Impact de l’introduction de l’automatisation dans la tâche de conduite

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La transition de contrôle

L’automatisation d’un système implique l’interaction entre l’homme et la machine. Dans le cadre de la conduite, elle implique même des transitions de contrôle en cours de tâche. La combinaison Humain-Machine implique une situation dynamique d’échanges et d’interactions entre l’homme et la machine. Elle est définie comme l’interférence entre deux entités dans le but de rendre plus facile les tâches communes (Hoc, 2001). Trois différents niveaux de coopération, de plus en plus coûteux et de plus en plus abstraits, sont décrits par Hoc :
• la coopération dans l’action : elle renvoie aux activités réalisées sur le court terme, à un niveau d’interférence local ;
• la coopération dans la planification : elle correspond aux activités réalisées à moyen terme qui consistent à réaliser ou faire perdurer un référentiel commun (un but, les rôles à partager, un plan etc.) ;
• la méta-coopération : elle fait référence à un niveau d’abstraction élevé pour optimiser la coopération sur le long terme. Pour ce faire, les agents construisent un modèle de soi-même et du/des partenaire(s).
Selon Hoc, une coopération entre un Humain et un Système peut être considérée comme telle s’ils réalisent chacun des objectifs, si chacun peut interagir avec l’autre et que les deux opèrent pour faciliter sa propre tâche mais également celle de l’autre. La relation coopérative des agents n’est pas nécessairement symétrique et équilibrée. Les agents interfèrent entre eux pour favoriser le fonctionnement du système, que ce soit d’un point de vue local ou collectif. Ainsi, la coopération entre l’automobiliste et le véhicule automatisé pose la question de l’équilibre de la coopération. Hoc considère que dans ce cas la coopération est asymétrique (Hoc, 2000). La transition de contrôle est une action nouvelle de la tâche de conduite. Jamais auparavant le conducteur ne s’est retrouvé dans la situation de devoir reprendre le contrôle d’un véhicule en mouvement après l’avoir complètement délégué. Lu et al. ont défini les différents cas de transition de contrôle pouvant être rencontrés entre le conducteur et l’automate sous l’angle du facteur humain (Z. Lu et al., 2016). Ils présentent la multiplicité des types de transition et leur impact, à ne pas négliger, sur la performance de « nouvelle conduite », qualificatif mettant en avant la nouveauté qu’est la transition de contrôle dans la tâche de conduite. Ils proposent une classification des transitions construites selon trois questionnements : La transition est-elle nécessaire (obligatoire), qui l’a initiée et qui a le contrôle lorsqu’elle est terminée ? Quatre grands types de transitions en ressortent. Tout d’abord, celles qui sont initiées par le conducteur et au terme desquelles le contrôle sera effectué soit par le conducteur (1) soit par l’automate (2). Ensuite, celles qui sont initiées par le système et au terme desquelles le contrôle sera effectué soit par le conducteur (3) soit par l’automate (4). La transition d’un mode hautement automatisé au contrôle manuel est celle qui intéresse fortement les équipes de recherche depuis l’apparition de l’automatisation. Du point de vue de Lu et al., le conducteur ne pourrait probablement pas maintenir son devoir de supervision de l’automate tel qu’il est demandé par les constructeurs automobiles pour certains niveaux d’automatisation (notamment les niveaux 2 et 3). Leur propos est appuyé par plusieurs études montrant que plus le niveau d’automatisation est élevé, plus le temps de réaction du conducteur en cas de demande de reprise en main est élevé (Damböck et al., 2013; Strand, 2014).
La transition initiée par le système vers un contrôle manuel est décrite dans différents modèles. Celui de Marberger et al. (2017) recouvre les différents états du système et y alloue, pour chacun, un état général du conducteur. Sans comporter une définition claire des processus cognitifs en jeu pendant les différentes phases, ce modèle a le mérite de prendre en compte un « état » du conducteur. Cette approche est accompagnée d’une modélisation du concept de niveau de disponibilité du conducteur (« Driver Availibility »).
Le conducteur se trouverait dans un état de disponibilité avant une reprise en main dépendant de l’état de différents sous-niveaux (perceptuels, moteurs, etc.) et cet état aurait une influence sur ses capacités de reprise du contrôle de la conduite. En effet, une grande majorité des modèles ou schéma rencontrés dans la littérature relate les états du système lors des différentes phases de la transition de contrôle en omettant de mentionner ceux du conducteur ou en les accolant parfois simplement à celui du système. Nous discuterons de ce point plus précisément dans la section II.E.2.
Concernant le déroulement classique d’une reprise de contrôle, le modèle présenté ci-dessus par la Figure 3 illustre trois grandes étapes. Lors de la première, le conducteur a délégué le contrôle au système, le mode autonome est en marche. Le début de la seconde étape est marqué par la requête de reprise en main initiée par le système, c’est une phase d’état de transition pour le conducteur et le système. Le conducteur est en train de prendre connaissance de la requête. Le système est prêt à être désactivé. Aux niveaux 3 et 4 décrit par la SAE, le système reste responsable de la conduite pendant cette phase. Enfin, la troisième étape est initiée par la désactivation effective du mode autonome suite à l’intervention du conducteur sur une commande de contrôle (volant, pédale, bouton, etc.). Cette troisième étape correspond au temps qu’il faut au conducteur pour reprendre le contrôle manuel puis effectuer la manœuvre adéquate à la situation routière (exemple : prendre une sortie d’autoroute). Un temps de stabilisation du contrôle avec une fin variable et indépendante de l’état du mode autonome est également illustré. Ce temps suggère que la qualité d’intervention du conducteur sera variable. En intégrant un point limite du système automatisé, ce modèle s’applique au niveau 3 de la définition du SAE car dans le cas du niveau 4, le système autonome ne demandera pas de reprise en main critique. La criticité de la transition de contrôle participe de la variabilité des situations de reprise en main. Il est donc important de la définir en s’appuyant sur les travaux de recherche menés à ce sujet, souvent par l’angle du temps minimum nécessaire au conducteur.

