Histoire et caractéristiques socioéconomiques de la ville de Saint-Denis 

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Les particularités de la communication publique territoriale

« Nécessité incontournable des institutions et états démocratiques »18, la communication publique se conforme à des règles et des lois, tant juridiques que déontologiques, afin de la prémunir de toute propagande et de garantir qu’elle s’exerce en toute transparence. Un tel cadre s’explique par la qualité des émetteurs, acteurs exerçant un rôle prépondérant dans la société du fait de leur pouvoir institutionnel, administratif et politique. La frontière entre communication publique et politique est ténue et on peut estimer que ces deux champs peuvent se confondre dans la mesure où la communication publique « accompagne l’exercice du pouvoir et la conduite des politiques publiques dans le cadre d’un mandat confié par les électeurs et pour un temps limité pour légiférer, gérer et administrer un pays, une ville, un territoire. »19 La notion de transparence indispensable à l’exercice de la communication publique impose toutefois à celle-ci d’être un relais d’information et non de propagande. Aussi, afin d’éviter toute confusion entre conquête et exercice du pouvoir, le législateur a imposé des règles – notamment à travers la loi du 15 janvier 1990 sur la communication électorale – visant à clarifier le financement des activités politiques. Cette loi défend ainsi aux élus de puiser dans le budget des collectivités dans le cadre des campagnes électorales, interdisant ceux-ci de confondre leur communication politique et la politique de la collectivité qu’ils dirigent. Pour autant, la communication publique – en valorisant les actions et les réalisations d’une collectivité et donc, des édiles à leur tête – peut participer à leur popularité et à leur réélection, démontrant la perméabilité entre politique et communication.
Les récepteurs des messages émis dans le cadre de la communication publique se distinguent également à plusieurs titres. Au-delà des agents des services et des élus des collectivités, les cibles sont multiples et peuvent être divisées en deux groupes majeurs : les acteurs à séduire et à attirer, externes au territoire (investisseurs, entreprises, touristes, habitants potentiels…), et la population du territoire couvert par l’institution dont les attentes sont différentes, qui fait l’objet de notre étude. L’habitant, cible première des nombreux messages délivrés par l’institution, se distingue par la multiplicité de ses rôles : il est à la fois citoyen, usager et électeur. Loin d’être un récepteur passif, il a « une propension à intervenir »20 via, notamment, l’élection.
Par ailleurs, les habitants ne constituent pas un groupe homogène et l’émetteur doit être en capacité d’adapter supports et discours afin de cibler au mieux ces publics hétéroclites. Ainsi, la caractéristique des récepteurs de la communication publique laissent percevoir la complexité de celle-ci, où s’entrecroisent et se superposent des messages destinés à informer, à séduire, à promouvoir, démontrant une nouvelle fois la frontière ténue entre communication publique, politique et promotionnelle.
La communication publique territoriale se caractérise également par l’impact important qu’elle peut avoir auprès des récepteurs. Plus l’émetteur est proche, plus le message a une propension à être perçu, le récepteur identifiant de façon plus aisée la collectivité émettrice qui renvoie directement au territoire sur lequel il habite. Cette proximité garantit notamment à la commune, collectivité territoriale la plus proche du citoyen, une communication plus efficace : « La communication, propre aux échanges décentralisés et au débat avec le citoyen, est acceptée d’autant plus facilement que l’information émanant du centre. »21
Par ailleurs, l’animation d’une collectivité locale s’articulant « autour des besoins premiers de l’individu »22 (sécurité, tranquillité, qualité de vie), elle propose des services qui définissent, affectent et modèlent directement l’environnement du citoyen. La gestion locale est en effet en charge de l’espace urbain, que cela concerne l’aménagement ou les transports, les équipements culturels, sportifs, scolaires, de santé mais également la politique sociale ou encore l’appui au développement économique ou commercial. En impactant directement le cadre de vie, cette communication revêt un caractère concret qui fait parfois défaut aux échanges s’exerçant à un niveau plus centralisé, une échelle géographique plus lointaine et, conséquemment, plus abstraite. Aussi, dans le cadre de la campagne déployée par la ville de Saint-Denis, la proximité de l’émetteur que constitue la municipalité et la thématique adressée portant sur territoire de la ville – le cadre de vie des administrés – sont autant de facteurs qui peuvent favoriser une meilleure réceptivité des messages émis. Pour autant, ces seules caractéristiques doivent être construites autour de notions mobilisatrices et fédératrices– comme peuvent l’être l’identité et l’appartenance – afin de garantir une plus grande acceptation des messages.

