Industries culturelles et médias, le cas du jeu vidéo et des adolescents

Sociabilités et constructions identitaires des adolescent.e.s au regard de la pratique des jeux vidéo

Les travaux qui s’intéressent aux loisirs adolescents offrent un large panel d’études notamment dans le domaine de la sociologie des pratiques culturelles. Ces recherches ne se focalisent pas forcément sur le jeu vidéo, mais l’approchent dans un ensemble de pratiques culturelles et médiatiques qui relèvent des intérêts des adolescent.e.s. Ces travaux permettent d’appréhender les jeux vidéo notamment par la pratique qui en est faite par les individus adolescents. Progressivement émergent des interrogations autour de la notion de sociabilité pour désigner les relations tissées dans un ensemble de pratiques — pas seulement celle du jeu vidéo, et celle de construction identitaire, qui contribue à redéfinir des représentations de l’individu adolescent.
Il s’agit donc de revenir sur cette évolution des questionnements et de leurs apports dans la compréhension des liens entre adolescence et jeu vidéo. En débutant par un retour sur les questionnements autour des sociabilités et de la construction identitaire dans le cadre de la pratique du jeu vidéo, l’objectif est d’éclairer la pertinence de ces études pour appuyer la construction d’un savoir à propos des modalités de construction identitaire genrée, qui apparaît comme forte durant la période adolescente.
Construction des sociabilités au sein des communautés de jeux Dans les études s’intéressant spécifiquement aux pratiques vidéoludiques des adolescent.e.s, la notion de sociabilité est souvent mise en avant. Elle se réfère aux relations qui se construisent entre les individus adolescents et leurs pairs : amis, famille, camarades de classe… La sociabilité des adolescent.e.s jouant aux jeux vidéo est très vite remarquée par les premières recherches s’intéressant au jeu vidéo en France qui détectent aussitôt le caractère socialisant d’une pratique « qui se joue entre copains » (Lafrance, 1994). Dans leur enquête menée en 1999, Josiane Jouët et Dominique Pasquier remarquent que parmi les médias qu’elles ont examinés, le jeu vidéo est vecteur d’une « sociabilité de fratrie à dominante masculine » (Jouet & Pasquier, p. 42), et c’est également le loisir qui présente le plus de potentiel pour la construction des sociabilités amicales. Un constat que feront également un peu plus tard Élisabeth Fichez et Michèle Gellereau en 2001, soulignant que le partage du plaisir et les relations sociales tissées par le jeu vidéo se vivent en dehors de la sphère familiale.
Ces travaux autour de la constitution des sociabilités servent souvent d’appui aux études cherchant à démontrer que la violence dans les jeux ne s’oppose pas à une sociabilité des individus qui les pratiquent. Ce constat qui n’échappe pas aux études sur les pratiques des enfants menées par Michel Nachez et Patrick Schmoll (2003) qui identifient des formes de coopération et de solidarités durant les parties. Dans ses recherches sur l’interactivité et les interactions avec les écrans, Alain Bouldoires ne manque également pas de remarquer la sociabilité comme une caractéristique forte des usages des jeux vidéo. En les comparant aux usages des tchats sur Internet, il constate par ailleurs un engagement du corps plus fort que durant la navigation Internet. Il en conclut que « la communication directe entre les joueurs (expression des sensations, coordination, intimidation), bien loin de créer une distanciation, renforce leur présence dans l’espace virtuel. » (Bouldoires, 2006, p. 9)

Publics « oubliés » : quelles lacunes dans les études sur les jeux vidéo ?

