Influence de l’interdépendance contractuelle sur le contenu du contrat d’assurance

Caractériser l’interdépendance

L’interdépendance contractuelle, en ce qu’elle semble contrevenir directement au principe de l’effet relatif des conventions va nécessiter la présence d’éléments de fait non équivoques, susceptibles de justifier une telle atteinte. Toutefois, si une telle exigence devrait appeler une réponse emprunte de clarté si ce n’est d’une certaine pédagogie de la part de la Cour de cassation, force est de constater qu’il est bien difficile de définir les critères caractérisant cette interdépendance. Une analyse de la jurisprudence serait impropre à dégager des principes généraux permettant de dire quels sont les éléments, au sein d’un ensemble de contrats ayant trait directement ou indirectement à un objet commun ou un objectif semblable, qui permettent de déterminer qu’il y a bien interdépendance entre les engagements des contractants.
La doctrine – et les praticiens – ne peuvent que se contenter d’une succession de décisions pour la plupart constituant des décisions d’espèce. Les attendus, à cet égard, reprennent des termes évocateurs, mais dont la portée générale est difficile à cerner. Sébastien Pellé, dans sa thèse précitée, a relevé une succession de décisions ayant prononcé cette interdépendance sans la caractériser réellement.
Un arrêt de la chambre commerciale du 18 novembre 1980 a ainsi été précurseur en la matière, en jugeant que deux contrats (une licence d’exploitation de brevet et le contrat destiné à fabriquer des extincteurs au moyen des techniques protégées par ces brevets) « constituaient les termes d’un accord d’ensemble, qu’ils étaient indépendants ».
En réalité, ce sont les termes décrivant l’opération globale au sein de laquelle les contrats visés s’inscrivent qui manquent de constance. L’arrêt précité parle d’un « accord d’ensemble », là où d’autres décisions relèveront l’existence d’une « opération globale générant des droits et obligations interdépendants », « d’ensemble contractuel indivisible  », ou « d’opération unique ».
La disparité de la jurisprudence a conduit à faire émerger des orientations et significations variables à la notion d’interdépendance. Mais aucune règle matérielle fiable n’a pu à ce jour être dégagée et la notion reste dépendante d’une appréciation in concreto par essence source d’instabilité.
Toutefois, si la caractérisation de cette interdépendance reste relativement imprévisible, ses effets n’en sont pas moins spectaculaires.

Conséquences de l’interdépendance

Une distinction s’impose à ce stade entre le droit commun et le cas particuliers des contrats d’assurance en général .

Droit commun

L’interdépendance caractérisée, chaque contrat se retrouve par conséquent « à la fois nécessaire est insuffisant à la réalisation de l’opération globale voulue par les parties ». La sanction logique de ce constat est connue : la disparition d’un des contrats d’un ensemble contractuel indivisible entraîne disparition des autres composantes de ce contrat.
La première décision analysée comme prononçant une telle sanction est un arrêt de la Cour d’appel de Toulouse du 3 décembre 2002 prononçant la nullité de tout un ensemble contractuel en raison de la nullité – pour manquement à une obligation d’information précontractuelle – d’un contrat de cet ensemble. Cette décision sera le fil rouge sur lequel les décisions ultérieures s’aligneront. La sanction sera toutefois adaptée aux causes de disparition du contrat disparu le premier.
Ainsi, selon que le contrat sera annulé, résolu ou résilié, les contrats lui étant rattachés se verront appliquer tantôt la même sanction, tantôt seront déclarés caducs. Cette sanction a été naturellement intégrée dans le paysage jurisprudentiel français. Laurent Leveneur, commentant un des arrêts rendus le 17 mai 2013 estimera ainsi « qu’il est certain que l’une des conséquences de cette indivisibilité, lorsqu’elle est retenue entre deux contrats, est que la résiliation de l’un entraîne la résiliation de l’autre, quand bien même ils n’auraient pas été conclus entre les mêmes parties ». Dès lors qu’elle est prévisible en effet, une telle sanction n’a pas lieu de déranger : ce sont les critères de l’interdépendance qui méritent d’être clarifiés.

