Historique de la musique électronique

Le before

Le before est, comme son nom l’indique, le moment avant la soirée principale, ici avant le club. C’est un moment où se retrouve le groupe qui va passer sa soirée ensemble et permet de décider de l’endroit où aller, si ce n’est pas déjà le cas. C’est un moment où l’on se met dans l’ambiance de ce qui va suivre, on se chauffe : comme on ne court pas le 100 mètres des J.O. sans entraînement, on ne va pas en club sans s’être déjà imprégné de l’humeur et de l’ambiance de fête : être en groupe, écouter de la musique, boire…
Le before permet aussi de s’accorder sur le type de soirée que le groupe veut vivre, de choisir le format de soirée. Aller en club est un engagement de longue durée, bien que l’on soit libre d’en sortir quand on veut, le temps de trajet et de queue demande de prévoir un minimum, par la suite, sa soirée donc que tout le monde soit motivé et ait, en fait, envie d’y passer la nuit. Et pour s’engager aussi longtemps il faut que le lieu et l’ambiance plaisent au groupe, il faut donc choisir le club et le genre musical (on parle ici de musique électronique) et se fier aux djs programmés ou au collectif d’organisateurs.

Curation de club et d’organisateurs

Berlin est une ville qui répertorie aujourd’hui plus de 500 clubs et donc autant d’ambiances spécifiques. L’expérience passée du groupe dans ces clubs ou l’expérience communiquée par d’autres sont donc les principales manières de cerner le type de soirée proposée par tel ou tel club. En règle générale, un club fonctionne grâce à ses organisateurs internes et donc grâce à sa propre direction artistique qui crée et maintient le fil rouge des valeurs, du genre musical et de l’atmosphère voulue : une véritable curation. Connaître le club ou en avoir entendu parler positivement est donc une première manière de choisir sa soirée.
Mais la curation du club passe également par la mise en avant de ses djs résidents – affiliés au club, souvent dès ses débuts, et représentant le style musical ou la diversité de styles, portée par celui-ci. Il est donc un bon indice de savoir qui ils sont et ce qu’ils jouent. Je parle ici de curation car les djs effectuent une véritable veille sur les réseaux et sur Internet pour dénicher des morceaux inconnus qu’ils pourront ensuite jouer en club.
Et, parce qu’un club ne fonctionnerait pas si mixaient, tous les weekends, les mêmes djs – bien qu’ils se renouvellent dans leurs morceaux – d’autres sont invités à jouer à leurs côtés. Il peut être intéressant de se renseigner sur ce qu’ils jouent pour ne pas se retrouver plongé dans une soirée qui ne nous convient pas ! Dans un troisième cas, il arrive que les directeurs artistiques du lieu invitent un collectif a prendre les commandes du club, le temps d’une nuit. Ce groupe de djs et d’organisateurs, venu de l’extérieur, a donc carte blanche et peut aussi bien rester dans la mouvance du club comme s’orienter complètement vers un autre registre. Ici aussi se renseigner sur le collectif, les valeurs qu’il porte, les soirées qu’il a organisées jusque-là, à quel club il est affilié ou de quel pays, de quelle ville il vient est nécessaire pour connaître ses inspirations et dans quelles sources il puise ses références musicales pour cerner le type de soirée qu’il organise à ce moment-là.
Certains formats de soirées s’accompagnent d’un nom et d’un thème spécifique. Il peut être défini par la durée de la soirée mais également par l’ambiance particulière et le genre musical programmé par le club à un moment précis, en faisant un évènement qui revient régulièrement – comme une série. Par exemple, à Nantes, le collectif Androgyne, à la tête du Macadam à Chantenay, a lancé en 2017 les Gloria, une fête de jour se tenant le dimanche de 7h du matin à 22h00 ; ou encore les Dies Fasti, un format plus proche du concert, le jeudi de 20h00 à minuit. Ces deux formats de fête reviennent une fois par mois et bien que les djs invités pour ces évènements soient différents à chaque fois, l’idée est de rester dans un même esprit : pour Gloria une fête en pleine journée, haute en couleur, gaie, pailletée et effrénée ; et pour Dies Fasti, la découverte d’artistes électroniques qui performent uniquement en live. Pour ces soirées, le club est réaménagé, le dj est au centre du dancefloor, entouré d’une cage lumineuse de lasers rouges, ce qui permet une vision complète de l’artiste et de ses machines en action mais également de donner une atmosphère particulière et propre à cet évènement.

