Glissement historique entre la nymphomanie et l’érotomanie

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L’illusion délirante d’être aimé

Gaston Ferdière devient docteur en médecine l’année 1937 après avoir soutenu sa thèse « L’érotomanie, l’illusion délirante d’être aimé ». 2
Ferdière soutient notamment qu’il n’y a pas de limite d’âge, et que l’érotomanie masculine concerne un cas sur 10 au moins, et qu’elle présente des symptômes globalement semblables à ceux retrouvés chez la gente féminine.
Les femmes atteintes se classent par ailleurs en trois catégories distinctes.
Il y a tout d’abord les femmes « physiquement ou sexuellement insatisfaites », (femmes vierges, veuves très tôt, ou femmes frigides), ensuite les femmes « affectivement insatisfaites » (maltraitance physique ou sexuelle dans l’enfance, échecs et séparations) et enfin les femmes « matériellement insatisfaites » (déception de leur mariage qui ne les comble pas au niveau financier, matériel ou au niveau du rang social).
Il évoque également le lien privilégié entre le mysticisme et l’érotomanie, et décrit des troubles communs comme des hallucinations olfactives. Il insiste d’ailleurs sur la constatation d’une pratique religieuse augmentée chez ces patients dans les phases fécondes de quête d’amour.
Il rappelle l’importance pour les médecins psychiatres et cliniciens en général d’être avertis qu’ils sont une cible privilégiée des fantasmes érotomanes, et innove déjà à l’époque en proposant d’adopter un plan d’action à des fins de protection :
– faire intervenir un tiers personne pour supprimer la dualité transférentielle pathologique en faisant appel à un confrère.
– distancer fermement le patient sans jamais répondre à ses déclarations.
Ferdière nuance également le clivage imposé par Clérambault au sujet de l’érotomanie pure et secondaire, et ne se montre pas aussi catégorique.

Fretet

Jean Fretet soutient la même année « les causes affectives de l’érotomanie notamment chez l’homme »17. A l’instar de son confrère Ferdière, il émet quelques réticences quant à la thèse de Clérambault en matière de clivage net entre l’érotomanie pure et secondaire.
Selon lui, l’érotomanie dans son choix à l’Objet, et en particulier chez les hommes, est une manière de substituer la figure maternelle, sous-tendant à la chose une mention incestueuse.
L’érotomane serait donc à la recherche d’une nouvelle figure maternelle, protectrice et aimante, afin de compenser une faille narcissique et un sentiment d’infériorité et d’impuissance.

L’érotomanie, sa place dans les nomenclatures internationales

Classification DSM

Le DSM, de l’anglais Diagnostic and Statical Manual of Mental Disorders, est un ouvrage de référence publié par l’Association Américaine de Psychiatrie (APA).
L’érotomanie est une entité introduite dans les diagnostics supplémentaires dans le DSM  publié pour la première fois en 1952 et qui regroupe dès lors 60 maladies. Elle disparaît ensuite du DSM 2 en 1968 qui recense quant à lui 145 maladies.
La version revisitée du DSM 3 en 1987 la classe de nouveau en tant que sous type de paranoïa. Le DSM est alors fidèle à la vision des auteurs américains de l’époque qui considèrent l’érotomanie plus comme une thématique délirante qu’une entité clinique se suffisant à elle seule. Elle se trouve aux côtés de la thématique mégalomaniaque, de jalousie, de persécution. L’objet est classiquement d’un rang social élevé, et des notions de dangerosité sont également mentionnées.
Depuis le DSM 4 en 1994 et ce jusqu’à aujourd’hui (classée dans le DSM 5 en 2013), elle appartient désormais à la catégorie des troubles délirants.
Ces délires sont définis ainsi :
– La présence d’idées délirantes depuis plus d’un mois.
– En l’absence de critère en faveur d’une schizophrénie (des hallucinations peuvent exister si elles sont en rapport avec la thématique délirante).
– Le fonctionnement n’est pas altéré et le comportement n’est pas bizarre en dehors de la thématique délirante.
– Si des symptômes maniaques ou dépressifs ont eu lieu, ils ont été brefs par rapport à la durée du délire.
– Le délire n’est pas la conséquence de l’utilisation d’une substance.
Il existe plusieurs sous-types de troubles délirants :
– Erotomaniaque : idées délirantes dont le thème est qu’une personne habituellement de rang social supérieur est amoureuse du sujet.
– Mégalomanie : conviction délirante d’être doué d’un talent ou d’un pouvoir méconnu, ou d’avoir fait une découverte importante (inventeurs méconnus).
– Jalousie : conviction délirante que son partenaire est infidèle (plus fréquent chez les hommes et dans un contexte de mésusage d’alcool).
– Persécution : conviction délirante d’être victime d’un complot, d’un espionnage, ou d’être victime d’une conspiration visant à empêcher l’aboutissement des projets personnels de l’individu.
– Somatique : conviction délirante que les sensations ou les fonctions corporelles sont pathologiques.
– Mixtes.
– Non spécifiés.

