Harold Garfinkel et l’ethnométhodologie

Harold Garfinkel et l’ethnométhodologie

Dans ses écrits et ses recherches Harold Garkinkel porte attention aux activités les plus communes de la vie sociale. Dans son contexte historique l’auteur rompt avec la sociologie traditionnelle qui s’intéresse alors uniquement aux grands phénomènes qui font société, comme par exemple la nation. Selon lui, les activités ordinaires sont des phénomènes sociologiques de plein droit car les personnes organisent et gèrent leur vie quotidienne grâce à des processus sociaux particuliers. L’importance portée à ce qui semble banal prend tout son sens lorsque l’on s’intéresse aux manières qu’ont les individus pour décrire les scènes quotidiennes qu’ils vivent. La description est au coeur de cette approche et plus particulièrement la description des interactions entre les membres de mêmes groupes. En effet, les « non-dits » dans les conversations quotidiennes font références à des activités concertées de la vie courante. C’est-à-dire que les personnes partageant ces activités de référence ne peuvent se référer à un contexte précis car celui-ci implique une multitude d’autres actions passées et futures.

Dans Recherche en ethnométhodologie, Harold Garfinkel raconte comment les proches de ses étudiant·e·s réagissaient après que ces derniers se comportaient avec eux comme des étrangers, c’est-à-dire en leur demandant de décrire tout ce qu’ils sous-entendaient dans leurs discours. Les réactions des proches montrent que lorsque l’on supprime le socle routinier des actions, les actrices et acteurs se retrouvent privés de compréhension commune et ont des difficultés à créer une interaction (Garfinkel, 2002 (1967) : Chapitre 2 « Le socle routinier des activités ordinaires »). Cet exercice montre que les routines banales sont la base de toutes interactions et de toute vie sociale. D’un point de vue théorique et méthodologique, il me semble nécessaire de saisir les routines des actrices et acteurs afin de comprendre non seulement leurs réalités sociales mais aussi comment ils et elles font société. Comme je le développerai dans le chapitre portant sur la méthodologie, il était important de partager des moments de vie et de multiples interactions sur le terrain afin d’avoir accès au socle routinier des personnes avec lesquelles j’ai pu collaborer. La démarche ethnographique, avec son observation participante, a été l’outil parfait pour cela, me permettant de percevoir le caractère commun de la transgenralité à Tahiti.

Pour revenir à l’auteur, l’ethnométhodologie s’intéresse aux propriétés indexicales des actions et des propos courants. Ces derniers sont considérés comme un accomplissement contingent et continu, ordonné et rationnel. Par l’ethnométhodologie, Harold Garfinkel pense une méthodologie de recherche permettant de saisir dans les interactions quotidiennes la réalisation de l’ordre social. Ce courant sociologique diffère de l’interactionnisme symbolique car il donne une importance au temps dans la structuration biographique des propos et actions des acteurs. Afin de comprendre la routinisation de la vie sociale il ne faut pas prendre en compte seulement des épisodes fragmentaires mais considérer et appréhender le temps de la mémoire et du souvenir. À l’instar du passing, que l’auteur décrit dans son chapitre consacré au cas d’Agnès, les interactions se déroulent dans un présent continu. Selon lui « les phénomènes dont on peut rendre compte sont de part en part des réalisations pratiques » (Garfinkel, 2002 (1967) : 436-437). L’analyse interactionniste des stratégies individuelles ne fonctionne au long terme que pour comprendre la réalisation d’actions continues dans un présent toujours en train de se faire.

Sex category

Les parties génitales n’étant que très rarement visibles sur la scène sociale, la catégorisation femme/homme se fait de manière inconsciente si bien qu’elle peut sembler naturelle, c’est-à-dire induite par le sexe biologique. Dans la vie quotidienne, chacun·e catégorise les individus suivant les apparences liées socialement aux sexes biologiques. L’identification des sex categories se fait suivant le modèle de déduction « si-alors ». Si une personne agit de telle manière c’est alors qu’elle doit être catégorisée comme ceci : Si une personne a une poitrine développée, alors c’est une femme. Autrement dit, les attitudes, les actions et les propos tenus sur la scène sociale impliquent soit la possession d’un utérus et d’ovaires soit d’un pénis et de testicules. Cette logique ne vérifie donc jamais les sexes biologiques : personne ne va vérifier que tous les individus avec une poitrine développée ont un utérus. De cette manière il est possible de se faire passer pour un membre du « sexe opposé » jouent sur les codes physiques féminins pour se faire passer pour des femmes malgré leur pénis.

Cependant, il me semble important de souligner ici que certaines trans tahitiennes ne souhaitent pas se faire passer pour des femmes. Elles revendiquent un statut particulier comprenant des manières de faire et d’être qu’on peut qualifier de féminines tout en souhaitant être assignées à un sexe masculin. En ce sens elles ne souhaitent pas se faire opérer afin de changer l’apparence de leur sexe et agissent avec une féminité très marquée. Cette catégorisation semble fonctionner, dans le sens commun, de la même manière que la catégorisation femme/homme sur le modèle de « si/alors ». Par exemple, si une personne a une apparence féminine et un comportement féminin extravagant alors c’est une trans. Cette catégorisation ne vaut pas pour l’ensemble des trans à Tahiti mais c’est celle qui est retenue par le sens commun sur l’île. Dans un prochain chapitre je développerai mon analyse autour de la complexité de la réalité trans et du poids de cette catégorisation du sens commun dans les trajectoires de vie.

Gender: Afin d’être catégorisés comme femelles ou mâles, les individus doivent agir suivant les comportements liés à leur genre. Le genre est la manière de réaliser socialement les différences entre femme et homme. Cette dichotomie est construite socialement dans les interactions quotidiennes des membres. Lors d’interactions les hommes normalisent leur masculinité et les femmes leur féminité. À la lumière des conceptions normatives des genres, chacun·e gère son comportement afin qu’il reflète la catégorie sexuelle de sa personne. Suivant les contextes et situations particulières les individus doivent improviser leur rôle genré afin qu’il soit cohérent avec les routines mise en place. Le genre n’est pas induit par des critères biologiques. Cependant, il existe des relations entre les notions de sex, sex category et gender qui permettent de comprendre comment se réalise la distinction entre femme et homme.

Le concept de doing gender articule ces trois notions afin de comprendre comment se fait et se légitime la dichotomie des genres. Au vue des premiers éléments déjà donnés sur le contexte tahitien je souhaite nuancer cette vision dichotomique des genres propres au contexte européen et nord-américain à partir duquel les auteur·e·s écrivent leur propos. Il me semble important de voir la transgenralité comme catégorie routinière à Tahiti car elle est normalisée dans les interactions quotidiennes. Une personne trans agissant du jour au lendemain comme un homme paraîtra incohérente aux yeux des autres actrices et acteurs. Je me souviens que parlant avec un professeur à Tahiti de la possibilité d’une mobilité de genre de trans à homme ce dernier me disait que, pour avoir dans ses proches des personnes trans, cela était impossible et que cela ne c’était jamais vu. Le hasard a fait que j’ai pu collaborer avec un homme ayant été trans dans son passé, je développerai plus loin son passing dans mon analyse.

Doing Gender Le genre est une routine de la vie sociale qui structure l’ordre social entre les hommes et les femmes, comme l’entend Harold Garfinkel (Garfinkel, 1967). Doing gender ou « faire le genre » signifie que le genre est une production sociale faite par les acteurs. En effet, par la perception, les interactions et les positionnements micro-politiques sur la scène sociale, chacun·e réalise le genre en adoptant un comportement féminin ou un comportement masculin. Candace West et Don Zimmerman reprennent les écrits d’Erving Goffman (Goffman, 1977) afin de conceptualiser la féminité et la masculinité comme des prototypes essentialistes qui performent et s’engagent dans les discours des acteurs :

« Doing gender means creating differences between girls and boys and women and men, differences that are not natural, essential or biological. Once differences have been constructed, they are used to reinforce the “essentialness” of gender. » (West & Zimmerman, 1987 : 137). Les identités de genres sont sélectionnées à la naissance lors de l’attribution d’un sexe dit biologique. Par la suite la socialisation sera genrée en fonction du sexe : les individus apprendront quels comportements elles ou ils doivent mettre en avant et comment elles ou ils doivent catégoriser les pratiques qu’elles ou ils perçoivent. Cette socialisation permet de construire une auto-identification au sexe assigné et donne la capacité d’identifier les genres sur la scène sociale. Chaque actrices et acteurs a plusieurs identités sociales, qu’elle ou il joue suivant les contextes et situations. Cependant, selon Candace West et Don Zimmerman, qu’importe le contexte les identités de genres sont automatiquement jouées et perçues dans toutes interactions. La catégorisation des genres est toujours valable. On fait le genre dans toutes les circonstances de la vie sociale.

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Table des matières

Introduction
La transgenralité à Tahiti
Problématique
Contenu du mémoire
Cadre théorique
Harold Garfinkel et l’ethnométhodologie
Le cas d’Agnès
Le concept du Doing Gender de Candace West et Don Zimmerman
Sex
Sex category
Gender
Doing Gender
Performativity, du concept linguistique à son utilisation au sein des Gender Studies
John Searles
Judith Butler
Le concept de stigmate d’Erving Goffman
L’identité sociale
L’identité personnelle
L’identité en soi
Howard Becker et l’étude des carrières dites déviantes
Méthodologie
Accès au terrain
Echantillonage
Les entretiens
L’entretien narratif
L’entretien réseau
Le terrain ethnographique
Leur voix, mes écrits
Ami
Hani
Joy
Elsa
Ivi
Terupe
Enfances trans, familles tahitiennes
Pacifico Julia – Travail de master
Les normes familiales
Pressions et restrictions
Les chef·fes de famille
Affirmation et dissimulation: être enfant trans à Tahiti
Quitter le domicile familial
Choix du départ
Les relations familiales après le départ
Interrelation avec les hommes
Pratiques et rôles sexuels
Actives/passives
Homosexualité/hétérosexualité
Qu’est-ce qui attire les hommes ?
Aspirations de couple
L’homme comme ressource économique
Relations sentimentales
Fonder une famille ou l’idéal de la vie stable
Influence du partenaire
Interrelation avec le réseau trans
Le réseau comme ressource en vue de la mobilité de genre
Réseau d’entraide
Course à la beauté
Les élections
Etre la plus belle
La concurrence
L’image négative des raerae
Identification aux raerae comme seule alternative
Les autres trans
Eloignement du réseaux trans
Aider les raerae
La difficulté d’aider les trans à avoir une vie normale
Changer les perceptions collectives
« Mon travail c’est mon mari. »
Le marché de l’emploi
Soucis administratifs
Les carrières professionnelles trans
Discriminations sur le marché du travail
Pacifico Julia – Travail de master
L’emploi libérateur
Rapports professionnels
Féminité sur le lieu de travail
Rapports aux supérieur·e·s
Quand le genre se négocie
Bibliographie
Annexes
Grille d’entretien narratif
Grille d’entretien réseau

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