Iconicité de la séquence temporelle en chinois mandarin contemporain

L’application de la notion d’iconicité au chinois : les études précédentes

   Le chinois étant une langue où l’ordre des mots a un rôle essentiel, on pourrait en expliquer, au moins une partie, par les différents principes d’iconicité. L’iconicité serait plus visible dans une langue isolante que dans une langue agglutinante ou fusionnelle-flexionnelle. Les langues sinitiques, qui sont du type isolant et qui connaissent peu de moyens de différenciation morphologique, qui n’ont ni la conjugaison verbale ni la déclinaison nominale que présentent les langues indo-européennes, ont pu même être considérées comme des « langues sans grammaire » aux 18ème et 19ème siècles, une époque où l’étude des prépositions, la morphologie casuelle, l’accord forment le noyau de la grammaire au sens étroit. En l’absence de morphologie casuelle, le mandarin a recours à l’ordre des mots comme moyen de marquage syntaxique aussi bien que pragmatique. Une des hypothèses les plus intéressantes de ces trente dernières années a été la proposition du linguiste chinois J.Tai (1985) de considérer le chinois comme une langue systématiquement iconique, dont la grammaire, en tout cas, est beaucoup plus motivée par l’iconicité que les langues indo-européennes. Il propose un « Principe de Séquence Temporelle (PST) », à savoir : « L’ordre relatif de deux unités syntaxiques est déterminé par l’ordre temporel des états qu’elles représentent dans le monde conceptuel ». Par ailleurs, il assortit le PST de deux autres principes qui lui permettent de rendre compte des nombreux exemples que le PST est incapable d’interpréter :
1) le « Principe de Proéminence », qui tient compte de la visée du locuteur et des différents phénomènes d’emphase ;
2) le « Principe du Centre d’Information », qui est indépendant de l’attitude du locuteur et qui prévoit que la partie présupposée d’un thème intervient toujours en chinois avant la partie rhème. Suit à la réussite de l’iconicité dans la linguistique, l’élaboration de termes correspondent en chinois a suscité beaucoup de discussion. Xu Guozhang (1988) introduit la notion d’iconicité et traduit le terme pour la première fois en chinois par Z, xiàng sì xìng littéralement ‘nature de ressembler à un image/symbole’ ; Shen Jiaxuan (1993) adopte cette traduction et écrit une introduction sur les problèmes de l’iconicité de la syntaxe ; Wang Yin (1999) approuve cette traduction, tout en relevant les points inappropriés des autres traductions, par exemple, il reproche au terme 2, lín mó xìng littéralement ‘nature de copier’ d’être un terme technique déjà utilisé dans le domaine de beaux-arts, etc

Une première définition chez Chao Yuenren (1948)

   Le phénomène des CVS en chinois a été pour la première fois identifiée comme une véritable construction syntaxique par Chao Yuenren en 1948 ; il la décrit de façon plus approfondie en en donnant une définition et en en proposant une classification dans son célèbre ouvrage A Grammar of spoken chinese (1968): « Verbal expressions in series (V-V series) form an intermediate type between coordinate and subordinate constructions, but are nearer the latter than the former. […] a V-V series is like a coordinate construction in that it can usually be reversed and remain grammatical, but differs from it in not being reversible without involving a probable change in the sentence value. » (Chao 1968: 325-326).En considérant que les CVS occupent une phase intermédiaire entre la coordination et la subordination, Chao souligne qu’il existe une seule prédication dans une CVS. Quant à la classification, il s’appuie sur une analyse des différentes relations sémantiques existant entre V1 et V2 pour distinguer six catégories de CVS, selon qu’elles expriment : (a) séquence chronologiquement antérieure ; (b) hypothèse ; (c) lieu ou manière ; (d) comparaison ; (e) but ; (f) verbe « pré-transitif » (Õ bǎ).

Constructions à pivot étroites (O1=S1 exclues du compactage) relevant du « nuclear-layer »

   Si ce qu’on appelle ordinairement CVS et constructions à pivot en chinois relèvent du « core layer », on peut considérer que ce qui est appelé ‘verbes composés’ résultatifs et directionnels sont des constructions analogues, des CVS et des constructions à pivot ‘étroites’, relevant du « nuclear layer ». Ces constructions relevant du « nuclear-layer » présentent un lien intégratif fort entre les deux morphèmes lexicaux dénotant l’événement déclencheur et l’événement résultant. Les deux lexèmes sont difficilement séparables. Actants et marques sont rejetés à l’extérieur et ne peuvent pas y être insérés. On dira que les constructions à pivot et les CVS, qu’on appellera ‘lâches’ pour les distinguer des ‘étroites’ que constituent les ‘verbes composés’ résultatifs et directionnels, relèvent du « core-layer » ; tandis que les CVS et les constructions à pivot étroites (O1=S2 rejeté en dehors du V-V) que sont les ‘verbes composés’ résultatifs et directionnels, relèvent du « nuclear-layer » :