La CIM (classification internationale des maladies)

En 1838, un médecin français Jacques Bertillon décide de classer les causes de décès entre elles. Cette classification connaît un total de 5 révisions jusqu’en 1938.
L’organisation mondiale de la santé qui voit le jour au lendemain de la guerre en 1945 hérite de cette mission de classification et fait paraître la CIM-6 en 1949 qui devient le premier des manuels à intégrer les troubles mentaux.
Dans la CIM-8 en 1967, l’érotomanie apparaît dans la catégorie des déviances sexuelles, aux côtés de la nymphomanie, avant de disparaître dans la version qui suit dix plus tard.
Ce n’est finalement que dans la CIM-10 27 que l’érotomanie se classe dans la rubrique « troubles délirants persistants ». L’approche est identique au DSM, les idées délirantes persistantes constituent le symptôme le plus caractéristique avec une durée d’évolution majorée à trois mois. Les thèmes abordés peuvent être persécutifs, hypochondriaques, mégalomaniaques. Néanmoins, l’érotomanie n’est pas mentionnée comme thématique singulière, au contraire de la paraphrénie, du délire de relation des sensitifs ou de la paranoïa.

Représentations de l’érotomanie dans la culture populaire

Si l’érotomanie a été largement pensée par les auteurs au cours de ces derniers siècles, elle n’en est pas moins fantasmée dans la culture populaire.

