IMPORTANCE RELATIVE DU TEMPS DEPUIS L’ARRIVEE ET DES CONDITIONS ENVIRONEMENTALES DANS LA DECISION DE DEPART D’UN SITE DE HALTE MIGRATOIRE

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Déroulement d’une halte migratoire

La théorie de la migration optimale fait l’hypothèse que les décisions de rester ou de partir d’un site de halte sont fortement liées à la quantité d’énergie réassimilée (réserves) ainsi qu’à la vitesse à laquelle l’oiseau refait ses réserves sur un site de halte (Alerstam and Lindström 1990, Weber et al. 1999, Alerstam et al. 2003). Comme nous nous intéressons plus particulièrement aux décisions de départ d’un site de halte migratoire, il est important de détailler comment peut se dérouler cette halte dans le cadre des deux stratégies énoncées précédemment.
Sous l’angle d’une stratégie de « time-minimization », l’oiseau s’arrêtant sur un site de halte se nourrit intensément pour maximiser son taux d’engraissement et pouvoir repartir en migration le plus rapidement possible, afin de minimiser son temps total de migration (Alerstam and Lindström 1990, Hedenström and Alerstam 1997). De ce fait, les décisions prises par les individus sont en majeure partie conditionnées par la quantité de graisse accumulée. Cependant, ce taux d’engraissement dépend de la disponibilité des ressources sur le site de halte et est donc fortement lié à la qualité de l’habitat et/ou aux conditions météorologiques du moment (Jenni and Schaub 2003, Cohen et al. 2012, Smith and McWilliams 2014). En effet, une météo particulièrement mauvaise (pluie, vent contraire), peut non seulement bloquer les individus sur le site de halte pendant cet épisode météorologique mais également pendant plusieurs jours après la fin de cet épisode car les individus en halte n’ont pas pu se nourrir auparavant (Jenni and Schaub 2003, Schmaljohann and Eikenaar 2017).
Sous l’angle de la stratégie « energy minimization », les oiseaux cherchent aussi à refaire leurs réserves mais leurs décisions de repartir d’un site de halte ne sont pas conditionnées au taux d’engraissement (dans la mesure où il reste positif).
Si l’on résume brièvement les deux cas de figures théoriques suivant la stratégie employée, il est possible d’avoir SOIT des individus qui se posent sur un site de halte, refont leurs réserves le plus vite possible et repartent si les conditions météorologiques ne sont pas trop mauvaises (Hedenström and Alerstam 1997, Weber et al. 1999, Schaub et al. 2008), SOIT des individus qui se posent sur un site de halte, refont leurs réserves à une vitesse moins importante, restent donc plus longtemps sur les sites de halte et potentiellement choisissent des conditions minimisant la dépense d’énergie pour repartir (vent de dos; Arizaga et al. 2011a, Ma et al. 2011, Woodworth et al. 2015, Dossman et al. 2016).
Les prédictions théoriques de Alerstam et Lindström (1990) constituent le cadre théorique de beaucoup d’études sur les décisions des oiseaux lors des haltes migratoires, mais elles ne semblent cependant pas toujours être corroborées ou sont parfois combinées au sein d’un même trajet migratoire (Anderson et al. 2019). Les oiseaux migrateurs pourraient trouver un compromis entre minimisation du temps total de migration et énergie dépensée (Prop et al. 2003, Alerstam 2011).