Outils d’information et de communication d’événements

En 1988, à Berlin, l’acid house et la techno commencent tout juste à être diffusées sur les ondes d’une poignée de radios : à l’Ouest dans l’émission phare The Big Beat animée par Monika Dietl et à l’Est sur DT64, la radio pirate de Marusha. Après la chute du Mur, en 1989, les soirées techno vont se multiplier (bien qu’on ne parle encore qu’en centaines de personnes) et la communication passe donc par ces émissions radio ainsi que par des infolines ou ravelines, des boites vocales à appeler qui diffusent un message pré-enregistré donnant l’heure et le lieu de rendez-vous pour se rendre ensuite à la soirée – il ne s’agit pas encore vraiment de club à ce moment-là mais de raves, des soirées improvisées dans des endroits abandonnés. Des fanzines et des flyers permettent également de diffuser l’information. Ce mouvement restait donc en marge et demandait à son public d’aller chercher l’information lui-même pour pouvoir le suivre, il fallait écouter à tel moment la bonne radio pour avoir le bon numéro, pour ensuite pouvoir appeler et ainsi saisir l’information de la soirée. Le bouche à oreille faisait le reste, dans un cercle relativement fermé et qui souhaitait le rester. Y compris dans ces évènements de contre culture, une forme d’élitisme apparaît, sur le modèle de si vous n’avez pas eu l’infoline, c’est que vous ne deviez pas l’avoir.
Aujourd’hui, la musique électronique s’est démocratisée. Avec l’apparition des réseaux sociaux, les moyens de communication des soirées se sont multipliés, et il est donc bien plus facile d’avoir accès à l’information qui est diffusé directement au public visé. Facebook par exemple, envoie directement des notifications, des alertes de ce qu’il se passe le weekend et le soir-même. Des sites référencent également les clubs existants et les djs, donnant ainsi leurs dates de passage dans tel ou tel endroit ainsi que la programmation des clubs. Resident Advisor en fait partie. C’est un genre d’annuaires des fêtes électroniques, mis à jour continuellement. Fourmillant d’information, il faut avoir envie de se renseigner sur ce qui existe et avoir une idée de ce que l’on cherche comme genre musical et comme lieu précis pour s’y retrouver. Sur ce site, la musique est donc le facteur qui prime dans le choix de la soirée et si l’on ne connaît pas un dj, on va pouvoir par la suite se renseigner sur sa musique via les plateformes de musique en ligne. Ce process favorise donc le choix par le son et demande une certaine initiative.