Droit des assurances

Dissocier formellement droit commun et droit des assurances ne constitue pas une approche pertinente. En effet, a priori, le droit commun devrait trouver à s’appliquer. Mais des ajustements sont nécessaires.
En premier lieu, la nature du contrat d’assurance ne permet pas de traiter de la relation d’interdépendance de façon classique. Le contrat d’assurance n’est pas à placer sur le même plan que l’opération sur laquelle il porte. Sans en être à proprement parler l’accessoire , elle en constitue le complément et la question de l’autonomie peut en être discutée .
Ensuite, la vigueur du secteur des assurances a conduit les assureurs, depuis longtemps, à anticiper ces questions d’interdépendance par des stipulations contractuelles.
Enfin, la sanction appliquée à l’ensemble contractuel formé pourra être duale. En cas de disparition du contrat régissant l’opération couverte par la garantie d’assurance, cette garantie se trouvera sans objet et sa caducité semble inévitable. En cas de disparition du contrat d’assurance, l’interdépendance caractérisée, la remise en cause du contrat est à envisager.
Ces questions relèvent en tout état de cause soit du droit commun soit du droit spécial du contrat dont est issu l’objet de la garantie.

La coassurance en tant que groupe de contrats

La coassurance n’est pas régie par le code des assurances. Une telle constatation aurait de quoi surprendre compte tenu de la place de cette figure contractuelle dans la prise en charge des grands risques, pourtant les rares références faite à cette opération sont relatives à la coassurance européenne (article L. 352-1 du Code des assurances notamment).
Une volonté de réforme a en effet abouti en matière communautaire, avec la mise en place de la coassurance communautaire par le biais d’une directive européenne sur la coassurance du 28 mai 1978. La France a adapté sa législation par une loi du 7 janvier 1981 et une définition de la coassurance a pu être prise sur ce fondement, la coassurance communautaire pouvant être définie comme « l’opération par laquelle plusieurs assureurs couvrent en commun un grand risque de dommages, situé dans un Etat membre (…), sans solidarité entre eux, moyennant un contrat unique, moyennant une prime globale, pour une même durée (…) ».
Cette définition se rapproche en réalité des définitions doctrinales dont nous pouvons citer celle donnée par messieurs M. Picard et A. Besson face à la multitude de celles données en la matière : la coassurance désigne « l’hypothèse où plusieurs assureurs couvrent en commun mais sans solidarité un même risque, chacun limitant son obligation à une quotité déterminée du risque et l’ensemble des fractions ne dépassant pas l’unité ».
Un élément est toutefois au cœur de nos développements et des questions propres à la coassurance : dans une immense majorité des cas, pour des raisons évidentes de praticité et de prévisibilité, la coassurance sera contenue au sein d’un seul et même acte. Les polices collectives, ordinaires ou à quittance unique, autorisées par un décret du 30 décembre 1938, composent en effet l’écrasante majorité des polices d’assurance, l’assurance collective à polices séparées étant confinée à des situations très résiduelles.

L’individualisation des engagements des assureurs

Malgré l’unité « instrumentaire » de cet ensemble, son caractère de groupe de contrats est établi. Cette individualisation conduit à des solutions qui diffèrent toutefois sensiblement du droit commun, en ce que la résiliation d’un contrat par une des parties au groupement – dans la mesure où il s’agit d’un acte unique, la question de la nullité d’un seul des engagements est purement théorique – n’affecte pas la validité de l’ensemble de l’opération de coassurance . Une telle liberté nous semble toutefois potentiellement dangereuse .