La criticité de la reprise en main

La criticité est un autre paramètre participant de la variabilité des situations de reprise en main. Il n’existe pas de définition propre de la criticité de la reprise en main dans la situation d’une transition de contrôle entre un véhicule hautement automatisé et un conducteur. Elle peut dépendre de plusieurs facteurs : le trafic, le caractère plus ou moins urgent de la réponse attendue (reprendre le contrôle du véhicule en ligne droite sans trafic dense, faire un arrêt d’urgence pour éviter d’entrer en collision avec un usager vulnérable, dépasser un objet sans grand risque sur la route) et bien-sûr le temps disponible avant d’atteindre la « limite du système » (couramment appelé « system limit » dans les différents schémas illustrant les étapes d’une reprise en main). Ce dernier point est assez central dans la littérature. Deux compréhensions distinctes peuvent être faites de ce terme en fonction du niveau d’automatisation. En effet, dans le cas du niveau 3, la limite du système peut correspondre à un point fixe où une collision avec un objet est possible car le système ne saura pas le gérer s’il est maintenu en mode autonome. Au niveau 4, le système est considéré comme capable de gérer tous les types de situations routières. Quand bien même ne serait-il pas en mesure d’effectuer la manœuvre appropriée à la situation routière, il réagira afin de mettre le véhicule en sécurité. La limite du système dans ce cas est donc la mise en arrêt de la conduite. Le niveau de criticité de la situation qui en découle n’est donc pas le même. La méta-analyse de Zhang et al., au sujet des temps de reprise en main offre un panorama très précis des travaux réalisés dans ce champ (Zhang et al., 2019a). En fonction des équipes de recherche, le temps minimal nécessaire au conducteur distrait par une activité à bord pour reprendre le contrôle d’un véhicule après une phase d’automatisation est estimé entre 7 et 10 secondes pour une reprise en main réussie (Radlmayr & Bengler, 2015; Walch et al., 2017). Ces temps estimés avec des panels de quelques dizaines/centaines de participants en conditions expérimentales (c’est à dire se sachant observés et ayant reçu des consignes) ne permet souvent pas de savoir le pourcentage de non réussite de la manœuvre en conditions réelles (pour rappel les objectifs en sureté de fonctionnement sont de l’ordre de quelques erreurs pour quelques millions de km).
Si la question de la criticité est posée sous l’angle de la perception du conducteur, donc d’un point de vue plus subjectif, il faut alors probablement ajouter aux différents facteurs cités ci-dessus l’état du conducteur. Comme l’ont décrit Albentosa et al., une surcharge de travail ressentie lors d’un contexte de conduite dépend de différents facteurs dont l’état interne de l’individu (Albentosa et al., 2017). Dans les travaux présentés dans ce manuscrit, ce dernier point sera abordé selon les principes de niveau d’engagement et de désengagement d’une tâche.