Identité et appartenance au cœur de la communication publique territoriale

L’appartenance et l’identité apparaissent comme des notions largement utilisées dans le cadre de la communication publique territoriale afin de répondre à l’objectif visant à donner du sens à la communauté d’individus réunis sur le territoire que peut constituer un pays, une région, un département ou une commune. En effet, le territoire constituant « un des éléments essentiels de l’existence pour une société et un être humain »23, identité et espace sont intrinsèquement liés et participent à instaurer ou améliorer la cohésion de groupe et la vie collective, essentielles à la structuration des sociétés humaines formées par les communautés.
Dans le même temps, la valorisation des territoires sur lesquels exercent les différentes collectivités territoriales apparaît aujourd’hui comme une nécessité pour celles-ci. Cette valorisation territoriale se destine à un public externe « pour des raisons d’ordre économiques qui paraissent évidentes (attirer les investisseurs, mais aussi les touristes, les entreprises…) »24 et doit obligatoirement se doubler d’une communication interne auprès des habitants du territoire afin de susciter l’adhésion de ceux-ci.
Les collectivités territoriales développent donc des stratégies destinées à ces différents récepteurs tout en veillant à leur cohérence et mobilisent pour ce faire la notion d’identité. Cadre de référence des individus – de façon individuelle et collective – l’identité peut être définie « comme un processus d’intériorisation d’une image de soi comme personne et comme acteur social par rapport à autrui et à différentes activités et situations de la vie quotidienne. »25 Etroitement liée au contexte dans lequel évolue un individu, elle est donc déterminante dans les relations sociales que celui-ci développe tant à un niveau personnel que dans un cadre sociétal, impactant ainsi les rapports qu’il entretient avec les institutions et les pouvoirs publics.
Développer une identité commune vise également à fédérer des individus qui ont parfois fort peu en commun, permettant ainsi de « diminuer l’hétérogénéité des comportements individuels et la diversité des parcours, et ainsi tendre vers la stabilité » 26. Enfin, attribuée à un territoire, l’identité va participer à le différencier et à le singulariser aux yeux des publics externes et participer ainsi à son attractivité.
Le sentiment d’appartenance se caractérise quant à lui « comme “le lien affectif positif entre un individu et un lieu particulier” qui peut être mesuré à travers l’attitude envers la région. »27 Ainsi, la mobilisation de l’appartenance et de l’identité territoriale induit une meilleure efficacité communicationnelle car « l’identité par le territoire, issue d’un partage et de valeurs communes au sein même du territoire, est un vecteur de mobilisation pour celui-ci. » Ces notions, lorsqu’elles sont intériorisées par les individus, les prédisposent à amplifier l’attachement et la solidarité à leur territoire tout en constituant un paramètre essentiel garantissant une meilleure réception, appréciation et assimilation des messages émis par la collectivité.
En conséquence, de nombreuses collectivités territoriales, qui bénéficient déjà d’une proximité spatiale avec les individus y vivant, déploient des stratégies de communication visant à structurer la communauté autour de ces notions fédératrices. La campagne de communication de la ville de Saint-Denis s’inscrit précisément dans cette stratégie communicationnelle, qui joue sur le sentiment d’appartenance des Dionysiens et dans laquelle les valeurs fortes de la ville définissant son identité sont mises en avant. Pour autant, si l’utilisation de ces notions consensuelles semble évidente, des obstacles peuvent limiter son impact.