Pourquoi s’intéresser plus particulièrement au phénomène de halte

Les décisions prises par les oiseaux migrateurs lors de leurs haltes conditionnent la réussite de leur migration et en conséquence, contribuent à déterminer leur fitness. Le phénomène de halte est donc central dans la biologie de la migration. Dans le but d’améliorer notre connaissance globale du phénomène de la migration il est crucial de connaître finement comment les oiseaux migrateurs prennent leurs décisions lors de ces haltes et de s’assurer de la généralité de nos conclusions en travaillant sur des échantillons à différentes échelles temporelles et spatiales. En 2003, Jenni et Schaub dressent, grâce à des études réalisées in natura et en laboratoire, une première revue des facteurs pouvant influencer les décisions des oiseaux lors de leur halte migratoire (Figure 2; Jenni and Schaub 2003). Les facteurs sont ainsi nombreux (compétition, prédation, météo locale, la météo en aval, la topographie du site, le poids de l’oiseau, la quantité de nourriture disponible), mais a priori ils influencent plus ou moins indirectement le taux d’engraissement de l’oiseau, qui à son tour contribue à déterminer la décision de départ du site et donc la durée de halte.
Plus récemment, en 2017, Schmaljohann et Eikenaar, réalisent une revue sur l’effet des réserves d’énergie sur les décisions des oiseaux migrateurs (Schmaljohann and Eikenaar 2017). Ils concluent que pour mieux comprendre les relations entre quantité d’énergie et décision de départ, de nombreux problèmes méthodologiques doivent être traités. Parmi les problèmes énoncés on trouve notamment le fait que la plupart des études sur les décisions des oiseaux migrateurs sont réalisées sans prendre en compte la probabilité de détection des oiseaux sur leur site de halte, et que ces études considèrent que le premier jour où l’oiseau est vu (ou capturé) correspond à son arrivée sur le site. De la même manière, elles font l’hypothèse que le dernier jour où l’oiseau est vu (ou capturé) correspond à son jour de départ et que, plus généralement, la durée de halte peut être calculée en comptant le nombre de jours écoulés entre la première et la dernière capture. Si, sur le terrain, il n’échappe à aucun observateur que ces hypothèses sont difficiles à accepter, ces études font néanmoins l’hypothèse que peut-être, (i) le biais lié à la détectabilité imparfaite des individus est faible, (ii) qu’il n’est pas particulièrement plus grand en début qu’en fin de séjour (ou inversement), (iii) que ce biais est constant quelles que soient les conditions environnementales ou la condition intrinsèque des individus, et (iv) qu’il pourrait ne varier ni entre études, ni entre espèces, ou de manière systématique toujours dans le même sens (auquel cas des comparaisons entre études resteraient possibles). La conséquence très probable de ces hypothèses est la sous-estimation de la durée de séjour des individus, ce qui a notamment motivé la formalisation de cette thèse en 2016. Cependant, alors que Schmaljohann et Eikenaar préconisent d’utiliser des outils de radio-tracking pour appréhender plus finement les décisions individuelles lors des haltes migratoires, nous pensons que des centaines voire des milliers de jeux de données de baguage disponibles peuvent également nous aider à approfondir ces questions si on les analyse avec les outils statistiques appropriés. C’est pourquoi l’un des fondements méthodologiques de cette thèse réside dans la prise compte du problème de « détectabilité » des individus soulevé par Schmaljohann et Eikenaar, grâce
à de nouveaux outils statistiques (voir section Analyse de données). Notre décision repose aussi sur le fait que nous sommes convaincus que certaines bases de données existantes, renfermant des milliers de données sur la migration parfois sur de très longues périodes et de grands effectifs, n’ont pas encore été suffisamment exploitées pour livrer tous leurs secrets. Enfin, sans ignorer des avancées rendues possibles par l’électronique embarquée, un autre avantage de ce type d’études est son coût limité comparé aux outils de géolocalisation ou de radio-tracking, qui coûtent parfois plusieurs centaines d’euros pour équiper un seul et unique individu, quand la même somme permet de baguer des centaines voire des milliers d’individus avec une simple bague (voir détails section: Récolte des données). Outre le coût des études, c’est surtout la taille des échantillons et la durée des séries temporelles qu’il est possible de documenter, qui confèrent au simple baguage une valeur indéniable.
Les différents facteurs affectant le départ d’un site de halte peuvent être grossièrement classés en deux catégories. D’un côté les facteurs internes (poids, condition corporelle, état de forme), de l’autre les facteurs externes ou autrement dit les conditions environnementales (vent, humidité, pression atmosphérique etc). Cette dichotomie a pu être parfois évitée en considérant que l’ensemble de ces facteurs constituent un « état » intégrateur de l’individu au temps t (e.g. Clark and Butler 1999), mais dans ce type d’approche la dynamique de cet état restait gouvernée par les deux types de facteurs. Ces facteurs ont été largement étudiés mais peu d’études l’ont fait en prenant en compte la probabilité de détection. Si les résultats concernant les facteurs environnementaux semblent clairs, ceux concernant les facteurs internes semblent plus hétérogènes. En effet, certaines études avancent des effets du poids et de la condition corporelle sur la décision de départ (Schaub et al. 2008, Goymann et al. 2010, Cohen et al. 2012, Eikenaar and Schläfke 2013, Dossman et al. 2016, 2018, Schmaljohann and Eikenaar 2017, Klinner et al. 2020), alors que d’autres ne distinguent pas d’influence de la condition interne sur cette décision (Dänhardt and Lindström 2001, Tsvey et al. 2007, Ktitorov et al. 2010, Schmaljohann and Eikenaar 2017). Cependant, encore une fois beaucoup de ces études ne prennent pas en compte la probabilité de détection et considèrent la condition interne de l’oiseau lors du départ comme sa condition mesurée à la dernière capture.
Les facteurs déterminants le départ d’un site de halte conditionnent la durée de halte sur le site de migration, et la durée de halte elle-même conditionne le temps total de migration de l’oiseau (Schmaljohann 2018). Ce dernier est crucial pour la réussite du voyage et la survie de l’individu. Les décisions de départ d’un site de halte sont donc centrales quand on considère la migration dans son ensemble et certaines questions restent encore en suspens. Parmi ces questions, nous avons choisi d’en traiter trois principales qui sont : (i) « quelles sont les parts relatives des facteurs internes et externes dans la décision de départ d’un site de halte migratoire ? » (ce qui fut l’un des points de départ de cette thèse); (ii) « les différentes voies de migration empruntées conditionnent-t-elles la décision de départ chez une même espèce ? », et enfin (iii) « différentes espèces synchronisent-elles leur départ d’un site de halte migratoire ? ». Connaître plus finement les facteurs influençant le comportement des oiseaux sur un site de halte et la généralité de ces comportements entre sites et espèces permettra aussi de travailler à la gestion d’un site de halte migratoire.

Les espèces étudiées

Les quatre espèces étudiées appartiennent à deux ordres. D’un côté, nous avons trois espèces appartenant à l’ordre des passeriformes et de l’autre une espèce appartenant à l’ordre des charadriiformes. Les espèces de passereaux étudiées pendant cette thèse correspondent toutes à des migrateurs nocturnes inféodés aux milieux denses en végétation et n’ayant donc pas une morphologie adaptée à des vols rapides (Nafi et al. 2020). Ces trois espèces, pesant en moyenne moins de 20g, n’ont pas de ressources énergétiques très importantes pour réaliser de très longs vols (Alerstam 1990). D’un autre côté, nous avons un limicole, le Bécasseau semipalmé (Calidris Pusilla), qui a lui une morphologie plus adaptée aux vols longue-distance, parfois même aux dessus des océans, avec une vitesse plus importante (Nafi et al. 2020). Ces quatre espèces sont présentées ci-dessous dans des « encadrés espèces ».

Études radars

Depuis quelques décennies, les ornithologues ont commencé à transposer des technologies radars utilisées à la base pour la météorologie et l’aviation afin d’étudier la migration des oiseaux (Richardson and Gunn 1971, Gauthreaux Jr. 1972, Liechti et al. 1995). Ces technologies très coûteuses ne permettent malheureusement pas dans la plupart des cas d’identifier une espèce. Cependant, ces outils peuvent être utilisés pour quantifier un passage migratoire et parallèlement tenter d’évaluer l’intensité des départs d’un site de halte de migratoire. En ce qui concerne précisément l’étude de la halte migratoire, ces techniques sont encore très peu utilisées mais cela semble être amené à évoluer dans le futur avec les avancées analytiques permettant d’être de plus en plus précis dans l’identification d’espèces ou de groupes d’espèces, notamment grâce à la fréquence de battements d’ailes (Schmaljohann et al. 2008, Nilsson et al. 2018, Liechti et al. 2019, Schmid et al. 2019)