Dans le monde cinématographique

Veyrat, J.-G 28 présente une sélection de trois films débattant de la question de l’érotomanie, dans leur ordre chronologique de parution au grand écran.
Tout d’abord, le film réalisé par Clint Eastwood en 1971 Play misty for me (Titre français : un frisson dans la nuit) met en scène une érotomanie, qui naît d’une idylle a priori sans lendemain entre un présentateur de disques de la radio locale et son admiratrice.
Rapidement, cette dernière se persuade qu’il est amoureux d’elle, le justifiant par « il y a quantité de façons de dire ces choses, sans se servir des mots ».
Elle nourrit une passion de plus en plus dévorante, n’acceptant pas d’être éconduite, allant jusqu’à devenir dangereuse pour elle-même et autrui. Elle va jusqu’à agresser son objet, ainsi que sa nouvelle compagne, lors de la phase de rancune.
Le film français A la folie pas du tout de Laetitia Colombani paru dans les salles en 2002 est également présenté. Le personnage d’Angélique incarné par Audrey Tautou s’éprend d’un cardiologue, qui est marié, et qui lui a été présenté par un ami qu’ils ont en commun.
Au début de l’intrigue, le spectateur est invité à partager le point de vue d’Angélique, et ne se rend pas compte d’emblée du caractère pathologique et délirant de la situation ; lequel devient évident lorsque le point de vue bascule pour celui du cardiologue, objet du délire d’Angélique. En découle l’évolution somme tout classique de l’érotomanie, dans laquelle l’espoir, le dépit, puis la rancune se succèdent. Angélique tente de blesser son objet, et est internée à l’issue.
Le film Anna M de Michel Spinoza en 2007 est non sans rappeler le précédent, avec un personnage principal féminin qui, à la suite d’une tentative de suicide où elle se jette sur la chaussée et au décours de laquelle elle se casse le fémur, tombe amoureuse du chirurgien qui s’occupe d’elle, persuadée qu’il est amoureux d’elle avec des interprétations multiples de ses gestes et paroles.
Veyrat conclue ainsi la coexistence de plusieurs éléments dans ces trois films. Le sujet est une femme plutôt jeune, célibataire, choisissant classiquement un objet de rang social supérieur.
Les composantes du sentiment générateur du délire sont l’orgueil, le désir et l’espoir. Le postulat fondamental est à chaque fois vérifié ; « c’est l’Objet qui aime en premier, qui aime le plus, ou qui aime seul ». Certains thèmes dérivés se retrouvent également : l’Objet est libre et son mariage n’est pas valable, conduite paradoxale de l’Objet. S’il rejette le soupirant, c’est par timidité, ou bien par volonté de l’éprouver. L’évolution se décline en trois phases classiques (espoir, dépit, rancune).
Le film L’histoire d’Adèle H de François Truffaut paraît dans les salles en 1975 et relate l’histoire de la seconde fille de l’auteur Victor Hugo et de sa femme Adèle Foucher. Elle rencontre en 1854 le lieutenant britannique Pinson.
Se considérant comme sa fiancée, elle rejette les demandes en mariage de ses autres prétendants. Faisant croire à sa famille qu’elle se rend à Malte, elle traverse l’Atlantique pour le retrouver à la garnison d’Halifax au Canada. Elle ne se décourage pas et continue de le suivre, malgré ses refus répétés. Elle écrit même à ses parents avoir enfin épousé le lieutenant et n’avoue que plus tard sa supercherie.
La particularité de ce personnage est qu’elle ne nourrit jamais de vraie rancune envers Pinson, mais plutôt envers elle-même. Elle finit sa vie internée, devenant ainsi la seule des enfants de la fratrie ayant survécu à son illustre père. Très certainement, elle est restée fixée à la phase d’espoir pendant des années. La vie de ce personnage illustre a inspiré de nombreux écrivains comme Bernard Granger dans « Adèle Hugo, une érotomanie sans repos » 29 (2005), ou psychologues comme Chantal Tanguy. 30
Plus récemment, en 2009, le film de Steven Shill Obsessed met en scène une jeune femme sur son lieu de travail qui s’amourache de l’un de ses supérieurs, déjà marié et père de famille. Au début, la présentation est assez classique avec certaines imprudences commises par l’homme en question, ce qui a pour conséquence instantanée d’alimenter et de conforter le délire de la jeune femme.
La progression est également assez conforme à une description clinique. Elle lui envoie des photos d’elle, tente de le séduire à plusieurs reprises, s’introduit dans sa chambre d’hôtel à son insu. Lorsqu’elle se retrouve fermement repoussée, elle tente de se donner la mort par intoxication médicamenteuse, ce qui correspond à une phase de dépit. En dernier lieu, elle tente de s’attaquer à la femme de son objet, accédant à la phase de rancune.
L’auteur Fernandez 31 commente le film de Pedro Almodovar Hable con ella (Titre français : parle avec elle) qui présente le personnage principal masculin, Bénigno, comme un érotomane.
Ce dernier est un jeune homme de 24 ans, aux intérêts restreints et isolé sur le plan social, travaillant en tant qu’infirmier dans une clinique ; un jour qu’il regarde par la fenêtre de son appartement l’école de ballet, il entr’aperçoit dans la rue d’en face une jeune femme Alicia, et s’imagine d’emblée une relation platonique avec elle, d’abord comme une rêverie innocente ; mais il lui prête rapidement des intentions, et se persuade de manière inébranlable qu’elle partage ses sentiments et lui envoie des signes.
Benigno va à sa rencontre une seule fois, avant qu’elle ne subisse un violent accident de circulation, qui la plonge dans un coma. Benigno devient alors son infirmier référent dans la clinique. Commence alors un monologue dans les premiers temps où Benigno partage à Alicia toutes ses émotions, et lui décrit ses journées. Il finit par la faire parler à son tour et s’engage un dialogue imaginaire, entre les deux amants.
Le personnage principal reste fixé à une phase d’espoir pendant de nombreuses années, ne l’empêchant pas de fonctionner dans les autres domaines de sa vie. Le postulat fondamental se vérifie, ainsi que l’extension polarisée du délire.
Bénigno, qui est un amateur de films muets et s’inspire d’un des derniers qu’il a visionné, abuse sexuellement de Alicia tandis qu’elle est encore dans le coma, pensant simplement que cela lui plairait. Alicia se réveille de son coma, enceinte de Benigno, qui de son côté est condamné à de la prison ferme pour accusation de viol. Celui-ci cherche à mettre fin à ses jours, comprenant qu’il ne peut sortir de prison ni ne peut retrouver l’objet de son amour.
Il s’agit là d’une présentation clinique érotomaniaque atypique.