Impact de l’introduction de l’automatisation dans la tâche de conduite

Parasuraman et Riley définissent l’automatisation comme l’exécution par une machine, généralement un ordinateur, d’une fonction préalablement prise en charge par un humain (Parasuraman & Riley, 1997). En 1997 également, Sarter, Woods et Billings décrivent dans leur fameux article « Automation surprises » les problèmes et erreurs qui conduisent à des incidents dans l’usage d’un système automatisé. Ils mettent en opposition deux points de vue : d’un côté, les bénéfices attendus selon les concepteurs de systèmes automatisés et de l’autre, en face de chaque bénéfice, la complexité réelle qui se cache derrière l’introduction d’une nouvelle technologie et qui peut diminuer les performances d’un utilisateur (exemple, « generic flexibility » versus « explosion of features, options and modes create new demands, types of errors and paths towards failure »). Malheureusement, l’automatisation peut s’accompagner de problèmes de performance liés au phénomène de « sortie de boucle » ou en anglais « Out-of-the-loop » (M. R. Endsley & Kaber, 1999). Ces problèmes surviennent notamment dans l’interaction avec une automatisation imparfaite qui nécessite une supervision et donc un traitement passif de l’information. Dans ce contexte, Kaber et Endsley (1999) désignent quatre phénomènes propres au facteur humain associés à l’utilisation de l’automatisation. Le premier est la baisse de la vigilance. La vigilance (ou attention soutenue) est décrit par la capacité de maintenir une certaine vivacité d’esprit et une attention focalisée sur des éléments précis pendant des périodes prolongées (Parasuraman & Davies, 1977). Il a été conclu par plusieurs équipes de recherches que rester vigilant est source d’erreurs et stressant pour les humains (Hancock, 1989; Warm et al., 2008). C’est ce qui peut notamment conduire à de mauvaises décisions et des comportements inadaptés lors d’intervention humaine. C’est pourquoi certains chercheurs se sont demandé si le maintien d’un niveau de vigilance par des stimulations externes (grâces à des tâches secondaires) ne pouvaient pas être un moyen d’éviter la baisse des performances des opérateurs réalisant des tâches répétitives (Drory, 1985; Wiener et al., 1984). Un deuxième domaine problématique provient d’une confiance inappropriée dans l’automatisation. Cela s’applique aux situations où la confiance subjective est disproportionnée par rapport à la fiabilité réelle de l’automatisation. Alors que la sous-confiance peut être associée à une « désuétude de l’automatisation », une confiance excessive peut conduire à une « mauvaise utilisation de l’automatisation » (Parasuraman & Riley, 1997). Le biais d’automatisation fait référence aux systèmes qui fournissent une aide à la décision dans un environnement complexe. L’opérateur humain peut arriver à des décisions qui sont fortement biaisées par les conseils générés automatiquement et qui ne sont pas basées sur une évaluation globale de la situation. Ce deuxième point est fortement lié au troisième problème de performance OOTL mentionné ci-dessus : la perte de conscience de la situation. La conscience de la situation a été définie comme « la perception des éléments de l’environnement dans un volume de temps et d’espace, la compréhension de leur signification et la projection de leur statut dans un avenir proche » (M. R. Endsley, 1988). La conscience de la situation permet une représentation mentale de la situation actuelle et aussi l’anticipation des changements à venir. Ce sont des conditions préalables nécessaires pour de nombreuses tâches quotidiennes ou liées au travail, y compris la conduite d’un véhicule. La représentation mentale des états du système est considérée comme une composante de la conscience de la situation (voir Endsley, 1995). Dans le contexte de l’automatisation, on peut supposer que la conscience de la situation pourrait être affectée négativement. D’une part, les actions contrôlées manuellement conduisent généralement à un traitement cognitif plus profond par rapport à l’observation passive (effet de génération : Farrell & Lewandowsky, 2000 ; voir aussi Endsley & Kiris, 1995). D’un autre côté, les problèmes de baisse de vigilance et de confiance excessive dans l’automatisation sont associés à une quantité réduite de surveillance, ce qui devrait altérer davantage la conscience de la situation. De plus, la baisse de vigilance et la confiance excessive dans un système automatisé sont deux facteurs pouvant inciter le conducteur à se tourner vers une TVB.
Une équipe de chercheurs a d’ailleurs démontré qu’une interface haptique de pilote automatique particulièrement interactive et adaptative diminuait fortement l’envie de se tourner vers des TVBs chez des chauffeurs routiers (Griffiths & Gillespie, 2005). Un conducteur ayant une confiance excessive dans un automate montrera plus facilement de l’aisance à s’engager fortement dans une TVB. La dernière composante des problèmes de performance OOTL suggérée par Kaber et Endsley (1997) considère la perte progressive de la capacité de l’opérateur à effectuer la tâche automatisée manuellement. Une dégradation des compétences manuelles a été signalée, par exemple pour les pilotes d’avion et, comme contre-mesure, les pilotes sont encouragés à voler manuellement de temps en temps (Hopkin, 2017; Wiener & Nagel, 1988). Cependant, des pilotes pratiquant peu de vols manuels ont principalement montré des baisses de performances dans les tâches cognitives nécessaires au vol manuel (par exemple, le suivi de la position de l’avion ou l’exécution de sous-tâches de navigation) et non dans la compétence de contrôle manuel elle-même (Casner et al., 2016; Strauch, 2017). Bien qu’il demeure un risque, dans l’usage actuel du véhicule automatisé et son futur proche, ce dernier point sera peut-être moins prédominant que dans le domaine aéronautique dans la mesure où une pratique très régulière de la conduite restera nécessaire tant que les modes automatiques pourront être seulement utilisés dans des environnements routiers précis comme sur autoroute ou dans des bouchons.
En 1998, Stanton et Young décrivent la relation entre véhicule automatisé et performance de conduite (Stanton & Young, 1998). Ils distinguent alors deux cas de figures de l’automatisation : un premier dans lequel l’automate permettra au conducteur d’augmenter ses performances de conduite, opposé au second où l’automate, devenant maître de la tâche de conduite, délaisse le conducteur avec des tâches fondamentalement différentes de ce qu’il connaissait jusqu’alors. Ce deuxième cas est évidemment présenté comme préoccupant et comme point névralgique de la mise en œuvre de l’automatisation, pressentie à cette époque pour les prochaines décennies. A noter qu’au moment de leur travaux, ils recensent seulement trois études qui présentent des résultats au sujet de l’effet de l’automatisation sur les performances de conduite. Une conclusion majeure que les auteurs retiennent est la diminution de la charge de travail des conducteurs pendant les modes de délégation de contrôle et l’incapacité démontrée de certains à reprendre en main un véhicule.
D’autres études allaient faire le même constat quelques années plus tard en évoquant le risque de
« fatigue passive » associé à la supervision d’un automate si le conducteur ne pouvait pas se tourner vers d’autres activités pour se maintenir dans un état compatible avec une nécessité de reprise en main (Jarosch et al., 2017). Ce constat les amenait en 1998 à alerter le monde scientifique sur la nécessité de comprendre et maîtriser l’impact de l’automatisation sur la performance de conduite en avançant cette phrase souvent reprise : « cognitive underload caused by automation is at least as serious an issue as overload ».
En abordant la délégation de la conduite au précédent sous-chapitre, nous avons introduit la problématique de la modification du rôle du conducteur vis-à-vis de la gestion du véhicule dans l’environnement routier et de la possible diversification de ses activités lorsque cette délégation sera effective et qu’une surveillance de la route ne sera pas requise par le code de la route (cas de figure correspondant au niveau 4 décrit par la SAE International dans leur classification des niveaux d’automatisation, cf. Figure 2). Un cas de figure théoriquement et légalement impossible mais pourtant existant peut-être ajouté : celui pendant lequel un conducteur ayant lancé un mode de délégation de conduite correspondant au niveau 3 et qui ne respecte pas son rôle de supervision en se tournant vers des TVBs pendant ces phases d’automatisation. En effet, l’automatisation entrainant des états d’ennui et de fatigue passive, le conducteur est tenté de se tourner vers des activités qui s’avéreront plus stimulantes que la tâche de supervision de l’automate (Carsten et al., 2012b; Saxby et al., 2013). Il peut alors arriver deux scénarios de reprise en main : non critique et critique. Le trajet peut se dérouler sans événement particulier jusqu’au bout de la portion de route prévue en mode autonome, le conducteur devra alors reprendre en main seulement à la fin de cette portion. La reprise en main sera considérée comme non critique. A l’inverse, un événement imprévu peut apparaître pendant que le mode autonome est lancé. Une reprise en main dans une situation d’urgence pourrait être requise. La reprise en main est alors considérée comme critique.
Ces activités qu’il sera possible de réaliser à bord du véhicule ont été désignées sous le terme de « Tâches de Vie à Bord » (TVB) ou « Non-Driving-Related Tasks » en anglais (NDRT). Elles sont de ce fait distinguées des « tâches secondaires » que l’on retrouve dans le cas de la conduite manuelle. En effet, la différence relève de la primauté de la tâche vis-à-vis de celle de la conduite. Lorsque la conduite est manuelle, elle reste prédominante et les activités réalisées en parallèles sont donc considérées comme tâches secondaires. En revanche, lorsque la tâche de conduite n’est plus l’activité centrale car déléguée à un automate, les tâches distrayantes peuvent alors prendre la place de tâche centrale. Il n’est plus approprié dans ce cas de les appeler tâches secondaires.
Il est important de rappeler que l’engagement dans des activités à bord d’un véhicule n’est pas un phénomène propre à la conduite automatisée. Cette problématique a déjà été très largement investiguée dans le cadre de la conduite manuelle depuis une cinquantaine d’années (Regan et al., 2013a; Treat et al., 1979). Une des approches les plus retenues de ces décennies de recherche autour de la distraction au volant et de son impact sur les capacités de conduite sont les études dites « naturalistics » (en environnement réel). Dans ces études, les véhicules des participants sont équipés de capteurs et de caméras qui collectent en continu les paramètres du véhicule ainsi que le comportement du conducteur lors de l’utilisation quotidienne du véhicule. Dans l’étude de conduite dite « naturalistic » SHRP 2, les données de plus de 3 500 conducteurs ont été recueillies sur une durée de trois ans (T. A. Dingus et al., 2016). L’impact drastique de l’utilisation d’un smartphone est pointé comme le facteur d’accident le plus fort parmi les autres cités (les conversations avec les passagers, la recherche d’objets et des durées de regard prolongées sur des objets externes). L’utilisation du portable ou de tout autre appareil électronique est précisément présenté comme associé au plus haut risque de collision. Une autre étude de type « naturalistic », UDRIVE, rapporte une prévalence globalement plus faible de l’engagement des tâches secondaires bien qu’elles restent présentées comme fortement délétère pour la conduite (UDRIVE, 2017). Depuis l’identification de la prévalence future des TVBs dans l’usage d’un véhicule hautement automatisé, différentes équipes de recherche les ont intégrées dans leur scénario d’expérimentation s’attachant à étudier la performance de reprise en main. Dans les cas qui se sont le plus attardés sur l’influence que peut avoir l’activité réalisée au moment du déclenchement d’une alerte de reprise de contrôle, de nombreuses données indiquent des différences de performance en fonction de la tâche. Même si jusqu’ici il n’est pas encore possible d’avancer qu’un consensus scientifique a abouti et permettrait une hiérarchisation de celles-ci. D’ores et déjà, de récentes études ont démontrés plusieurs phénomènes qui amènent les scientifiques à penser qu’elles seront très présentes lorsque la délégation de conduite de niveau 4 sera possible. En effet, certaines d’entre elles ont démontré que plus le sujet est à l’aise avec l’automatisation, plus il va se tourner vers des TVB facilement et rapidement (Marberger et al., 2018; Naujoks et al., 2016). En 2020, Hecht et al. ont également rapporté que plus les sujets se projettent dans une tâche qu’ils jugent engageante, plus ils espèrent se reposer sur le système et délaisser l’environnement routier direct (regarder soi-même le trafic, la route, etc.) qu’ils jugent moins important. En parallèle, de nombreuses études confrontant la réalisation de TVB et l’absence de TVB ont démontré que le conducteur était plus performant dans la reprise de contrôle d’un véhicule lorsqu’il n’était pas engagé dans une tâche de vie à bord (Cummings & Ryan, 2014; Eriksson & Stanton, 2017; Gold et al., 2016; Merat et al., 2012a; B. K. Mok et al., 2015; Naujoks et al., 2016; Neubauer et al., 2014; Saxby et al., 2013; Weaver & DeLucia, 2020; Zeeb et al., 2015). En 2016, dans leur revue de la littérature recensant les études sur la reprise en main d’un véhicule après une phase d’automatisation, Vogelpohl et al. ont conclu que la tâche de vie à bord effectuée au moment de la requête de reprise en main envoyée par le système est un des facteurs clés de la performance de reprise en main.
L’activité réalisée avant une reprise en main est donc un des facteurs déterminant du bon déroulement de celle-ci. Plusieurs études se sont intéressées aux comportements des conducteurs pendant des phases automatisées à travers des expérimentations en situations simulées ou via des sondages en ligne afin de recenser les activités populaires pendant cette période (D. R. Large et al., 2018; Pfleging et al., 2016). Les résultats indiquent qu’outre les activités traditionnelles (parler aux passagers, écouter de la musique), la rêverie, écrire des SMS, manger et boire, naviguer sur son smartphone et téléphoner sont les TVBs qui seraient les plus pratiquées pendant les phases d’automatisation de la conduite.

