Héritage du père, construction d’une tradition familiale

« L’homme est par nature un être de culture »

Claude Lévi-Strauss, dans une phrase célèbre, affirme une relation de complémentarité entre deux concepts opposés. La nature rassemble les dispositions innées et les déterminismes physiques de l’individu tandis que la culture s’acquiert par l’éducation et les relations sociales, elle se renforce par divers acquis. Les philosophes des Lumières se sont penchés sur ces questions à propos notamment de l’origine des sociétés humaines. De Hobbes et Locke à Rousseau en passant par Hume puis Condillac, les philosophes ont proposé des descriptions des caractéristiques acquises et innées chez l’homme. Locke distingue dans l’entendement les qualités sensibles et intellectuelles, Hume et Condillac insistent sur l’aspect empirique de la formation des idées. Hobbes et Rousseau s’intéressent au passage entre l’homme « sauvage » et l’homme social, soit entre le passage de la nature à la culture à travers la notion du contrat social, librement décidé ou imposé par la force. Ces débats ont des conséquences pratiques décisives en ce qu’ils interrogent la valeur des actions et de la personnalité de chaque individu, sa liberté et sa responsabilité. Ces éléments se cristallisent dans les « sphères d’actions » , les lieux de reconnaissances et l’effacement de l’intermédiaire. Les textes décrivant la vie et la personnalité des Trudaine utilisent ces catégories pour juger de leurs interventions. Il s’agira d’analyser les structures de ces jugements en tant qu’émanation d’une représentation collective. Les éloges des deux Trudaine composent aussi une autocélébration du corps académique. Les représentations concernant Trudaine de Montigny et l’espace de son action s’articulent autour de ce que Christian Jacob nomme « le cercle et la lignée » . Le premier élément se constitue par les différents corps d’appartenance, l’Académie royale des sciences et l’administration d’État, le département des ponts et chaussées et les salons. Le second joue de l’acquis et de l’inné en ce qu’il est à la fois présenté et vécu comme un héritage ou une tradition reçue – les Trudaine sont envisagés comme une famille d’administrateurs – et comme une reconstruction de la logique d’une action – Trudaine de Montigny s’inscrit dans le mouvement des économistes et justifie son action par la référence aux physiocrates. Face à la diversité des cercles et la duplicité de la lignée, il s’agira d’historiciser les pratiques culturelles pour cerner la cohérence et l’unité des champs spatio temporels où les Trudaine agissent.

Administrateur et homme de science

Les descriptions du caractère et des actions de Trudaine de Montigny sont souvent constituées par deux éléments fondamentaux pour étudier son rôle dans l’histoire politique et culturelle de la fin de l’Ancien Régime : l’héritage de son père et la diversité de ses inclinations. Il faudra se demander pourquoi Daniel-Charles Trudaine, partageant pourtant les mêmes charges que son fils, ne reçut pas les mêmes qualificatifs que ce dernier, notamment à propos de l’inachèvement de ses projets dont la cause était renvoyée à la dispersion de ses activités. Il s’agira d’analyser les catégories et les pratiques qui sous-tendent ce jugement par l’étude de l’identité des deux Trudaine. L’éloge par Condorcet de Trudaine de Montigny révèle une série d’oppositions que l’académicien défunt sut dépasser, caractéristique qui compte parmi la louange de ses autres vertus. La tension entre la naissance et le mérite, l’inné et l’acquis, le hasard et la nécessite forment un premier élément d’analyse du rôle de Trudaine dans la vie politique et culturelle de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Le texte le place directement entre ces différents pôles par le renvoi à l’héritage du père. Un dernier couple d’oppositions vient s’ajouter à cette référence paternelle, le monde savant et le monde administratif, ceci étant lié à sa charge particulière d’académicien honoraire.