Les données utilisées durant cette thèse

Cette thèse repose sur deux jeux de données principaux. Le premier est extrait de la base de données du CRBPO concernant le baguage des oiseaux paludicoles en France et le second d’une étude sur le bécasseau semipalmé réalisé par David B. Lank (Simon Fraser University) à la fin des années 70.
Concernant le premier jeu de données, le CRBPO est l’organisme français gérant la quasi-totalité des programmes de baguage à l’échelle du territoire français en mettant en place différents protocoles de capture adaptés aux questions biologiques sous-jacentes. Ainsi, nous exploitons ici les données issues du programme SEJOUR (anciennement appelé HALTE et THEME 10). Le protocole SEJOUR consiste à « collecter des données de baguage qui permettent de quantifier ces stratégies de halte (probabilité d’arrivée et de départ, temps de séjour, taux d’engraissement, nombre d’oiseaux en transit) et ce sur un réseau de sites déployés sur tout le territoire national, et dans les principaux habitats accueillant des concentrations de passereaux migrateurs » (Henry & CRBPO 2019). Ce programme centralise un nombre très important de données à l’échelle du territoire français pour les espèces étudiées ici. Le nombre total de captures pour le Phragmite des joncs est de 277 211, de 313 489 pour la Rousserolle effarvatte et de 29 255 pour la Gorgebleue à miroir sur une période allant de 1986 à 2018 (Dehorter & CRBPO 2018).
Le second jeu de données a été récolté en 1977 et 1978 par David Berel Lank et consiste en la capture et le marquage de bécasseau semipalmé sur deux sites de halte différents que sont Kent Island (île littorale à la frontière entre les Etats-Unis et le Canada) et Sibley Lake (lac dans les terres au nord des Etats-Unis). Les individus étaient ensuite recapturés visuellement grâce à un code lisible à distance sur la bague ou alors grâce à une capture au filet. Ce jeu de données avait déjà fait l’objet d’analyses (Lank 1983) détaillées dans l’Article 2.

Analyse de données : Les modèles de capture-marquage-recapture

 Introduction sur les modèles de CMR

Dans l’idéal, un échantillonnage exhaustif de tous les individus présents sur le site de halte pourrait fournir les éléments essentiels à l’étude de la halte migratoire chez les oiseaux. Cependant, un suivi sans faille du jour d’arrivée sur le site de halte jusqu’au jour de départ est quasiment impossible. Les questions sous-jacentes sont donc : (i) quand un individu n’est pas détecté, est-il déjà parti ? (ii) l’individu capturé ce jour-ci vient-il d’arriver sur son site de halte ?
Pour pallier ces difficultés de détection, les chercheurs ont mis en place des suivis individuels via des protocoles de capture-marquage-recapture (CMR; Lebreton, Burnham, Clobert, & Anderson, 1992). Ensuite, l’analyse statistique de ces données avec des modèles de CMR permet l’estimation de la probabilité de l’oiseau de rester sur le site tout en prenant en compte le processus de détection sur le terrain. Ces modèles ont vu en premier le jour dans le but d’étudier la survie des individus communément notée (f). En pratique, les données CMR ne permettent pas d’estimer un paramètre par individu et les modèles s’appuient donc sur diverses contraintes d’homogénéité entre individus (Encadré 1). Si les modèles CMR d’origine considèrent tous les individus d’une population comme homogènes pour les probabilités de survie et de détection (Cormack 1964, Jolly 1965, Seber 1965), des extensions ont depuis permis de prendre en compte différentes sources d’hétérogénéité individuelle dans les paramètres démographiques tels que l’âge, le sexe ou l’expérience (Lebreton et al. 1992, 2009)
Un exemple du modèle de référence en CMR
A chaque intervalle de temps, ou occasion de capture, les individus capturés pour la première fois sont marqués puis relâchés, les données concernant les individus déjà marqués sont enregistrées. Les données CMR collectées se présentent sous la forme d’une suite de « 1 » et de « 0 » (le vecteur ℎ!,#), représentant respectivement la détection / non détection de l’individu i à chaque occasion de capture t, formant alors une histoire de capture individuelle. Le jeu de données créé représente l’ensemble des histoires de capture individuelle.
Le modèle de référence dit CJS (Lebreton et al. 1992) fait l’hypothèse d’une variation temporelle des probabilités de survie et de détection. Plus récemment ce modèle a été formulé sous forme d’un modèle à espace d’états pour faciliter son implémentation en Bayésien (Gimenez et al. 2007, Royle 2008). Cette formulation permet de distinguer facilement le processus dit d’état du processus d’observation. Faisons l’hypothèse que nous avons capturé et marqué un individu au temps t. Il peut maintenant survivre jusqu’au temps t+1 avec une probabilité ft. D’une façon plus imagée, un tirage s’effectue entre chaque pas de temps avec deux probabilités possibles : la probabilité de survivre (ft) et la probabilité de mourir (1-ft). Si l’individu est vivant au temps t+1, il pourrait survivre jusqu’au temps t+2 avec une probabilité (ft+1). Cela continue jusqu’à ce que l’individu meure ou que la période d’étude soit finie. Ceci est le processus d’état. Si l’on pouvait observer l’état de l’individu à chaque occasion de capture, le calcul de la survie en découlerait simplement. Cependant, la plupart du temps nous n’avons pas l’information complète. Ainsi, un individu marqué peut être recapturé ou revu avec une probabilité pt. Encore une fois, nous pouvons imager cela avec un tirage durant lequel on aurait d’un côté la probabilité de détection/capture (pt) et de l’autre la probabilité de ne pas détecter/recapturer l’oiseau (1- pt). Quand l’individu est mort la probabilité de détecter l’individu est forcément de 0. Ceci correspond au processus d’observation et il est conditionnel au processus d’état. Cette représentation est une représentation hiérarchique du modèle de CJS. Pour analyser ces données comprenant toutes les histoires de capture (ℎ!,#), nous définissons une variable latente !,# qui prend la valeur de 1 quand l’individu est vivant et 0 quand l’individu est mort. !,# correspond alors aux réels états (non parfaitement observables) de l’individu. Ce modèle est aussi conditionné à la première capture : nous définissons un vecteur fi qui informe sur l’occasion lors de laquelle l’individu a été capturé pour la première fois. Les états générés résultent de réalisations d’une variable de Bernoulli. Conditionné au fait qu’il était vivant à l’occasion t, l’individu i peut survivre avec une probabilité fi,t jusqu’à l’occasion t+1. Ce processus est défini par les équations suivantes : !,$!=1 !,#| !,#%&~ ( !,#%& !,#)
Ensuite, sachant qu’un individu i est vivant au temps t, le processus d’observation est aussi une réalisation d’une variable de Bernoulli : ℎ!,#| !,#~ ( !,#p!,#) 26