Des paquets de relations : la remise en cause de l’« événement unique »

   Nous commencerons par la remise en cause de la notion d’« événement unique ». Comme l’indique Durie (1997), « this is repeatedly reported to be a clear intuition of native speakers, and can be demonstrated through semantic analysis ». Le fait de dénoter un événement unique ne nous paraît pas appropriée comme critère définitoire des CVS. En tant que critère descriptif, la notion d’ « événement unique » n’est elle-même pas facile à définir quand il s’agit des constructions verbales sérielles. Certains linguistes insistent sur le fait que tous les verbes d’une série réfèrent à une partie d’événement, alors que les autres soutiennent que chaque CVS décrit un seul événement, ce qui la distinguerait d’autres structures complexes à plusieurs verbes. Nous pensons ici que la question n’est pas bien posée. Comme l’indique Lemaréchal (1997), « le fait que les langues à séries verbales expriment un événement par une série de verbes implique-t-il que cet événement soit décomposé en plusieurs procès, sinon en plusieurs événements ? » Givón, dans la première de ses deux contributions à Approaches to Grammaticalization, sur ‘Serials verbs and the Mental Reality of ‘Event’ : Grammatical vs. Cognitive Packaging’ souligne le risque de circularité : « One takes for granted the complete isomorphism between the cognitive package called « event », and the grammatical package called « proposition » (or « sentence », or « clause »). Grammatical packaging is of course relatively easy for the linguist to define. Cognitive packaging is then left undefined. One winds up then with an inevitable circularity: Grammar is first used to define cognition, and then is said to correlate with it » (Givón 1991, p. 86)

Décomposition et intégration des relations : une expression sélective des relations

   Selon Lemaréchal, les langues possèdent à la fois des moyens de distinguer des facettes, phases, etc. et des moyens de marquer l’unité de scénarios complexes pris dans leur globalité : les CVS sont un de ces moyens. Toutes les relations ne sont pas marquées, il y a donc une sélection parmi les relations du « paquet de relations » et le reste est une affaire d’inférence, par exemple, pour ‘prendre’(x, ‘marteau’) + ‘frapper’(x,y), toutes les relations entre x, y, marteau, frapper ne sont pas marquées. Pour certains prédicats, il faut préciser l’ordre des entités indiqué par le prédicat. Les CVS ont généralement pour équivalent un lexème verbal unique dans les langues sans CVS comme les langues européennes (Durie 1997). Les CVS présentent les procès décomposés en un suite de prédicats exprimés par des verbes hypéronymiques : } zuò ‘asseoir’, Ī yòng ‘utiliser’, Ú ná ‘prendre’, © dài ‘porter’, etc. Il faut repérer les arguments de chacun de ces verbes ; ainsi, en chinois, ainsi que dans beaucoup d’autres langues à séries verbales, pour rendre le sens d’‘apporter’ (©ā dài lái), on dit ‘porter’ (© dài) + ‘venir’ (ā lái). Les linguistes ont des positions partagées pour ce qui est de la portée sémantique voire cognitive de ce type de structures. Pour les uns, il s’agirait d’un mécanisme de décomposition analytique du procès où les composants du signifié sont exprimés par des signifiants verbaux distincts (Manessy 1995), pour les autres, d’un mécanisme d’intégration du procès à travers d’opérations de détermination, manifestant ainsi une hiérarchisation phrastique (Bonvini 1992).