Les Tâches de Vie à Bord

Questions de recherche et approches de la littérature

Le futur de la conduite automatisée ne peut donc pas être envisagé sans la notion de distraction du conducteur ou plus généralement d’activités non-relatives à la conduite. Ce constat appelle de nombreuses questions de recherches. Quelles vont être les TVBs privilégiées par les conducteurs et vont-elles varier en fonction du contexte ? Pour cette première question, plusieurs pistes de réponses ont été avancées au sein de la section précédente. Ajoutons qu’en 2020, Hetch et al. ont recensé les préférences de conducteurs en ce qui concerne les TVBs en fonction du temps d’automatisation prévu. Pour de courts trajets, l’utilisation du smartphone arrivait en tête alors que l’envie de se reposer passait devant pour de plus longs trajets. L’utilisation de supports électroniques est une réponse dominante aujourd’hui dans les études tentant d’apporter des réponses à cette question (Clark et al., 2017a).
D’autres interrogations peuvent se poser au sujet des TVBs : est-il possible de les envisager comme un moyen de maintenir le conducteur dans un état attentionnel proche de celui requis lorsqu’il devra reprendre le volant ? Ou au contraire, sont-elles une distraction qui sera alors considérée délétère ? De plus, doivent-elles être toutes considérées au même niveau ou ont-elles des différences suffisamment significatives, notamment sur l’impact qu’elles peuvent avoir sur la performance de reprise en main du conducteur pour qu’une hiérarchisation soit légitimement établie ? Certains chercheurs s’intéressant à la fatigue générée par l’usage de la délégation de contrôle ont observé que l’engagement dans une tâche annexe avait plusieurs effets positifs sur le sentiment à bord du conducteur bien qu’aucun effet (positif ou négatif) ait été observé sur le temps de réponse lors de reprise de contrôle (Neubauer et al., 2014). A l’inverse, comme évoqué plus tôt, plusieurs résultats d’expérimentation étudiant les performances de reprise en main ont démontré de bien meilleurs temps de réaction et/ou une bien meilleure qualité de reprise en main par leur groupe contrôle qui ne réalisait pas de TVBs. Cependant, une limite dans les conclusions tirées par ces études et que ce type de résultat apparaît principalement dans le cadre d’un design expérimental uniforme : le participant réalise plusieurs reprises en main en peu de temps et ces reprises en main sont toutes critiques voire très critiques. En effet, elles sont généralement effectuées dans une situation qui mélange du trafic avec un temps très court pour effectuer la transition (entre 3 et 7 secondes) et une manœuvre d’urgence à effectuer. Il est également très courant dans ce type d’expérimentation que le participant soit fortement incité à réaliser la TVB avec application (par pression temporelle, récompense pécunière, etc.) pour créer un niveau d’engagement élevé.

