Influence du diamètre de l’implant phonatoire sur la qualité de vie

Après une laryngectomie totale, réalisée en première intention ou comme chirurgie de rattrapage après l’échec d’un traitement radio-chimiothérapeutique, la réhabilitation vocale apparaît comme l’un des enjeux majeurs pour le patient. La réhabilitation vocale par voix trachéo-œsophagienne (VTO), décrite pour la première fois en 1980 (Singer & Blom, 1980) consiste à placer un petit tube unidirectionnel en silicone dans une fistule préalablement créée dans le mur trachéo-œsophagien ; il permet le passage de l’air pulmonaire vers la néoglotte (la jonction pharyngo œsophagienne) (Brown, Hilgers, Irish, & Balm, 2003; van Sluis et al., 2017) tout en empêchant le passage des aliments et des liquides vers la trachée. Cette technique est aujourd’hui reconnue comme le gold standard : elle permet en effet d’obtenir une qualité vocale meilleure qu’en voix oro-œsophagienne (Choussy, Elmakhloufi, & Dehesdin, 2005; Ng, 2011; Op de Coul et al., 2000; van Sluis et al., 2017) mais également un apprentissage rapide puisqu’elle utilise l’air pulmonaire pour la phonation. Cependant, toutes les études rapportent des complications liées à l’implant (Acton, Ross, Sasaki, & Leder, 2008; Blom, 2003; Brown et al., 2003; Dufour, 2008; Eerenstein, Grolman, & Schouwenburg, 2002; Op de Coul et al., 2000; Stafford, 2003) ; parmi elles, les fuites péri-prothétiques, qui ont concerné 42% des patients dans l’étude rétrospective d’Op de Coul. Elles surviennent majoritairement après un élargissement de la fistule trachéo-œsophagienne. Selon plusieurs auteurs, cet élargissement pourrait s’expliquer par une taille et un poids excessif de l’implant (traumatisme mécanique) (Acton et al., 2008; Eerenstein et al., 2002) ou par une irradiation antérieure du tissu (Choussy et al., 2005; Eerenstein et al., 2002). Cet espace pourrait être comblé en augmentant le diamètre de l’implant ; néanmoins, en France, la majorité des implants posés sont déjà des implants de diamètre maximum (22,5 Fr, Provox) (Delsupehe, Zink, Lejaegere, & Delaere, 1998; Stafford, 2003). Ainsi, la réduction du diamètre de l’implant phonatoire présenterait un double intérêt : d’une part, la prévention de l’élargissement de la fistule par diminution du poids de l’implant et de la poncture initiale dans le mur trachéo-œsophagien (Blom, 2003; Eerenstein et al., 2002) ; d’autre part, la possibilité d’en augmenter le diamètre en cas d’élargissement de cette fistule. Par ailleurs, Eereinstein a montré qu’une diminution du diamètre de l’implant était possible jusqu’à 4mm sans conséquence aérodynamique significative, tout en permettant une diminution du poids de l’implant de 18% ; en 2016, Naunheim montre que le délai pour l’acquisition d’une bonne VTO et les complications sont similaires entre les patients porteurs d’implants 16Fr et 20Fr (Naunheim, Remenschneider, Scangas, Bunting, & Deschler, 2016). Partant de ce constat, il nous a paru pertinent de vérifier ces résultats in vivo, afin de s’assurer que la voix trachéoœsophagienne avec un implant de diamètre réduit reste d’une qualité au moins équivalente à celle d’un implant de diamètre standard. Il s’agit ainsi de se demander s’il existe une différence significative entre les patients avec implant de diamètre réduit et ceux avec implant de diamètre standard pour les paramètres aérodynamiques, la qualité vocale ainsi que pour la qualité de vie.