La faculté de résiliation du coassureur

La coassurance a le mérite de présenter un certain degré d’ancienneté, pour ne pas dire un degré d’ancienneté certain. En tout état de cause, la question de la résiliation de son engagement par un seul assureur s’est posée bien avant l’émergence de la notion d’interdépendance contractuelle… et les seules interrogations que l’on peut relever dans la doctrine des années 1950 et 1960 sont notamment afférentes aux modalités de cette résolution et le rôle éventuel de l’apériteur, assureur désigné par les coassureurs pour tenir le rôle d’intermédiaire entre l’assuré et la coassurance, dans cette configuration.
Messieurs M. Picard et A. Besson relevaient dans des formules lapidaires l’opposition nette entre la résiliation opérée par l’assuré et celle demandée par un coassureur. Concernant les polices collectives ordinaires, ils relèvent que « l’assuré désireux de résilier, doit le faire à l’égard de chacun des coassureurs et la résiliation par les coassureurs doit être faite par chacun ». Le ton est le même concernant la police colletive à quittance unique, puisqu’il est indiqué que « depuis 1960, l’assuré qui résilie entre les mains de l’apériteur fait en principe une résiliation globale, à moins de spécification contraire ; et, si chacun des coassureurs peut résilier pour sa part, l’apériteur a le pouvoir de faire une résiliation collective».
En réalité, en plus de la question de la faculté de résiliation de l’assureur, celle de la résiliation par l’assuré d’un seul contrat par l’assuré se pose. On pourra noter que si cette question semble relativement théorique, elle peut être posée par les évolutions des risques ou de la valeur du bien assuré : « La résiliation de contrat doit-elle être globale ou peut-elle être individuelle et n’intervenir que dans les rapports de l’assuré avec certains assureurs ? »

Les limites du pouvoir de résiliation unilatéral

L’application de règles particulières en matière de coassurance nous apparaît contestable à des degrés divers. En effet, l’opération d’assurance elle-même présente une particularité évidente en ce qu’elle est porteuse d’un aléa et ainsi source d’imprévisibilité. Accentuer cette imprévisibilité en octroyant un droit de résiliation unilatéral à un coassureur serait mettre à mal cette exigence de sécurité juridique à laquelle peut légitimement prétendre l’assuré, surtout compte tenu du fait que la coassurance a vocation à couvrir des risques importants.
Toutefois, sur le plan des principes, il paraît impensable de refuser au coassureur cette faculté dont il peut bénéficier dans les configurations classiques de l’assurance. En outre, la faculté de résiliation unilatérale constitue un « moindre mal », puisque la globalité de l’opération est préservée, les autres coassureurs restant engagés auprès de l’assuré qui voit dont sa garantie «amoindrie» de la part du coassureur ayant décidé de se retirer.
Une fois encore, les assureurs ont pris le parti d’assurer eux-mêmes la régulation du contentieux pouvait naître à la suite du retrait d’un coassureur. Il a ainsi été mis en place par la Fédération Française des Sociétés d’Assurance une convention de déontologie de la coassurance, qui a posé des règles concernant les modalités de résiliation unilatérale – notamment l’information des autres coassureurs dans le délai de deux mois suivant la résiliation .
Une Commission d’Arbitrage et de Déontologie de l’Assurance, destinée à confier à des professionnels les litiges de cette nature a été créée à cet effet . Toutefois, si une telle initiative semble louable, les rares décisions rendues en la matière ont surtout des fondements d’équité – qui n’en sont pas moins justifiés quoique manquant certainement de poids.

L’interdiction des recours entre l’assuré et le réassureur dans les opérations de réassurance