Le hasard et la nécessité. Signification de la vie de Trudaine

Les éloges des académiciens sont traversés par deux principaux couples d’oppositions : l’inné et l’acquis, le public et le privé. Comme le montrent les travaux de Daniel Roche et de Simone Mazauric, ces textes laudateurs relèvent à la fois l’importance et les bienfaits des actions d’un individu et l’aspect collectif de sa fonction dans la mesure où il incarne une institution royale qui se perçoit comme un corps. Daniel Roche voit dans l’homme académique un « paradigme collectif » en tant qu’incarnation des « aspirations d’un groupe déterminé et cohérent » . Si ces textes ont pu servir de sources pour étudier la vie d’un académicien, ils n’en font pas moins partie d’une stratégie de légitimation du monde savant et académique qui, plutôt que de transmettre un récit objectif sur les œuvres et le caractère du défunt, reprend des modèles de vertus considérés comme l’une des caractéristiques du bon fonctionnement de l’institution dont la fonction première est celle de contribuer, par les sciences, à la gloire du roi . La description de ces modèles d’hommes illustres défend notamment un nouveau type social : le savant , distingué de l’érudit humaniste par ses tâches plus précises au service de l’État. Les éloges ont donc une fonction sociale et politique en ce qu’ils forment les représentations d’un corps qui veut se croire homogène dans les buts qu’il s’assigne (la découverte de savoirs, l’expertise technique) et les moyens de les atteindre (philosophie de l’expérience). Le groupe de l’Académie royale des sciences peut au contraire être vu comme divers, par la hiérarchie interne qui le structure, par l’origine sociale (qui redouble souvent la distinction des statuts au sein de l’Académie), et par les opinions scientifiques, ainsi de la question du phlogistique.
Étudier la figure des Trudaine à travers ces représentations exige de se pencher sur les différentes méthodes et approches possibles. La méthode de Simone Mazauric envisage les éloges comme un moyen d’étudier la construction d’un récit, un discours sur l’histoire d’une institution et sur une épistémologie de l’histoire des sciences et non pas la biographie d’un personnage. Daniel Roche privilégie quant à lui l’autoreprésentation et l’autojustification du milieu académique. Nous pouvons relier cela aux deux approches historiques de l’Académie des sciences décrites par Eric Brian : l’une provient d’un présupposé d’objectivisme sociologique et fait de l’académie « une machine institutionnelle » caractérisée par la régularité des académiciens, l’autre, issue d’un subjectivisme sociologique, s’intéresse aux éléments spécifiques à la culture et au système de représentation des académiciens, lesquels sont intériorisés par eux. Ces dernières démarches peuvent nous renseigner sur la fonction assignée aux Trudaine et sur la valeur attribuée à leurs interventions et plus généralement à leur vie. Ces valeurs provenant du système de représentation du milieu académique lié à celui de la cour et de l’administration.
Les Trudaine sont pleinement assimilés au groupe social des académiciens et participent de la défense et de la légitimation de l’utilité de ce corps.

Héritage du père, construction d’une tradition familiale

La lignée

Dans Le siècle des Lumières en province, Daniel Roche compte parmi les trois idéaux qui composent la grandeur de l’académicien défunt le rôle de la famille et de l’éducation. Rattacher l’individu à son héritage familial à travers la brève description de l’enfance inscrit l’académicien dans une première tradition qui permet de situer et de justifier le parcours savant. En plaçant dans un premier temps l’individu dans le milieu social de la famille, comme prélude à l’intégration dans le corps des savants-académiciens, les éloges montrent l’importance du groupe dans la formation d’une personne. Ramener à un précédent conforte en effet la situation présente en lui donnant une dimension temporelle et symbolique. Daniel Roche parle de « culte des ancêtres » qui vient renforcer l’honorabilité et la valeur de l’académicien. La construction de ces traditions amenant parfois à de véritables « dynasties académiques » ; l’historien cite pour l’illustrer les Jussieu, les Cassini et les Trudaine . Au contraire de ce qui se nommera le romantisme, dont les prémices se trouvent dans l’œuvre de Rousseau, dès le Discours sur les sciences et les arts, la philosophie de la vertu encore largement partagée dans la seconde moitié du XVIIIe se relie directement à l’appartenance à un corps qui définit l’individu. Il forme la règle sur laquelle les comportements doivent se mesurer. Mais l’histoire de l’Académie des sciences révèle la complexité de cette vision holiste de la société. L’Ancien Régime se caractérise en effet par la division de cette dernière en trois ordres : le clergé, la noblesse et le tiers état. Vient se superposer là-dessus les privilèges et les exemptions qui précisent la définition d’un groupe, ils peuvent concerner un ordre religieux, une partie de la noblesse ou un groupe d’artisans, ainsi des corporations. Or, depuis la Renaissance et le développement de l’humanisme par la « République des Lettres », la valeur du savoir, de l’érudition et du talent a pu concurrencer celle de la naissance et, partant, des privilèges considérés comme iniques, mais au fondement de l’ordre social. Il ne s’agissait pas de remettre en cause les privilèges, mais de les déplacer vers une aristocratie du savoir. Le mouvement académique provient directement de cette évolution.
Colbert a su prendre en mains ces nouvelles exigences en les mettant au service de la monarchie par la création des Académies. Ainsi le culte du savoir vient-il s’intégrer au culte des ancêtres que constitue le corps des académiciens. Le sentiment d’appartenance à ce groupe se fait étroit en raison du petit nombre de ses membres et de l’émergence de contestations des structures de cet ordre de la part des libéraux comme des pseudo-savants rancuniers et jaloux, ainsi des critiques de Marat.

