Histoire scolaire, impérialisme(s) et décolonisation(s)

Terminologie 

Plusieurs termes et expressions utilisés dans les pages qui suivent gagnent à être explicités afin de minimiser les risques de confusion et d’incompréhension. Le terme Soudan provient de l’arabe Sūdān construit sur la racine د و س , dont le sens premier renvoie à la couleur noire. Les géographes arabes du Moyen Age employaient l’expression bilād al-sūdān (littéralement « pays des Noirs ») pour désigner la région qui, au sud du Sahel, s’étend de la côte atlantique aux côtes de la mer Rouge. Au XIXe siècle, les territoires conquis par l’Egypte ottomane en amont du Nil furent unifiés sous l’appellation de Sūdān. Les Européens s’y référaient parfois comme au Soudan oriental ou nilotique pour le distinguer de la ceinture subsaharienne dans toute sa longueur. A la fin du XIXe siècle, les Français reprirent le terme Soudan pour nommer l’une de leurs colonies d’Afrique occidentale, située à l’emplacement du Mali actuel.

L’appellation Soudan anglo-égyptien, employée ici de manière interchangeable avec l’expression Soudan colonial, se réfère aux territoires placés officiellement sous contrôle anglo-égyptien entre 1899 et 1956 . Ils correspondent grosso modo aux frontières du Soudan ottomano-égyptien tel qu’il se présentait en 1874. La période 1899-1956 est parfois appelée Condominium en référence au traité anglo-égyptien de 1899 qui instaura un régime duel sur le Soudan. Le pays comprenait à cette époque deux régions principales, le Nord et le Sud (audessous de la latitude 10° N). Malgré quelques variations au cours du temps, le Soudan angloégyptien comptait six provinces septentrionales (Nord, Kassala, Nil Bleu, Khartoum, Kordofan, Darfour) et trois provinces méridionales (Haut Nil, Bahr al-Ghazal, Equatoria).

Par éducation coloniale on entend l’ensemble des idéologies et politiques éducatives (scolaires et extrascolaires) pensées et mises en œuvre par les fonctionnaires de l’administration coloniale d’un territoire donné. En est exclu tout projet éducatif conçu et réalisé par des acteurs extérieurs à cette administration. Dans le cas du Soudan par exemple, les écoles missionnaires, communautaires et privées, sur lesquelles nous reviendrons ultérieurement, ne sont pas concernées. L’expression éducation coloniale ne correspond donc pas à l’éducation à la période coloniale. L’éducation coloniale est développée et mise à exécution par les éducateurs ou pédagogues coloniaux. Ceux-ci ne comprennent pas les enseignants dans ce travail. Il s’agit de fonctionnaires occupant des postes plus élevés dans la hiérarchie administrative du Soudan anglo-égyptien, responsables notamment de la conception des programmes et des manuels scolaires, de la formation des enseignants et de l’inspection des écoles.

L’expression histoire coloniale est également problématique car ambigüe. S’agit-il de l’histoire des colonisateurs ou de celle des colonisés ? Se limite-t-elle à l’histoire produite par l’un ou l’autre de ces groupes ? Nous souscrivons ici à une définition volontairement large. Par histoire coloniale, nous nous référons à l’histoire d’une entité soumise à un régime colonial durant la période d’existence de ce régime. Ainsi, dans ce travail, l’histoire coloniale du Soudan renvoie à l’histoire du Soudan de 1899 à 1956, même si le pays fit l’expérience, avant le Condominium, d’une occupation étrangère (ottomano-égyptienne) que l’on peut tout à fait qualifier d’impérialiste, si ce n’est de coloniale. Il en ressort que l’histoire coloniale n’est ni l’histoire exclusive des colonisateurs britanniques et/ou des colonisés soudanais, ni l’histoire produite exclusivement par les colonisateurs et/ou par les colonisés. Il ne s’agit pas non plus des travaux historiques produits durant la période coloniale . C’est l’histoire – en tant que succession d’événements dans le passé, non en tant que discours sur ce passé – du Soudan anglo-égyptien.

Sources 

Cette recherche s’est construite à partir d’un vaste corpus documentaire qui comprend majoritairement des sources écrites (textes) et secondairement des sources visuelles (illustrations, photographies, cartes) et orales (entretiens). Les sources ont été collectées entre 2007 et 2009 dans diverses archives et bibliothèques au Soudan, au Royaume-Uni, en France et en Suisse.

Parmi les dépôts d’archives soudanais les plus importants pour ce travail figurent le National Center for Curriculum and Educational Research (NCCER, Bakht er Ruda), le National Records Office (NRO, Khartoum) et la Khartoum Comboni Provincial Archive (KCPA, Khartoum Nord). Certaines bibliothèques universitaires et de recherche se sont avérées très utiles, en particulier la bibliothèque du NCCER, la bibliothèque de l’Université de Khartoum (Sudan Library), la bibliothèque de l’Université Al-Ahfad (El-Hafeed Library, Omdurman) et la bibliothèque du Centre d’Etudes et de Documentation Economiques, Juridiques et Sociales (CEDEJ, Khartoum). Deux bibliothèques scolaires appartenant à des établissements privés, l’école secondaire Comboni et la Unity High School, m’ont permis de consulter des manuels d’histoire publiés au Soudan ou pour le gouvernement soudanais des années 1940 à nos jours. Enfin, des librairies formelles et informelles ont joué un rôle important dans la constitution du corpus. Les magasins Marawī, al-Dār al-Sūdāniyya li-lKutub et Dār ʿAzza li-l-Nashr wa-l-Tawzīʿ m’ont permis d’accéder à la production littéraire et historique soudanaise récente et moins récente. Un large éventail de manuels scolaires d’histoire, de géographie et d’éducation civique édités entre 1951 et 2008 a pu être obtenu grâce à différents vendeurs de livres informels, habituellement installés près de la rue Babiker Bedri à Khartoum.