Les sites de halte migratoire : importance et conservation

Les sites de halte migratoire sont d’une importance cruciale non seulement pour le succès du voyage migratoire, mais aussi pour la reproduction et la survie des individus, et éventuellement la viabilité des populations et de manière ultime, des espèces. Les oiseaux migrateurs ne dépendent pas seulement des sites de reproduction et d’hivernage mais aussi d’une multitude de sites positionnés sur leur trajet de migration. C’est pour cela que la conservation de chaque espèce migratrice doit être considérée à l’échelle de sa voie de migration (Davidson et al. 1998, Kirby et al. 2008). Il est important de maintenir une qualité d’habitat sur l’ensemble de la voie de migration. Les actions de conservation alors entreprises pour améliorer ou stabiliser l’état de conservation d’une espèce peuvent aussi bien être réalisées sur les sites de reproduction ou d’hivernage que sur des sites de halte migratoire. Il a été démontré que les baisses de l’effectif de certaines populations d’oiseaux sont dues à la baisse de qualité ou à la disparition de l’habitat de halte (Zöckler et al. 2010, Piersma et al. 2016). Cependant, la plupart de ces études font ce constat principalement après l’étude préalable de l’espèce sur les aires de reproduction, et ce pour une raison majeure : le signal indiquant une variation de la fitness dans une population d’oiseaux est plus aisé à obtenir en étudiant directement les individus sur leurs zones de reproduction (accès au statut reproducteur des individus, fidélité au site de reproduction, détection plus importante grâce aux comportements territoriaux). Si l’idée de conservation d’une espèce à l’échelle de sa voie de migration est largement appliquée pour les oiseaux d’eau et les rapaces, comme par exemple pour le Bécasseau semipalmé étudié durant cette thèse (Gratto-Trevor et al. 2012, Brown et al. 2017), c’est moins le cas pour les passereaux (Kirby et al. 2008). Ceci s’explique par la forte concentration de certaines espèces d’oiseaux d’eau sur peu de sites de haltes, et par les distances de migration couvertes par ces espèces entre deux sites de halte durant leur migration. Il est alors plus aisé de regarder la connectivité entre ces sites et de protéger les zones humides d’importances majeures plutôt que de réaliser le même travail pour les passereaux qui sont dépendants de beaucoup plus de sites de haltes (Gardner and Davidson 2011).
La vocation de cette thèse n’est pas de fournir des préconisations de conservation ou de gestion mais plutôt de mettre en lumière comment les études et outils statistiques permettant d’approfondir nos connaissances sur les décisions lors d’une halte peuvent être utiles dans le cadre de la gestion ou de la conservation de certains sites de halte migratoire.