Des jeux ignorés au sein des Game Studies :Comme la plupart des industries culturelles, l’industrie du jeu vidéo tend à créer une catégorisation de ses productions. Peu mise en évidence par les travaux de recherche, cette classification semble être basée sur de multiples critères qui restent à éclairer : le succès des jeux, leur rentabilité commerciale et économique, leur popularité, leurs thématiques, leur budget, la beauté des graphismes, la richesse des mécaniques de jeu, la complexité des scénarios… Les productions à gros budgets pensées pour être des succès commerciaux à grande échelle, sont ainsi désignées par l’industrie et la presse spécialisée sous le nom de AAA (triple A) par la presse spécialisée à l’image des séries des Grand Theft Auto (GTA, Rockstar Games), Call of Duty (Activision), Assassin’s Creed (Ubisoft). Ces titres peuvent être considérés comme se situant en haut de l’échelle de la hiérarchie culturelle vidéoludique, ainsi qu’en témoigne leur couverture médiatique qui dépasse le seul secteur de la presse spécialisée. L’industrie vidéoludique n’est pas avare de catégorisations : les jeux peuvent se trier dans les rayons et catalogues selon l’âge des publics ciblés, les plates-formes sur lesquels ils sont joués, le genre auquel ils appartiennent… De nombreux genres de jeux sont ainsi désignés : stratégie, FPS (First Person Shooter), RPG (Role Playing Game), simulation, action, aventure, combat… Ces genres se divisent eux-mêmes parfois en sous-genres, illustrant la variété de jeux que peuvent offrir les nombreuses productions de l’industrie. Les études sur ces catégorisations ont montré que leur abondance révèle la complexité d’une offre dont l’évolution a été particulièrement rapide et a pris de nombreuses directions créatives (Letourneux, 2005 ; Arsenault, 2011).Cette variété de l’industrie n’est évoquée par les médias et discours publics que depuis peu. Ces jeux emportent le plus souvent l’intérêt médiatique, mais aussi scientifique. En effet, comme l’expliquent Samuel Coavoux et ses collègues dans leur article What we know about Games Studies : A Scientometric Approach to Game Studies in the 2000s, «(…) des genres (first-person shooters [FPS], massively multiplayer online game [MMOG]) et titres spécifiques (WoW, GTA, Second Life, League of Legend, etc.) ont — bien plus que d’autres — attiré l’attention des universitaires, médias, et politiques» (Coavoux et.al, 2016, notre traduction). De même, les jeux spécifiquement destinés aux plus jeunes, enfants ou adolescent.es, ou encore destinés à un public féminin sont relativement absents des Game Studies.

Les femmes et les loisirs liés à la romance : une tradition d’études en évolution

Si l’objet de cette enquête se situe au sein des études sur le jeu vidéo, Amour Sucré est un loisir exclusivement (ou presque) féminin. Il existe au sein de la recherche en sciences humaines et sociales une « tradition » d’études sur les femmes et les loisirs liés à la romance dans laquelle ce travail se situe en partie. Il convient à ce titre de revenir sur son émergence et d’évoquer les travaux importants qui y ont été menés, les phénomènes analysés ainsi que leurs caractéristiques. De façon générale, l’intérêt du monde universitaire pour les loisirs féminins se développe autour de la littérature romantique et ses nombreuses évolutions. L’objet est ancien, il s’agit au départ d’une littérature populaire qui s’inscrit dans une longue tradition de l’écrit d’amour, inaugurée par les femmes poètes du Moyen Âge (Houel, 1997). Mais il faudra attendre le travail de Janice Radway et son ouvrage Reading the Romance (1984) sur les lectrices de romans «à l’eau de rose» dans les années 1980 pour voir ces recherches prendre un véritable essor.
Il s’agit donc ici de faire un retour sur l’émergence de cette littérature romantique pour femmes afin de comprendre en quoi il s’agit d’un objet dévalorisé et qui semble présenter durant des années peu d’intérêt pour la recherche. À partir de ce état de l’art, le but est de présenter les apports des premiers travaux et leur éclairage sur la constitution des loisirs féminins. Enfin, en replaçant cette évolution dans le contexte récent du développement des TIC et médias audiovisuel, il s’agira d’éclairer de nouvelles approches, de nouveaux objets dans le champ des loisirs féminins ainsi que l’évolution des industries qui s’intéressent à cette «cible» qu’est le public féminin.

