Importance des grands carnivores dans les écosystèmes

Modifications récentes du paysage

   À l’échelle mondiale, la forêt boréale constitue le biome terrestre le plus important en termes de superficie (Burton et al. 2003), couvrant plus de 35 % de la superficie totale du Canada et 77 % de son territoire forestier (RNC 2010). Dynamisées autrefois uniquement par les perturbations naturelles (i.e., feux, épidémies d’insectes, chablis et maladies), ces forêts présentaient une structure d’âge très diversifiée (Bergeron et al. 2002). Cependant, l’ intensification des régimes de perturbations anthropiques, par l’expansion et la mécanisation de l’industrie forestière, a fortement bouleversé le paysage nord-américain (Foster et al. 1997; Brisson et Bouchard 2003; Boucher et al. 2009). Cela s’est reflété par une simplification structurelle, une modification de la composition spécifique végétale, une homogénéisation de l’âge à l’intérieur des peuplements ainsi qu’un rajeunissement global des forêts (Ostlund et al. 1997; Bergeron et al. 2002). Ces transformations de la matrice forestière mûre ou surannée au profit de jeunes peuplements ont affecté l’assemblage des communautés animales (Lindenmayer et Franklin 2003). Les herbivores de début de succession, tels que l’orignal (Alees alces) et le cerf de Virginie (Odocoileus virginianus), se retrouvent désormais avantagés (Johnson et al. 1995; Dussault et al. 2005; Potvin et al. 2005a), modifiant ainsi la structure et la composition du réseau trophique de la forêt boréale.À ces modifications de l’habitat s’ajoutent une panoplie d’infrastructures pérennes liées au développement de plus en plus marqué des régions forestières. L’accroissement de l’intérêt de la population pour les activités récréotouristiques et l’observation de la faune sauvage est d’ailleurs paradoxal puisqu’elle implique également l’aménagement d’infrastructures et un dérangement par les touristes qui sont généralement néfastes au maintien de la biodiversité locale (Duchesne et al. 2000; Kerbiriou et al. 2008). Cette présence anthropique dans l’écosystème forestier entraîne diverses réponses au sein des communautés animales, allant jusqu’ à la disparition locale ou régionale de plusieurs espèces fauniques (Mladenoff et al. 1995; Brooks et al. 2002; Laliberte et Ripple 2004), soulignant du même coup l’importance de revoir nos méthodes d’aménagement du territoire.

Importance des grands carnivores dans les écosystèmes

   L’étude du comportement des grands cami vores revêt une grande importance puisqu’ils remplissent diverses fonctions primordiales de régulation des systèmes biologiques (Hebblewhite et al. 2005; Ripple et Beschta 2006). Comme ils trônent au sommet de la chaîne alimentaire, les prédateurs impactent les proies mais peuvent de plus avoir une forte influence sur les réseaux trophiques complexes en modulant l’abondance des populations de mésoprédateurs (Crooks et Soulé 1999; Hebblewhite et al. 2005). Leur disparition peut, par exemple, affecter les communautés de micro mammifères et d’oiseaux par le biais de l’augmentation d’abondance des mésoprédateurs [e.g. augmentation du renard roux (Vulpes vulpes) ou de l’hermine (Mustela erminea) (Palomares et al. 1995; Crooks et Soulé 1999)]. Leurs impacts peuvent également se répercuter indirectement sur la productivité des espèces végétales recherchées par les ongulés herbivores, suite à des phénomènes de cascades trophiques (McLaren et Peterson 1994; Hebblewhite et al. 2005; Ripple et Beschta 2012). À titre d’ exemple, lors de leur étude dans le parc national de Yellowstone, Hebblewhite et al. (2005) ont montré que la régénération du saule (Salix spp.) et du peuplier (Populus spp.) était significativement plus faible dans les secteurs supportant une faible population de loups que dans ceux à forte densité.