Écologie de la halte migratoire

Parmi les 4 articles de cette thèse, 3 s’intéressent aux comportements des oiseaux migrateurs lors de leurs haltes migratoires. Ces 3 parties apportent donc des connaissances sur la biologie et l’écologie de la halte migratoire.
Article 1. Le premier article avait comme objectif de mesurer la part relative des facteurs internes et externes dans la décision de départ d’un site de halte ; il a révélé que l’état interne de l’oiseau (approché grâce à un proxy qu’est le temps depuis l’arrivée) est prédominant par rapport aux conditions météorologiques au temps t dans la décision de départ. Cependant les conditions météorologiques ont pu au préalable indirectement influencer l’état interne de l’oiseau en complexifiant l’accès à la ressource (Jenni & Schaub 2003, Schmaljohann & Eikenaar 2017, Schmaljohann et al. 2017). Mais il en est de même si l’on mesure directement la condition corporelle de l’oiseau et son taux d’engraissement. Les mesures de condition corporelle précises s’avèrent compliquées sur les oiseaux de petite taille. En effet, le poids n’apparait par exemple pas comme un bon proxy de la condition corporelle car il explique au plus 50 à 60% de la variation de la condition corporelle (Schwilch & Jenni 2001, Schmaljohann & Eikenaar 2017). La condition corporelle peut cependant être approchée grâce à un indice : the scaled mass index (SCI; Peig & Green 2009). Ce rapport permet de d’identifier la variation du poids entre individus qui n’est pas due à la différence de taille des oiseaux et pourrait être utilisé comme un indice de condition corporelle. Mais utiliser cette métrique pose deux problèmes.
Le premier problème est que les oiseaux ne sont pas nécessairement pesés à chaque recapture dans les jeux de données de baguage, ce qui impliquerait, pour utiliser la condition corporelle mesurée dans des analyses, de supprimer tous les individus à qui il manque au moins une pesée dans l’histoire de capture. Ceci réduirait fortement la taille des jeux de données, qui tendraient en outre à inclure plutôt les oiseaux capturés peu de fois au détriment de ceux capturés un plus grand nombre de fois mais pour lesquels la pesée n’a pas été systématiquement réalisée (Mills et al. 2011, Taylor et al. 2011). Le second problème est d’ordre méthodologique: utiliser une covariable individuelle continue comme le SCI dans le cadre d’une étude utilisant le protocole de récolte de données et les modèles de CMR implique de tenter de prédire la valeur de SCI pour chaque individu n’étant pas capturé à une occasion de capture (King et al. 2008, Schofield & Barker 2011). Cela peut être fait en intégrant dans le modèle de CMR un modèle théorique de variation temporelle de cette covariable durant le séjour de l’individu dans un site de halte. Cependant nous n’avons à l’heure actuelle pas d’idée précise de ce modèle de variation de SCI, ni de la manière dont les conditions environnementales impactent cette variation. Même les études expérimentales manipulant des oiseaux ne fournissent pas de tel modèle (qu’il faut définir de manière formelle afin de l’intégrer dans un modèle statistique).
Ce dernier point pourrait par ailleurs nous amener au questionnement suivant : sachant que les individus capturés sont manipulés et que cette manipulation peut induire une perte de masse (Schwilch & Jenni 2001), les variations de la condition corporelle des individus capturés sont-elles représentatives de l’ensemble de la population faisant halte ? Répondre à cette question nécessiterait d’approfondir notre connaissance des impacts de la capture sur la condition corporelle de l’oiseau pendant sa halte migratoire. C’est pour cela que l’une des idées principales de cet article est d’utiliser le temps depuis l’arrivée comme un proxy de l’état interne de l’oiseau, voire de sa condition corporelle, dans le but d’évaluer le rôle que joue cette composante dans la décision de départ du site, et de le comparer à celui des conditions environnementales. Ceci nous a permis deprogresser dans l’évaluation de l’importance relative des facteurs internes versus facteurs externes dans la décision de départ d’un site de halte migratoire.
Le temps depuis l’arrivée intègre certainement de multiples aspects, pas seulement l’état de forme ou la condition corporelle de l’oiseau, et résulte de plusieurs processus. Il est donc possible qu’il dépende de l’accès à la ressource, qu’il reflète aussi le temps de repos et le taux d’engraissement, eux-mêmes influencés par les conditions météorologiques sur les sites où les fenêtres météorologiques favorables à la migration sont rares. En conséquence, il n’est pas surprenant qu’il soit le facteur numéro 1 influençant la probabilité de départ dans nos analyses. La nature intégratrice du TSA fait que cette métrique englobe beaucoup des déterminants du départ d’un site de halte. Ce peut être jugé comme une qualité tout comme un défaut : cette métrique permet d’étudier le départ des sites de haltes migratoires sans ignorer l’effet de l’état interne individuel même si les données disponibles ne donnent pas accès à une mesure directe de cet état. Elle permet donc l’utilisation de très nombreux jeux de données historiques et de longues séries temporelles dont la récolte a commencé avant que des méthodes alternatives de suivi du comportement individuel pendant la halte migratoire ne soient disponibles, ou dont la taille d’échantillon très conséquente reste incompatible avec l’équipement des individus par des dispositifs électroniques encore coûteux. Le fait de ne pas avoir à manipuler les individus à chaque capture permet également de limiter le dérangement et le stress. Cependant, cette métrique ne permet pas d’étudier les détails des interactions entre état individuel interne et facteurs externes, ni l’effet de ces interactions sur la décision de départ. Le fait de détecter une influence des facteurs environnementaux en plus du TSA sur cette décision peut montrer que les conditions environnementales immédiates contribuent à déterminer le départ, alors que le TSA intègre également l’interaction entre ces conditions depuis l’arrivée sur le site de halte, le comportement de recherche de nourriture, et les processus physiologiques de repos et d’engraissement. Enfin, l’intégration de TSA comme covariable dans les modèles de capture-recapture ralentit considérablement la vitesse de calcul et limite les possibilités d’optimisation du temps de calcul (voir plus bas, section Futures analyses et développements des modèles de CMR).
Article 2. Le deuxième article s’attachait, lui, à évaluer si les déterminants du départ des sites de halte variaient en fonction du site. Les sites étaient caractérisés par des conditions environnementales différentes, et correspondaient à des routes migratoires contrastées. Nous avions, d’une part un site peu humide avec globalement peu de vent, positionné sur une voie de migration terrestre, et d’autre part, un site littoral humide et venté, où les oiseaux se préparaient à un vol au-dessus de l’océan durant lequel ils n’avaient pas la possibilité de se poser. Les analyses ont dévoilé que les oiseaux restaient plus longtemps que ce qui était théoriquement nécessaire pour refaire leurs réserves et qu’ils avaient tendance à choisir des conditions de vent avantageuses au moment du départ. Ceci est cohérent avec l’hypothèse que les individus adoptaient une stratégie de minimisation de l’énergie dépensée. Les oiseaux se préparant à un vol au-dessus de l’océan ont aussi un temps de halte moyen plus long, ce qui peut être expliqué par un besoin énergétique plus important. La météo était aussi a priori plus importante dans la décision de départ pour les oiseaux se préparant à un vol au-dessus de l’océan. Cette étude réutilisant des jeux de données déjà analysés par le passé, mais ici avec des méthodes d’analyses récentes, a permis d’identifier des déterminants du départ et de tester une hypothèse émise dans le cadre de la théorie de la migration optimale (minimisation du temps versus minimisation de l’énergie consacrée au trajet migratoire; Alerstam & Lindström 1990, Schmaljohann 2018, Anderson et al. 2019) et de préciser les comportements des oiseaux migrateurs utilisant différentes routes migratoires et faisant face à différentes barrières physiques. Ces résultats sont en accord avec une étude récente sur les limicoles migrateurs nord-américains (Anderson et al. 2019) concluant que les espèces ayant une distance de migration inférieure à 7500km utilisent une stratégie de minimisation de l’énergie dépensée durant la migration postnuptiale, quand ceux ayant une distance de migration supérieure à 9000km ont tendance à utiliser une stratégie de minimisation du temps en migration. L’espèce étudiée ici correspond au premier cas de figure (Gratto-Trevor et al. 2012, Brown et al. 2017).
Article 3. Enfin le troisième article visait à quantifier la synchronie des probabilités de départ quotidiennes de plusieurs espèces de passereaux paludicoles. Cet article a révélé que ces probabilités étaient fortement synchronisées et que le temps depuis l’arrivée était la variable qui générait en grande partie cette synchronie. Cette étude est l’une des premières à quantifier la synchronie dans le départ d’un site de halte et met en évidence des phénomènes bien connus que sont les vagues de départ de sites de migration. Plus globalement, cela montre que les individus appartenant à un même cortège d’espèces (passereaux paludicoles) semblent se comporter de la même manière vis-à-vis des décisions de départ d’un site de halte. Ceci renforce la généralité des conclusions quant aux comportements des passereaux migrateurs transsahariens lors de leurs haltes.
Pour aller plus loin sur la question de la synchronie, il serait intéressant de l’étudier dans le contexte des arrivées sur un site de halte migratoire. Si l’arrivée sur le site suivant est conditionnée par le départ du précédent, les observations de terrains tendent à suggérer que les conditions météorologiques ont plus d’influence sur les arrivées que sur les départs (Deppe et al. 2015, Bradarić et al. 2020). Si l’on étudiait les arrivées sur un site, l’hypothèse serait que les variations de probabilités d’arrivée quotidiennes tendent à être synchrones entre les espèces, et que les processus générant cette synchronie sont plutôt d’ordre météorologique. Les conditions météorologiques (notamment les régimes de vents) pourraient influencer le choix du site de halte et non directement le fait d’arriver (Vansteelant et al. 2017, Bradarić et al. 2020).

Après le départ, l’arrivée ?