Recensement et classification des TVB

Dans la littérature traitant de ce sujet, les TVBs sont exploitées et manipulées de manière très hétérogène. Différentes méthodes de classification sont également observées. Les critères de différenciation sont multiples.

Les travaux de référence sur la distraction en conduite manuelle : une première piste

Dans un premier temps, il peut être intéressant d’explorer les classifications établies par quelques grands projets de recherche s’étant particulièrement penchés sur la distraction du conducteur engendrée par des tâches secondaires. En effet, ces études ont souvent abouti à un recensement de ces tâches secondaires (soit par enquête, soit par observations en conditions réelles ou simulées) puis à une classification de celles-ci. Souvent, cette classification est établie en fonction de leur impact sur le niveau de concentration du conducteur, sur ses performances de conduite ou sur un niveau de distraction mesuré. Cette classification mérite une attention particulière dans la mesure où un certain nombre de paramètres de ces études se rapprochent du contexte dans lequel se retrouve un conducteur de véhicule hautement automatisé. En effet, il s’agit d’activités qui se réalisent dans l’environnement intérieur d’un véhicule avec ses particularités et ses limites (le conducteur est sur son siège dont il ne peut pas bouger pendant que le véhicule est en route), comprenant des interactions avec l’environnement routier. Il sera même parfois en charge de la conduite avant et/ou après les phases d’automatisation, ce qui peut s’intercaler avec l’activité comme nous le verrons par la suite.
Dans un projet financé par la Federal Motor Carrier Safety Administration (Etats-Unis), une classification des tâches distrayantes pour le conducteur est proposée (Olson et al., 2009). Des tâches secondaires (ici on ne parle pas de tâches de vie à bord car la tâche de conduite reste la tâche principale) sont classées a priori (Tableau 4) en trois catégories en fonction d’un niveau de complexité estimé selon des aspects moteurs et visuels. Les auteurs se sont intéressés à la distraction des conducteurs (dans le cas de la conduite manuelle) à bord de véhicules commerciaux : ils proposent une taxonomie du phénomène de distraction en conduite automobile. Leur classification s’appuie sur le concept de complexité de la tâche, considérée comme facteur déterminant du niveau de distraction que celle-ci engendre. La complexité est déterminée selon plusieurs critères définis par des travaux antérieurs : la tâche nécessite plusieurs étapes, plusieurs regards éloignés de l’environnement routier et/ou plusieurs manipulations de boutons (T. A. Dingus et al., 1989; Klauer et al., 2006). Dans leur étude, Olson et al. concluent que les tâches suivantes sont les plus risquées lors de la conduite : « Texting, interacting with dispatching devices, writing, using a calculator, looking a map, dialing a cell phone, reading a book ». Ils ajoutent que la simple manipulation d’un objet (qui s’est avéré très souvent être électronique) est facteur de risque (poser/prendre le smartphone par exemple).
Une autre étude majeure en « Naturalitic driving » appelée « 100-car » a permis d’exploiter un nombre conséquent de données de cent conducteurs suivis pendant un an lors de leurs trajets afin de mieux comprendre les facteurs d’accidents (Neale et al., 2005). Parmi les facteurs clés se trouvent les tâches secondaires effectuées pendant la conduite. Elles sont recensées selon leur fréquence d’occurrence puis mises en relation avec les situations dangereuses rencontrées lorsqu’elles étaient en cours de réalisation. Trois niveaux de sévérité de la situation sont rapportés : incident, quasi-accident, accident. La tâche secondaire la plus fréquente et associée au plus grand nombre d’incident est le « Wireless Device » soit l’utilisation ou la manipulation d’objets électroniques. Selon les chercheurs, bien que l’utilisation du téléphone portable ait contribué beaucoup plus fréquemment aux incidents et aux quasi-accidents que toute autre tâche secondaire, l’utilisation du téléphone portable n’a cependant pas contribué à tous les accidents principaux impliquant un conflit avec plusieurs autres véhicules. Néanmoins, l’utilisation du téléphone cellulaire a contribué à d’autres types d’accidents, tels que les sorties de route, les conflits avec l’environnement extérieur (le conducteur a heurté une barricade) et les conflits de véhicules consécutifs (le véhicule en question a été heurté).
Le livre de référence de Regan et al. sur la distraction et l’inattention du conducteur apporte également un éclairage étayé sur l’influence des tâches secondaires sur les performances de conduite (Regan et al., 2013b). Deux concepts de l’inattention du conducteur sont développés : la « driver-restricted attention » (attention restreinte du conducteur) souvent due à un état biologique la favorisant tel que et la fatigue passive ou la somnolence ; et la « driver-diverted attention », synonyme de distraction du conducteur et définit comme suit « the diversion of attention away from activities critical for safe driving toward a competing activity, which may result in insufficient or no attention to activities critical for safe driving » (pp. 1776). Les auteurs avancent que dans le cas du véhicule hautement automatisé, le conducteur doit maintenir une surveillance minimum de l’environnement de conduite en se considérant comme l’opérateur de secours.
Une revue de la littérature traitant des causes subjectives de la distraction des conducteurs a mis en exergue l’appétence forte des conducteurs pour les supports numériques pendant la conduite (Parnell et al., 2017). Les auteurs rappellent que bien que le téléphone soit prédominant dans l’envie de se tourner vers un support numérique, il n’est pas le seul à être utilisé comme distraction (tablette etc.).
Des liens de corrélation ont été observés avec l’usage du support numérique et certaines des études exploitées avancent que l’âge aurait une influence sur la perception et le comportement du conducteur quand il interagit avec la technologie. Les auteurs de la revue restent néanmoins prudents quant à cette dernière conclusion qu’ils jugent hâtive au vu de la complexité de l’interprétation de résultats impliquant l’âge. Enfin, Iqbal et Balley se sont appuyés sur les travaux de Salvucci afin de proposer une classification d’activités. Ici aussi, c’est le critère de difficulté qui leur permet de différencier les types de tâche (Iqbal & Bailey, 2006; Salvucci et al., 2009). La difficulté est mesurée en fonction d’un certains nombres de paramètres dont la sollicitation de fonctions cognitives de bas niveau ou de haut niveau. Ils considèrent par exemple qu’un mouvement simple est moins difficile à effectuer que de se rappeler d’une information comme l’illustre le tableau présenté ci-dessus (Tableau 5).