Au Royaume-Uni, j’ai bénéficié d’un accès aisé aux fonds documentaires extrêmement riches de la Sudan Archive (SAD, Durham) et des National Archives (NA, Londres). Les ressources de la bibliothèque centrale de l’Université de Durham et de la bibliothèque de la Faculté des sciences de l’éducation ont été particulièrement utiles. A Londres, la British Library m’a permis de consulter des sources primaires qui, bien que publiées, sont difficiles d’accès (manuels scolaires, rapports du département de l’éducation). La bibliothèque de la School of Oriental and African Studies (SOAS) m’a également été profitable, ainsi que celle de l’Institute of Education de l’Université de Londres.

Possibilités et limites de la recherche

Le déroulement du processus de recherche, la constitution de l’objet d’étude et l’élaboration de l’argumentaire sont conditionnés par des contraintes logistiques, matérielles, académiques, culturelles et personnelles. Ce travail n’échappe pas aux contraintes générales d’une thèse de doctorat, notamment en termes de calendrier, de moyens financiers, de normes académiques et de mise en forme technique. Cependant, il doit également s’accommoder de contraintes plus spécifiques, propres à la recherche historique.

Les trois phases que le philosophe Paul Ricœur assigne à l’opération historiographique, c’est-à-dire au travail de l’historien, sont modelées par des variables qui se recomposent dans chaque projet de recherche. Les moments méthodologiques imbriqués que sont les phases documentaire (1), explicative (2) et représentative (3) de la démarche historienne sont indissociables de l’historien (de ses modes de pensée, de ses compétences, de son identité) et de l’environnement physique, académique, politique et culturel dans lequel il travaille.

La constitution du corpus documentaire s’opère en fonction de plusieurs paramètres : manière de définir le champ d’investigation, capacité de l’historien à découvrir l’existence de sources jugées pertinentes et à les localiser, accessibilité de ces sources. Concernant le dernier point, les modalités de fonctionnement des dépôts d’archives peuvent se révéler critiques. La qualité du catalogage des sources et les conditions de leur reproductibilité, par exemple, sont souvent des facteurs décisifs. Mon expérience au NRO de Khartoum et à la SAD de Durham a été très contrastée à cet égard. La délimitation du champ d’investigation et la constitution de la documentation impliquent ainsi une part d’arbitraire, inhérente à toute recherche scientifique, mais plus particulièrement aux recherches en sciences humaines et sociales.

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Table des matières

Introduction
A. Terminologie
B. Sources
C. Possibilités et limites de la recherche
Etat de la recherche
A. Le Soudan anglo-égyptien
B. L’Empire britannique dans sa phase finale
C. Impérialisme et savoirs scientifiques
D. L’éducation en contexte colonial
E. Manuels scolaires
F. Apport de la thèse
1ÈRE PARTIE : SITUER L’OBJET
1. Le Soudan anglo-égyptien : une anomalie légale dans l’Empire britannique
A. Racines historiques (1820-1898)
B. Un régime colonial bicéphale : le Condominium anglo-égyptien (1899-1956)
C. Vers la décolonisation, du Graduates Congress à la 1ère guerre civile (1938-1958)
2. De l’éducation pour l’Empire à l’éducation contre l’Empire
A. La révolution éducative dans l’Afrique coloniale britannique (1900-1960)
B. L’éducation dans le Soudan anglo-égyptien (1902-1957)
2E PARTIE : L’HISTOIRE SCOLAIRE SOUDANAISE DE FIN D’EMPIRE
3. La réforme de l’histoire scolaire soudanaise à l’heure de l’ébranlement colonial
A. L’univers des leçons d’histoire élémentaire par le prisme des manuels
B. Le nouveau programme d’histoire élémentaire
4. Le contenu des enseignements prescrits, de l’histoire à l’éducation civique
A. Une triple identité épistémologique
B. Représentations du passé
C. Systèmes de valeurs
5. Un processus éducatif planifié dans les moindres détails
A. L’enseignant face à et au sein de la classe
B. Narration et cognition au service de la transmission
C. Les élèves en situation d’apprentissage
D. Le processus éducatif sous le regard de l’inspecteur
3E PARTIE : PERSPECTIVES DIACHRONIQUES ET SYNCHRONIQUES
6. L’histoire scolaire au Soudan et dans l’Empire
A. Une rupture dans l’histoire de l’enseignement de l’histoire au Soudan ?
B. Histoires scolaires d’après-guerre : convergences et divergences
7. Une fois l’indépendance acquise
A. Une décolonisation partielle de l’histoire
B. Les absents de l’histoire deviennent sujets d’histoire
Conclusion
A. Zooming in : l’histoire scolaire soudanaise à l’heure de l’ébranlement colonial
B. Zooming out : le Soudan anglo-égyptien et l'(ex-)Empire britannique
C. Perspectives postcoloniales
D. Le Soudan anglo-égyptien, un terrain à explorer et à réexplorer
Bibliographie
Index des auteurs
Table des matières

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