Les obstacles à l’utilisation de ces notions

L’identité et l’appartenance, si elles apparaissent essentielles, sont complexes à mobiliser. Ainsi, l’appartenance à un territoire – que l’on pourrait assimiler à une forme de déterminisme spatial – ne se décrète pas : le fait de résider dans un lieu ne suffit pas à s’en sentir membre. Le lieu du cadre de vie ne constitue en effet qu’une des appartenances de l’individu auxquelles peuvent s’ajouter sa famille, son milieu social, sa communauté, sa culture, son activité professionnelle ou encore sa religion.
Par ailleurs, l’appartenance spatiale se conjugue au pluriel, particulièrement « dans un contexte où les parcours géographiques individuels sont de plus en plus complexes »28 : au lieu de vie s’ajoutent le lieu de naissance, la zone géographique dont est originaire la famille de l’individu, les différents endroits dans lesquels il a vécu ou qu’il a fréquenté « mais aussi des lieux plus imaginaires ou projetés comme les lieux de vie souhaités ou de projet éventuels. »29 Chaque individu peut enrichir et mobiliser ce « patrimoine identitaire géographique »30 à différents moments de sa vie.
D’autre part, la construction d’un sentiment d’appartenance interroge sur la construction sociale des individus et de la communauté et constitue une gageure dans la mesure où les individus qui résident sur un territoire donné ne constituent pas un groupe homogène : « plusieurs groupes, chacun possédant sa propre identité, peuvent habiter le même territoire, sans avoir pour autant les mêmes rapports à ce territoire en termes d’appartenance, d’appropriation ou de revendications »31 auxquels s’ajoutent des individus n’appartenant à aucun groupe.
Enfin, les habitants d’un territoire sont la cible de nombreuses injonctions identitaires parfois cumulatives dans la mesure où ils sont les citoyens d’un pays, d’une région, d’un département, d’une intercommunalité etc. En effet, nombreuses sont les institutions publiques qui font appel aux notions d’appartenance et d’identité pour créer une cohésion, au premier rang desquels la Nation, structurée autour de symboles et d’emblèmes forts que peuvent constituer l’hymne national, le drapeau tricolore ou encore la Marianne Républicaine. Les collectivités exerçant sur les territoires composant la Nation doivent utiliser et relayer les symboles et les valeurs nationales tout en y adjoignant des valeurs propres et cohérentes afin de faire naître chez les administrés un sentiment d’appartenance plus ciblé et plus local. Le territoire, ainsi mobilisé, se singularise et se différencie ainsi au sein de la Nation. Il représente à la fois le cadre concret mais également le cadre symbolique et historique en tant que « le lieu d’un enracinement de l’histoire et d’une mémoire collective »32.
Sans négliger cette dimension patrimoniale, la communication doit donc « structurer un espace autour de quelques particularités »33 afin de trouver des valeurs communes, support à la création d’une identité qui fédérera les habitants. Ces valeurs “support” sont généralement consensuelles car elles ne doivent pas donner lieu à des polémiques qui créeraient des dissensions et s’appuient donc « sur des thèmes qui se veulent rassembleurs, et sont censés répondre directement à une demande sociale. »34
Dans le cadre de la campagne de communication de la ville de Saint-Denis, la principale limite que l’on peut évoquer est constituée par la nature de la cible – constituée par les administrés – notamment caractérisée par sa diversité socio-culturelle. Si le multiculturalisme est revendiqué par la municipalité, cette hétérogénéité peut constituer un obstacle dans la construction d’une identité locale spécifique, tout comme la présence sur le territoire d’une population en parcours résidentiel, non-impliquée dans la vie locale.
Aussi, l’utilisation des notions d’identité et d’appartenance, au regard de la mobilisation parfois complexe de ces notions, peut être questionnée.