La communication d’événements

Bien souvent, pour les clubs que l’on fréquente assidûment, l’habitude fait que l’on acquiert des automatismes : on sait quand reviennent les soirées qui nous plaisent et, par le bouche à oreille, on sait quelles dates il ne faut pas manquer, pour la raison que tel dj mixe ce soir-là ou que tel collectif en est à l’origine. Dans ces cas-là, on connait les formats de soirée et donc l’ambiance promise, la communication autour de l’événement va alors moins influer sur la motivation de s’y rendre mais pour autant, on n’en reste pas moins sensible à ce qu’elle convoque comme imaginaire. Le descriptif et l’illustration de l’événement, la présentation des artistes ou les remerciements au public post-événement peuvent être autant de moyens de communiquer un esprit de fête particulier qui s’inscrit dans la curation du club, dans sa ligne artistique. C’est le premier moyen pour le club de communiquer ce qu’il veut construire avec son public ; et pour le public, le moyen de s’identifier ou non à la curation du club et de savoir s’il veut en faire partie.
Cette ligne artistique présente dans la communication d’un club diffère bien entendu selon chacun d’eux mais surtout d’un type de club à l’autre. Comme évoqué précédemment, on différencie les boîtes de nuit ou clubs commerciaux des clubs qui se rapprochent de la culture underground : les ambiances recherchées et les valeurs défendues ne sont pas les mêmes, le genre musical diffère également, ainsi que leur communication.
Pour les clubs techno qui entrent dans la première catégorie, la communication est davantage basée sur la musique et donc sur l’univers conféré et les sensations qu’elle procure. On retrouvera des descriptions empruntes de vocabulaires variés aux champs lexicaux tournant autour de l’évasion mentale, par exemple ou du religieux, du fantastique, du soleil, des ténèbres, etc. Ce lexique mystique ou ésotérique provient certainement de la dimension introspective de ce genre musical, et des réactions intuitives des corps face à la musique. Le lexique religieux est particulièrement présent, quel que soit les pays. Les analogies sont en effet faciles, que ce soit de part l’échelle parfois colossale des clubs de Berlin alors comparés à des cathédrales, l’engouement des techno-philes qui confine à la fascination, ou encore les rôles entre dj et public en transe – le prêtre et ses fidèles.
« 2020 est amorcée, rondement. Merci à tous pour cette superbe communion introductive à la décennie nouvelle. Vous étiez costumés, pleins de joie et avides de toutes les danses. Parmi les 13 heures à la dérive du Pays des Merveilles, nous épinglons sur le devant la tranche performée : tous nos hommages et voeux de grâce aux artisans du rêve que sont Lisa Massol (échasses et suspensions), Nina Migeon (tissu aérien et suspensions), Pich (jongleries), Baba Création & ses modèles (conception des costumes & défilés). Quant aux platinistes inarretables, chapeau bas à GTI, Paramida, Moody et Somewhen pour la cohérence dans la diversité, chacun absolument affirmé dans son registre. » Message diffusé le 1 janvier 2020, à la suite d’un format 00h-12h au Macadam, à Nantes.
La communication graphique des clubs techno tend également vers cette même ligne artistique et s’attache plutôt à créer un univers hors du réel, inspiré des corps, des lieux ou tout simplement à rester dans l’abstrait afin de faire marcher l’imaginaire du public et lui laisser une libre interprétation. Il n’est pas rare que les clubs fassent appel à des graphistes ou des artistes, parfois, dans le but d’homogénéiser leur communication graphique et d’asseoir leur identité visuelle, d’autres fois pour collectionner les artworks et créer de la nouveauté à chaque programmation : impossible de ne pas reconnaître du premier coup d’oeil les affiches du Tresor, réalisées par Vanja Golubovic et parfaitement cohérentes ou à l’inverse, de collectionner les programmes du Macadam réalisés par des artistes renouvelés chaque mois. Les deux exemples que je viens de citer sont également intéressants dans la façon qu’ils ont d’aborder le support papier. Beaucoup de clubs ont maintenant un site internet et une page Facebook et bien qu’ils communiquent très bien leurs identité visuelle et leur curation à travers ces médias, le papier reste populaire et confère une autre dimension à la programmation, permettant notamment d’en garder une trace physique.
« Plus ton offre est cohérente avec ce que tu racontes, mieux c’est. Mais la photo c’est vraiment beaucoup plus fort dans le contact avec les gens parce que beaucoup de gens ne lisent même pas ce qu’il y a écrit à côté et reçoivent l’image avec toutes les interprétations qui peuvent en découler. On scénarise beaucoup nos shootings, enfin t’as bien dû voir, on construit, on essaye d’imaginer une situation, d’illustrer une forme de lâcher-prise ou de créer une ambiguïté ou un malaise. Créer un malaise, c’est ce que je kiff le plus faire, que ça soit beau et insupportable, c’est idéal. Là vous allez voir le prochain programme qui va sortir… Il va être… [rires] C’est le plan macro d’une langue de boeuf ! » Alexis Tenaud, direction artistique du Macadam.
Comme élément de comparaison à cette forme de communication, on peut évoquer celle des boîtes de nuit conventionnelles. D’abord, celle çi est très rarement orientée sur la musique, qui n’est pas au centre de leur politique ; sur les affiches, pas de nom de dj mais plutôt un genre : années 80, ou «musique généraliste». On trouve également une attention particulière aux tarifs des boissons, souvent mentionnés comme un argument de vente, avec parfois des réductions ou des promos avant une certaine heure. Les marques sont également très présentes : il n’est pas rare qu’une soirée soit sponsorisée, ou que des goodies – un genre de cadeau promotionnel – liés à une marque soit offerts à l‘intérieur, ce qui sera mentionné sur le flyer. Ces lieux proposent donc des produits et des tarifs, en somme un échange monétaire, mettant l’expérience de la fête – personnelle, sensorielle – au second plan. Et enfin, une mention est présente presque systématiquement : gratuit pour les filles. Cette règle ancestrale vise à l’accroissement de la proportion de femmes à l’intérieur, et implique très clairement le thème de la soirée : la drague. Cette sélection genrée établit une asymétrie, classant d’office les femmes parmi les proies et les hommes parmi les chasseurs. Au delà du fait que cela peut instaurer une ambiance particulièrement désagréable, c’est surtout une façon de faire perdurer des valeurs sexistes qui méritent tout simplement de disparaître.

