Histoire et evolution de la legislation et de la procedure « etranger malade »

Depuis 1997, il existe dans la loi française une procédure de protection contre l’éloignement des étrangers malades vivant sur le territoire (1). Les politiques de santé publique, d’immigration et la représentation de l’étranger et de l’étranger malade dans notre société ont évolué au fil des années. Avec elles, les lois protégeant les étrangers malades résidant en France contre l’éloignement puis leur permettant d’obtenir un titre de séjour se sont progressivement modifiées. Le droit au séjour pour soins se situe à la jonction de problématiques médicales, légales mais aussi sociologiques et éthiques. Ce dispositif d’obtention de titre de séjour dit « étranger malade », concerne aujourd’hui environ 30 000 personnes, hommes, femmes et enfants qui vivent et se soignent sur le territoire (2). Les titres de séjour pour soins représentent environ 2 % des premiers titres de séjour délivrés en 2019 (3). La psychiatrie tient une place particulière au sein de ce dispositif. En effet, les pathologies psychiatriques figurent parmi les pathologies les plus fréquemment invoquées dans les demandes de titres de séjour pour soins. Elles détiennent des taux d’avis favorables parmi les plus bas, de l’ordre de deux fois moins que pour l’ensemble des pathologies (4). Depuis la loi du 7 mars 2016, c’est à l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII) que revient la tâche d’examiner les documents médicaux et de rendre un avis à la préfecture quant à la situation médicale des demandeurs de titres de séjour « étranger malade » (5). Il s’agit d’un organisme fondé en 2009, dont la mission principale est la gestion et la régulation des flux migratoires, sous la tutelle du ministère de l’Intérieur. Auparavant, l’examen des dossiers médicaux était attribué aux Agences Régionales de Santé (ARS), sous la direction du ministère de la Santé. Dans ce travail, nous rappellerons dans un premier temps les évolutions de la législation encadrant l’obtention des titres de séjour pour soins, ainsi que le déroulement de la procédure actuelle et la place que les médecins y occupent. Dans une seconde partie, nous nous intéresserons plus en détail à la part des pathologies psychiatriques ainsi qu’aux spécificités de la psychiatrie dans cette procédure. Puis, nous présenterons une étude descriptive que nous avons réalisé à partir de documents médicaux de dossiers de demandes de titre de séjour pour soins. Ces documents étaient produits d’une part par les psychiatres traitants des demandeurs, et d’autre part par les médecins de l’OFII. Nous nous sommes intéressés dans cette études exclusivement aux dossiers invoquant des pathologies psychiatriques. L’objectif principal était de mettre en évidence d’éventuelles discordances entre ces documents. Enfin, nous discuterons des différents enjeux et questionnements soulevés par les résultats de notre étude.

DEFINITIONS

Lorsque l’on aborde la question des étrangers, que ce soit pour parler l’accès aux soins ou pour un autre domaine, il convient de clarifier quelques définitions. L’Organisation Internationale pour les Migrations définitle terme de migrant comme « terme générique non défini dans le droit international qui, reflétant l’usage commun, désigne toute personne qui quitte son lieu de résidence habituelle pour s’établir à titre temporaire ou permanent et pour diverses raisons, soit dans une autre région à l’intérieur d’un même pays, soit dans un autre pays, franchissant ainsi une frontière internationale » (6). Un demandeur d’asile est une « personne sollicitant la protection internationale. Dans les pays appliquant des procédures d’examen individualisées, le demandeur d’asile est une personne dont la demande d’asile n’a pas encore fait l’objet d’une décision définitive de la part du pays d’accueil potentiel. Tout demandeur d’asile n’est pas nécessairement reconnu comme réfugié à l’issue du processus, mais tout réfugié a, dans un premier temps, été demandeur d’asile » (6). Un réfugié est une « personne qui peut se réclamer de la protection de l’Organisation des Nations Unies, assurée par le Haut-Commissariat pour les Réfugiés (HCR) en application de son statut et, notamment, des résolutions ultérieures de l’assemblée générale précisant son domaine de compétence, qu’elle se trouve ou non sur le territoire d’un État partie à la Convention de 1951 ou au Protocole de 1967 – ou à un instrument régional pertinent sur les réfugiés – ou qu’elle ait été ou non reconnue par le pays d’accueil comme réfugié en vertu de l’un ou l’autre de ces instruments. » (6). Un étranger en revanche, est une personne caractérisée par sa nationalité qui n’est pas celle du pays où il se situe. Une personne accédant donc à la nationalité française ne pourra plus être considérée comme étrangère sur le territoire français.