Il y a malheureusement un important manque de connaissances sur les arrivées des oiseaux sur les sites de halte migratoire, et la plupart des études se focalisent plutôt sur les départs. Les outils de géolocalisation récents pourraient permettre de remédier à cela sur certaines espèces mais les petits passereaux ne peuvent à l’heure actuelle pas être équipés de balise GPS, les dispositifs n’étant pas assez miniaturisés (McKinnon & Love 2018). Ceci peut cependant être étudié en équipant les oiseaux de radio émetteurs et en plaçant sur le terrain des réseaux d’antennes capables de détecter le passage d’oiseaux déjà équipés (Fiedler 2009). Ceci a déjà été en partie réalisé pour la traversée des passereaux dans le golfe du Mexique (Deppe et al. 2015) mais le nombre d’individus équipés reste faible et l’étude se plaçait dans un contexte de franchissement d’une barrière géographique importante qu’est le golfe du Mexique. Dans le contexte européen, un réseau d’antennes capables de détecter le passage d’oiseaux équipés d’un radio émetteur a été développé sur les côtes de la mer du Nord (plus particulièrement sur l’île d’Helgoland en Allemagne, Schmaljohann & Klinner 2020) et a déjà permis de documenter la stratégie étonnante d’un rougegorge familier (Erithacus rubecula) équipé d’un radio transmetteur très léger : parti d’Allemagne, il a été détecté sur les côtes Néerlandaises avant de traverser la mer du Nord pour rejoindre les côtes Britanniques pour y passer l’hiver. Ces technologies permettent de suivre les départs tout comme les arrivées, et ouvrent d’innombrables possibilités d’études sur le sujet. Le facteur limitant sera la plupart du temps le nombre d’oiseaux équipés passant par ces réseaux d’antennes pour pouvoir dégager des patrons généraux.
Pour tenter de dégager des patrons plus globaux, les modèles utilisés durant cette thèse intègrent des probabilités quotidiennes d’arrivées (relatives à l’ensemble des jours de suivi : les individus du jeu de données doivent tous arriver) sur le site de halte migratoire (Lyons et al. 2016, Lok et al. 2019). Il serait ainsi possible d’utiliser des covariables pour expliquer les variations de la probabilité d’arrivée sur site. On pourrait alors penser à utiliser des données météorologiques à j-1 ou j-2 dans des contrées en amont du site de halte ou alors directement utiliser les conditions locales au temps t. Le moment précis de la saison (par exemple le nombre de jours écoulés depuis le début du mois d’août) est aussi central dans l’arrivées des oiseaux sur un site de halte migratoire (Arizaga et al. 2011, Stanley et al. 2012, Deppe et al. 2015) et ce pour être coordonnés avec les pics de nourriture. Il est possible que les probabilités d’arrivées journalières des individus sur le site de halte résultent d’une interaction entre la météorologie locale ou en amont et le moment précis de la saison de migration. Une autre piste pour étudier les arrivées serait d’inverser les histoires de captures individuelles (Pradel 1996) et considérer le départ comme l’arrivée. Comme précédemment, s’en suivrait l’ajout de covariables pour mieux comprendre les déterminants de l’arrivée sur un site de halte. Les jeux de données utilisés dans cette thèse pourraient permettre d’étudier la halte migratoire dans son ensemble, de l’arrivée jusqu’au départ.