Territoire, identité et appartenance : limites et questionnements

Depuis la mise en œuvre de la politique de décentralisation en France au début des années 1980, les collectivités territoriales n’ont cessé de se complexifier. L’apparition de nouvelles entités (régions, communauté de communes, intercommunalités, métropoles…) ont imposé aux communicants de faire savoir quelles étaient ces collectivités et leurs compétences afin d’en « d’asseoir la légitimité et la cohérence »35. La construction identitaire est un thème largement utilisé dans le cadre de cette communication car le territoire en tant que support identitaire apparaît particulièrement légitime, les individus se référant « à des modèles explicites ou implicites qui inscrivent leurs comportements passés, actuels et futurs dans une symbolique propre à un territoire. »
L’affirmation d’entités administratives, virtuelles aux yeux des habitants du territoire y étant rattachés, passe ainsi par la construction d’une identité, qui se juxtapose au territoire géographique concret, parfois riche d’une histoire et d’une culture propres. Ainsi, les régions, dont les frontières ont connu des évolutions régulières « récupèrent des parcelles identitaires qu’il s’agit de faire coïncider, ou dont il faut aplanir les difficultés qu’entraîne leur juxtaposition en faisant émerger d’autres éléments porteurs et rassembleurs »37 ce qui peut toutefois donner un caractère artificiel à ces territoires.
Par ailleurs, la notion d’identité locale, même façonnée en dehors de toute polémique, n’est pas neutre et comporte une portée politique qui la rend « particulièrement apte à intégrer les mythes politiques modernes. »38 Véhiculée de façon positive dans le cadre de la communication territoriale, l’identité est toutefois l’objet de questions lorsqu’il est question de “crispations identitaires” ou de “crises identitaires”, révélant les limites d’une identité unique et commune qui masque, dans la réalité, une multitude d’identités difficiles, voire impossibles à conjuguer. Cette analyse questionne l’unité du groupe, qui s’apparente plus à une construction virtuelle et idéalisée qu’à la réalité du territoire, des groupes et des individus qui le composent.
D’autre part, le recours au discours sur l’identité peut être remis en question, apparaissant pour certains comme un prétexte visant à crédibiliser les actions menées par les élus et les communicants et « qui ne contribuerait qu’à masquer des problèmes plus urgents et sans doute plus difficiles à résoudre. »39
Ainsi, à la notion d’identité qui prévalait voit-on celle de proximité émerger : « Si le thème de l’identité reste présent, c’est celui de la relation, de la proximité qui est devenu le leitmotiv des responsables. »40 Elle permet d’illustrer de façon concrète la présence et l’investissement des institutions et de ses représentants, répond aux nouveaux impératifs participatifs qui font du citoyen un acteur de plus en plus sollicité tout en correspondant aux nouveaux moyens de communication – notamment les réseaux sociaux – qui instituent une relation directe entre émetteur et récepteur.
Enfin, l’identité peut également être subie par un territoire et être définie en dehors de ses frontières, une problématique à laquelle est précisément confrontée la ville de Saint-Denis. Cela est plus largement illustré par le cas des banlieues dont l’image est largement façonnée par les médias et par un discours politique stigmatisant, leur attribuant une identité négative, véritable handicap pour ces territoires.

Des représentations alimentées par les médias

Dans l’imaginaire collectif, la banlieue constitue un vaste territoire inhospitalier concentrant tous les maux de la société. Selon Jean-Marc Stébé et Hervé Marchal, « un mythe s’impose depuis une vingtaine d’années tant dans les débats politiques que dans les médias et le sens commun qui nous fait voir certaines banlieues défavorisées comme des cités-ghettos. »45
La représentation de ces territoires est souvent biaisée : dès lors qu’une banlieue cumule certaines caractéristiques (une population plus pauvre que la moyenne, un taux de chômage plus élevé, des habitants d’origine étrangère plus nombreux…), elle est perçue comme une entité géographique et sociale homogène, niant le caractère complexe de sa réalité. Les événements y sont analysés à travers un prisme négatif où l’insécurité, l’incivilité et l’insalubrité sont légion.
Cette image dégradée de la banlieue est notamment véhiculée par un traitement médiatique et un discours politique favorisant la stigmatisation voire la caricature de ces territoires et de leurs habitants. Les médias jouent un effet un rôle fondamental dans « l’imposition d’un modèle social »46 et la production de l’information en banlieue révèle des logiques spécifiques non sans impact sur l’image dégradée qui caractérise aujourd’hui ces espaces.
Un des premiers constats que l’on peut tirer est la façon dont sont couverts les événements qui se déroulent en banlieue. « Peu stratégiques lorsqu’ils sont traités sous l’angle “social”, les quartiers HLM de la périphérie, sous l’angle des “faits divers”, suscitent un intérêt soutenu de la part des rédactions en chef ».47 Cette distinction est déterminante car si les sujets de société relèvent d’une mission d’information, les faits divers ont davantage vocation à divertir. Or, si la presse de “l’establishment” a, pendant longtemps, proscrit le traitement des faits divers, les logiques commerciales et la « stratégie de maximalisation des audiences des grands médias »48 ont fait évoluer cette ligne éditoriale. Les faits divers y sont désormais couverts, assurant aux rédactions de bonnes audiences et ceux qui peuvent se dérouler en banlieue sont par ailleurs dramatisés « afin de toucher l’opinion publique sur le plan émotionnel, garantie d’atteindre l’audience la plus large possible »49. Ainsi, en réduisant l’information sur la banlieue au fait divers, les médias ont contribué à banaliser et normaliser celui-ci et, en conséquence, à abandonner un traitement analytique plus élaboré qui rendrait compte de la complexité des problématiques de la banlieue. Par ailleurs, les médias font un usage symbolique des “banlieues à problèmes” dans une scénographie stéréotypées de ce théâtre urbain : on y croise de façon récurrente le “groupe de jeunes”, un représentant de la société civile ou un édile, des plans larges où apparaît une population issue de l’immigration sur fond d’habitat sinistre et dégradé. Ces images sont choisies pour dépeindre une réalité conforme à la représentation de ce territoire.
Sans nier la réalité des problèmes de la banlieue, on constate que cette mise en scène répétée à l’envi, la focalisation sur les événements les plus négatifs et le traitement souvent univoque de l’information sont autant d’éléments qui participent « à véhiculer l’idée selon laquelle ces lieux font figure d’enclave et de zone de non-droit au cœur de notre société »50.
Ce traitement médiatique n’est pas sans impact pour les habitants de la banlieue auprès desquels les journalistes sont mal perçus, la simple présence de ces derniers pouvant servir de catalyseur à des violences qui couvent.
Au-delà des médias, la rhétorique négative de la banlieue est également utilisée dans le discours politique, ce qui concourt à stigmatiser des territoires entiers, non sans conséquence sur ses habitants.