L’univers des séries

Une série à succès sur la plateforme Netflix en 2018 intitulée You de Greg Berlanti, inspirée du roman de Caroline Kepnes 32 paru en 2015, met en scène Joe Goldberg, interprété par Penn Badgley, qui nous fait partager son point de vue tout au long de l’intrigue.
Il s’agit d’un jeune homme assez mystérieux, fan invétéré de littérature, travaillant dans une bibliothèque. Il rencontre une jeune femme qu’il conseille au sujet de l’achat d’un livre. Il se montre alors persuadé dès les premiers gestes de celle-ci qu’elle lui envoie des signes, et lui prête instantanément des intentions.
Il commence alors une enquête obsédée sur les réseaux sociaux, infiltrant ses profils, se renseignant sur ses goûts et habitudes de vie, et obtient en pianotant sur le net l’adresse de son domicile. Il s’y rendra, et l’épiera par la fenêtre le soir, de la rue en face.
Ce profil est atypique car il est à la croisée des chemins diagnostics.
D’une part, il fait partie de la lignée des « stalker », dont nous allons parler ensuite, et notamment ce que Mullen 33 appelle « un chercheur d’intimité ».
Le cyberharcèlement via les réseaux sociaux de la jeune fille dont il fait preuve aux prémices de l’intrigue amène à questionner son impact sur ce genre de conduites harcelantes et sur les idées érotomaniaques.
D’autre part, les convictions de départ participent à l’argumentaire en faveur d’un diagnostic d’érotomanie. D’une première rencontre naît immédiatement une idylle sublimée, l’objet est instantanément idéalisé, le soupirant étant seul possible détenteur du bonheur et de la valeur complète de son objet. Son objet est libre, car son couple n’est pas valable, et son objet a une conduite paradoxale car si elle se distancie de lui c’est parce qu’elle cherche à éprouver ses sentiments et le tester dans la difficulté. 3
La suite de l’intrigue nous dévoile une tendance antisociale nette avec une dimension narcissique participative. Joe fait preuve de machiavélisme, de froideur affective, mais reste toujours convaincu de faire le bien, et toujours dans une optique de protéger son objet. Il va jusqu’à supprimer tous les obstacles entravant leur idylle, notamment l’ex petit-ami ou la meilleure amie.