Un moment coupé de la musique, un voyage à travers la ville au son des discussions

Il est presque 2h00 du matin, on commence tranquillement à se mettre en mouvement, tous grisés par nos bières encore à la main et saisis par le froid de la capitale. On grimpe dans le U-bahn direction Ostbahnhof. L’ambiance y bat son plein : des groupes dans nos âges occupent la rame. J’observe un peu. C’est facile de catégoriser les gens et de repérer d’un coup d’oeil grâce aux looks où chacun se rend et si on cherche le même genre de soirée. D’un côté des gens en noir, basket compensées XXL, long manteau en cuir épais, de l’autre des doudounes roses ou des manteaux techniques : style vs. confort.
A mesure que le métro s’éloigne du tissus dense de la ville, la rame se vide. Après une vingtaine de minutes, on arrive à notre station : gare de périphérie, immense et sombre, à moitié en chantier, on est un peu Instinctivement on suit un groupe qui marche d’un pas décidé et qui nous paraît aller au même endroit que nous. On longe une rue déserte en discutant tranquillement, et plus on approche du but, plus le silence se fait pressant. Au détour d’une palissade tagée, on aperçoit enfin l’endroit de nos convoitises : du béton brut, trois marches et une portes en métal précédant une longue et silencieuse queue de personnes attendant religieusement leur droit d’entrée.

Localisation géographique du club

La techno est avant tout un mouvement musical mais également une véritable culture, issue à l’origine de l’underground de la ville de Detroit. En 1988, elle traverse l’Atlantique jusqu’à l’Angleterre avec une compilation : Techno ! The New Dance Sound of Detroit, réalisée par les pères de la techno Derick May, Kevin Sanderson et Juan Atkins. Récupérée et diffusée dans le club mythique de l’Haçienda à Manchester, la techno prend son envol et les soirées deviennent rapidement un succès pour le milieu initié à cette musique. A cette époque, le club de l’Haçienda ferme ses portes à 2h00 du matin, relâchant bien trop tôt son public encore excité par cette musique nouvelle. Contrariés à l’idée de terminer la fête, quelques groupes la poursuivent en appartement, s’attirant les foudres de leurs voisins. Obligés de fuir le centre ville, ils s’expatrient en dehors de la ville. En périphérie, ils ouvrent des squats et organisent leurs afters, une après-fête, jusqu’au petit matin : les raves anglaises sont nées, alliant la culture underground de la techno et la liberté de faire la fête autant que voulu.
A Berlin, l’arrivée de la techno se fait dans un contexte différent, celui de la guerre froide. L’Allemagne est alors séparée en quatre zones et Berlin en deux. En 1988, la techno est diffusée par quelques radios et un club underground existe alors à l’Ouest, l’UFO, il est encore illégal et passe de l’acid-house – un des ancêtres de la techno. Avec la chute du Mur en 1989, les berlinois de l’Est initiés à la techno par les radios pirates se rendent à l’Ouest, à l’UFO et découvrent les premières soirées techno. En parallèle, une fois la réunification de l’Allemagne prononcée, beaucoup de berlinois de l’Est quittent leurs logements délabrés pour le confort et le modernisme de l’Ouest, laissant ainsi des immeubles, des îlots entiers abandonnés. C’est l’occasion pour des groupes de jeunes, qui découvrent l’architecture post-soviétique en même temps que la techno, de squatter tout ce foncier disponible. Les immeubles qu’ils occupent à ce moment-là sont parfois à cheval entre Berlin Est et Berlin Ouest, au coeur de la ville, c’est le cas du mythique Tresor, déjà évoqué. De ce fait, aujourd’hui encore, les clubs techno les plus célèbres mais aussi les plus anciens de Berlin se situent au coeur de la ville.
Cependant, il ne faut pas l’oublier, nombre d’entre eux, depuis les années 90, ont du fermer leurs portes. D’abord avec la restitution des biens immobiliers de 1993, une grande campagne menée par le gouvernement pour réattribuer les biens réquisitionnés ou subtilisés pendant la guerre à leur propriétaire d’origine ; et ensuite, au fil des années, à cause de voisins qui se sont ligués contre les nuisances sonores ou encore à cause de la hausse du prix de l’immobilier qui rend les loyers trop chers Hormis Berlin et son contexte particulier, les clubs techno nouvellement installés sont historiquement situés en périphérie. Pour des villes comme Paris, où la techno est arrivée plus tard et dans une ville entièrement bâtie, le mouvement techno n’a pas eu le choix que de se délocaliser en dehors de la ceinture périphérique. Mais c’est une posture qui lui convient bien : puisant ses origines dans l’underground et dans la culture squat, il se veut réservé aux initiés à ce genre musical, véhiculant toujours un espèce d’élitisme de la marginalité, ou en tout cas de la discrétion. On en revient à pour vivre heureux, vivons cachés. Les soirées techno, comme les raves à Paris ou en club à Berlin, sont alors à mériter, il faut se renseigner et le trajet peut être long et plus complexe que pour gagner un centre ville par exemple.

