Identification de themata sous-jacents aux représentations

Identification de themata sous-jacents aux représentations

Dialogicité et processus dynamique à trois composantes

Evoquer le dialogisme sans citer les travaux de Mikhaïl Bakhtine (1977 ; 1978 ; 1984) serait omettre l’essentiel. Pour ce dernier, « dans le champ de quasiment chaque énoncé a lieu une interaction tendue, un conflit entre sa parole à soi et celle de “l’autre”, un processus de délimitation ou d’éclairage dialogique mutuel » (Bakhtine, 1978, p. 172). Le discours des uns ne peut alors être considéré comme indépendant du discours des autres – antérieurs et à venir – , qui influent inexorablement sur leur nature-même. Alors que Bakhtine présentait le dialogisme – ou indifféremment la dialogicité – comme une épistémologie de la cognition et de la communication humaine, Marková (2011), par contre, opère une distinction entre le terme “dialogisme“ qui se rapporterait à une épistémologie des sciences humaines comme sociales et “dialogicité“ qui désignerait les caractéristiques essentielles de la cognition et de la communication humaine. L’approche soutenue dans ce travail se réfère donc plus spécifiquement à la dialogicité qui serait « la capacité de l’esprit humain (l’Ego) à concevoir, à créer et à communiquer sur des réalités sociales (ou représentations sociales en l’occurrence) en termes d’altérité (l’Alter), cela incluant d’autres personnes, idées ou symboles » (Marková, 2011, p. 392). En revenant à la théorie de la connaissance sociale et en prenant le pas des épistémologies traditionnelles dans lesquelles l’explication du processus de la connaissance est articulée autour de deux éléments séparés, soit des sujets connaissant (individus ou groupes) et les objets du savoir, la dialogicité met en interaction l’Ego, l’Alter et l’Objet. Cette « triade magique », selon les termes de l’auteur, s’inspire des modèles triadiques qui ont parcouru l’histoire du genre humain mais également de plusieurs modèles élaborés dans des travaux du siècle dernier (Bühler, 1934 ; Moscovici, 1984). Toujours est-il que l’unité indécomposable défendue avec ces trois composantes constitue la condition prévalant à toute tentative d’explication d’une construction sociale, nécessitant inévitablement un individu, une société et un objet. A cette nouvelle unité de connaissance manque encore une force, un élan vers l’action ou le changement. Car si les épistémologies traditionnelles s’appuient sur un cadre stable et statique, « une théorie de la connaissance sociale qui ferait intervenir la dynamique et la dialogicité de l’esprit dans une analyse fructueuse » fait toujours défaut (Marková, 2007, p. 37). La réponse que propose alors Ivana Marková est contenue dans le concept de tension qui n’est pas étranger à l’idée de changement. Or si “le changement“ s’apparente à une boite de pandore pour les sciences sociales (voire Saussure 1910/1911/1993 ; Valsiner, 1989/1998 ; Dodds, Valsiner & Lawrence, 1996 ; Lawrence & Valsiner, 1997), il doit néanmoins être pris en compte dans une théorie de la connaissance sociale qui fournira une explication historique de l’activité humaine. Et contrairement aux sciences naturelles qui essaient d’expliquer les objets de leur étude par des liens de cause à effet, les activités humaines obéissent à des intentions et sont donc différentes par nature des phénomènes physiques. En effet, pour expliquer la dialogicité de l’esprit, ce dernier doit être envisagé « non comme un mécanisme sans histoire propre mais comme un phénomène constitué historiquement et culturellement dans la communication, la tension et le changement » (Marková, 2007, p. 47). Ce ne sont pas moins que ces tensions ou conflits internes, autrement dit des antinomies de l’esprit, qui jouent un rôle de moteur pour le vivant, c’est-à-dire qui constituent la caractéristique essentielle de la vitalité. En effet, « les oppositions véhiculées par les polémiques, les affrontements et les querelles, qui renferment tous des tensions, laissent toujours une porte de sortie, ouvrant le dialogue humain à différentes interprétations et donc à l’innovation » (Marková, 2007, p. 47). 14 L’unité dynamique de la théorie de la connaissance sociale est alors toute trouvée : Ego-AlterObjet se situent dans un « rapport interne », soit dans une forme d’interdépendance qui ne permet pas une décomposition en ses constituants, alors que chaque individu conserve néanmoins solidement son individualité de par la tension qui se manifeste chez tous les participants d’une communication