Futures analyses et développements des modèles CMR

Dans la perspective d’approfondir la connaissance des décisions de départ des oiseaux migrateurs et de l’influence de l’état interne de l’individu et sa condition corporelle sur cette décision, de nombreux développements et adaptations des modèles de CMR sont possibles.
Mieux comprendre la relation entre le temps depuis l’arrivée et la condition corporelle fait partie des verrous important pour l’étude de la migration. Ouvrir ce verrou nécessite des développements méthodologiques. Il est en effet nécessaire de connaître la durée de halte dans son ensemble et de ne pas considérer le premier jour de capture comme le jour d’arrivée sur le site de halte. Il est possible et même fortement probable que l’individu soit arrivé quelques jours avant la première capture, et qu’il ait pu dans un premier temps se reposer. L’individu peut perde du poids durant les premiers jours de sa halte à cause de la transformation/dégradation de son hypertrophie musculaire engendrée par un vol sur une longue distance (Gaunt et al. 1990, Rayner 1990). Il en est de même lors du dernier jour de capture, qui est souvent considéré comme le jour de départ. Dans le cas où l’on prend uniquement la période entre première et dernière capture pour étudier la relation entre la condition interne de l’individu et ses décisions, la relation étudiée entre temps depuis l’arrivée et état interne ne repose que sur un temps de séjour partiel et il est donc impossible de l’intégrer dans un modèle théorique de variation temporelle de la condition pendant la halte au sein d’un modèle de CMR. Les nouvelles technologies de radio-tracking miniaturisées pourraient cependant nous aider à définir et calibrer ce genre de modèle de CMR, qui pourrait ensuite être utilisé sur des milliers d’individus (ce que ne permet pas le radio-tracking pour des raisons de coût, Bairlein 2003, Bairlein & Schaub 2009, Robinson et al. 2010). En effet, il serait possible de détecter l’arrivée sur site d’un individu déjà équipé et de tenter de le capturer plusieurs fois au cours de sa halte pour évaluer la progression de sa prise de masse et de son engraissement. En répétant cela sur plusieurs individus, des patrons de variation de l’état interne pourraient être décrits et par la suite intégrés dans des modèles de CMR prenant en compte la condition corporelle comme un prédicteur de la décision de départ. Cela permettrait de clarifier la relation entre temps depuis l’arrivée et état interne de l’individu.
Un autre aspect important de l’étude des haltes migratoires concerne les transients. Les transients sont des individus qui n’utilisent pas réellement le site comme site de halte mais qui peuvent être capturés dans les filets pendant un déplacement entre deux zones situées à proximité du site étudié. Ce peut également être des individus qui arrivent sur ce site après un important vol de migration et se relocalisent très rapidement sur un site aux alentours (Bächler & Schaub 2007, Salewski et al. 2007, Mills et al. 2011, Taylor et al. 2011). Le problème que pose ce type de comportement est que ces individus ne sont pas disponibles pour la capture durant les occasions de capture suivantes (les jours suivants leur arrivée par exemple); ils sont assimilés à des individus qui sont partis. Ce comportement tend à biaiser la probabilité de départ avec les modèles tels qu’ils existent si la question principale porte sur les individus utilisant bel et bien le site pour faire leurs réserves en vue d’un prochain vol. Si les transients sont très nombreux dans le jeu de données, ce qui peut être le cas avec les passereaux en halte migratoire (Mills et al. 2011, Taylor et al. 2011, Cohen et al. 2014, Schmaljohann & Klinner 2020), au-delà du fait de biaiser les estimations de la probabilité de départ, ce sous-échantillon peut poser des problèmes de convergence des modèles d’estimation de paramètres tels que la probabilité de départ. Durant la thèse, j’ai tenté d’utiliser une probabilité d’assignation au statut « résident » ou « transient » à l’intérieur des modèles de CMR. Cependant les modèles ne convergeaient pas. Nous ne sommes donc pas allés plus loin concernant ce point et avons préféré, comme c’est le cas dans la plupart des études, ne considérer que les individus capturés au moins deux fois. Cependant, la probabilité de détection étant généralement faible (inférieure à 0.15, Schaub & Jenni 1999, Schaub et al. 2001, Moore et al. 2017, Schmaljohann & Eikenaar 2017), des individus capturés une seule fois peuvent très bien être des individus faisant réellement halte sur le site. Pour améliorer les techniques analytiques des décisions en prenant en compte le maximum d’individus, la gestion des transients dans les modèles de CMR étudiant la halte migratoire fait partie des développements nécessaires pour de futures études.
Étant donné qu’il existe des centaines voire des milliers de jeux de données de baguage déjà récoltés à travers le monde, parallèlement au développement des nouvelles technologies pour le suivi de la migration, il est primordial de continuer à adapter au mieux les outils de modélisation pour pouvoir tirer des informations de ces jeux de données parfois récoltés depuis plus de 40 ans. Au-delà de l’avancée des connaissances sur l’écologie de la halte migratoire, cela permettrait aussi d’approfondir les réactions des oiseaux migrateurs face à l’évolution du climat (Both & te Marvelde 2007, Kirby et al. 2008, Chmura et al. 2020) et la pression anthropique sur les habitats de halte qui devient de plus en plus importante dans certains secteurs (Mehlman et al. 2005, Kirby et al. 2008, Moore 2018).
Au-delà du développement des modèles à proprement parler, les analyses de CMR réalisées dans cette thèse requièrent des temps de calculs non négligeables allant de 3 jours à presque un mois. Même si une partie de la thèse a consisté à optimiser ces modèles, notamment à l’aide de Nimble (de Valpine et al. 2017), la dimension « nombre de jours » reste trop importante dans la perspective de développement d’un outil destiné à l’usage de gestionnaires. Il serait donc intéressant d’étudier différentes pistes, notamment si l’on vise l’estimation du temps de halte sans s’intéresser aux covariables qui l’influencent. Différents outils pourraient alors être utilisés pour augmenter significativement la vitesse de calcul. Il y a notamment Template Model Builder (TMB, Kristensen et al. 2016a, b) qui pourrait permettre d’optimiser la vitesse de calcul de manière substantielle. TMB est une librairie R où l’on écrit directement le modèle en langage C++, ce qui demande un temps d’apprentissage non négligeable pour qui n’est pas habitué à ce langage. Cet outil a déjà démontré une diminution de la vitesse de calcul très importante notamment pour les modèles de capture-recapture (jusqu’à 6000 fois plus rapide que Jags, un autre programme également accessible par R ; Hornik et al. 2003). Cependant il semblerait que, dans la perspective où l’on continuerait d’utiliser le temps depuis l’arrivée comme covariable individuelle, ces outils ne sont pas mobilisables car ils ne formalisent pas explicitement le processus latent non observable qui nous permet de calculer, à chaque occasion, un temps depuis l’arrivée. En résumé, dans une perspective de mise à disposition de ces modèles pour les gestionnaires, TMB apparait comme une alternative prometteuse. A contrario, dans la perspective d’étudier plus finement les déterminants du départ d’un site de halte migratoire, les approches Bayésiennes avec l’utilisation de Nimble restent a priori le meilleur compromis entre puissance et flexibilité (de Valpine et al. 2017).

Apports quant à la gestion des sites de halte

Les différents chapitres de cette thèse ont mis en évidence l’aspect prépondérant du temps de halte dans la décision de départ d’un site, et également que ce dernier s’avère généralement plutôt long (environ 10 jours) durant la migration postnuptiale pour les passereaux transsahariens. Ceci indique que les évènements météorologiques sont secondaires dans la décision de départ de ces individus. Du point de vue de la gestion d’un site accueillant plusieurs espèces de passereaux migrateurs, il est donc primordial que le milieu soit assez riche pour accueillir des centaines d’individus sur une période minimum de 10 jours avant la première capture de l’espèce et 10 jours après la dernière capture. La qualité, de même que la quiétude d’un site doivent être considérés sur une période plus large que la simple différence entre première et dernière capture. De plus, les outils statistiques permettant de mesurer la part relative de l’état de l’oiseau versus les conditions météorologiques dans la décision de départ d’un site de halte permettraient de classer les sites de halte en différenciant (i) ceux où les oiseaux font une halte longue et où le temps depuis l’arrivée est déterminant dans la décision de départ versus (ii) les sites de halte où le temps de halte est plutôt court et où les conditions météorologiques sont plus déterminantes. Il serait possible de prioriser des efforts de protection sur les sites utilisés par les oiseaux pour refaire leurs réserves. Partant du point de vue développé dans l’article 4 sur l’utilité du temps de halte estimé comme outil pour la gestion et la conservation, il serait très utile qu’une application de type SHINY (Beeley 2013, Chang et al. 2020) soit développée en partenariat avec des gestionnaires et bagueurs pour leur permettre de suivre l’évolution des zones de halte à travers le baguage. Les gestionnaires pourront alors détecter directement des changements sur les zones de halte dont ils s’occupent et avertir sur le fait qu’il faudrait se pencher sur l’état de la population de l’espèce en question. Il faudrait une application informatique qui permettrait à l’utilisateur de charger son jeu de données, qui serait ensuite transformé en histoires de captures, et qui permettrait de choisir entre une analyse « temps minimum de halte » et « temps de halte estimé ». C’est dans ce but que j’ai commencé à développer un squelette d’application (voir Figure 1).
Bien entendu ce début de développement ne constitue qu’une esquisse de ce à quoi pourrait ressembler ce type d’application. Cependant, grâce à cet exemple on peut voir la facilité d’utilisation et le potentiel d’analyses à grande échelle que ce genre d’outil peut apporter. Cela est d’autant plus vrai que ces applications peuvent être directement disponibles sur une page internet dédiée ne demandant pas d’installation spécifique de logiciel. Toutefois, avant d’aller plus loin dans le développement d’applications directement utilisables par les gestionnaires, un temps d’optimisation du modèle sera nécessaire (voir discussion précédente sur l’optimisation du temps de calcul) pour que le temps d’analyse d’un jeu de données contenant entre 100 et 1000 individus sur un minimum de 15 jours puisse prendre moins d’une heure de calcul. Si une telle application était disponible pour que les gestionnaires et bagueurs puissent analyser directement leurs jeux de données de baguage, il faudrait aussi l’étendre pour calculer certaines métriques synthétiques liées à la migration, telles que les dates des pics de captures au cours du temps, ou encore de la date moyenne où 50% des captures saisonnières ont été réalisées. L’application pourrait donc ne pas se limiter à l’estimation du temps de halte et permettrait plus globalement de réaliser des analyses sur les jeux de données issues des protocoles liés à l’étude de la halte migratoire ou plus largement à la phénologie de la migration. Pour que ce genre d’outil soit à la fois utile aux gestionnaires et aux scientifiques, il conviendrait de réaliser des enquêtes sur les besoins spécifiques de chacun. Ce type d’outil pouvant facilement permettre des analyses à large échelle, il constitue probablement l’avenir de l’étude de la migration à travers les données de baguage, parallèlement à l’avènement des technologies de tracking individuel qui permettront, elles, de mieux connaître les mouvements des oiseaux sur un site de halte et de prendre en compte l’ensemble du territoire utilisé par un oiseau en halte (Buler et al. 2007, Mills et al. 2011, Taylor et al. 2011, Cohen et al. 2014, Bayly et al. 2019).