Impacts des perturbations anthropiques sur les grands carnivores

   À cause de leur grands domaines vitaux qui entrent souvent en conflit avec l’homme,les grands carnivores sont particulièrement influencés par l’augmentation des perturbations anthrop iques (Laliberte et Ripple 2004; Ryall et Fahrig 2006). Ces dernières peuvent avoir des impacts sur leur démographie via une hausse de la mortalité (McLellan et al. 1999; Larivière et al. 2000) et sur leur distribution spatiale que ce soit directement par l’ ajout de structures humaines (Thurber et al. 1994; Houle et al. 2010) ou indirectement, par le bi ais de changements dans l’ agencement et la composition de la forêt (Courbin et al. 2009; Houle et al. 20 10). Ces impacts sont toutefois modulés par la densité des infrastructures et l’intensité des activités humaines présentes à l’intérieur ou à proximité du territoire fréquenté par un individu, une population, une espèce ou une communauté (Hebblewhite et Men’ill 2008; Houle et al. 2010; Rogala et al. 20 Il). De plus, les perturbations anthropiques peuvent également moduler les relations prédateurs-proies. Par la modification de l’ habitat de la proie, du prédateur ou des deux espèces, les perturbations anthropiques peuvent, entre autres, affecter leur distribution spatiale en avantageant un des maillons de la chaîne alimentaire au détriment des autres (Seip 1992; Ryall et Fahrig 2006; Courbin et al. 2009). En effet, les grands carnivores ont la capacité d’ajuster leurs comportements suite à certaines perturbations anthropiques et peuvent même en tirer profit dans leur comportement de chasse (James et Stuart-Smith 2000; Whittington et al. 20 11 ). Celles-c i peuvent également engendrer une trappe écologique si la proie maintient sa sélection d ‘ une portion précise du paysage, suite à une modification majeure, malgré que cette portion ne soit plus favorable au succès reproducteur de l’ espèce (Schlaepfer et al. 2002; Battin 2004; Fahrig 2007). La modification du paysage peut donc avo ir un impact majeur sur les interactions prédateurproies (Wittmer et al. 2007). Conséquemment, l’ étude des grands carnivores, de leur comportement et de leurs besoins en habitat, s’avère essentielle afin de mieux comprendre et planifier l’ aménagement et l’ exploitation des ressources dans les paysages naturels ainsi que pour assurer la conservation de la biodiversité faunique. Malgré ces considérations, très peu d’études ont abordé les impacts des perturbations anthropiques sur la sélection d’habitat et la distribution spatiale des grands carnivores dans l’est de l’ Amérique du No rd (voir Houle et al. 2010), la majorité ayant été réalisées sur les espèces dites sensibles comme le caribou forestier (Rangifer tarandus caribou) (e.g. Duchesne et al. 2000; Leblond et al. 20 Il).

Définition de la sélection d’habitat

  Il est primordial en écologie de bien définir certains concepts qUI sont souvent galvaudés et qui peuvent engendrer de la confusion lorsqu ‘ ils sont utilisés de manière inexacte. En écologie spatiale, les concepts d’ utilisation de l’espace et de sélection d ‘ habitat sont souvent confondus, malgré leur signification biologique très différente (Hall et al. 1997; Garshelis 2000). Hall et al. (1997) définissent l’utilisation de l’espace comme la manière par laquelle l’ individu utilise les différentes composantes biotiques ou abiotiques de son habitat, alors que la sélection se réfère plutôt au choix des différents types de ressources en fonction de leur disponibilité (Johnson 1980). La notion d’échelle spatiale est essentielle dans l’étude du comportement de sélection d’habitat (Johnson 1980; Mayor et al. 2009; Wheatley et Johnson 2009). Rettie et Messier (2000) ont suggéré qu’il existerait un lien entre l’échelle de sélection et la hiérarchie des facteurs limitants pour une espèce donnée. Ainsi, les éléments influençant le plus la survie seraient pris en compte à grande échelle, alors que les facteurs limitants de second ordre influenceraient les choix faits à plus fine échelle. Ce type de réponse a été étudié chez les ongul és où le risque de prédation, principal facteur limitant, influence la sélection à l’échelle du paysage (Rettie et Messier 2000; Dussault et al. 2005 ; Gustine et al. 2006; Hins et al. 2009). De plus, le contexte environnemental dans lequel l’ individu évolue semble aussI important dans son choix d ‘habitat que la parcelle où il se retrouve précisément (Leblond et al. 2011). Dans cette optique, il est plausible de croire que l’ impact des perturbations anthropiques sur la sélection d ‘ habitat pourrait influencer les choix réalisés à plusieurs éche ll es spatia les et que cette influence pourrait être modulée par la qualité de l’ habitat environnant.

Le loup gris comme modèle d’étude

  En milieu boréal nord-américain, le loup gris remplit le rôle de grand prédateur dans l’écosystème forestier en étant le principal facteur limitant des populations d’ orignaux (Pete rson 1974; Ballard et al. 1987; Hayes et Harestad 2000) et de caribous (Seip 1992). De par sa distribution généralisée à l’ensemble de l’ hémisphère nord (Mech et Boitani 2003), le loup a probablement été le grand carnivore le plus étudié à l’échelle mondiale comme le démontrent les nombreuses études effectuées en Scandinavie (e.g. Kaartinen et al. 2005 ; Sand et al. 2006), en Europe (e.g. Ciucci et al. 2003; Theuerkauf et al. 2003; Jedrejewski et al. 2008) et en Amérique du Nord (e.g. Mladenoff et al.. 1995 ; Jolicoeur 1998; Houle et al. 20 10). Sa vie sociale est très développée et hiérarchisée; le loup se regroupe par clan familial, appelé meute, généralement composée du couple reproducteur (alpha), des louveteaux et des jeunes d’un an (Mech 1970; Mech et Boitani 2003). La meute défend et marque un certain territoire et les meutes entrent en compétition entre elles pour l’espace et les ressources (Ballard et al. 1987; Fuller 1989; Mech et Boitani 2003). La tendance des membres alpha à agrand ir leur territoire dicte souvent les changements et les ajustements annuels des meutes (Mech et Boitani 2003). Les différentes structures dans le paysage peuvent également influencer la forme et le choix du territoire (Mech et Boitani 2003). Disparu dans plusieurs régions du monde suite à des campagnes de contrôle de la déprédation sur le bétail (Boitani 2003), il appert que le loup retrouve peu à peu son ancienne distribution géographique, notamment en Amérique du Nord (Fuller 1989; Mech 1995; Hayes et Harestad 2000) et en Europe (Boitani 2003; Jedrzejewski et al. 2008). Cette recolonisation ou recrudescence de l’ abondance du loup dans des milieux fortement perturbés démontre bien sa capacité à s’adapter à différents environnements (Mech et Boitani 2003). Bien qu ‘ il soit considéré généraliste en termes d’habitats fréquentés (Mech 1970; Mladenoff et al. 1995) et qu’il ait la capacité de survivre dans des endroits marginaux ou dégradés (Thiel et al. 1998; Mech et Boitani 2003; Gula et al 2009), le loup montre tout de même certains patrons bien définis de sélection d’ habitat. La disponibilité des proies et la présence de perturbations anthropiques sont deux éléments importants influençant le choix de son territoire (Ciucci et al. 2003 ; Houle et al. 20 10; Kaartinen et al. 20 10). Ces variables sont ainsi généralement utilisées pour prédire sa distribution à grande échell e (Mladenoffet al 1995; Rateaud et al. 2001 ; Potvin et al. 2005b).