Matériel et méthode 

Sujets 

Cette étude a fait l’objet d’une déclaration auprès de la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés. Les patients ont tous été informés de l’objet de la recherche oralement et via une lettre d’information, et ont rempli un formulaire de consentement éclairé pour leur participation à cette recherche. Pour cette étude, les patients ayant subi une laryngectomie totale et porteurs depuis plus de 3 mois d’un implant phonatoire Provox 17Fr ou 22,5Fr ou d’un implant Blom-Singer 16Fr ou 20Fr étaient éligibles. L’utilisation de la voix trachéo-œsophagienne (VTO) comme principal moyen de communication était également un critère d’inclusion pour l’étude. Le principal critère d’exclusion à cette étude a été la capacité respiratoire des patients : les patients éligibles ont passé des Explorations Fonctionnelles Respiratoires (EFR) à l’Hôpital Européen Georges Pompidou (HEGP), et certains ont également été sélectionnés en fonction des éléments de leur dossier et de leurs antécédents médicaux quand les EFR n’étaient pas réalisables ; les patients avec une mauvaise capacité respiratoire (diagnostic de trouble obstructif sévère aux EFR, bronchopneumopathie chronique obstructive, asthme, pneumectomie…) ont été exclus de l’étude. Les patients avec un mauvais état cognitif (troubles cognitifs, maladie neurodégénérative, etc.), une sténose de l’œsophage, ou en cours de traitement pour un autre cancer ou une récidive de cancer ont également été exclus. Au final, 17 patients ont été sélectionnés : 10 patients porteurs de la prothèse Provox de diamètre 22,5 Fr et 7 patients porteurs de la prothèse Blom-Singer de diamètre 16 Fr. Parmi ces patients, les 10 patients porteurs de l’implant de diamètre standard (Provox 22,5 Fr) ont été recrutés dans le service ORL du Pr Bonfils de l’HEGP, 6 patients porteurs de l’implant de diamètre réduit (Blom-Singer 16Fr) étaient suivis dans le service ORL du CHU de Bordeaux, et le dernier patient porteur du même implant était suivi dans le service ORL du CHU de Poitiers. Le type de chirurgie subie par les patients a été noté (laryngectomie/pharyngolaryngectomie totales simples ou avec résection de la base de langue), ainsi que l’existence d’une reconstruction par lambeau (antébrachial, grand dorsal ou grand pectoral). L’existence d’un traitement radiothérapeutique, chimiothérapeutique ou radiochimiothérapeutique a également été notée. Pour chaque participant, nous avons mesuré le délai entre la réalisation de la laryngectomie totale et la pose de l’implant phonatoire.

Matériel 

Auto-évaluation de la qualité de vie 

Les patients ont rempli la version 30 items du Voice Handicap Index (VHI), avec la consigne d’indiquer pour chaque affirmation si elle correspondait toujours/presque toujours/parfois/jamais ou presque jamais à leur situation. Le VHI-30 a été validé en 1997 (Jacobson et al., 1997) et permet d’obtenir le degré de sévérité du handicap vocal avec un score total sur 120, mais également un degré de sévérité par domaine avec un score Physique, un score Fonctionnel et un score Emotionnel, chacun coté sur 40. La traduction française du Voice Prosthesis Questionnaire (VPQ) (Kazi et al., 2006) réalisée par notre équipe a ensuite été proposée aux participants : ce questionnaire consiste en 45 questions dont l’interprétation est purement qualitative. Pour notre étude, la version originale de ce questionnaire a d’abord été traduite de l’anglais par un français anglophone (de langue maternelle anglaise) ; la version française a ensuite été traduite à nouveau vers l’anglais par un autre français anglophone qui n’avait pas connaissance de la version anglaise originale. Après quelques ajustements de traduction, la version finale a été proposée à un patient test pour valider la traduction française du questionnaire. Une validation au sens strict du terme pour ce questionnaire n’ayant pas été possible, l’utilisation des réponses pour nos hypothèses a été purement descriptive.

Evaluation perceptive 

L’évaluation perceptive de la voix trachéo-œsophagienne de chaque patient a été réalisée avec l’échelle normée et validée (i)INFVo, à destination spécifique des voix de substitution(17). Les enregistrements vocaux des patients ont ainsi été évalués par 2 juges experts (orthophonistes ayant de l’expérience) selon 5 paramètres, chacun noté de 0 (similaire à une bonne voix de substitution) à 3 (très déviant d’une bonne voix de substitution) : l’impression générale (i), l’intelligibilité (I), le bruit surajouté (N), la fluence ou fluidité verbale (F), et le trait de voisement (Vo). Pour chaque patient, les scores ont été moyennés à partir des notes des 2 juges, ce qui peut donner des scores intermédiaires. Tous les enregistrements ont été rendus anonymes afin que les juges n’aient aucune information sur le patient (âge, type d’implant…), écartant ainsi tout biais d’instrumentation ou a priori sur les performances du sujet.