L’atlas des Trudaine

L’un des exemples de cette continuation du mérite dans la cadre d’une tradition familiale en train de se construire apparaît dans la gestion du département des ponts et chaussées, et plus particulièrement dans le travail cartographique connu sous le nom d’« atlas de Trudaine ». À propos du commerce et de l’industrie, Condorcet rappelle les avantages du développement de la circulation dans l’enrichissement des provinces du royaume et en vient à réunir les deux Trudaine dans une même conception de l’administration des ponts et chaussées :
C’est ce qu’avait senti M. Trudaine le père, et dans cette partie, son éloge n’est plus séparé de celui de son fils : il est doux de pouvoir unir ces deux noms chers à la Patrie, chers à l’Académie, qui les a comptés long-temps parmi ses Membres, et qui s’honorait de leurs vertus. Le département des Ponts et Chaussées prit entre leurs mains une activité et une importance que jamais il n’avait eues [sic.] ; toutes nos Provinces furent réunies par des Routes nouvelles les grandes Rivières traversées par des Ponts ; nos Ports de commerce réparés et multipliés la France entière prit sous cette administration, une face nouvelle.
En dépit de la discrétion de leurs interventions au sein du gouvernement, les Trudaine sont restés célèbres pour leur gestion du département des ponts et chaussées, certaines provinces et certaines villes ont été marquées par les aménagements qu’ils ont soutenus. Les routes principales de l’Auvergne qui étaient largement détériorées ont bénéficié d’un constant soutien de Trudaine père lorsqu’il contrôlait l’intendance dans les années 1730 . Mais sa principale réalisation qui témoigne de son implication au service de l’État se trouve dans l’atlas cartographique qui porte désormais son nom. Cette dénomination rejoint la logique de l’éloge en insistant sur ce que Pierre-Yves Beaurepaire nomme « le volontarisme du grand homme » . Comme le fait Condorcet, cette dénomination peut aussi rassembler les deux administrateurs autour d’une même reconnaissance. Pour autant, la majeure partie du travail fut assurée par le père. Cette entreprise provient d’une initiative du contrôleur général Philibert Orry qui détaille le projet dans un mémoire datant de 1737. Il s’agit d’une entreprise cartographique de représentation de l’espace français, de ses routes, ses canaux ; des voies de communication et des constructions qui les accompagnent. L’enquête ne cherche pas l’exhaustivité du territoire, mais se limite aux pays d’élections et d’imposition ; les pays d’états dont la fiscalité ne dépend pas directement de la monarchie ne sont pas concernés. Cette précision des objectifs indique pour Stéphane Blond que « le plan routier devient un objet de gouvernement » .Trudaine en prend la direction en même temps qu’il obtient le département des ponts et chaussées. Secondés par les intendants de provinces, les géographes et les ingénieurs et notamment par Jean -Rodolphe Perronet qui s’occupent de lever le plan des routes, l’atlas se constitua en soixante-deux volumes qui composent en tout trois mille planches, six volumes sont consacrés à la généralité de Paris et au Hainaut français.
Ce travail de représentation de l’espace illustre bien l’idéal célébré par Condorcet, favoriser la communication et la circulation des personnes, dans un intérêt philosophique, et des biens, dans un intérêt économique et commercial.

