sadker (1994), Duffy et al. (2001), Jones et Dindia (2004), et Koca (2009) est que « males get more speaking practice and more feedback on their utterances » (cités par Hassaskhah et Roshanzamir, 2013, p. 7). Ceci s’explique notamment par le fait que « males respond more to the teachers’ questions, and hence receive more feedback and practice in language functions » (Hassaskhah et Roshanzamir, 2013, p. 7). C’est d’ailleurs une réalité qu’il est possible d’observer dans notre recherche : nous avons aussi vu que les garçons reçoivent plus de feedbacks que les filles (57,7% VS 42,4%). Ceci correspond à ce que les experts susmentionnés dans ce chapitre évoquent. Étant donné que les garçons participent plus, ils reçoivent logiquement plus de feedbacks.
Cependant, nos résultats ne reflètent pas une proportionnalité exacte. En effet, les filles interagissent presque deux fois moins avec l’enseignant que les garçons. Comme le démontrent nos tableaux de comptage, nous atteignons un total de 38,4% d’interactions pour les filles sur les 4 séquences enregistrées et de 61,6% pour leurs paires masculins. Dès que l’on compare ces chiffres à ceux des feedbacks, les filles en ont reçus un plus que le nombre de fois où elles ont participé (le ratio est d’un pourcentage de 38,4% de participation pour un taux de feedbacks de 42,4%). En comparaison, les garçons reçoivent quantitativement moins de feedbacks par rapport à leur nombre de participations. Ceci signifie que les enseignants font plus de feedbacks aux filles par rapport à leur prise de parole. En d’autres termes, à chaque fois que l’une d’elles intervient, l’enseignant est plus enclin à donner plusieurs feedbacks que lorsqu’il s’agit d’un garçon. C’est ce qui explique cette disproportion entre le nombre de participations et le nombre de feedbacks fournis au regard du sexe de l’élève.
Suite à ces résultats obtenus, nous en venons à la conclusion que, consciemment ou inconsciemment, les enseignants tentent de motiver et maintenir une participation active des filles à travers leurs feedbacks. Aussitôt que l’une d’elles s’engage dans le ‘mouvement communicatif’, il aura plus tendance à soutenir et conserver cette initiative interlocutive qu’avec un garçon. Cela peut être un des facteurs qui expliqueraient le fort taux d’intervention spontanée (avec lever de main) des filles. Nous pensons donc que les feedbacks émis par les enseignants peuvent avoir une forte influence sur la participation des élèves. A travers leur retour d’information, ces derniers peuvent encourager (ou au contraire décourager) une prise de parole. Dans la pratique, nous estimons qu’il n’est donc pas négligeable de soigner les feedbacks et de soutenir une participation active des filles.

Les limites de notre démarche

Après avoir analysé les résultats de notre recherche, il nous semble important de soulever les limites de notre démarche. En effet, bien que nous ayons trouvé plus au moins des résultats correspondant à la littérature, nous voulons insister sur le fait que notre travail n’offre aucune généralisation possible mais uniquement une tendance quant aux différences d’interactions et de traitements entre élèves et enseignants. D’autant qu’il est également pertinent de rappeler que nos analyses captent des instantanés ; des petits bouts d’interactions pédagogiques pris à un moment donné, mais ne prétendent pas refléter exhaustivement le fonctionnement de la vie des deux classes.
Le fait que nous avons sélectionné deux matières, allemand et anglais et deux classes, 2ème année culture générale et commerce et 3ème année maturité, rend les résultats moins représentatifs que ceux trouvés dans la littérature, qui se focalisent généralement sur une matière et une classe, voir même plusieurs classes mais de même niveau. Il se peut donc qu’il y ait des différences de participation selon la matière et le niveau de la classe. Cependant, nous avons décidé de neutraliser ces variables en ne faisant pas de distinction entre les matières et le niveau afin d’avoir une vue d’ensemble sur les interactions enseignants et élèves en langues étrangères.
En effet, nous avons abordés les quatre séquences d’interactions comme un ensemble à partir duquel nous avons établi nos observations. Chaque classe enregistrée n’a donc pas fait l’objet d’une étude détaillée, mais a été prise en compte dans l’élaboration d’une synthèse globale. En conséquence, notre regard analytique a été orienté sur les caractéristiques saillantes de la recherche sans que soit pris en considération le cas exceptionnel d’un des cours où les filles se montrent verbalement plus présentes que les garçons.
Nous émettons une autre réserve quant aux recueils de nos données. En effet, le risque d’une prise de données par dictaphone est que certains éléments non verbaux auraient pu nous échapper lors de la retranscription de nos séquences d’enseignement. Certes, nous étions à chaque fois présente sur le terrain en tant qu’observateur. D’ailleurs, nous prenions des notes quant à tous ces petits éléments se regroupant sous l’appellation de « réseau parallèle de communication » (Zaidman, 1996, p. 43) de types ‘levés de main’, mais il n’était pas toujours évident de porter notre regard sur l’ensemble de la classe. Cela aurait pu ainsi affecter les résultats de notre analyse et de ce fait biaiser la comparaison de nos résultats.
Par ailleurs, il aurait été peut-être pertinent de prendre en compte le prénom des élèves dans notre analyse et notre retranscription. Il se peut que certains élèves prennent plus souvent la parole que d’autres, car ils se sentent plus à l’aise et confiant dans la matière étudiée. Toutefois, nous avons pu observer que ce déséquilibre entre les élèves n’était pas très conséquent dans nos analyses. De plus, notre idée n’était pas de faire une analyse fine des interactions entre enseignants et élèves, mais plutôt de soulever une tendance que l’on pourrait observer en classe de langue étrangère en fonction du sexe de l’élève.

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Table des matières
1. Introduction 
2. Problématique 
2.1 Apports théoriques
2.2 Question et Hypothèses de Recherche
3. Méthodologie de recherche 
3.1 Population étudiée
3.2 Technique d’analyse des données
3.2.1 Instrument de récolte des données
3.2.3 Utilisation et description des grilles utilisées
4. Résultats et analyse de notre recherche
4.1 Résultats de notre recherche
4.1.1 Les interactions enseignants et élèves
4.1.2 Les feedbacks des enseignants
4.2 Analyse des résultats
4.2.1 Influence du genre sur les interventions en classe
4.2.2 Influence des feedbacks sur l’intervention des élèves
5. Les limites de notre démarche
6. Conclusion 
7. Références bibliographiques
Annexes 
A. Retranscriptions et résultats de la classe 2EC 
B. Retranscriptions et résultats de la classe 3M 

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