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Table des matières

1 CONTEXTE GENERAL
1.1 LA HALTE MIGRATOIRE CHEZ LES OISEAUX
1.1.1 LE PHENOMENE DE LA MIGRATION
1.1.2 LES DIFFERENTES ETAPES D’UN TRAJET MIGRATOIRE
1.1.3 DEROULEMENT D’UNE HALTE MIGRATOIRE
1.1.4 POURQUOI S’INTERESSER PLUS PARTICULIEREMENT AU PHENOMENE DE HALTE
1.1.5 LES ESPECES ETUDIEES
1.2 COMMENT ETUDIER LA HALTE MIGRATOIRE
1.2.1 RECOLTE DES DONNEES
1.2.2 ANALYSE DE DONNEES : LES MODELES DE CAPTURE-MARQUAGE-RECAPTURE
1.3 LES SITES DE HALTE MIGRATOIRE : IMPORTANCE ET CONSERVATION
1.4 LES OBJECTIFS DE LA THESE
2 ARTICLE 1 : IMPORTANCE RELATIVE DU TEMPS DEPUIS L’ARRIVEE ET DES CONDITIONS ENVIRONEMENTALES DANS LA DECISION DE DEPART D’UN SITE DE HALTE MIGRATOIRE
2.1 WHEN TO DEPART FROM A MIGRATION STOPOVER SITE ? TIME SINCE ARRIVAL MATTERS MORE THAN WEATHER CONDITIONS
3 ARTICLE 2: DÉCISIONS DE DEPART DU BÉCASSEAU SEMIPALMÉ (CALIDRIS PUSILLA) SUR DEUX SITES AUX CONDITIONS MÉTÉOROLOGIQUES CONSTRASTÉES ET CONCERNANT DES VOIES
MIGRATOIRES DIFFÉRENTES.
3.1 MORE THAN JUST REFUELLING: LENGTHY STOPOVER AND SELECTION OF DEPARTURE WEATHER BY SANDPIPERS PRIOR TO TRANSOCEANIC AND TRANSCONTINENTAL FLIGHTS
4 ARTICLE 3: LES VARIATIONS QUOTIDIENNES DE PROBABILITÉS DE DÉPART SONT-ELLES SYNCHRONES ENTRE DIFFÉRENTES ESPÈCES DE PASSEREAUX PALUDICOLES?
4.1 SYNCHRONY IN DEPARTURE DECISIONS FROM STOPOVER SITES WITH A MULTI SPECIES CAPTURE-RECAPTURE MODEL
5 ARTICLE 4: UTILITÉ DE LA MÉTRIQUE “DURÉE DE HALTE ESTIMÉE” DANS LA GESTION ET LA CONSERVATION DES ZONES DE HALTE MIGRATOIRE
5.1 ESTIMATED STOPOVER DURATION AS A TOOL FOR CONSERVATION AND MANAGEMENT OF STOPOVER AREAS
6 CONCLUSION ET PERSPECTIVES
6.1 REMARQUES GENERALES
6.2 ÉCOLOGIE DE LA HALTE MIGRATOIRE
6.3 APRES LE DEPART, L’ARRIVEE ?
6.4 FUTURES ANALYSES ET DEVELOPPEMENTS DES MODELES CMR
6.5 APPORTS QUANT A LA GESTION DES SITES DE HALTE
6.6 POSSIBLE FUTUR DE L’ETUDE DE LA HALTE MIGRATOIRE ?
7 ANNEXES
7.1 ANNEXES DE L’ARTICLE 1
7.1.1 CORRELATION BETWEEN WEATHER COVARIATES
7.1.2 SUMMARY OF WEATHER COVARIATES
7.1.3 JAGS CODE
7.2 ANNEXES DE L’ARTICLE 2
7.2.1 APPENDIX S1. DETAILS ABOUT ENVIRONMENTAL COVARIATES AND PRINCIPAL COMPONENT ANALYSIS
7.2.2 APPENDIX S2. JAGS CODE OF THE STATISTICAL MODEL USED IN OUR STUDY
7.3 ANNEXES DE L’ARTICLE 3
7.3.1 PRINCIPAL COMPONENT ANALYSES OF THE WEATHER VARIABLES
7.3.2 EXAMPLE OF SYNCHRONIZED DEPARTURE PROBABILITIES AT THE DONGES RINGING STATION IN 2011
7.3.3 NIMBLE AND R CODE TO RUN THE MODEL
7.4 ANNEXES ARTICLE 4
7.5 CHAPITRE 12 DU LIVRE: DEMOGRAPHIC METHODS ACROSS THE TREE OF LIFE

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