Epidémiologie

Les auteurs classiques dressent un profil type du patient érotomane.
Il s’agit souvent d’une jeune femme, isolée sur le plan social et affectif, avec des antécédents de maltraitance dans l’enfance, et d’abandon. Si elle est mariée, elle n’est pas heureuse dans la relation ou au niveau matériel. Des traits narcissiques sont aussi fréquemment retrouvés. L’objet est souvent un homme inaccessible, de rang social élevé, plus âgé qu’elle.
Dans environ 80% des cas, les observations de Clérambault portent sur des femmes. Les femmes ont un objet de rang plus élevé qu’elles, et sont plus nombreuses à développer une érotomanie homosexuelle.
Ferdière et Fretet mentionnent quand même les cas d’érotomanie masculine, dans lesquels il s’agit souvent d’un homme isolé socialement et dont l’objet d’amour varie dans le temps ; parfois une présence simultanée de plusieurs objets peut être mise en évidence.
Quant aux études récentes, les données semblent rares.
Rettersol et al., 39 concluent que sur un matériel de 1802 patients admis consécutivement, 6 parmi eux (0,3%) présentent une érotomanie.
Kennedy et al., 26 tirent de leurs travaux que 73% de leurs cas sont des femmes, l’âge moyen du début des troubles est de 44 ans, 80% des patients n’ont pas de relation affective (célibataires, séparés ou veufs), 50% ont un antécédent psychiatrique familial au premier degré, 40% ont perdu un parent dans le jeune âge, 70% sont au chômage.
Sampaoi et al., 40 reprennent une prévalence de 0,3% d’érotomanie au sein de la population générale.
Rudden et al., 41 retiennent une prévalence de 75% de femmes, la moyenne d’âge du début des troubles retenu sur l’échantillon est de 31 ans, et 70% d’entre eux étaient célibataires.
Brüne et al., 42 recensent 246 cas d’érotomanie et font apparaître les principales caractéristiques épidémiologiques en fonction du sexe :
– 70 % de femmes : âge moyen de 33 ans, célibataires dans 76% des cas, statut social moyen dans 60% des cas, objet unique dans 83% des cas, objet de rang supérieur dans 87% et objet plus âgé que le sujet dans 73% des cas.
– 30 % d’hommes : âge moyen de 28 ans, célibataires dans 95% des cas, statut social bas dans 55% des cas, objet unique dans 80% des cas, objet de rang supérieur dans 72% des cas, objet plus jeune que le sujet dans 67% des cas.
L’âge médian est en règle similaire entre les deux sexes.
Nous pouvons retenir que les hommes et les femmes différent principalement dans le choix de leur objet, puisque les femmes ont tendance à choisir un objet de rang supérieur et plus âgé qu’elles comme la définition classique le précise, tandis que les hommes en majorité choisissent un objet plus jeune et de manière moins constante de rang social élevé.
Ils sont également plus à même de changer d’objet au cours du temps, comme le faisait remarquer Clérambault. Les hommes érotomanes sont également plus souvent célibataires que les femmes, et connaissent un statut social en moyenne plus bas.
Plus récemment, Portugal et al., 43 met en avant que l’érotomanie compte pour 1% parmi les troubles délirants.
Elle engloberait 60% de femmes contre 40% d’hommes. Ils retrouvent 75% de célibataires parmi les sujets.
Les études récentes tendent donc vers une égalisation du sex ratio, malgré une sur-représentation féminine qui persiste.