Les études sur les Tâches de Vie à Bord : approches de classification

Dans leur revue de la littérature recensant les TVBs utilisées dans les études sur la conduite automatisée, Naujoks et al. (2018) présentent la conduite automatisée comme système permettant
au conducteur de se tourner vers des activités tout en attendant du conducteur qu’il soit disponible en cas d’une nécessaire reprise de contrôle. La classification des TVBs et la mesure de leur impact
sur le conducteur représentent un point important du développement de la conduite automatisée. Dans leur approche, le TVBs standardisées (n-back task, SuRT, etc.) sont séparées des TVBs qu’ils nomment « de tous les jours ». Ils comptabilisent 18 TVBs de « tous les jours » (In-vehicle information systems (IVIS), Free choice of tasks, Reading, whether app, entering destination in navigation system, quiz-task, Reading out text aloud, Answering questions after hearing texts, Visual information search, Eating, Gaming, Listening to music, Speaking on the phone, Writing/dialing on the phone, Text entry, Watching a movie, Leaning out of the window and Sitting cross-legged) et 11 TVBs standardisées ( Tracking task, Surrogate Reference Task (SuRT), n-Back, 20-Questions-Task, Addition, Rapid serial visual presentation task, Pheripheral detection task, Rotated Figures task, Position of stimulus, Cloze-test, Oddball task). Ensuite, ils proposent une vision de la transition de contrôle d’un système à un conducteur en quatre étapes principales. Pour chacune d’entre elles, les attentes vis-à-vis du comportement du conducteur sont précisées (Figure
4) :
1. “Maintaining fitness to drive during automated driving” pour l’étape “CAD engaged” correspondant au mode où le pilote automatique est activé.
2. “Noticing the necessity to take over manual vehicle control as soon as the take-over request is issued” pour l’étape “CAD degraded” qui suit le déclenchement de l’alerte de reprise en main.
3. “Termination or interruption of the executed NDRT and interfacing with the control elements” pour l’étape “CAD disengagement” au cours de laquel le mode autonome se désactivera.
4. “Focusing on subsequent manual driving” pour la dernière étape qui correspond à la conduite manuelle suivant la période de transition écoulée.
Ensuite, ils attribuent des « dimensions » à chacune des TVBs identifiées dans leur revue de la littérature puis proposent une classification par étape et en fonction de leur possible incidence sur les attentes vis-à-vis du conducteur à chaque étape. Par exemple, ils considèrent que les TVBs nécessitant des capacités sensorielles primaires comme la perception visuelle ou auditive sont particulièrement incompatible avec la deuxième étape correspondant au déclenchement de l’alerte qu’il sera nécessaire de traiter. Des TVBs créant une implication émotionnelle élevée sont considérées comme pouvant avoir une incidence lors de la première étape (pendant la conduite autonome) car elles peuvent créer un phénomène de tunnelisation attentionnelle.
Les TVBs sont donc ici classées par Naujoks et al. (2018) selon plusieurs critères : les dimensions cognitives qu’elles sollicitent et les états cognitifs néfastes qu’elles peuvent engendrer ainsi que le moment où leur incidence néfaste risque d’être la plus forte dans le processus de transition de contrôle. Leur approche prend son origine des différents états du système et a le mérite de questionner l’impact de l’état du conducteur pour chacun de ces états dans le processus de transition. En revanche, la classification des TVBs sélectionnées selon leur impact sur la cognition peut parfois manquer de clarté. Cela s’explique principalement par le fait que cette classification mêle des aspects très différents fondés sur diverses théories (comme le mental workload causé par une TVB et la localisation de la TVB dans la voiture ou encore l’effort d’interruption associé à une tâche).
Pour des activités écologiques, il n’est pas évident de proposer une classification d’un point de vue
cognitif au vu de la variabilité des tâches et même de la variabilité pour chaque tâche. Par exemple, des chercheurs différencient des tâches en fonction du support principal donc toutes les tâches réalisées sur écran numérique sont regroupées (Clark et al., 2017a) ce qui peut être fortement discutable sur le plan cognitif au vu de la variabilité des activités qu’il est possible de réaliser sur un support numérique. D’autres travaux appliquent une classification en utilisant plusieurs dimensions croisées venant à la fois d’organismes officiels et de théories (Spiessl & Hussmann, 2011). Ces derniers et bien d’autres équipes de recherche ayant menés de pareilles expérimentations utilisent notamment la « Malleable Ressources Theory », décrite plus avant dans la section II.E.2 correspondant à l’article 1 de ces travaux (Wickens, 2002). Ce modèle est discuté dans la section II.D.2.
Du travail de recherche disponible dans la littérature scientifique traitant du sujet de la transition de contrôle, le concept d’engagement et de désengagement d’une tâche nous est apparu déterminant
pour la réussite de cette action nouvelle de la conduite d’un véhicule hautement automatisé. Son importance se révèle selon deux idées principales :
– Son rôle fort dans plusieurs des problèmes majeurs associés à la conduite automatisée telle que la distraction ou la perte de la conscience de la situation comme évoqué plus tôt.
– Sa prédominance dans le cas particulier de la conduite automatisée associée à la possibilité de réaliser une TVB pendant les phases de délégation de la conduite. Il sera particulièrement question d’engagement dans une TVB, puis de désengagement de cette tâche pour initier un réengagement dans la tâche de conduite.
La section II.E contient un travail de review effectué dans le cadre de cette thèse. L’objectif de cette exploration de la littérature est d’apporter des pistes théoriques et méthodologiques d’étude des mécanismes d’engagement et de désengagement des TVBs. Elle se distingue des travaux de recensement précédemment présentés par son approche centrée sur la cognition humaine en opposition à l’approche dominante actuelle très techno-centrée de la reprise en main. Ainsi, après avoir présenté l’état de la littérature recensant les études sur la pratique de TVBs en phase d’automatisation et de son impact sur la performance de reprise de contrôle, les concepts théoriques ayant permis la classification des différentes TVBs et la mesure de leur effet sur le conducteur sont présentés dans la section suivante avant de proposer notre propre approche.