Sociabilité mondaine

Le salon des Trudaine

L’insertion de l’abbé Morellet dans le milieu des salons parisiens et des économistes se réalise par la rencontre avec Turgot liée à leur passage à la Sorbonne, puis avec Vincent de Gournay en 1755. Ces relations le conduisirent vers l’intendant des finances Daniel-Charles Trudaine qui le chargea d’écrire sur des matières économiques qui occupaient l’administration . Cette relation indirecte avec le gouvernement contribue à l’introduire dans les cercles de sociabilités les plus reconnus comme le salon de Mme Goeffrin auquel il participe grâce à Trudaine de Montigny. Morellet se fait connaître des cercles parisiens par le biais de l’économie politique illustrée par l’intermédiaire des Trudaine et de Turgot ; il se lie aux encyclopédistes, aux économistes et aux salons afférents comme ceux du baron d’Holbach, de Mme Boufflers, de Mme Geoffrin et de Mme Necker. Ce parcours nous montre les relations étroites cultivées par les Trudaine avec les milieux mondains et savants. Les amis présentés par Trudaine à Morellet appartiennent surtout à la première catégorie, il s’agit de Mme Belot qui a traduit des œuvres littéraires anglaises comme une pièce de Hume, et Mme de Riancourt femme d’un fermier général. Le futur académicien écrit s’être rendu « assidûment » chez cette dernière où il retrouvait Trudaine, Bougainville et Chastellux . Ses mémoires mettent en évidence une sociabilité mondaine plutôt que savante qui caractérise la majorité des administrateurs du même niveau hiérarchique que les Trudaine.
Les Trudaine étaient des personnages publics en raison de leur appartenance au gouvernement royal en tant qu’intendant des finances. Cette qualité s’illustre dans les numéros de la Gazette de France qui mentionne, à l’occasion, des rencontres diplomatiques, des comptes-rendus de séances de l’Académie des sciences et des événements majeurs qui concernent leur famille comme les mariages et les décès. Andrieux note ainsi la mention de la signature du contrat de mariage de Trudaine de Montigny avec Mlle Gagne de Perigny par le roi lui-même . Cette notoriété provient en grande partie de leur gestion du département des ponts et chaussées dont la rigueur et la probité est relevée par certains contemporains comme Voltaire, Morellet, les mémoires secrets ou encore le duc Emmanuel de Croy, lequel ne partageait pourtant pas les vues des économistes sur le commerce des grains. Leur renommée dans le milieu des administrateurs et leur intégration aux cercles de sociabilité de l’élite culturelle et intellectuelle se confirme dans l’existence de leur propre salon tenu par la deuxième femme de Trudaine de Montigny. Ce cercle se tenait au domicile parisien de la famille, ruedes Vieilles-Haudriettes, dans le cadre de « deux grands dîners par semaine » et d’« un souper tous les soirs » comme le mentionne Louis Dutens . Celui-ci range le salon des Trudaine parmi la catégorie de la finance et de la robe, s’opposant à celle de la noblesse. Ces deux milieux ne restent pas nécessairement hermétiques et les « financiers » cherchent particulièrement à y faire bonne figure. Ils prennent le plus grand soin de s’en rendre dignes (sur-tout les financiers), en tenant maison ouverte pour les grands Seigneurs et les Dames qui veulent bien les favoriser de leur présence, ces derniers en usent assez librement. Il y avait entre autres deux maisons à Paris sur ce