Mesures aérodynamiques 

La mesure du Temps Maximum Phonatoire (TMP) a été réalisée sur un /a/ tenu à une hauteur et une intensité confortables ; chaque mesure du TMP a été reproduite 3 fois par patient, et la moyenne de ces 3 essais a été utilisée. La mesure du nombre de syllabes par expiration a été effectuée sur le corpus de syllabes CVC (consonne voyelle-consonne) /tic tac tic tac/ répétées autant de fois que possible. Pour tous les patients, la vitesse de répétition a été calibrée grâce à un métronome réglé sur le rythme de 102 pulsations par minutes, avec une mesure de ¼. Pour ces deux épreuves, la consigne était de prendre une inspiration profonde et de s’arrêter à la fin de l’expiration. Pour la pression intra-orale, les mesures ont été faites à partir d’un corpus de 5 répétitions VCV (voyelle-consonne-voyelle) avec le stimulus verbal /apa/. Cinq productions consécutives du corpus /apa/ ont été demandées aux patients afin de pouvoir effectuer les mesures à chaque production de la consonne occlusive non voisée, et de moyenner ces 5 productions. Les mesures ont été prises via le dispositif EVA (Evaluation Vocale Assistée) et enregistrées via le logiciel Phonedit. La pression intra-orale a été mesurée grâce à un petit tube en silicone placé entre les lèvres du sujet et les mesures ont été réalisées à partir des pics de pression lors de la production de consonnes occlusives sourdes. Comme chez le locuteur sain, les valeurs de pression intra-orale mesurées lors de la production d’occlusives sourdes ont été utilisées pour estimer la pression subnéoglottique (sous la jonction pharyngo-œsophagienne). Cette technique, validée chez les sujets sains (Löfqvist, Carlborg, & Kitzing, 1982), a été utilisée dans une étude comparant les caractéristiques de la voix trachéo-œsophagienne et de la voix œsophagienne (Ng, 2011).

Pour le débit d’air buccal, le corpus verbal a été le même que pour la pression intra-orale ; les mesures ont été prises sur la voyelle consécutive à la consonne occlusive sourde (le /a/ pour chaque production du corpus /apa/). Le débit a également été mesuré avec le dispositif EVA et le logiciel Phonedit, grâce à un masque en silicone adapté à la physionomie du participant. Sur EVA, les mesures de débit d’air se font par des pneumotachographes à grille. Pour ces mesures, 3 patients ont été exclus des analyses car les signaux enregistrés étaient complètement saturés et non analysables.

Procédure et analyse 

Pour toutes les passations, l’expérimentateur a été le même (l’auteur). Les patients ont été vus une seule fois, entre mai 2016 et février 2018, pour une session d’une durée de 30 minutes environ. Celle-ci débutait par les deux questionnaires d’auto-évaluation du Voice Handicap Index et du Voice Prosthesis Questionnaire, après explications données par l’expérimentateur. Ensuite, le Temps Maximum Phonatoire ainsi que le nombre de syllabes par expiration ont été mesurés, avant de réaliser les enregistrements vocaux et aérodynamiques de la pression intra-orale et du débit d’air buccal. Chaque enregistrement a été réalisé deux fois par patient, et seul le meilleur échantillon a été conservé pour les analyses. L’évaluation perceptive avec l’échelle (i)INFVo a été réalisée a posteriori, une fois les passations terminées. Celles-ci se sont déroulées à l’Hôpital Européen Georges Pompidou à Paris, au CHU de Poitiers et au CHU de Bordeaux ; à chaque fois, les enregistrements ont eu lieu dans une pièce calme et silencieuse, dédiée aux enregistrements vocaux. L’analyse statistique a été réalisée avec le logiciel JMP. Les statistiques descriptives ont été décrites. Le test non paramétrique de Mann-Whitney (test à 2 échantillons) a été utilisé pour toutes les variables quantitatives, et le test exact de Fisher a été utilisé pour vérifier l’appariement des groupes pour les variables qualitatives. Le coefficient de corrélation de Kendall a été utilisé pour mesurer le degré d’association entre les évaluateurs pour l’évaluation perceptive. Le test de corrélation de Spearman a également été utilisé pour vérifier l’existence et le sens de la relation entre certaines variables. Le seuil de significativité a été fixé à p<0 ,05 pour toutes les analyses.

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Table des matières

I)INTRODUCTION
II) GENERALITES
III) METHODOLOGIE
IV) RESULTATS
V) COMMENTAIRES ET DISCUSSION
VI) CONCLUSION  
VII) REFERENCES
ANNEXES
RESUME

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