Théories de l’engagement et Concepts associés

Les précédentes sections ont permis de décrire le cadre et le contexte d’étude des travaux présentés dans cette thèse, c’est-à-dire, les enjeux de la combinaison de la conduite hautement automatisée et de tâches de vie à bord. Les mécanismes d’engagement dans la tâche ont été identifiés comme déterminants de la réussite de cette interaction entre conducteur et véhicule hautement automatisé lors de transitions de contrôle. Les mécanismes d’engagement dans la tâche se déclinent précisément en trois phénomènes dans le cas d’une reprise de contrôle à effectuer lorsqu’une TVB était en cours : l’engagement dans la TVB en cours pendant la phase de délégation de conduite puis le désengagement de cette TVB lorsque la transition est initiée et enfin le réengagement dans la tâche de conduite. Nous avons vu comment les études mesurent l’effet de l’engagement dans une tâche grâce à la section II.E qui contient la revue de la littérature à ce sujet ayant fait l’objet d’une publication (Jaussein et al., 2021). Ce que nous pouvons particulièrement retenir de ce travail de revue de la littérature est la diversité des approches de mesures de l’engagement dans la tâche. Ce constat peut être expliqué par la multiplicité des théories qui évoquent l’engagement dans la tâche sans en faire un concept majeur bien souvent. En effet, les définitions de l’engagement disponibles dans la littérature varient. Il est parfois abordé en tant qu’objet d’étude central mais il est surtout mentionné dans des approches diverses traitant des ressources attentionnelles (M. S. Young & Stanton, 2002b), de la charge de travail (Berka et al., 2007), du phénomène de tâches multiples (Salvucci & Taatgen, 2008a; Wickens, 2002), du stress (Matthews et al., 2010a) et d’autres encore. Ces approches se concentrent pour la plupart sur le résultat de l’engagement. Néanmoins, il est possible de trouver des modèles ou approches de l’engagement dans la tâche traitant ce dernier comme concept central contrairement aux approches précédemment citées. Nous pensons notamment au modèle de O’Brien et Toms (2008) qui théorise l’engagement de l’utilisateur dans le cadre de l’utilisation de technologies. D’autres recherches mettent davantage en avant l’importance de facteurs liés à des mécanismes émotionnels pour décrire le phénomène d’engagement (Nass et Brave, 2005). L’intérêt pour une tâche particulière est créé par une réponse affective positive àl’objet de la tâche et une motivation intrinsèque pour effectuer celle-ci. Dans le domaine de l’acquisition des connaissances et du développement des compétences, le niveau d’intérêt est considéré comme un déterminant central de la façon dont nous sélectionnons et persistons à traiter certains types d’informations à l’exclusion d’autres (par exemple, Hidi, 1990). Dans le contexte de la conduite automobile, bon nombre de ces facteurs influencent probablement la volonté des utilisateurs d’effectuer des tâches potentiellement distrayantes au volant (p. ex., Lerner et Boyd, 2005).
L’attention et l’allocation de ses ressources, la charge de travail et le niveau de demande, l’influence de la technologie, le stress sont les domaines traitant de l’engagement dans la tâche en lui conférant
différents statuts (facteurs, conséquences, etc.). Dans cette nouvelle section, nous allons justement parcourir les approches de l’engagement recensées dans la littérature ainsi que les différents concepts clés utilisés pour son exploration.