pied-là; celle de M. de Trudaine et celle de M. de la Reyniére. On ne peut imaginer tout ce qu’il leur en coûtait de peine et d’argent pour inspirer aux personnes de qualité l’envie de venir souper chez eux Dutens décrit une situation inégale qui lui permet de se moquer des efforts de gens de robe et de finances pour participer à la société de la haute noblesse. Il met en parallèle deux sociétés qui ne représentent pas le même poids dans le réseau des salons parisiens. Cette désignation de la société des Trudaine provient d’une raison géographique. La carte des salons préjuge en effet de certaines représentations, ainsi le quartier du Marais où se situe le domicile des Trudaine déclinant au profit des faubourgs Saint-Germain et Saint-Honoré, plus aristocratiques , est-il assimilé à la robe et à l’anti-philosophie. Comme le montre le tableau réalisé par Antoine Lilti en se fondant sur la source du contrôle des étrangers, le salon de Mme Trudaine a reçu quatre diplomates en 1774 et en 1775, un en 1777, contre 358 pour celui de Mme de la Reynière qui dépasse le salon de Mme Du Deffand (206) et Mme Boufflers (200), mais est devancé par Mme Necker (640). Dutens insiste pourtant sur la qualité des invités « les Ducs et Pairs, les Ambassadeurs et autres étrangers de distinction, la première Noblesse, le simple Gentilhomme, le poëte, les gens de lettres, la robe et la finance tout s’y trouvait rapproché par l’esprit et les talens, les sots y étaient rares. », il parle d’« une société d’autant plus intéressante, qu’elle était diversifiée ». Aucune mention ne fait référence à la présence de ducs et pairs, sinon des nobles étrangers comme Lord Shelburne et peut-être Horace Walpole avec qui Trudaine correspondait . La présence à son domicile parisien de l’empereur Joseph II est attestée par Perronet le 1er mai 1777, où il aurait observé une gravure représentant une source d’eau.
Stéphane Blond explique que Mme Trudaine recevait les jeudis pour le dîner, il cite parmi d’autres Mme Du Deffand, Beaumarchais, Bernard Joseph Saurin, d’Holbach, d’Helvétius ; Montesquieu aurait aussi séjourné à Montigny . Morellet parle d’un dîner chez Trudaine en 1759 ou 1760 en présence de La Condamine, et mentionne la venue de Rousseau auprès de Mme Trudaine qui « était folle de ses ouvrages » et qui « parvenue, à force de cajoleries, à apprivoiser sa misanthropie et à l’attirer chez elle ». Morellet faisait partie des invités à ce dîner « en très petit comité » . Ces fréquentations témoignent de l’intégration des Trudaine dans les milieux de sociabilité de l’élite culturelle et intellectuelle du mouvement des Lumières. Contrairement à ce qu’écrit Dutens, il semble que leur réception cherchait à s’attirer les philosophes plutôt que la haute noblesse comme le montrent les deux refus mentionnés par Diderot relativement à l’invitation à dîner des T rudaine dans ses lettres à Sophie Volland . Les multiples références à un petit comité semblent relativiser une nouvelle fois la description de Dutens qui dresse un portrait de Mme Trudaine en train de se plaindre du tr avail que lui demande la réception de ses invités : « Je l’ai vu souvent excédée des conversations excessivement bruyantes de la foule qui venait souper chez elle » . L’intérêt pour les philosophes se confirme pour autant dans son témoignage, ainsi que celui de Grimm. Le portrait de Trudaine de Montigny par Dutens se fait assez moqueur.