L’importance du lieu dans l’histoire du club

Dans les années 90, à Berlin, lorsque des groupes de jeunes entrent dans des bâtiments abandonnés pour organiser des soirées illégales, les autorités ont d’autres préoccupations. Le Mur de Berlin étant tombé, il n’y a plus de gouvernement qui régit Berlin Ouest ou Berlin Est. La ville est une zone autonome temporaire et un terrain de jeu pour ces jeunes qui retrouvent leur liberté.
Les premières soirées techno organisées dans des squats sont des soirées éphémères : les organisateurs amènent simplement du matériel de son ainsi que de quoi installer un bar dans un coin et chacun tient son rôle (la porte, le bar, les platines) et le lendemain tout est remballé. A mesure que ces premières soirées fonctionnent, beaucoup veulent organiser les leurs et trouver un endroit marquant. Commence alors la surenchère du lieu : chacun veut trouver un lieu plus incroyable que le précédent, qui représente encore mieux la musique et ce qu’elle véhicule. Certains ouvrent d’anciens postes électriques, d’autres font des trouvailles encore plus inespérées. C’est le cas de Dimitri Hegemann et sa bande de copains qui, en faisant le tour des friches de Berlin, descendent dans la cave d’un bâtiment pour finalement s’apercevoir qu’ils ont pénétré dans le coffre fort d’une grande banque abandonnée, la Wertheim Bank. Les coffres sont toujours là, vides et fracturés et les grilles qui mettaient à l’abri des documents définissent déjà des espaces pour les futurs gérants. Ils remettent en état le lieu (le strict minimum donc) et ouvrent le premier club techno de Berlin avec une adresse fixe et des soirées régulières : le Tresor.
Plus tard, avec l’unification monétaire le 1er juillet 1990, les gens partent en voyage ou se séparent de leur mobilier ancien pour acheter le modernisme américain et se débarrassent donc de leurs vieux meubles dans la rue. Ils sont aussitôt récupérés par ces jeunes allemands qui voient dans ces reliques du passé un intérêt pour leurs clubs du futur.
Aujourd’hui, dans les clubs berlinois, dont beaucoup datent des années 90, le lieu – son apparence extérieure et intérieure – reste un marqueur fort du mouvement techno, lié à l’histoire de Berlin. Il est d’ailleurs possible de classer assez distinctement en deux catégories les clubs techno de la ville : palettes-paillettes contre béton-acier . La première appellation regroupe les clubs de bric et de broc aménagés dans des immeubles d’habitation abandonnés, le Salon Zur wilden Renate par exemple, par opposition aux cathédrales industrielles – ancienne centrale électrique, ancien entrepôt – que sont le Berghain, le Tresor ou le Funkhaus, volontairement laissés très bruts. Deux styles, deux esthétiques de lieux aux personnalités affirmés mais où règne une même culture.
En France, le lien des clubs avec l’architecture ou l’esthétique est beaucoup moins forte, et pèse peut-être un peu moins dans la balance.
« En fait leurs clubs, c’est des monstres, mais des lieux comme le Tresor ou le Berghain, de base ça n’existe que là-bas, des trucs post-soviets abandonnés. A Nantes, je sais pas… l’usine LU pourrait candidater ? Enfin voilà, ces lieux-là on en a pas trouvé ou imaginé de disponibles à Nantes donc la question du lieu elle est pas essentielle. » Alexis Tenaud, direction artistique du Macadam.
Bien sûr, cette envie de s’inscrire dans un lieu qui représente la culture techno subsiste : dépouillé, pas précieux, et brut. Si les opportunités des débuts sont devenues sa marque de fabrique, tous les clubs n’ont pas l’opportunité de s’installer dans un endroit iconique.
Par ailleurs, le mouvement des raves, qui s’inscrit dans la culture techno et qui continue de se développer en France, poursuit sa quête des lieux abandonnés aux connotations industrielles, paradoxalement plus évidente du fait de son caractère itinérant et en marge de la légalité qui lui laisse une certaine liberté dans le choix d’endroits. Hangars gigantesques de la périphérie parisienne, champignonnière, chantier en cours.