Industrie(s) culturelle(s) : des outils pour penser les stratégies de la production

Au sein de la recherche en sciences humaines et sociales le consensus autour d’une théorie des industries culturelles est difficile, pour diverses raisons. Le premier aspect qui pose problème est lié au fait que les industries désignées sous ce terme relèvent de technologies relativement récentes et ont connu une évolution rapide. Une seconde caractéristique des industries culturelles est la sectorisation de celles-ci en différents domaines de marchés, qui n’est pas figée. Ainsi sans même évoquer les évolutions récentes liées à l’apparition des TIC, et qui ont fait l’objet de recherches ces dernières décennies (Bouquillon, 2010, Tremblay, 2008), ces aspects non exhaustifs rendent complexe la mise en place d’un point de vue global pour penser les phénomènes liés aux industries culturelles en général et leurs évolutions.
Les prémices d’une théorie des industries culturelles se trouvent dans les travaux associés à l’École de Francfort au début du XXe siècle, forgée par Théodor W. Adorno et Max Horkheimer dans Dialectique de la raison (1947), et plus particulièrement dans le chapitre intitulé : «La production industrielle de biens culturels : raison et mystification des masses». La notion d’industrie culturelle (Kulturindustrie) se veut avant tout être un outil critique du capitalisme, afin de dénoncer les formes de domination voire d’aliénation de la culture de masse. Cette même notion prend racine dans les travaux de Walter Benjamin sur la reproductibilité (1939), qui pourtant ont une perspective différente. La réflexion de Walter Benjamin n’a pas la même portée critique : sans utiliser le terme d’industrie culturelle, il constate la nouveauté qui est que grâce aux techniques de reproduction, l’art devient une marchandise accessible aux masses. De plus, Walter Benjamin met en avant l’importance des évolutions technologiques liées aux phénomènes de l’industrie culturelle, qui sont toujours aujourd’hui interrogés, à mesure que les progrès techniques avancent dans nos sociétés (Benjamin, 1939).

Quelle mise en place des univers féminins dans l’industrie des jeux vidéo ?

Amour Sucré, et le genre vidéoludique auquel il se rattache, les jeux de romance, est le fruit d’une double dévalorisation : d’une part, il s’agit de jeux pour filles, d’autres part de jeux pour «enfants». L’évolution de l’industrie du jeu vidéo est souvent analysée en lien avec l’évolution des domaines de l’informatique. Mais il convient également de regarder cette évolution en lien avec les industries du jeu et du jouet. Objet rattaché à la culture enfantine par excellence, le jouet tout comme le jeu vidéo a souffert de manque de considérations plus ou moins fortes selon les époques (Brougère, 2006). Gilles Brougère remarque ainsi que le jouet reste pour la recherche jusque dans les années 2000 un objet lié au divertissement, «abandonné aux jeux des enfants, aux jugements de valeur, aux conseils à donner aux parents et autres acheteurs.» (Brougère, 2006, p. 257).
Si les travaux sont rares, les études récentes sur les jouets ne manquent cependant pas de d’interroger et mettre en évidence l’inscription de clivages de genre forts au sein des productions de l’industrie du jouet (Cherney et al., 2006 ; Fèvre-Pernet, 2007 ; Zegaï,2010). Ces différenciations se manifestent par l’utilisation d’outils sémiotiques, tels des codes couleur accordant une place importante au rose et aux pastels sur les produits destinés aux petites filles, tandis que ces nuances de couleurs sont absentes des palettes utilisées pour les produits destinés aux petits garçons. Dans son article intitulé «La mise en scène de la différence des sexes dans les jouets et leurs espaces de commercialisation» (Zegaï, 2010), Mona Zegaï met également en avant la différence des langages lexicaux utilisés dans la description des jouets et les slogans associés aux produits, soulignant que ces lexiques contribuent à créer deux mondes totalement distincts entre les petites filles et les petits garçons.