Eléments de définition

« L’homme est la mesure de toutes choses ». Cette célèbre citation de Platon (as cited in Mannoni, 2016, p. 3) laisse présager l’étendue du champ que dessine le concept de représentations sociales. En effet, elles ne seraient pas moins que les pièces essentielles à notre épistémologie de sens commun, en ce sens qu’elles se situent à la base de notre vie psychique. Elles donneraient encore à la réalité toute sa consistance puisque ces représentations se prennent elles-mêmes pour la mesure de toutes choses. Véritables boussoles, elles permettent à l’humain de se repérer dans son environnement physique comme psychique. Elles s’immiscent aussi bien « dans les objets de la pensée pure que dans ceux de la pensée socialisée (englobant) effectivement d’authentiques concepts (le vrai, le faux, le beau, le juste), des objets physiques (les chevaux, les arbres fruitiers), ou sociaux (la culture, la mode vestimentaire, les bonnes manières), des catégories d’individus (les professeurs, les étudiants, les médecins) » (Mannoni, 2016, p. 3). Les valeurs, la communication, la pensée sociale et scientifique, les sentiments, les croyances, toutes sont empreintes de représentations. Les représentations semblent si naturelles et spontanées qu’elles font oublier jusqu’à leur existence. Néanmoins, toute démarche scientifique invite à y réfléchir, et l’on comprendra donc la valeur heuristique certaine que lui confèrent la plupart des sciences humaines. C’est cependant dans le cadre de la psychologie sociale que cette section abordera les représentations sociales puisque ces dernières constituent, au même titre que la communication, la dynamique des groupes, les processus d’influences, etc., leur domaine propre. Et même en se concentrant sur une et une seule discipline, il n’est pas chose aisée que d’en dégager une idée claire, tant ses définitions sont considérées comme problématiques, ses relations multiples et diverses, et ses contours très flous (Ehrlich, 1985 ; Flament, 1989 ; Mannoni, 2016). Dès lors, donner un contour précis aux représentations ne constitue pas moins que des choix, opérés sur la base d’affinités vis-à-vis de certains auteurs et, pourquoi pas, de représentations. Or ces dernières constituent inévitablement l’oméga de la connaissance vraie, son opposé qui de fait présuppose leur existence. Mais qu’est-ce que la connaissance vraie ? Dans quelle mesure le monde est-il appréhendable de manière objective ? Cette interrogation épistémologique fondatrice pose les bases d’une théorie générale de la représentation mentale, qui ne doit être confondue, malgré leur proximité, avec la représentation sociale. Cependant, cette question ne sera pas discutée dans ce travail qui se focalisera sur la dimension sociale de la représentation, avec comme point de départ le passage d’une échelle à l’autre. Le passage de la représentation mentale (relative à une conscience individuelle) à la représentation sociale (pièce d’une pensée collective partagée) reste en partie énigmatique. Mais ce n’est pas pour autant que l’une et l’autre peuvent être simplement dissociées, faute d’oublier « la continuité qu’elles entretiennent du fait de leur homogénéité de nature et de leur articulation fonctionnelle » (Mannoni, 2016, p. 13). Il y aurait une forme d’élaboration par étape qui ferait de la première une condition à la deuxième, et dont le passage de l’une à l’autre laisse présager une mobilité et une perméabilité entre les univers psychiques personnels et sociaux, qui solidifient d’autant plus leur trait d’union. A noter que ces échanges vont dans les deux sens dans une même sphère culturelle, « où s’effectueraient les élaborations mentales aboutissant aux représentations sociales, élaborations que l’individu ne peut effectuer qu’à partir des matériaux psychologiques acquis dans son groupe de référence, et auxquelles 12 peuvent facilement participer et adhérer les membres de la collectivité, du fait de leur partage d’une culture et d’une vie commune » (Mannoni, 2016, p. 14). Une représentation sociale serait alors, selon Mannoni, « une image mentale représentée qui, au cours de son évolution, aurait acquis une valeur socialisée (partagée par un grand nombre) et une fonction socialisante (participant à l’élaboration d’une interprétation du réel valide pour un groupe donné à un moment donné de son histoire) ». En d’autres termes, ce qui distingue les représentations personnelles des représentations sociales se situe plus dans le référent que dans le mécanisme, puisque c’est à partir du groupe d’appartenance qui disposent de matériaux d’ordre culturel que l’individu construit son propre univers de sens érigé en une vision collective pour rendre la représentation sociale. Selon Moscovici, donc, la représentation sociale « est (un) système de valeurs, de notions et de pratiques relatives à des objets, des aspects ou des dimensions du milieu social, qui permet non seulement la stabilisation du cadre de vie des individus et des groupes, mais qui constitue également un instrument d’orientation de la perception des situations et d’élaboration des réponses » (Moscovici, as cited in Fischer, 1996, p. 125). Cette définition comporte bien des éléments, à commencer par les constituants des représentations, soit des valeurs, des notions, des pratiques, par lesquelles les formes de savoir “naïf“ vont participer à organiser les conduites et orienter les communications. En effet, les représentations sociales feraient selon Moscovici office de code tant pour habiliter les individus à procéder à des échanges que pour leur permettre de « classer de manière univoque les parties de leur monde et de leur histoire individuelle ou collective » (Moscovici, 1961). Denise Jodelet ajoute encore que « les représentations nous guident dans la façon de nommer et de définir ensemble les différents aspects de notre réalité de tous les jours ; dans la façon de les interpréter, de statuer sur eux et le cas échéant de prendre une position à leur égard et de la défendre » (Jodelet, 1992). La définition de Moscovici présente encore une partie plus concrète lorsqu’il aborde ce que « le système » de représentations permet, autrement dit les fonctions d’utilité sociale qu’elles revêtent. Ces fonctions sont de différents ordres. Elles peuvent être cognitives lorsqu’elles servent aux individus à intégrer de nouvelles données à leur cadre de pensée, notamment via la diffusion d’idées de certaines catégories sociales telles que les journalistes, les politiques, les médecins, etc. Des fonctions d’orientation et de construction de la réalité traduisent par contre une manière de penser et par là d’interpréter le monde et ses effets dans la vie quotidienne. Dès lors, les valeurs et le contexte dans lequel elles s’élaborent ont une incidence sur la construction de la réalité. A cela s’ajoutent des fonctions d’orientation des conduites et des comportements du fait que les représentations sociales sont incontestablement porteuses de sens et participent à la création de lien. En aidant les gens à communiquer et à se diriger dans leur environnement, elles engendrent par conséquent des attitudes, des opinions et des comportements (Rouquette & Rateau, 1998, p. 4). Les fonctions identitaires servent quant à elles à situer les individus et les groupes dans le champ social, en permettant l’élaboration d’une identité sociale et personnelle gratifiante, c’est-à-dire compatible avec des systèmes de normes et de valeurs socialement et historiquement déterminés (Mugny & Carugati, 1989). Enfin, les fonctions de justification des pratiques concerneraient particulièrement les relations entre groupes et les représentations que chaque groupe va se faire de l’autre groupe, menant ainsi à des prises de position et des comportements (Rouquette & Rateau, 1998, p. 4). En définitive, en retenant la définition que donne Serge Moscovici des représentations sociales, il convient dans la suite du travail et pour répondre aux axes de recherches qui le guident d’investir le “système de valeurs, de notions et de pratiques“ qui caractérise le milieu social des villageois de montagnes concernés par l’ouverture d’un centre pour requérant⋅e⋅s d’asile. Avant cela et dès lors que la dimension collective est invoquée dans la construction de la représentation sociale, se pose la question des relations entre les individus d’une part, mais aussi entre eux et l’objet de la représentation. 13 L’étape suivante de la tentative souhaitée d’habiller un concept plurivoque des éléments de définition qui solidifient l’intérêt de la problématique de ce travail revient à l’intérêt porté sur la « triade dialogique », telle que présentée par Marková (2007).