Psychopathologie

Le délire que développe le sujet est orchestré de manière à l’extirper d’un conflit intrapsychique intense et engendrant chez lui des angoisses d’anéantissement et de solitude extrêmes.
Le sujet se sent comme menacé d’une sensation de désintégration, terme repris par Kestemberg, et de mort imminente, et va alors s’en prémunir par le biais de mécanismes de défense archaïques, comme le déni, le clivage, la projection sur l’autre et la construction d’un délire.
Si on le décrit habituellement fleurissant chez le sujet à la structure psychotique, il n’est pas exclu de l’apercevoir aussi chez celui à la structure névrotique, puisqu’il apparaît comme la solution défensive ultime contre un traumatisme qui a outrepassé les capacités de résilience névrotique. C’est ce qu’on nomme volontiers l’ensemble des « psychoses hystériques ».
Lorsque ce personnage est nommé président de la cour suprême de Dresde, et qu’il rencontre le médecin Flechsig, cette nouvelle résonne chez lui comme un tel ébranlement qu’il se met à avoir des visions apocalyptiques et des angoisses d’anéantissement dans ses cauchemars. Ainsi, la réalisation d’un idéal et la rencontre d’un père qui se prend pour tel peuvent appuyer sur un point de vulnérabilité de ce nouage et provoquer la décompensation.
Cette effraction psychique le mène à construire une néo-réalité délirante se cristallisant autour de la relation érotomaniaque qu’il partage avec Dieu, et grâce à laquelle il trouve une porte de sortie aux angoisses psychotiques qui lui semblent insoutenables.
Il retrouve à la fois place et fonction, puisqu’il est l’élu de Dieu et sa mission est celle de repeupler le monde et de le sauver.
La solution érotomaniaque en particulier consiste en l’idéalisation d’un objet réel ou imaginaire, et d’une relation amoureuse illusoire en découlant. La néo-réalité amoureuse créée par le sujet lui garantit une unité psychique, en lui donnant à nouveau place et fonction. 44
Quand bien même la relation à l’autre est teintée de persécution, comme lors de la phase de rancune possiblement, elle offre pourtant une sécurité narcissique au sujet, en lui garantissant place (celui de l’amant moqué et éconduit) et fonction (celui qui doit rétablir la justice en se vengeant).
Le délire érotomaniaque vient défendre le sujet de ses failles narcissiques, puisqu’il se sait être aimé par un objet idéal, de haut rang social, souvent inabordable. Le choix de cet objet n’est pas le fruit du hasard. La composante orgueil de Clérambault est une condition préalable presque constante à la génération du délire.
Hollender et Callahan 45 suggèrent que l’illusion amoureuse résulte d’un déficit de l’ego et est formée à partir de la lutte intrapsychique de l’individu, afin qu’il puisse se sentir aimé et réhaussé à nouveau.
A la suite d’un deuil aigu, le sujet psychotique ne parvient pas à fournir un véritable travail de désinvestissement, se sentant encore en fusion narcissique avec son objet primaire qui compte désormais parmi les absents. Le sujet se sent menacé par un effondrement psychique et tente de se sortir des angoisses massives en investissant un nouvel objet idéalisé, dit de substitution, et qui lui apporte une sécurité affective.
Raskin et Sullivan 46 voient l’érotomanie comme une fonction adaptative, contrant les sentiments de dépression et de solitude survenant après une perte.
Le délire peut également émerger comme une défense contrant un conflit oedipien intolérable pour le sujet, en investissant une nouvelle relation paternelle idéalisée, avec un objet inaccessible, et dont la rencontre ne s’envisage même pas. C’est le cas d’une patiente célèbre, Dorothée, que présente Kestemberg, qui cherche une représentation paternelle en son objet, avec laquelle toute réalisation est exclue.
Lagache parle de l’intense fixation de l’érotomane à sa mère, qui vient placer son objet en substitut de la figure protectrice et maternante.
Feder 47 rapporte que dans des conditions de régression, il s’agit d’une tentative de restauration de la précédente union heureuse avec la figure de la mère.
Perrier évoque aussi cette notion dans le choix de l’objet de l’érotomane, qui apporte à la fois protection, sécurité et bienveillance au sujet.