Discours politique et stigmatisation

Si la thématique du “malaise des banlieues” est apparue dans les années 1980, on peut dater à 2002 la généralisation de la rhétorique sécuritaire, à l’occasion de la campagne présidentielle qui fut largement été axée sur le thème de l’insécurité. La question de la sécurité « thème récurrent qui s’appuie moins sur des réalités statistiques que sur un sentiment diffus d’insécurité »51, a contribué à alimenter les représentations sociales et à amplifier la stigmatisation dont sont victimes les habitants de la banlieue.
Cette spatialisation s’est progressivement doublée, dans les années suivantes, par une “ethnicisation” de cette question sociale, mettant au cœur du discours politique la “question immigrée”. Alors Ministre de l’Intérieur (2005-2007), Nicolas Sarkozy identifie l’immigration comme un enjeu prioritaire pour le pays et propose une « nouvelle » politique de l’immigration52, thème qui sera également au cœur de sa campagne présidentielle puis se renforcera avec la création du ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du codéveloppement en 2007. A l’occasion de violences urbaines à Grenoble en 2010, le chef de l’Etat prononce un discours faisant le lien entre immigration, violence et banlieues : « Le flux migratoire “non-contrôlé” est interprété comme la cause majeure des problèmes actuels auxquels le pays doit faire face, comme le trafic des drogues et la violence. Ces problèmes sont présentés d’une part comme spécifiques aux “banlieues”, d’autre part, comme liés aux immigrés. De la déclaration de Nicolas Sarkozy ressort le rapport des actes de violence avec l’histoire de l’immigration en France : la constitution d’une population de descendants d’immigrés et leur concentration dans des quartiers d’habitat social situés en périphérie des villes. »53 C’est également lors de ce discours qu’il envisage la déchéance de nationalité pour « toute personne d’origine étrangère qui aurait volontairement porté atteinte à la vie d’un policier, d’un gendarme ou de toute personne dépositaire de l’autorité publique. »54
Cette mesure, qui figure dans le projet de loi relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, sera finalement supprimée lors de la discussion au Sénat mais son impact est important : « Tout porte à croire que l’origine des individus représente donc une menace. (…) Ainsi, les “jeunes” d’origine étrangère sont-ils présentés comme les responsables de la “crise” des banlieues. En ce sens, la réaction de l’Etat dans l’élaboration de l’amendement contribue à la “stigmatisation” de l’immigré et des descendants d’immigrés. »55
L’institutionnalisation d’une forme de rejet, doublé d’un traitement médiatique systématiquement négatif stigmatisent doublement les banlieues et leurs habitants. « La vision médiatique et politique de la délinquance et de la violence place, presque systématiquement, les habitants des banlieues, particulièrement les jeunes, du côté des responsables, sinon des coupables. »56