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Table des matières

Remerciements
Abréviations
Introduction
CHAPITRE I. L’iconicité temporelle dans les constructions verbales sérielles en mandarin contemporain
1. Les études précédentes
1.1. Les études de CVS en Chine
1.2. Les études de CVS en dehors de la Chine
2. Des définitions et critères de délimitation très restrictifs
2.1. Définition
2.2. Critères de délimitation
2.3. Une définition maximaliste des CVS
3. Les sous-catégories de CVS
3.1. CVS de succession (S1=S2)
3.2. CVS de concomitance (S1=S2)
3.3. CVS à̀ objet commun (S1=S2, O1=O2)
3.4. Les CVS de but (S1=S2)
3.4.1. Les CVS de but marquées par l’ordre des constituants
3.4.2. Les CVS de but marquées par lái/qù
3.4.3. Les CVS à valeur consécutive dont le V2 est marqué en polatité (négation) ou en mode
3.5. Constructions à pivot larges et étroites (O1=S2)
3.5.1. Définition des constructions à pivot
3.5.2. Les constructions à pivot large relevant du niveau “core-layer”
3.5.3. Constructions à pivot étroites (O1=S2 exclues du compactage) relevantdu “nuclear layer”
3.5.4. Comment un second verbe résultatif modifie l’Aktionsart du verbe
3.5.5. Le problème de la transparence à la valeur de vérité
4. Les caractéristiques des CVS
4.1. Des paquets de relations : la remise en cause de l’“événement unique”
4.2. Décomposition et intégration des relations : une expression sélective des relations
4.3. L’iconicité entre tendance cognitive et moyen grammatical
4.3.1. Fonction et motivation des CVS et constructions à pivot
4.3.2. L’iconicité temporelle comme tendance cognitive
4.3.3. L’iconicité temporelle comme moyen grammatical
Conclusion
CHAPITRE II. L’iconicité temporelle dans les expressions de position, de mouvement et de déplacement
1. Les noms de portions d’espace inaliénables (‘localizers’)
1.1. Du nom commun à l’expression du lieu
1.2. Les noms de portions d’espace inaliénables comme facteur de télicité
2. Les huit verbes directionnels
2.1. Les études précédentes
2.2. Valence et Aktionsart des verbes directionnels
2.2.1. ‘Verbe directionnel’(x,y)
2.2.2 L’Aktionsart
2.2.3. L’expression ablative et les verbes directionnels orientés vers la phase initiale
2.3. Le problème du statut de dào
2.4. L’emploi transitif des verbes directionnels
3. Les constructions bivalentes de position
3.1. L’ordre des constituants verbaux iconique
3.2. La position préverbale des compléments de lieu de position
3.3. Les phrases impersonnelles
4. Les constructions bivalentes de mouvement
4.1. L’ordre des constituants
4.2. Les verbes de mode de mouvement
4.3. Les verbes de mouvement sous l’effet de la gravité signifiant ‘tomber’
4.4. Le second actant des verbes signifiant ‘tomber’ et l’objet interne des verbes de mode de mouvement
4.5. La différence entre direction et destination
4.6. Les phrases impersonnelles
5. Les constructions trivalentes de déplacement
5.1. L’ordre des constituants verbaux
5.2. La position du mobile
5.3. La différence entre la direction et la destination d’un déplacement
Conclusion
CHAPITRE III. L’iconicité des phases (finalisation/planification) exprimées par les syntagmes introduit par zài postverbal (vs préverbal)
1. La polémique, nos critiques
2. Le statut de zài et ses différents emplois
3. Syntagmes de lieu introduits par zài postposé vs préposé au verbe
3.1. Français vs chinois classique vs mandarin contemporain
3.2. SLzài postverbal indiquant le lieu d’arrivée
3.3. SPzài postverbal non-actanciel focal
3.3.1. SPzài postverbal non-actanciel focal des verbes de position et d’apparition
3.3.2. SPzài postverbal non-actanciel focal des verbes indiquant un changement d’état
3.3.3. SPzài postverbal non-actanciel focal des verbes d’action
3.3.4. Des SPzài postverbaux non-actanciels en position focale avec des verbes adjectifs
4. La ‘Single Delimiting Constraint’ (Tenny 1987)
4.1. Embouteillage d’éléments postverbaux
4.2. Des exceptions au ‘Unique Path Constraint’ ?±zài, dào, etc. : marque facultative ou niveau de constituance
4.3. Conclusion
Conclusion du chapitre
CHAPITRE IV. L’anti-iconicité temporelle de SV+qù
1. Le problème et sa solution : les 3 types d’emploi de < lái/qù + lieu > et les 3 types de d’emploi de < lieu + lái/qù >
2. Les études anciennes sur SV+qù
3. Notre hypothèse sur les fonctions syntaxiques de lái/qù