Facteurs influençant la sélection d ‘habitat du loup gris

  Outre la disponibilité des proies et les perturbations anthropiques, plusieurs facteurs biophysiques peuvent influencer la sélection d’habitat du loup à plus fine échelle (Ciucci et al. 2003; Houle et al. 20 10). En présence d’ accumulation de neige, le loup sélectionne généralement, à l’intérieur de son domaine vital, les endroits caractérisés par des pentes faibles et un mince couvert nival (Jolicoeur 1998; Ciucci et al. 2003; Whittington et al. 2005 ; Houle et al. 20 10), potentiellement en lien avec son comportement de chasse (Fuller 1991 ; Huggard 1993 ; Kunkel et Pletscher 2000) bien que Tremblay-Gendron (20 12) ait observé l’inverse dans la rése rve faunique des Laurentides au Québec. Il sélectionne et exploite également les structures linéaires, telles que les chaînes de lacs et les rivières en hiver ainsi que les chemins forestiers en été, afin de se déplacer, marquer son territoire et traquer ses proies (Kunkel et Pletscher 2000; Kuzyk et al. 2004; Whittington et al. 20 11 ). Par contre, sa sélection est rarement orientée vers une composition forestière spécifique (Mech 1970; Ciucci et al. 2003; Mech et Boitani 2003); ell e est plutôt guidée par l’ abondance et les préférences de ses proies. Dans les milieux dominés par l’orignal, cela se traduit notamment par une sélection des zones contenant une bonne quantité de brout, telles que les jeunes peuplements en régénération (environ 10 ans) et les peupl ements mi xtes (environ 50 ans) (Courbin et al. 2009; Houl e et al. 20 10). Une étude récente a d’ailleurs démontré que la sélection d’habitat du loup en forêt boréale était influencée par les effets cumulés des perturbations liées à l’exploitation forestière (Houle et al. 20 10). Dans cette étude, la sélection des coupes en régénération par le loup diminuait avec l’augmentati on de la densité de routes durant la période d’utilisation de la tanière et la période de rendez-vous. Cependant, les loups sé lectionnaient davantage les secteurs à forte densité de structures anthropiques durant les périodes de faib le achalandage (e.g. hi ver, période nomade; Houl e et al 20 10; voir aussi Theuerkauf et al 2003, I-Iebblewhite et Men”ill 2008). D’ autres études ont montré que le loup pouvait dans cetiains cas développer une relative accoutumance aux activités humaines (Blanco et al 2005) ou être contraint de sélectionner des secteurs à forte densité humaine lorsque les meilleurs habitats sont déjà occupés ou inexistants (Hebblewhite et Men”ill 2008). Ces comportements expliquent en partie la variation des résultats obtenus dans les différentes études. Il semblerait donc que le loup cherche davantage à éviter la présence humaine et le risque de rencontre avec les humains plutôt que la structure anthropique en elle-même (Hebblewhite et Merrill 2008; Rogala et al. 20 Il).

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Table des matières

INTRODUCTION GÉNÉRALE
CHAPITRE 1 : INFLUENCE DE L’ACTIVITÉ HUMAINE SUR LA SÉLECTION D’HABITAT DU LOUP EN FORÊT BORÉALE AMÉNAGÉE
1.1 RÉSUMÉ EN FRANÇAIS DU PREMIER ARTICLE
1.2 WOLF HABITAT SELECTION IS SHAPED BY HUMAN ACTIVITIES IN A HIGHLY MANAGED BOREAL FOREST
CHAPITRE 2 : IMPACTS D’UN IMPORTANT CHANTIER ROUTIER SUR L’UTILISATION DE L’ESPACE D’UN GRAND CARNIVORE
2.1 RÉSUMÉ EN FRANÇAIS DU DEUXIÈME ARTICLE
2.2 MAJOR ROADWORK IMPACTS THE SPACE USE BEHAVIOUR OF A LARGE CARNIVORE
CHAPITRE 3 CONCLUSION
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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