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Table des matières

Partie I : introduction
1 De la migration à sa perception
2 Intérêt de la recherche
3 Problématique
Partie II : cadre théorique
4 De la psychologie culturelle
5 … A la psychologie critique
6 Le concept de représentation sociale
6.1 Histoire du concept
6.2 Eléments de définition
6.3 Dialogicité et processus dynamique à trois composantes
6.4 Représentations alternatives et barrières sémantiques
6.5 Pertinence du concept pour le sujet
7 La migration et le dépassement de certains de ses postulats implicites
8 Implications épistémologiques de la théorie des représentations sociales
9 Synthèse intermédiaire
Partie III : méthodologie
10 Approche qualitative, constructiviste et interactionniste
11 Choix de la méthode : les focus groups, un outil imaginé pour révéler les représentations
sociales ?
12 Focus groups : survols historiques
13 Population cible et sélection de l’échantillonnage
14 Présentation des participants et situation d’entretien (cadre et rôle d’activité)
15 Focus groups : question de départ et déroulement de la session
16 Rôle du chercheur et implications épistémologiques de la méthode
17 Transcription
18 Codage et analyse
Partie IV : analyse
19 Dynamique des entretiens de groupe
19.1 Le FG comme activité communicationnelle : cadre, rôle d’activité et conversation multipartie
19.2 Prendre en compte l’hétérogénéité du sujet
19.3 Le focus group comme lieu de circulation des idées
19.3.1 Dialogue d’idées19.3.2 Analyse de topic et dispositifs discursifs
19.3.3 Analogies et distinctions
19.3.4 Trajectoire des topics
19.3.5 Argumenter avec des histoires19.3.6 Métaphore, métonymie, exemples prototypiques et autres figures discursives19.3.7 Citations et citations hypothétiques20 Dialogue de themata : de l’antinomie latente au conflit explicite
20.1 Catégories relationnelles
20.2 Proto-thema, thema et thèmes
20.3 Identification de themata sous-jacents aux représentations
20.3.1 Le “Nationalisme“ comme fondement des autres présupposés
20.3.2 De “l’Hospitalité/inhospitalité“ aux topics et thèmes conversationnels
20.3.3 Thématisation du couple “nous/eux“
20.3.4 Thématisation de la catégorie relationnelle “Justice/injustice
21 De la construction des connaissances aux représentations sociales
22 Représentations alternatives et barrières sémantiques
23 Retour sur les hypothèses et éléments de conclusion à l’analyse
Conclusion
Bibliographie
Annexes

 

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