4. Notre description de <±lieu+SV+lái/qù> et de <lái/qù±lieu+SVnon-dir.>
4.1. lái/qù ‘atteindre/quitter le centre déictique’ dans <±lieu+SV+lái/qù>
4.2. lái/qù ‘aller/venir’ dans <lái/qù±lieu+SVnon-dir.>
5. CVS de but <SVnon-dir.+ qù> (vs < qù +SVnon-dir.>) : anti-iconicité ?
5.1. Les points communs
5.2. Les points qui diffèrent
5.2.1.La grammaticalisation de qù
5.2.2. Iconicité, focus et position de qù
Conclusion
CHAPITRE V. Les verbes trivalents de don et l’expression du destinataire
1. Présentation des verbes trivalents de don
1.1. Verbe trivalent prototypique gěi ‘donner’ et construction à deux objets
1.2. Le type ‘offrir’‘enseigner’ et deux moyens d’introduire le destinataire
1.2.1. Le type ‘offrir’
1.2.2.Deux moyens d’introduire le destinataire
1.2.3. Les verbes trivalents du sous-type ‘enseigner’
1.3. Le verbes quasi-trivalents du type ‘voler’
1.3.1. La promotion des possesseurs en datif
1.4. Verbes trivalents bi-directionnels du type ‘louer’’prêter/emprunter’‘prendre’
1.5. L’expression du destinataire dans ‘frapper-téléphone’
1.6. Les verbes bivalents du type ‘envoyer’ vs. ‘écrire’
1.7. Verbes trivalents de communication
1.8. Verbes trivalents mettant relation deux désignations du même objet
2. Tableau récapitulatif des verbes trivalents de don
3. Destinataires introduits par applicatif gěi
3.1. Statut de l’applicatif gěi
3.2. Les différentes significations des différentes constructions et leurs motivations
4. À la recherche du second verbe ouvrant la place d’argument pour le destinataire
4.1. Les diathèses progressives en anglais, en mandarin et en kinyarwanda
4.2. Qui dérive de qui ?
5. Mandarin contemporain gěi trivalent ‘faire avoir à’ v.s datif gěi ‘à’
6. Bénéfactif v.s datif d’intérêt v.s datif d’éthique : anticipation et énonciation
6.1. Bénéfactif : celui qui bénéficie de l’ensemble de procès
6.2. Le datif d’intérêt : un datif hors anticipation
6.3. Le datif éthique : un datif qui relève du niveau de l’énonciation
Conclusion
CHAPITRE VI. Bǎ : l’iconicité entre phase initiale et phase finale
1. Les études précédentes et les problématiques
2. Diachronie et l’origine de bǎ
3. bǎ en synchronie : verbe « prendre » et nom de la « poignée »
4. bǎ grammaticalisé en marque d’objet: du verbe « prendre » au trait [+ »disposal »]
4.1. bǎ grammaticalisé en marque d’objet : une construction à pivot
4.2. La sélection des prédicats dans la construction en bǎ
4.3. La sélection de l’objet dans la construction en bǎ
4.4. Ni un accusatif, ni un Marquage différenciel de l’objet
4.4.1. bǎ n’est pas une marque d’accusatif
4.4.2. bǎ et la responsabilité de l’agent
4.4.3. bǎ n’est pas un marqueur de ‘Marquage différenciel de l’objet’
4.5. L’hiérarchie de l’information dans la construction en bǎ
5. L’iconicité la construction en bǎ
5.1. Une ‘transitivité haute’ entre phase initiale et phase finale
5.2. La phase initiale : la prise de l’objet (défini ou spécifique)
5.3. La phase finale résultante : changement d’état ou de lieu
5.4. L’intentionalité et construction en bǎ : ‘il aurait dû…’ : du contrôle en phase initiale à la perte du contrôle en phase finale
6. La subjectivité dans la construction en bǎ
6.1. Une mise en cause de sujet de bǎ
6.2. L’empathie sur l’objet de bǎ
7. bǎ et l’antéposition du lieu d’arrivée ?
8. bǎ v.s gěi : ‘prendre (x) pour l’affecter’ v.s ‘faire arriver à (x) que P’
8.1. gěi commute avec bǎ ?
8.2. Quel est le gěi qui peut commuter avec bǎ
8.3. La différence entre emploi de bǎ et emploi de gěi en cas de commutation
Conclusion
CHAPITRE VII. L’iconicité du cadre
1. Les ordres des mots basiques en mandarin contemporain
2. Les topiques cadratifs
3. Topicalisation de l’objet patient et du causataire
4. Double sujet ou topique+sujet ?
5. Le cas des systèmes protase-apodose
5.1. « Conditionals are topics » (Haiman 1978)
5.2. Ordre et marquage dans les protases-apodoses en chinois
5.3. Des systèmes protase-apodose non-marqués et compactés en SV1+SV2
5.3.1. La polémique autour de -le : marque de l’aspect et/ou marque de subordination
5.3.2. CVS où le SV1 fournit le temps ou le lieu du SV2
5.3.3. Systèmes protase-apodose non-marqués et compactés
5.4. CVS à objet commun vs système protase-apodose compacté : l’objet commun répété en O1 et O2
Conclusion
Conclusion générale
Bibliographie

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