Apparue conjointement à l’opération d’assurance, la réassurance s’est développée initialement dans le domaine du transport. La plus ancienne opération de réassurance semble dater de 1370. Il s’agissait de doubler la police d’assurance d’un voyage de Gènes au Pays Bas, mais en ne couvrant que la portion Cadix-Sluis, considérée comme la plus dangereuse du trajet . L’opération de réassurance est ainsi assimilée d’une part aux risques les plus importants, et d’autre part vue comme une situation d’exception : l’assurance est censée être en mesure de couvrir sur les situations les plus courantes.
En 1681 déjà, l’ordonnance Maritime de Colbert précisait que « s’il advient que les assureurs ou chacun d’entre eux, après avoir signé en quelque police se repentent ou aient peur, ou ne voudraient plus assurer sur tel navire, il sera en leur liberté de faire réassurer par d’autres, soit en plus grand ou moindre prix. »
Le développement de l’assurance, amenée à porter sur des risques de plus en plus élevés a conduit mathématiquement au développement de la réassurance. Les mécanismes entourant ce mode de prise en charge indirecte de certains risques se sont affinés, complexifiés, pour constituer une branche à part entière de la pratique assurantielle. La réassurance dite « facultative », portant sur une police déterminée, a cédé la place à la réassurance de portefeuille ou de branche, au moyen d’un traité. Les modalités de prise en charge de la somme due par l’assureur au titre du risque garanti ont également subi d’importantes évolutions. A la pratique classique de la réassurance, dite en « quote-part » ou en « excédant de plein » (par laquelle un assureur cède à un réassureur une proportion déterminée de certaines de ses polices) se sont ajoutées des formes plus contemporaines issues notamment des pratiques du Lloyd’s, la réassurance en « excès loss » et en « stop loss ».
Il conviendrait toutefois de se référer à des ouvrages spécialisés pour appréhender les fondements techniques de ce secteur.
Afin de prendre en compte ces complexités sans nous y attarder, nous baserons notre étude sur la définition de la réassurance telle que donnée par Messieurs Picard et Besson à la Revue Générale des Assurances Terrestres. Ils y indiquent que le contrat de réassurance est « un contrat par lequel un réassureur (dit cessionnaire), vis à vis d’un assureur professionnel (dit cédant) qui répond seul et intégralement vis-à-vis des assurés des risques par lui assumés, prend en charge, moyennant rémunération, tout ou partie de ces risques, s’engageant à lui rembourser, dans des conditions déterminées, tout ou partie des sommes dues ou versées aux assurés à titre de sinistre ».

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Table des matières

Introduction
Titre I : La tendance à l’exclusion d’une trop grande interdépendance contractuelle
Chapitre I : Influence de l’interdépendance sur la validité des opérations de coassurance
Section 1 : Le régime des groupes de contrats en cas de résiliation d’un contrat du groupe
§1 Caractériser l’interdépendance
§2 Conséquences de l’interdépendance
A) Droit commun
B) Droit des assurances
Section 2 : La solution particulière en matière de coassurance
§1 La coassurance en tant que groupe de contrats
§2 L’individualisation des engagements des assureurs
A) La faculté de résiliation du coassureur
B) Les limites du pouvoir de résiliation unilatéral
Chapitre II: Influence de l’interdépendance contractuelle sur le contenu du contrat
d’assurance
Section 1: L’interdiction des recours entre l’assuré et le réassureur dans les opérations de
réassurance
§1 Principe et modalités
A) L’absence de recours de l’assuré contre le réassureur
B) L’absence de recours du réassureur contre l’assuré
§2 Atténuations
A) L’exception légale : l’action oblique au bénéfice de l’assuré
B) Les aménagements
1) Exceptions conventionnelles
2) Requalification par le juge
Section 2 : L’affectation stricte de la part de chaque assureur
§1 La question de la solidarité entre coassureurs
A) La solidarité acceptée
1) Les enjeux
2) La jurisprudence
B) La solidarité refusée
§2 En matière d’assurances par lignes
A) La distinction nécessaire d’avec la coassurance
B) L’exclusion de l’indépendance des garanties
Titre II : La nécessaire prise en compte des relations entre les contrats d’assurance affectés
à une même garantie
Chapitre I: Le partage du sort du contrat d’assurance par le traité de réassurance
Section 1: Principe et diversité de la notion de « partage du sort »
§1 Notion de partage du sort
A) Une notion abstraite
B) Une notion fondamentale
§2 Caractère non unitaire du principe
A) Interrogations propres à certaines assurances
B) Interrogations propres à certaines réassurances
Section 2 : Applications du principe du partage du sort
§1 Les clauses encadrant le partage du sort
A) La clause « follow the fortune »
B) La clause « follow the settelment »
§2 Le partage du sort « forcé »
Chapitre II: L’interdépendance dans le quotidien des opérations de coassurance et de
réassurance
Section 1 : Le pouvoir de représentation de l’apériteur en matière de coassurance
§1 L’existence du pouvoir de représentation
§2 Les limites du pouvoir de représentation
Section 2 : Poids procédural de l’interdépendance contractuelle
§1 Les recours en matière de coassurance
A) Rapports non-contentieux
B) Recours contentieux
§2 Réassurance et clause compromissoire
Conclusion
Bibliographie

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