Queue et sélection

Pour entrer en club, le passage par la file d’attente est obligatoire. Entre 30mn et plus de 3h, les chances de rentrer rapidement sont aléatoires. A la différence de la France, les queues devant les clubs sont calmes et personne ne crie dans la rue, au risque de se voir directement refuser le droit d’entrée. Les gens discutent tranquillement et boivent des bières en bouteille achetées dans les supérettes ouvertes de nuit : à Berlin, boire une bière dans le métro ou dans la rue n’est pas mal vu ou sanctionnable, ni en soirée, ni en fin de journée. Boire dans la file d’attente n’est donc pas un argument d’exclusion d’entrée, comme c’est le cas en France, où une personne prise à boire de l’alcool à proximité du club peut s’y faire interdire l’accès par le videur. Si les gens respectent cette attitude calme dans les queues des clubs, c’est qu’il existe une politique de sélection stricte aux entrées, appliquée par le physionomiste et personne ne veut se faire remarquer, surtout pas en mal. Généralement plus la queue avance et plus on éprouve du stress à être sondé par le physio : il peut dire oui ou non, on peut rentrer dans le club ou juste devoir s’en aller sans rien dire.
A Berlin, le physionomiste, parfois confondu avec un videur, a pourtant un rôle bien précis, qui n’est pas celui de sortir des gens du club mais au contraire de leur en donner le droit d’entrée. Le physionomiste participe complètement au mythe du club, il fascine autant qu’il fait peur et est vu par beaucoup comme tout puissant, pouvant abréger une soirée en une seconde. Certains sont élevés au rang de personnage emblématique connu dans le monde entier. C’est le cas particulièrement de Sven Marquardt, le physionomiste du Berghain qui exerce son métier à la porte depuis les années 90. A Paris, le physionomiste de la Concrete, Valery B. est aussi une personnalité connue que les clubs les plus en vue s’échangent au prix fort, comme un joueur de foot.
« Je ne travaille pas par moi-même, je travaille sur la sélection avec une équipe et dans l’approbation de mes collègues. On a un job à faire et c’est d’être sûrs que les gens dans le club passent le meilleur temps possible. […] Et ça suppose aussi de ne pas laisser rentrer quelqu’un et leur dire «Désolé, ce n’est peut-être pas le bon endroit pour toi». C’est comme ça, je suis sûr qu’à des endroits on ne me laisserait pas entrer. » – Sven Marquardt, Talking Germany, 23 juillet 2012.
La sélection des physionomistes est donc bien régie par une technique, validée en amont et qui renvoie très clairement à la curation du club. Plutôt qu’un élitisme flagrant, elle sert au Berghain un autre but : elle permet de maintenir une ambiance précise, tout au long de la soirée, en raccord avec l’esprit porté par le club. Par là, j’entends la liberté totale et notamment sexuelle en oeuvre à l’intérieur – le Berghain étant un club homosexuel, ou notamment le sexe en public est tout à fait accepté. Si les hétérosexuels sont tolérées à l’intérieur, tous les yeux ne sont pas prêts pour voir ce qui s’y passe. Plutôt que d’assister à des réactions épidermiques, des regards de dénigrement ou même des agressions, les gens jugés moins tolérants sont refusés.
L’une des meilleures explications est certainement celle de Lag, un dj serbe qui a joué plusieurs fois au Berghain :
« Quand on parle de la fête elle même – tout ce qui se dit à propos du club est vrai. Pour ceux qui ont le sentiment de ne jamais être à leur place – C’est un lieu où on peut enfin se détendre et se sentir non seulement bienvenu, mais également intégré à quelque chose. Alors que je n’ai jamais été accepté au Berghain sans être sur la liste, je ne peux pas vraiment leur en vouloir, c’est aux videurs et à leurs ressentis de refuser ceux qui peuvent pulvériser l’équilibre délicat qui permet au Berghain de rester une oasis de liberté. Ironiquement, nous sommes tous jugés à l’entrée sur notre capacité à ne pas juger à l’intérieur. » – dJ Lag, sur twitter en 2012.