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Table des matières

Introduction générale
Industries culturelles et médias, le cas du jeu vidéo et des adolescents
Interroger l’adolescence
Discuter des jeux vidéo
De l’intérêt d’étudier les cultures féminines adolescentes au travers des jeux vidéo
Étudier les jeux de romance : choix scientifiques et éthiques au cours du projet
Retour sur le parcours de la thèse
Note sur les choix scientifiques et éthiques de cette thèse
Constituer une problématique sur la construction adolescente au regard de l’industrie
des jeux vidéo
I Enjeux scientifiques et outils théoriques pour construire un questionnement
autour des publics féminins
I.1 Adolescence, jeux vidéo et pratiques féminines dans la littérature scientifique
I.1.1 Sociabilités et constructions identitaires des adolescent.e.s au regard de la pratique des jeux
vidéo
I.1.2 Publics « oubliés » : quelles lacunes dans les études sur les jeux vidéo ?
I.1.3 Les femmes et les loisirs liés à la romance : une tradition d’études en évolution
I.2 Étudier conjointement industries, pratiques et formes d’apprentissages : quels outils théoriques mobiliser pour une approche inter-disciplinaire ?
I.2.1 Industries, publics, et dispositifs : articuler une étude sur trois pôles
I.2.2 Penser et définir les actions des joueuses dans leur rôle au sein de l’industrie
I.2.3 Penser la nature des apprentissages au regard de la communauté en ligne
II Investir, expérimenter, enquêter : enjeux et choix méthodologiques sur le terrain, la posture et les méthodes de recherche
II.1 Du « jeu pour filles » à Amour Sucré : contextualisation du terrain de recherche
II.1.1 Les jeux vidéo pour filles : retour sur la mise en place d’une catégorisation d’un objet et de
ses publics
II.1.2 Les jeux de romance : circulation d’objets culturellement ancrés, entre le Japon et les
continents européens et nord-américain
II.1.3 Amour Sucré : construire le jeu de romance comme terrain de recherche
II.2 Devenir joueuse : atouts et limites d’une participation en ligne
II.2.1 Réflexions sur l’adoption d’une posture hybride pour l’étude des jeux vidéo
II.2.2 Devenir joueuse d’Amour Sucré : construire la posture selon les spécificités d’un univers
ludique
II.2.3 Immersion : réfléchir la posture à l’épreuve du terrain
II.3 Dispositif, industrie et joueuses : étudier et faire dialoguer les enquêtes et analyses
II.3.1 Analyser un dispositif « jeu de romance » : quelles dimensions pour la construction d’un univers romantique adolescent ?
II.3.2 Enquêter auprès des instances de production du jeu : rencontres avec l’éditeur
II.3.3 Aborder les joueuses et leurs pratiques : enjeux d’une enquête en ligne et en face à face
III Le jeu comme dispositif de captation pour une médiation entre stratégies d’une industrie et les appropriations des joueuses : résultats d’enquête
III.1 Dimensions techniques, fictionnelles, et sémio-pragmatiques d’un jeu de romance pour filles
III.1.1 Le système de jeu et son dispositif : décryptage de la construction d’un jeu de romance pour filles
III.1.2 Le monde fictionnel dans Amour Sucré : un univers romantique adolescent
III.1.3 Expérimenter la romance dans l’action : dimension pragmatique du dispositif visant à engager les joueuses
III.2 Enjeux de construction des publics dans la création d’un jeu pour adolescentes et la gestion de sa communauté
III.2.1 Créer un jeu de romance pour adolescentes : produire pour un public particulier
III.2.2 Communication entre Beemoov et les joueuses : mise en place d’un dispositif de captation
III.2.3 « Fans-travailleuses » : leur rôle dans la mise en place d’une représentation du public
III.3 Des joueuses aux « Sucrettes » : inscription de l’objet dans et par une culture féminine adolescente
III.3.1 Jouer à Amour Sucré : pratiques et production de sens, le point de vue des joueuses
III.3.2 Une joueuse parmi d’autres : la dimension communautaire des pratiques
III.3.3 Être « une sucrette » : significations autour d’une identité de joueuse
Conclusion
Retour sur le questionnement et la démarche
Conclusions et observations
Pistes de réflexion
Bibliographie

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