Sociabilité savante

Les deux modalités de milieu savant et de mondanité étaient parfois liées comme en témoigne l’exemple rapporté par Morellet d’un dîner chez Trudaine auquel participaient Clairaut et d’Alembert qui se disputèrent sur la prédiction du passage d’une comète en 1759. Dans ce cadre de sociabilité, il ne s’agissait pas toujours de travail savant, notamment lorsque les invités n’appartenaient pas tous à ce milieu, ainsi Morellet note-t-il avoir composé des chansons dans ce cadre « en style astronomique et mathématique, fort peu propre à faire de bonne poésie, mais qui nous divertissait chez un géomètre ». Antoine Lilti marque ainsi une différence entre le monde savant de l’expérience scientifique et les cercles de sociabilité, la présence des premiers dans ces espaces-ci n’impliquant pas la formation d’un « espace de discussion scientifique » . Bien plus, les réseaux de savants formés par les correspondances ne coïncideraient pas avec les réseaux des salons . Lilti cite Trudaine de Montigny comme exemple d’une séparation entre les mondanités et le travail scientifique pourtant réunis dans le cadre du château de Montigny où Trudaine développait un cabinet de physique et un laboratoire de chimie. Il semble en effet réserver ces deux espaces pour les seuls savants comme Lavoisier, Macquer ou Priestley. Morellet, qui passait les automnes à Montigny, reste à l’écart de cette pratique fermée qui occupe largement Trudaine. Alors qu’il travaillait sur l’ouvrage de Josiah Child pour Turgot, il écrit dans sa lettre envoyée de Montigny à l’intendant en Limousin : « Je suis ici dans la chimie jusqu’au cou » , puis à Shelburne le 17 octobre 1773 à propos de l’hôte de Montigny : « Il est entièrement livré à la physique et à la chimie ». Lorsqu’il envisage de concevoir un plan de bibliothèque avec Shelburne et Priestley il se réjouit en ces termes : « Ce serait là avec des expériences de physique, un joli objet d’occupation à Montigny » . Morellet ne semble pas avoir participé aux expérimentations des savants, mais il se place du point de vue des visiteurs anglais, Priestley s’intéressait aux recherches sur les gaz et Lavoisier comme Trudaine comptaient lui montrer leurs travaux. Au moment où les expériences de physique et de chimie séduisaient le public urbain parisien à l’image des cours publics de Nollet et du magnétisme de Mesmer, cette restriction du travail de laboratoire donne une valeur « scientifique » et « professionnelle » aux expériences de Montigny. La fonction des réunions dans le château des Trudaine se complexifie dans la mesure où ils accueillaient en même temps des figures littéraires et mondaines comme en témoigne le désir qu’avait Mme de Boufflers de s’y rendre au moment de la réunion des ministres . Cet espace en dehors de Paris et de l’administration d’État exporte en un même lieu les différentes pratiques de sociabilités, qu’elles fussent mondaines ou professionnelles.

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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE I « L’HOMME EST PAR NATURE UN ÊTRE DE CULTURE » 
I. Administrateur et homme de sciences
1.1. Le hasard et la nécessité. Signification de la vie de Trudaine
1.1.1. Héritage du père, construction d’une tradition familiale
La lignée
Doubles
L’atlas des Trudaine
1.1.2. Echecs et reproches
1.2. Un homme entre deux mondes
1.2.1. Eloge d’un académicien ou d’un administrateur ?
La République des sciences
Trudaine de Montigny, amateur ou curieux ?
1.2.2. La politique des sciences
II. Image sociale de l’intermédiaire
2.1. Sociabilité administrative
Le salon des Trudaine
La philosophie et les belles-lettres
2.2. Sociabilité savante
2.3. Sociabilité administrative
Cérémonie et mise en scène
CHAPITRE II DANS LES CIRCULATIONS D’INFORMATIONS 
I. MÉCÉNAT
1.1. Logistique scientifique et économique
1.1.1. Soutien à l’économie politique
La démarche synthétique
Le Dictionnaire de commerce
1.1.2. Soutien aux sciences
1.2. Logique politique
1.2.1. Défendre les réformes
1.3. L’intermédiaire et le lieu de pouvoir
II. RÉSEAUX POLITIQUES, SAVANTS ET TECHNIQUES
2.1. La poste et le passage des Vieilles-Haudriettes
2.1.1. Passeur de textes
2.1.2. Réseau clandestin
2.2. Réseau scientifique européen
2.2.1. Echange d’informations
2.2.2. Echange d’instruments
III. INTERMÉDIATION ADMINISTRATIVE
3.1. La suppression de la corvée
Le ministère Turgot
Formation de l’édit
3.2. L’affaire du pays de Gex
CHAPITRE III THÉORIE ET PRATIQUE, PROBLÈMES DE TRADUCTION
I. RÉFLEXIONS SUR LES ARTS
1.1. Les arts de la manufacture
1.2. Les arts de l’administration
Pragmatisme ou pensée en système ?
Administrateur éclairé et despotisme légal. Pouvoir et savoir économique
1.3. Les arts de la science
II. TECHNOLOGIE ADMINISTRATIVE
2.1. Expertise technique
2.2. Expertise scientifique
III. LA MÉTHODE EXPÉRIMENTALE, REPRÉSENTATION ET RÉALITÉ
3.1. Mise en scène de l’expérience et de la preuve
3.2. Place technique et pratique de Trudaine dans le discours de l’expérience
CONCLUSION 
ANNEXES 
SOURCES 
BIBLIOGRAPHIE

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