L’unique passe-droit à ce système de sélection, est la guestlist, une liste de noms sélectionnés par le staff du club, comportant généralement le nom des artistes et des invités. Cette guestlist permet aussi de rentrer gratuitement dans le club.
Avant l’apparition des clubs underground techno, les discothèques reproduisaient volontiers les normes sociales, c’est d’ailleurs toujours le cas aujourd’hui, dans la majorité des clubs conventionnels . En France, le droit d’entrée est en fonction de critères comme avoir une tenue correcte, renvoyant directement à la sélection par l’argent et à une normalisation du genre. On interdit les baskets ou joggings, par exemple et, au même titre, les travestis ou les dragqueens ne sont pas accueillis dans tous les clubs.
A Berlin, des clubs comme le Berghain ou le Kit Kat, décrits comme les clubs les plus intenses et sulfureux de la ville, à la politique de sélection très stricte, sont en fait, ni plus ni moins, des clubs homosexuels (et autres orientations non-hétérosexuelles, transsexuel…) qui laissent rentrer des hétérosexuels.
En France, les clubs techno n’ont pas de politique de sélection aussi dure, voire il n’en ont pas du tout. En dehors du fait d’être ivre ou insultant en arrivant à la porte du club, tout le monde semble avoir les même chances d’entrer et ce, pour la raison que la sélection est mal perçue, d’abord pour des questions de discrimination et également parce qu’il n’existe pas autant de clubs techno qu’à Berlin et que les évènements ne durent pas aussi longtemps. Se faire refuser à l’entrée d’un club signifie bien souvent que la soirée est finie, et c’est pourquoi ils sont plus tolérants.
« Nous on a pas envie de refouler du monde au faciès, ça, ça a toujours été… On a refusé ça parce que je trouve que la politique à Berlin… Je la trouve un peu lâche dans la démarche. Après Berlin, ils ont un tel volume, qu’ils peuvent vraiment se le permettre et puis il y a un tel nombre de clubs qu’en fait t’es sûr de pas manquer ta soirée, à priori si t’es un peu en forme… Alors qu’à Nantes, tu fais l’effort de te pointer au Macadam, potentiellement t’as marché 25mn, t’as pris un bus ou t’as payé un uber, tu te fais recaler parce que t’as pas la bonne gueule… J’trouve ça pas cool, du tout. Et en plus, nous, on rassemble du public rave, on rassemble des transseux, y’a des dreadlocks, des queers et du coup c’est bien. Ça veut dire que si on se met à essayer d’esthétiser notre public et que tu te fais refouler parce que t’as pas des Dr Marteens ou que t’as pas l’air d’être dans le coup bah… en fait on va avoir un public de merde parce que les gens ils vont se regarder, ils vont se dire «Attends, on en est quoi !» et nan en fait.» Alexis Tenaud, direction artistique du Macadam.

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Table des matières

DE État DE FÊTE A L’ESPACE DU CLUB
Du divertissement à la recherche
Une expérience spatiale & sensorielle du club
1. L’appel de la fête
2. Choisir sa fête
3. En route
4. A la porte des enfers, l’entrée du paradis
5. Accepter de se perdre
6. Le son et ses artisans
7. Liberté spatiale, Liberté d’être
8. Altération des sens, perte de repères
9. le langage des corps
10. La revanche des minorités
11. LE CLOSING
12. Don’t Forget to go home at some point
Participation & signification
Enjeux politiques
Récréative ou porteuse de sens ?
Valeurs, en marge
Annexes
Bibliographie

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