Saint-Denis, sa communication et la campagne déployée à l’occasion de l’Euro 2016

Sous-préfecture de la Seine-Saint-Denis, la ville de Saint-Denis a consécutivement fait figure, au cours du XXe siècle, d’emblème des “banlieues rouges” puis du “9-3”. La “ville des rois” – terre de la Basilique, nécropole des rois de France – bénéficie d’une bonne notoriété du fait de son histoire riche mais aussi de sa réputation sulfureuse. Multidimensionnelle dans sa réalité ainsi que dans son symbolisme réel ou projeté, Saint-Denis se distingue par diverses caractéristiques socioéconomiques qui illustrent les problématiques qu’elle rencontre mais démontrent également son attractivité due à des mutations urbaines récentes. En effet, la ville est aussi le territoire du Stade de France, dont l’implantation a été dictée pour de nombreuses raisons et notamment « les retombées économiques, urbaines et symboliques que pourrait engendrer la manifestation en elle-même, et le stade comme équipement. »59 Inauguré en 1998, l’enceinte sportive « symbolise un tournant dans l’action publique »60 tout en dessinant ce qui allait devenir le quartier d’affaires de la Plaine.
Au regard de l’échelle de la ville, on peut tout d’abord noter que les moyens budgétaires dédiés à la communication restent modestes. Dans le cadre de sa communication, la ville de Saint-Denis se caractérise par les notions de solidarité et de multiculturalisme, des valeurs qui structurent l’action publique et imprègnent sa communication. Celles-ci se déclinent dans les axes majeurs de la communication de la ville, qu’il s’agisse du sport, de la culture, du patrimoine ou des événements mémoriels et révèlent notamment la volonté des édiles successifs de valoriser l’immigration, souvent perçue négativement. A la suite des attentats de novembre 2015, Saint-Denis fait face à une séquence de critiques sur son supposé laxisme face à l’islam radical et décide, afin d’y répondre, de lancer une campagne d’une grande ampleur à l’occasion de l’Euro 2016. La campagne « Equipe de France de Saint-Denis » vise à travailler sur le sentiment de fierté des Dionysiens et conjugue les valeurs de solidarité et de multiculturalisme que partagent la ville et le sport.

Histoire et caractéristiques socioéconomiques de la ville de Saint- Denis

Saint-Denis comptait, au 1er janvier 2014, 111752 habitants faisant de celle-ci la 3ème commune d’Île-De-France après Paris et Boulogne. Les caractéristiques sociodémographiques de la ville permettent de dessiner les contours de la ville et de comprendre les enjeux animant ce territoire. Saint-Denis se distingue par une croissance démographique supérieure à celle du territoire national (+1,1% contre 0,5%) s’expliquant notamment par sa bonne desserte et l’importance de ses réserves foncières, particulièrement dans le quartier très dynamique de la Plaine, territoire au sud de la ville dont l’essor ne cesse de se poursuivre depuis l’inauguration du Stade de France en 1998.
Saint-Denis est également marquée par la jeunesse de sa population : en 2013, près de 24% des Dionysiens ont moins de 15 ans contre 18,5% pour l’ensemble du territoire national.
La ville, à l’instar de nombreuses cités populaires et prolétaires, est par ailleurs caractérisée par une forte immigration au cours de l’histoire contemporaine : précédées par une migration nationale de Bretons, des vagues espagnoles, italiennes, portugaises, et maghrébines se sont succédées et la ville demeure jusqu’à nos jours une terre d’accueil pour de nombreux étrangers primo-arrivants. On relève par ailleurs pas moins de 135 nationalités dans la ville, la part des étrangers constituant 31,2% de la population communale et celle des Dionysiens Français par acquisition 14,6%, reflet du multiculturalisme de la ville.
On note également que la part des ouvriers y est plus importante qu’au niveau national faisant de Saint-Denis « une ville populaire »61. Enfin, les difficultés économiques de la ville se lisent à travers le taux de chômage de 23,4% (contre 12,3% en France), le taux d’imposition des ménages de seulement 44% (contre 54% en Seine-Saint-Denis et 58,2% en France) ou encore les 36% de ménages vivant sous le seuil de pauvreté (contre 26,8% en Seine-Saint-Denis et 14,5% en France).
Tant du point de vue historique que symbolique, la ville de Saint-Denis – dont l’image a évolué au fil du temps – occupe une place particulière dans l’histoire de France et dans l’imaginaire national. Cité prospère dans le temps médiéval, elle devint “la ville des rois” en accueillant les sépultures des Capétiens dans sa basilique puis un symbole révolutionnaire lorsqu’elle fut rebaptisée “Franciade” par un décret de la Convention en 1793. Après la Révolution, la ville servit ensuite le culte napoléonien avec l’établissement de la Maison d’éducation de la Légion d’honneur, qui accueille jusqu’à nos jours les filles des médaillés de cette décoration créée par Bonaparte. Au XIXe siècle, Saint-Denis fut au cœur de la plus grande zone industrielle de l’Europe et tira de cet héritage un prolétariat nombreux, terreau qui favorisa au XXe siècle l’émergence du parti communiste et fit de cette ville l’emblème des “banlieues rouges”, administrée jusqu’à nos jours par des maires communistes.
La fin des Trente Glorieuses frappa de plein fouet la ville, dont le territoire se désindustrialise et s’appauvrit, faisant passer la ville de banlieue rouge à emblème du 9-3, ce qui « suffit pour susciter tout un imaginaire du territoire et de ses habitants. »62 La ville rassemble en effet tous les stigmates de la ville de banlieue : « le chômage, la présence de populations immigrées, la sous-qualification de la main d’œuvre, l’échec scolaire massif, la croissance exponentielle de l’économie parallèle et de la délinquance… »63
Cette représentation est renforcée par la question de l’islam, sujet qui polarise l’attention médiatique et politique à partir de la fin des années 198064 et qui, selon certains analystes, fait partie des premières caractéristiques de la ville : « (…) l’ancienne ville des rois puis de la Révolution et de la classe ouvrière est devenue la Mecque de l’islam de France. »65
Si les problématiques socioéconomiques de Saint-Denis sont réelles, la ville a pour autant su s’adapter à l’ère post-industrielle à l’occasion de l’implantation sur son territoire du Stade de France, qui a donné lieu à une dynamisation urbaine sans précédent.