HISTOIRE ET EVOLUTION DE LA LEGISLATION ET DE LA PROCEDURE « ETRANGER MALADE »

Avant 1997

A partir de 1974 et la fermeture des frontières à l’immigration de travail puis au regroupement familial en 1984 (7), on voit le nombre de demandeurs d’asile augmenter (8). Non pas que les personnes souhaitant immigrer en France se fassent alors passer pour réfugiées, mais plutôt qu’il était plus facile avant ces dates, d’obtenir un contrat de travail que le statut de réfugié (8). Les chiffres de reconnaissance du statut de réfugié par l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA) ont par la suite progressivement diminué dans les années 1970 et 1980 passant de 90.1% en 1974 à 15.4% en 1990 (8) (9). L’obtention d’une situation régulière sur le territoire est donc devenue de plus en plus complexe. Parmi ces étrangers vivant en France, certains souffrent de pathologies graves. Au début des années 1990, il n’y a pas dans le système judiciaire français de protection pour les personnes étrangères malades sur le territoire français et les expulsions sont nombreuses. L’année 1991 marque le début des mobilisations d’associations luttant contre les expulsions d’étrangers souffrant de pathologies graves, par la création notamment, du Comité contre l’expulsion des grands malades qui nait de la rencontre entre Act Up Paris et le Comité National Contre la Double Peine (CNCDP) (10). C’est le premier collectif qui a pour objectif d’obtenir l’inexpulsabilité de personnes étrangères souffrant de pathologies graves. Cette même année, un exemple d’expulsion qui en reflète beaucoup d’autres est particulièrement mis en avant par le Comité contre l’expulsion des grands malades. C’est celui de Driss El Groua, un homme de nationalité marocaine âgé de 27 ans, vivant en France depuis l’âge de 7 ans et atteint du SIDA, à l’encontre duquel est pris un arrêté d’expulsion en urgence le 23 septembre 1991 (11). Le 29 octobre, la présidente du Conseil National du SIDA, Françoise Héritier-Augé, le directeur de l’Agence nationale de recherche sur le SIDA, Jean Paul Levy et le directeur de l’Agence française de lutte contre le SIDA, Dominique Charvet, demandent dans un communiqué commun aux autorités de surseoir à l’application des mesures d’expulsion lorsque celle-ci est synonyme d’un arrêt de traitement et entraînerait des « conséquences d’une exceptionnelle gravité » (10). A partir de 1992-1993, les pouvoirs publics se saisissent de cette question et les ministères de la Santé et de la Justice commandent un rapport sur les personnes étrangères malades susceptibles d’être expulsées à la sortie de détention. Ce rapport est réalisé au sein de l’hôpital pénitentiaire de Fresnes. En 1994, un nouveau collectif est créé : l’Action pour le Droits des Malades Etrangers en France (ADMEF). Ses membres fondateurs sont Act Up Paris, Arcat-SIDA et le Comité Médical d’Aide pour les Exilés (COMEDE), ils seront ensuite rejoints par une trentaine d’autres associations. L’objectif principal de l’ADMEF est de « promouvoir des propositions de modifications législatives afin d’améliorer la situation en France des personnes de nationalité étrangère atteintes de pathologies graves » (10). Pendant des mois, ce collectif élabore et envoie aux différents ministères intéressés (Santé, Intérieur, Justice) des dossiers de personnes étrangères malades. En novembre de cette année, l’ADMEF obtient des ministères de la Santé et de l’Intérieur la suspension d’une décision d’expulsion d’une femme algérienne gravement malade (2). En 1995, différentes associations dont le but est de promouvoir le droit à la santé des étrangers se regroupent pour créer « Urgence malades étrangers en danger » (Urmed) qui deviendra l’Observatoire du Droit à la Santé des Etrangers (ODSE) (12). Parmi ces associations, nombreuses sont celles œuvrant pour la lutte contre le SIDA. Toujours en 1995 le Conseil National du SIDA rend un rapport sur la situation des étrangers malades dont le statut administratif est précaire (13). Durant ces années, certains étrangers malades commencent à bénéficier d’Autorisation Provisoire de Séjour (APS) pour soins, au cas par cas et sans encadrement légal clair, entrainant de grosses disparités sur le territoire. De plus ce statut ne leur permet pas de travailler ou d’accéder à certains droits sociaux. Le 22 août 1996, le Conseil d’Etat se prononce pour l’annulation des décisions d’expulsion lorsque celles-ci peuvent avoir des « conséquences d’une gravité exceptionnelle sur la situation personnelle » d’un individu et notamment en ce qui concerne sa santé (14). C’est la première fois que la notion d’« exceptionnelle gravité » apparait dans un texte de loi. Nous remarquons donc l’importance des mouvements associatifs, et particulièrement les associations de lutte contre le SIDA, à cette époque pour l’avancée des droits des étrangers malades. C’est dans ce contexte que va naître la première loi visant à protéger ces personnes, la loi dite « loi Debré », à la suite  d’un important lobbying associatif et la mise en avant de l’article de 3 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (CDEH) « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants » .

Loi du 24 avril 1997 ou « loi Debré »

Cette loi crée pour la première fois dans le système juridique français un moyen de protection contre l’expulsion du territoire pour les personnes étrangères gravement malades et ne pouvant se soigner dans leur pays d’origine. L’article en question est l’article L 511-4-10 du Code de l’Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d’Asile (CESEDA). Il stipule que « ne peuvent faire l’objet d’une obligation de quitter le territoire français ou d’une mesure de reconduction à la frontière […] l’étranger résidant habituellement en France dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entrainer pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité sous réserve qu’il ne puisse bénéficier d’un traitement approprié dans le pays de renvoie » (16). Les notions d’exceptionnelle gravité et d’accès aux traitements dans le pays d’origine ne sont pas clairement définies dans les textes de loi et sont toujours présentes dans la législation actuelle.

Loi du 11 mai 1998 ou « loi Chevènement » 

Un an plus tard la loi dite « loi Chevènement » modifie par son article 12 bis l’ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour en France des étrangers. Elle stipule que « Sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » est délivrée de plein droit à l’étranger résidant habituellement en France dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entrainer pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité, sous réserve qu’il ne puisse effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans le pays dont il est originaire » .

Cette loi crée donc pour la première fois la possibilité d’obtenir un titre de séjour pour des raisons de santé. Le rapport médical pour une demande de titre de séjour « étranger malade » est rédigé par un médecin praticien hospitalier ou par un médecin agréé et remis sous pli confidentiel à un Médecin Inspecteur de Santé Publique (MISP) de la DRASS, puis des ARS lors de leur création en 2010, ou à Paris au médecin chef de service de la préfecture de police. C’est ce médecin qui, grâce à l’étude du rapport médical et à une consultation avec le patient, apprécie les conditions médicales de la demande de titre de séjour « étranger malade ». Après son évaluation, il rend un rapport au préfet répondant à 4 questions spécifiques sans donner d’informations sur la pathologie en cause ou ses traitements.