Approches de l’engagement

Selon Lee, pour comprendre les mécanismes d’engagement et de désengagement à l’œuvre dans le cadre de la distraction du conducteur utilisant un mode de délégation de la conduite, deux approches doivent être combinées : celle s’intéressant aux variations des ressources attentionnelles et celles explorant les dynamiques attentionnelles (Lee, 2014). Ces deux points avancés peuvent être mis en relation avec deux parties importantes de la transition de contrôle : la tâche (réalisée avant la reprise en main) comprenant ce qu’elle demande en termes d’investissement cognitif (variations des ressources) et le mode de fonctionnement pour effectuer un passage d’une tâche à une autre (les dynamiques), en l’occurrence de la TVB à la tâche de conduite. Ainsi selon Lee, pour comprendre les mécanismes d’engagement et de désengagement, il faut donc mesurer non seulement le niveau de ressources allouées à une tâche pour prendre en compte le niveau d’engagement qu’elle suscite mais également les moyens mis en œuvre pour passer d’une tâche à une autre pour prendre en compte les dynamiques de désengagement et de réengagement en œuvre.
Le terme d’engagement est utilisé sous plusieurs sens dans la littérature. Il est important de distinguer les concepts émanant de ce même terme afin de définir les limites sémantiques de notre propre utilisation.
Certains le qualifie d’allocation manifeste de l’attention (Tops & Boksem, 2010), tandis que d’autres décrivent l’engagement par sa propension à attirer et retenir notre attention (Pintrich et al., 1993). Selon d’autres théories, l’engagement serait un état dans lequel un individu se trouverait, dû à son implication dans une activité à tel point que toutes les influences concurrentes seraient bloquées (par exemple, Csikszentmihalyi & Csikzentmihaly, 1990). Enfin, certains l’évoquent même en parlant d’engagement de l’attention (Shagass et al., 1976). En résumé, pour certains chercheurs, l’engagement est la résultante de l’allocation des ressources attentionnelles alors que pour d’autres il est la cause de cette allocation (et de son niveau).
Dans la recherche en éducation, le terme « engagement » a été utilisé pour désigner l’investissement cognitif, la participation active et l’engagement émotionnel des élèves dans des tâches d’apprentissage spécifiques. Cet engagement est évalué sur la base de critères cognitifs (à quel point les élèves s’occupent et dépensent des efforts mentaux dans une tâche), de critères comportementaux (à quel point par différents comportements les élèves expriment leur intérêt pour la tâche) et des critères affectifs (basés sur des critères émotionnels).
Pour étudier et améliorer l’expérience d’utilisateurs de technologies numériques, O’Brien et Toms ont proposé un modèle d’engagement qui se concentre sur les propriétés d’une tâche qui obligerait plus ou moins d’engagement. Il comprend notamment le degré de difficulté des tâches, leur caractère interactif, mais aussi esthétique, si elles sont continues, variées ou inédites (O’Brien & Toms, 2008).
Dans leur approche de l’engagement et du désengagement, Carver et Scheier considèrent ces deux mécanismes comme indispensables dans toutes activités (Carver & Scheier, 2005). Ils considèrent qu’une capacité supplémentaire est indispensable à la bonne utilisation de ces deux mécanismes : la capacité à déterminer quand il faut continuer de mettre ses efforts dans une tâche et quand il faut s’en désengager, au profit de quelque chose d’autre devenu plus important.
Le niveau d’engagement peut être influencé par un certain nombre de facteurs, quelle que soit la difficulté de la tâche. En tant que tel, l’engagement peut être un facteur important pour déterminer la politique d’allocation des ressources du conducteur au-delà de ce qui pourrait être requis pour une exécution réussie de la tâche. Les conducteurs peuvent consacrer plus de ressources attentionnelles à des activités considérées comme engageantes plutôt qu’à celles qui le sont moins, ce qui pourrait avoir des implications plus néfastes pour la performance de conduite dans le cas d’une transition de contrôle. De nombreuses études sur la multiplication des tâches au volant en conduite manuelle ont utilisé des tâches qui varient en termes de difficulté en utilisant des tâches secondaires, mais peu ont prêté attention au niveau d’engagement ou d’intérêt de l’individu pour ces différentes tâches. Par exemple, Dula et al. ont constaté que les conducteurs impliqués dans une conversation émotionnelle adoptaient des comportements de conduite plus dangereux que les conducteurs tenant une conversation banale ou que ceux du groupe contrôle – donc sans conversation (Dula et al., 2011). Bien que ces auteurs n’aient pas contrôlé la difficulté de la tâche (ce n’était pas un objectif de leur étude), cette étude montre qu’il existerait des différences entre les tâches, et que cela peut aboutir à différents résultats de performance. Dans des travaux antérieurs, Horrey et al. ont examiné deux tâches qui différaient selon des critères liés à l’engagement. Les résultats suggèrent qu’une tâche considérée comme plus engageante (des devinettes en vingt items proposées sous la forme de jeu) entraînait de moins bons résultats de conduite qu’une tâche de calcul mental moins engageante, bien que les conducteurs aient évalué leurs performances de conduite comme supérieures à la tâche engageante (Horrey et al., 2009). Ces résultats suggèrent que l’engagement mis dans les tâches secondaires brouille le jugement des conducteurs sur leur performance de conduite.
En recoupant les diverses approches relevant de domaines parfois très éloignés comme l’éducation et l’expérience utilisateur dans le numérique, certains concepts utilisés par différentes équipes de recherche émergent. En effet, il est souvent question de niveau de mobilisation des ressources attentionnelles, de niveau charge de travail ou encore d’effort interruption. Explorons les grandes approches qui exploitent ou du moins évoquent l’engagement.

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Table des matières

Table des matières
Introduction Générale
A. Contexte
B. Problématique
Cadre théorique
A. Conduite automobile, automatisation et conducteur : contexte et définitions
1. La tâche de conduite
2. Les niveaux d’automatisation
3. La transition de contrôle
4. La criticité de la reprise en main
B. Impact de l’introduction de l’automatisation dans la tâche de conduite
C. Les Tâches de Vie à Bord
1. Questions de recherche et approches de la littérature
2. Recensement et classification des TVB
a. Les travaux de référence sur la distraction en conduite manuelle : une première piste
b. Les études sur les Tâches de Vie à Bord : approches de classification
D. Théories de l’engagement et Concepts associés
1. Approches de l’engagement
2. Attention et Ressources
3. La Charge de travail ou Workload
4. L’effort d’interruption ou Interruptibilité
5. L’engagement dans la tâche en tant que facteurs du stress
E. L’engagement dans une TVB en condition simulée de transition de contrôle : manipulation et évaluation (Article 1)
1. Résumé de l’article
2. Contenu de l’article
I. Introduction
II. The Manipulation of Engagement
III. The Evaluation of Task Engagement
IV. Discussion
V. Conclusion
VI. Conflict of Interest
VII. Author Contributions
VIII. References
Méthodologie
A. Problématique
B. Hypothèses de recherche
C. Démarche expérimentale
D. Mesures des différentes étapes de la transition de contrôle
1. Mesures de l’engagement dans une TVB
a. La charge de travail
b. Le Dundee Stress State Questionnaire
c. Mesures du niveau d’interruptibilité d’une tâche
d. Les patterns visuels
2. Mesures du désengagement d’une TVB
a. Interruption de la TVB
b. Temps pour mettre fin à la TVB
3. Mesures du réengagement dans la tâche de conduite
a. Les temps de reprise en main
b. La qualité de la reprise en main
E. Résumé des mesures
Partie expérimentale
A. Détermination des mesures subjectives de l’engagement dans des tâches de vie à bord :étude pilote (Article 2)
1. Résumé de l’article
2. Méthode et matériel : informations complémentaires
a. Support d’enquête et de recueil des données
b. Tâches
3. Contenu de l’article
I. Theoritical background
II. Method
III. Results
IV. Discussion
V. Conclusion
VI. Acknowledgement
VII. References
4. Résultats complémentaires
B. Comment le facteur humain devrait-il être pris en compte dans l’étude de la reprise en main d’un véhicule hautement automatisé ? Une expérimentation en simulateur de conduite (Article 3)
1. Résumé
2. Méthode et matériel : informations complémentaires
Le simulateur de conduite
Scenarios
Les Tâches de Vie à Bord
3. Contenu de l’article
I. Introduction
II. Material and methods
III. Data acquisition and analysis
IV. Results
V. Discussion
VI. Conclusions
VII. Aknowledgement
VIII. References
Synthèse, discussion et perspectives
A. Synthèse
B. Discussion
C. Limites et perspectives
Bibliographie

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