Le Stade de France : une visée à la fois économique et identitaire

A la fin des années 1980, les pouvoirs publics cherchent un lieu pour accueillir un stade d’envergure dans le cadre de la Coupe du Monde de Football qui se tiendra en France quelques années plus tard. La ville de Saint-Denis, sollicitée une première fois en 1989, s’oppose à ce projet d’implantation. C’est sous l’impulsion de Patrick Braouezec, maire de 1991 à 2004, que la ville se porte candidate, l’édile percevant les potentialités d’un équipement de cet envergure, tant en termes d’accélération de projets urbains stratégiques que d’image. En effet, la construction du Stade de France à la Plaine recèle une portée symbolique forte qui peut permettre à Saint-Denis de « développer l’image d’une ville active »66 tout en mobilisant les habitants autour de valeurs identitaires consensuelles. Le maire déclare ainsi dans le journal municipal de Saint-Denis en décembre 1993 : « Une réalisation comme celle-ci [pourra] solidifier un corps social qui a aujourd’hui besoin de repères, de perspectives et de projets communs ; solidifier aussi un sentiment d’identité autour d’une construction valorisante implantée dans une banlieue peu favorisée. »67
La construction d’un Stade est également perçue pour l’Etat comme un moyen de « participer au décollage économique d’une zone défavorisée, caractérisée par un taux de chômage très élevé et de nombreux quartiers d’habitat social défavorisés. »68 La municipalité accepte donc le projet « sous réserve de certaines conditions, dont la réalisation d’infrastructures nécessaires au développement urbain de la Plaine. »69 Ainsi, au-delà du Stade, c’est un quartier entier qui est aménagé et gravite autour de l’édifice. Deux gares de RER sont aménagées, le recouvrement de l’autoroute A1, qui coupe le quartier de la Plaine en deux est rendu possible et la ligne 13 est prolongée, bénéficiant à une autre partie de la ville.
A l’occasion de la victoire de l’équipe de France lors de la compétition de 1998, le Stade acquiert ses lettres de noblesse, devenant un lieu incontournable du sport français. Pour autant, au niveau local, il peine à rassembler. Initialement, une équipe qui porterait les « couleurs de la banlieue »70 devait être domiciliée au Stade « afin de favoriser l’appropriation par la population locale d’un grand équipement et d’utiliser celui-ci dans une politique d’image »71 mais les tentatives échouent.
Dans le même temps, le Stade de France reste décorrélé de la ville de Saint-Denis et peine à être identifié au territoire en dépit de la volonté de la ville d’inscrire cet équipement dans le socle identitaire de Saint-Denis.
L’accord initial avec la municipalité, qui prévoyait par exemple de baptiser l’équipement “Stade de Saint-Denis”, n’est pas respecté. A l’occasion de la Coupe du Monde et malgré les efforts de la municipalité pour faire en sorte que les Dionysiens s’approprient cette manifestation, les instances organisatrices occultent la ville, préférant centraliser sur Paris les temps forts qui entourent la compétition. « Jusque dans les commentaires télévisés des matchs “ici à Paris…” le stade reste d’abord un équipement parisien, dans un lieu-dit, Saint-Denis. »72
Nombre d’observateurs estiment que le lieu est dépourvu d’identité. Ainsi, Clément Aumeunier, Directeur de la communication de Saint-Denis, juge « (…) le Stade de France n’a pas d’âme. C’est une enceinte dans laquelle il se passe des choses mais c’est tout. Et en plus, il ne se passe finalement pas tant de choses que ça. »73
Pour autant, l’implantation du Stade de France à Saint-Denis aura tenu le pari du développement économique qui devait être son corolaire. En 2005, Patrick Braouezec, alors président de la Communauté d’agglomération Plaine Commune, juge : « C’est un vrai stade urbain, un élément intégrateur, la fierté d’un quartier, modèle d’insertion urbaine et sociale dans un site stratégique avec désenclavement, amélioration des transports (RER, métro…), offres de travaux, création d’emplois durables… »74.
La construction du Stade de France aura en effet permis de redynamiser l’économie locale en faisant du quartier de la Plaine un des premiers quartiers d’affaires d’Île-de-France, participant cependant à désolidariser celui-ci du reste du territoire.

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Table des matières

INTRODUCTION
I. Communication publique territoriale, identité, banlieues
1. La communication publique territoriale, quelles caractéristiques ?
1.1. La montée en puissance de la communication publique territoriale
1.2. Les multiples objectifs de la communication publique territoriale
1.3. Les particularités de la communication publique territoriale
2. Identité et appartenance au coeur de la communication publique territoriale
2.1. Identité et appartenance : des notions essentielles
2.2. Les obstacles à l’utilisation de ces notions
2.3. Territoire, identité et appartenance : limites et questionnements
3. La banlieue et sa représentation
3.1. Les banlieues populaires : quelle définition ?
3.2. Des représentations alimentées par les médias
3.3. Discours politique et stigmatisation
Conclusion de la première partie
II. Saint-Denis, sa communication et la campagne déployée à l’occasion de l’Euro 2016
1. Saint-Denis : une ville en mutation
1.1. Histoire et caractéristiques socioéconomiques de la ville de Saint-Denis
1.2. Le Stade de France : une visée à la fois économique et identitaire
1.3. Saint-Denis : un territoire fractionné ?
2. Les grands axes de communication de la ville
2.1. Solidarité et multiculturalisme
2.2. Sport et culture
2.3. Patrimoine et mémoire
3. La campagne
3.1. Genèse, contexte et contraintes
3.2. Les concepts qui structurent la campagne
3.3. Descriptif du dispositif
Conclusion de la deuxième partie
III. Limites de la campagne et perspectives
1. Les limites de la campagne
1.1. L’absence de mesure de la campagne
1.2. Une temporalité bien gérée ?
1.3. Un concept pertinent au-delà des frontières de la ville ?
2. Banlieue : entre communication identitaire et réputationnelle
2.1. Critiques des banlieues : des épisodes à examiner sous l’angle de la communication de crise ?
2.2. Les publics adressés : choix ou contrainte ?
2.3. Les relations presse : de la difficulté à dépasser les représentations
3. Les grands projets : fil rouge de la communication de Saint-Denis
3.1. L’événementiel sportif, un moteur de développement économique.
3.2. Le Grand Paris : une nouvelle cartographie de l’Île-de-France
3.3. La valorisation patrimoniale : une réponse pour renouveler l’image de la ville
Conclusion de la troisième partie
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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