Loi du 16 juin 2011 ou « loi Besson »

L’article L 313–11 11° du CESEDA est modifié par la loi du 16 juin 2011 et définit le droit au séjour pour raison médicale de la manière suivante :

« Sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention «vie privée et familiale» est délivrée de plein droit […] : 11° À l’étranger résidant habituellement en France dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité, sous réserve de l’absence d’un traitement approprié dans le pays dont il est originaire sauf circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l’autorité administrative après avis du directeur général de l’Agence Régionale de Santé, sans que la condition prévue à l’article L 311 7 soit exigée » .

La modification principale dans la procédure du droit au séjour pour raison médicale de cette loi porte  sur l’accès aux soins dans le pays d’origine du demandeur. En effet, la loi du 11 mai 1998 stipulait que si les conditions médicales et administratives étaient remplies, le demandeur pouvait accéder à un titre de séjour pour raison médicale « sous réserve qu’il ne puisse effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans le pays dont il est originaire » (17). Dans la loi du 16 juin 2011 ces termes ont été remplacés par « sous réserve de l’absence d’un traitement approprié dans le pays dont il est originaire ». Il ne s’agit donc plus de l’accès effectif à un traitement en fonction de sa situation personnelle économique, sociale, géographique, mais de la présence ou de l’absence d’un traitement dans le pays en question. Il est évident que les conséquences ne sont pas les mêmes, particulièrement lorsque l’on examine les pays dont sont majoritairement originaires les personnes faisant la demande d’un titre de séjour pour raison médicale.

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela rapport-gratuit.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

INTRODUCTION
DEFINITIONS
HISTOIRE ET EVOLUTION DE LA LEGISLATION ET DE LA PROCEDURE « ETRANGER MALADE »
I. Avant 1997
II. Loi du 24 avril 1997 ou « loi Debré »
III. Loi du 11 mai 1998 ou « loi Chevènement »
IV. Loi du 16 juin 2011 ou « loi Besson »
V. Loi du 7 mars 2016 « relative au droit des étrangers en France » ou « loi Cazeneuve » (entrée en application au 1er janvier 2017)
VI. Déroulement de la procédure actuelle pour une demande de titre de séjour pour soins
1) Dépôt de la demande en préfecture
2) Rédaction du certificat médical confidentiel
3) Etablissement du rapport médical confidentiel par un médecin de l’OFII
4) Avis du collège à compétence national de l’OFII
5) La décision du préfet
6) Renouvellement de titre de séjour, Carte de Séjour Pluriannuelle (CSP)
VII. Spécificités pour les Algériens
VIII. Les médecins dans la procédure actuelle
1) Les médecins traitants ou les médecins suivant le patient
2) Les médecins de l’OFII
IX. Evolution des taux d’avis favorables entre 1998 et aujourd’hui en fonction des modifications législatives
X. Les difficultés de la démarche
L’ETRANGER ET L’ETRANGER MALADE DANS LA SOCIETE
LE TITRE DE SEJOUR « ETRANGER MALADE » EN PSYCHIATRIE
I. Données épidémiologiques concernant la santé mentale des migrants
II. Données épidémiologiques concernant les demandes de titres de séjour « étranger malade » en psychiatrie
III. L’exceptionnelle gravité en psychiatrie
IV. L’accessibilité aux soins dans les pays d’origine
1) Les sources d’information
2) Accessibilité effective
3) Les soins en psychiatrie
V. Les éventuelles conséquences psychiques de la démarche
PROBLEMES ET QUESTIONNEMENTS
ETUDE COMPARATIVE DE CERTIFICATS MEDICAUX REDIGES PAR DES PSYCHIATRES TRAITANTS ET DE RAPPORTS MEDICAUX DE L’OFII A LA RECHERCHE DE DISCORDANCE
I. Présentation de l’étude
II. Objectifs
III. Matériel et méthode
1) Matériel
2) Méthode
3) Analyse
4) Aspects éthiques
IV. Résultats
1) Caractéristiques socio-démographiques et cliniques de la population étudiée
2) Données concernant les dossiers étudiés
3) Comparaison des certificats et des rapports médicaux pour chaque dossier
DISCUSSION
CONCLUSION
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXES

Lire le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *