Habiter ensemble les milieux. Explorations inachevées du faire-avec

Habiter ensemble comme geste politique 

Un autre monde est possible mais il est dans celui-ci. Ignaz-Vitalis Troxler repris par Paul Eluard .

Classiquement, l’histoire de la philosophie nous apprend que ni le quotidien ni l’habitat ne constituent des lieux légitimes de la participation politique. Les philosophes grecs nous ont expliqué que la politique, à savoir l’organisation et l’autogestion de la cité, s’exerce depuis la place de l’agora pendant que les femmes et les esclaves assurent le travail domestique. Les philosophes des Lumières nous ont appris que la politique s’exerce depuis un pouvoir centralisé – l’Etat – via le vote de ceux qu’il représente. A ce titre, J-J Rousseau se moquait des Anglais qui n’exerçaient leur liberté qu’une fois tous les cinq ans, à l’occasion de l’élection de leur représentant politique . Dans cette acception, la politique n’a de portée que si elle passe par des experts qui légifèrent à la place des masses sur ce qu’il faut faire ou s’abstenir de faire pour le sort commun. Pourtant, depuis les années 2000, le territoire français fait l’objet d’un engouement prononcé pour des projets d’habitats d’un genre nouveau mettent au centre de leur préoccupation la maîtrise des habitants sur leur cadre de vie. Au croisement d’une critique de la standardisation de l’habitat, d’une volonté de démocratiser l’action publique et d’une réflexion sur la performance énergétique, les citoyens ont été identifiés comme des acteurs légitimes pour penser les usages de l’habitat et ils ont été appelés à participer à des projets d’aménagement urbains tels que les écoQuartiers, la ville durable, etc. Aux côtés de cette logique de production urbaine que je propose d’appeler ici le «faireparticiper », des citoyens n’ont pas attendu d’être conviés à se joindre aux acteurs publics pour impulser des projets d’habitats qui visent à réformer les modes de vie. Ecovillages, coopératives d’habitants, Oasis en tous lieux, squats, communautés de vie, etc. sont autant de traductions d’une impulsion citoyenne qui porte en elle la volonté de promouvoir des modes de vie plus solidaires et marqués par des pratiques de mise en commun afin d’infléchir une transition plus vaste. La thèse porte sur ce second phénomène. En suivant la mise en place de deux projets d’habitat partagé et participatif portés par des collectifs de particuliers, l’un en ville et l’autre à la campagne, elle interroge l’idée d’habiter ensemble comme projet politique. A vrai dire, il n’a pas fallu attendre les années 2000 pour voir naitre ce projet politique. L’histoire nous montre que ce projet, s’il a pu prendre des formes variées, a pris racine bien en amont et qu’il s’est renouvelé au fil du temps et des problèmes qui ont traversé la société française. A travers une généalogie qui ne se veut pas exhaustive, je propose de voir comment ce projet politique a été appréhendé par la littérature scientifique.

Habiter ensemble : état de la littérature 

Les utopies communautaires : réformer tous les chantiers de la vie par l’autogestion au quotidien 

Dès le XIXe siècle, la question ouvrière fait surgir des utopies autogestionnaires qui s’attachent à réformer tous les chantiers de la vie quotidienne : l’autogestion au travail née dans le mutuellisme et le coopérativisme s’élargit à la question de l’habitat. Il ne s’agit plus de conquérir l’Etat pour réformer la vie mais de fuir les villes, considérées comme le berceau de l’aliénation capitaliste, pour faire la révolution en se réappropriant le quotidien. Depuis le péri-urbain et le rural, l’habitat collectif devient le lieu de promesse de tous les changements sociétaux. Pour comprendre cette idée et saisir la façon dont elle a été abordée par la littérature scientifique, je propose de nous intéresser au mouvement des communautés utopistes initié autour de la figure de Charles Fourier, puis de faire un bond dans les années 1970, avec les utopies du recours à la terre.

Du Phalanstère de Fourier 

L’avènement du capitalisme industriel au XIXe siècle s’accompagne d’un grand moment critique dans le champ social avec les mobilisations ouvrières et dans le champ intellectuel avec le fleurissement des théories révolutionnaires. A cette époque aussi bien les ouvriers que les philosophes s’aperçoivent que la révolution de 1789, malgré ses prétentions, n’a pas aboli les privilèges et mis fin aux inégalités mais qu’elle les a déplacés. En témoigne le fossé qui se creuse entre ceux qui vendent leur force de travail (ouvriers) et dont les conditions de vie se dégradent, et ceux qui la possèdent et s’enrichissent (grands propriétaires bourgeois). Dans ce contexte, alors que la majorité des penseurs cherchent à conquérir l’Etat pour sortir les ouvriers de l’exploitation et qu’ils se chamaillent sur la manière d’y arriver, une minorité de penseurs se rejoignent autour de la personnalité de Charles Fourier pour fonder l’Ecole sociétaire et appréhender le processus révolutionnaire dans une toute autre perspective. Charles Fourier a la particularité de ne pas s’en remettre aux théories des philosophes de son temps. Il les trouve abstraites et préfère leur substituer l’expérimentation. Selon lui, pour défaire les modes de vie du capitalisme et les inégalités qu’il génère, il faut changer les mœurs en misant sur l’habitat collectif et l’autogestion. Soit une idée qui a déjà pris racine en Angleterre avec le socialisme porté par Robert Owen. Toutefois, comme l’indique P. Mercklé, Fourier juge le modèle anglo-saxon trop utopiste. Si Owen a ancré son projet politique dans un lieu, il l’a soumis à la « force de l’idée », ce qui  le rend utopiste. Dès lors, Fourier cherche à établir un projet politique par la « force de l’exemple ». Pour le dire autrement, plutôt que de soumettre l’habitat collectif à un projet politique immuable, il soumet son projet politique à l’expérimentation d’une forme de vie collective, et sa diffusion, à l’exemplarité de cette dernière. Fourier ne cherche pas le vrai ou le juste mais le perfectionnement et la contagion. Les écrits de Fourier sont d’un style différent de ceux de son époque et s’ils peuvent avoir un caractère farfelu, le modèle d’habitat qu’il élabore ne s’en veut pas moins précis car il cherche un point de départ à l’expérimentation avant de faire jouer un rôle aux habitants. Ainsi, si Fourier est le premier concepteur, il parie sur le fait que des habitants peuvent tenir un rôle dans une transformation sociale de grande ampleur en rendant crédible son modèle et le perfectionnant. A travers un modèle d’habitat collectif reproductible, Fourier veut démontrer que ce n’est pas la richesse qui contribue au bonheur des ouvriers mais des équivalents de richesses (les relations interpersonnelles, l’éducation, les arts, l’agriculture, l’artisanat, la mixité sociale, etc.). En concentrant tous ces équivalents de richesses sur un même lieu de vie, il est selon lui possible d’atteindre l’abondance (travail), la juste rétribution (égalité) et la libre expression des « passions individuelles » (talents). Pour démontrer cette idée, dans Théorie de l’unité universelle (1822), il pense un lieu de vie particulier : le Phalanstère, dont il offre l’architecture détaillée quelques années plus tard, dans Le nouveau monde industriel (1829).

Au familistère de Godin

A travers l’analyse des archives qui ont accompagnées la biographie de Godin, Michel Lallement s’est attaché à retracer l’histoire de l’expérimentation du familistère de Guise – ses innovations, ses crises, ses réussites et ses échecs . L’objectif premier du Familistère étant l’abolition du salariat par l’association du capital et du travail, et l’utopie chez Godin renvoyant plutôt à l’idée d’expérimenter un autre modèle ici et maintenant qu’à « un horizon qui se dérobe », Michel Lallement cherche à penser dans même temps la question du travail et le discours sur l’utopie. Pour allier ces deux aspects depuis une biographie individuelle, il a cherché à éviter trois écueils : i) faire l’apologie d’un grand homme, ii) faire de la trajectoire de cette expérimentation le résultat du progrès soit un enchainement d’événements qui convergent vers un but prédéfini à l’avance, iii) écraser les singularités des situations par les déterminismes sociaux . Dans un premier temps, il propose d’appréhender la biographie de Godin comme le résultat d’une histoire plurielle qui oriente sa sensibilité politique et sa réappropriation de Fourier dont il découvre l’œuvre à ses 23 ans. Il montre que si Godin s’inspire du modèle de Fourier et de son Phalanstère, il n’est pas un disciple de Fourier à proprement parler, mais plutôt un industriel innovant (que l’on peut rapprocher de la figure schumpétérienne) qui cherche en s’inspirant de l’Ecole sociétaire, à améliorer les conditions de vie de ses ouvriers. De Fourier, il tire l’idée d’équivalents de richesses (logement, proximité, éducation, culture, protections sociales, participation aux décisions) et sa trilogie des valeurs : travail, capital, talents. A l’idée d’égalité (juste rétribution), il substitue la proportionnalité (à chacun sa contribution). Aux passions, il substitue une métaphysique vitaliste. Dans un deuxième temps, l’auteur s’intéresse à la manière dont Godin a défini trois équivalents de richesse : le logement, la proximité, l’éducation. Concernant le logement, à travers les origines du Palais social, il retrace les principes sous-jacents de l’architecture qu’il a pensée pour loger les ouvriers, à savoir la salubrité, l’hygiène, le confort, et les services. Concernant la proximité, il s’agit d’insérer  l’ouvrier dans une communauté, garante de l’inculcation d’une morale collective et de son contrôle. Concernant l’éducation, il note qu’elle est très axée sur le travail puisque pour Godin, elle doit garantir les bases d’un métier pour pouvoir subvenir à ses besoins matériels. Partant de ces considérations, il s’agit pour M. Lallement de comprendre si on a simplement affaire à du paternalisme. D’un côté, Godin montre une réelle volonté d’instaurer un système de redistribution des richesses soit une idée qui est assez novatrice pour son temps. Pour répartir les fruits du travail, il se base sur trois trépieds : une partie au travail, une partie au capital, une partie aux talents. Ce dernier trépied suppose d’accorder des primes au mérite. Pour cela, il cherche à ce que la répartition soit soumise au processus démocratique et au vote des ouvriers, mais à chaque fois cela se révèle par un échec car les ouvriers ont tendance à voter pour eux-mêmes ou pour ceux qui ont des petits salaires afin de niveler les inégalités. Selon Godin, la tentative de démocratie se heurtant à « l’instinct égalitaire du prolétariat », l’industriel se distancie de Fourier et change ses trois trépieds qui deviennent : travail, capital, nature.

Pour Godin, la solidarité et l’autonomie au travail ne peuvent être trouvées que dans l’associationnisme. Ainsi, il cherche à ce que des groupes d’affinités soient créés dans le cadre du travail sur la base du volontariat et de l’auto-organisation. Cette expérience se solde à nouveau par un échec, car il y a peu de volontaires et de parité, amenant des configurations proches des hiérarchies habituelles. Si Godin cherche l’autogestion et la participation des ouvriers aux orientations du travail pour réconcilier travail et capital, Michel Lallement montre qu’il doit toujours réaffirmer par le biais de son individualité son projet socialiste au risque que l’autogestion ne s’éloigne de son projet. Ainsi, jusqu’à sa mort, Godin va faire de multiples tentatives pour imposer son projet mais en vain. Après sa mort, les ouvriers rétablissent un fonctionnement classique du travail. Par exemple, la prime au mérite (très proche d’une appréhension tayloriste finalement) est remplacée par l’ancienneté des travailleurs. Au XXe siècle, le statut de l’entreprise est changé et devient une société anonyme. Bien que le familistère vive plus d’un siècle, la reprise par les ouvriers ne tient pas et après sa dissolution dans les années 70, le familistère est transformé en monument historique. Ainsi, Michel Lallement conclut qu’aussi paradoxal que cela puisse être, la trajectoire de cette expérimentation montre que finalement, l’utopie n’a pas réussi à prendre corps dans le travail alors que ce dernier en constituait le support.

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Table des matières

Table des matières
Remerciements
INTRODUCTION GENERALE
1. Habiter ensemble : état de la littérature
1.1. Les utopies communautaires : réformer tous les chantiers de la vie par l’autogestion au quotidien
1.2. La participation des habitants à la maîtrise leur cadre de vie
1.3. Habiter par l’occupation : une critique en actes
2. Habiter ensemble au prisme du faire-avec
2.1. Des terrains d’enquête
2.2. Au faire-avec
2.3. Saisir le faire-avec par les épreuves
2.4. S’engager dans le faire avec : l’enquête comme point de jonction des connaissances
Plan de la thèse
CHAPITRE I – Faire-avec un milieu changeant. Enquêtes sur les modes de coexistence de la CroixRousse
Introduction
1. L’attachement à l’économie de proximité : réarticuler les enjeux de la qualité de vie depuis la consommation
1.1. L’attachement aux petits producteurs
1.2. L’attachement aux petits commerces
2. L’attachement aux Pentes : de la tradition militante au projet coopératif
2.1. Aux bords du marché : l’interpellation politique
2.2. L’attachement à la tradition militante du quartier
2.3. La patrimonialisation du labeur
2.4. Raviver l’histoire coopérative dans les traces du quartier
2.5. Enquête spatio-temporelle : de l’importance des espaces de sociabilités intermédiaires
3. L’attachement au Plateau : la convivialité comme travail du commun
3.1. Le café : de la rencontre au geste de care
3.2. Les mères lyonnaises et l’art de sauvegarder la convivialité du quartier
3.3. Depuis les collectivités : le bien commun comme progrès
Conclusion
CHAPITRE 2 – L’exploration foncière : depuis le terrain, allier micropolitique et macropolitique
Introduction
1. L’identification des partenaires de projet : une nécessaire inscription dans la décision publique
1.1. Le 4 mars 2009 : au commencement la mutualisation des réseaux et des savoirs
1.2. L’association Habicoop : entre accompagnement et militance
1.3. Les collectifs à l’épreuve du décryptage de la politique locale
2. Des pistes de terrain aux possibilités de faire projet
2.1. La piste de la réhabilitation des Pentes : tout social ou tout spéculatif
2.2. La piste du Plateau : les terrains et les fléchages
2.3. La piste de la rue Deleuvre : quand le terrain définit les objectifs du projet d’habitat
3. Face au flottement, ré-explorer le projet et ses acquis
3.1. Faire l’expérience du flottement
3.2. Ré-interroger l’attachement collectif au quartier
3.3. Ré-explorer le quartier depuis le quotidien
4. L’alignement des mondes et la redistribution des cartes
4.1. L’acquisition du terrain : entre sérieux et moment politique
4.2. La piste de Pernon : entre timing et revendications citoyennes
4.3. La réforme du Plan Local d’Urbanisme : l’apparition du zonage mixte
Conclusion
CHAPITRE 3 – Initier une troisième voie d’accès à l’habitat. Le partenariat public-commun
Introduction
1. Le partenariat public-commun
1.1. Le bailleur social : un partenaire précieux
1.2. Le statut de la troisième voie
2. Micropolitique des groupes : le commun en débats
2.1. Jusqu’où la mutualisation des ressources ?
2.2. Investir pour le commun : un investissement à perte ?
3. Tenir la comptabilité de la coopérative
3.1. La mutualisation des ressources à l’épreuve des sorties
3.2. Eviter la sélection : l’invention du Cercle 2
Conclusion
CHAPITRE 4 – Participer à concevoir son habitat. Un cheminement vers le commun
Introduction
1. Faire projet avec l’habitant
1.1. Le Maître d’Ouvrage et la VEFA
1.2. Les architectes : entre professorat et accompagnement
1.3. De la difficulté à révéler les compétences habitantes
2. Matérialiser le commun : petits récits du faire-avec
2.1. La salle commune : de la conception au droit d’usage
2.2. Les sols : des entités frontières du privé et du commun
3. Le commun à l’épreuve de la personnalisation
3.1. La personnalisation des appartements : une approche adaptée au commun ?
3.2. Epreuve interne : la répartition des appartements
CONCLUSION GENERALE

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