Les érotomanies pures

Clérambault définit précisément ce qu’il appelle l’érotomanie primaire.
Les patients concernés ne sont pas atteints d’hallucinations. Il y a assez peu d’évolution, et certaines maladies restent fixées au stade d’espoir pendant leur intégralité.
En dehors de la thématique attrait à l’érotomanie, il n’y a pas d’autre élément délirant, ces personnes fonctionnent normalement. Leur autonomie est préservée. L’évolution se fait classiquement de manière chronique, à bas bruit, et les guérisons totales sont rares.
Son cas le plus célèbre est certainement celui d’Henriette, amoureuse d’un prêtre pendant trente-sept ans , 48 en dépit de son mariage, de ses amants, ou de l’éloignement physique. Henriette fonctionne très bien en dehors de l’érotomanie, avec une « absence totale d’extension, de polymorphisme, de troubles sensoriels ou de démence ». Elle reste fixée aux phases d’espoir ou dépit, sans jamais sombrer dans la rancune, ce qui représente un argument supplémentaire en faveur de l’érotomanie pure. Clérambault affirme que « le malade doute mais n’a aucune idée de vengeance ».
Chanes et al., 49 proposent un cas d’érotomanie hétérosexuelle pure, qui semble fixée à la phase d’espoir depuis vingt-huit ans, à l’instar de Henriette. Gernez reçoit en consultation privée une érotomane pure hétérosexuelle. 50 Ces deux exemples exposent une présentation clinique typique.
Une femme d’une trentaine d’années émet la conviction implacable d’être aimée par un homme, idéalisé et de rang social élevé, plus vieux qu’elle, marié ou pas ; ce n’est pas important.
Le délire n’irradie pas aux autres secteurs de son existence, reste contenu dans la dimension affective, et n’empêche pas l’une d’être mariée à un autre homme. Le fonctionnement autonome de la patiente est préservé, il s’avère qu’elle continue à travailler, et à assumer les responsabilités familiales. Il n’existe pas d’autre élément délirant ni de processus hallucinatoire décrit.
L’objet est fixe, sans changement. Il n’existe pas d’antécédent psychiatrique familial et pas non plus d’histoire familiale marquante a priori. Des traits narcissiques pré-morbides se perçoivent. Alberti propose une analyse psychanalytique d’un cas d’érotomanie pure. 51
Madelaine consulte en premier lieu pour des tendances compulsives alimentaires. Elle n’a pas d’antécédent psychiatrique notable, elle connaît une enfance a priori conventionnelle, et idéalise énormément les figures paternelles comme celle de son grand-père décédé. Elle se sent mise en compétition féminine directe avec sa mère qui est « mince mais triste », et préfère se comparer à sa grand-mère qui est « grosse au caractère bien trempé ».
Elle se marie ensuite avec un homme, presque passivement, puis explique le divorce par un manque d’amour. Il s’avère qu’au fil des entretiens, elle dévoile peu à peu les raisons plus précises de son mariage d’abord, qui permettait d’ériger « un mur » entre elle et l’homme qui occupe réellement ses pensées, et qui est autre que son mari.
Le divorce survient ensuite, après avoir eu un enfant « par accident », et cet homme qu’elle avait tenté de chasser de son esprit reste bien présent. Il s’agit d’un homme qu’elle a rencontré lors de son adolescence, qu’elle idéalise depuis, sans n’avoir jamais tenté de le contacter.
Ici, l’érotomanie existe depuis le jeune âge adulte, à bas bruit, et n’a pas empêché la patiente de fonctionner. La patiente n’est pas atteinte d’autre processus délirant. Le manque affectif de sa mère et ses difficultés d’acceptation de son propre corps représentent un facteur déterminant dans les failles narcissiques du sujet. Elle a par ailleurs a contrario toujours idéalisé les hommes de sa famille. L’objet pourrait substituer la figure du grand-père paternel décédé.

Les érotomanies mixtes

Elles s’accompagnent in princeps d’autres idées délirantes qui peuvent être à thématique variée. Le sujet connaît une altération fonctionnelle plus marquée comparativement à celle observée dans la forme pure. Les érotomanies mixtes sont les plus communes et les plus rencontrées en pratique clinique.
Le sujet est amené à plus volontiers changer d’objet, ou à en considérer plusieurs en même temps. Des hallucinations psychiques ou acoustiques peuvent s’observer.

Formes secondaires psychiatriques

Les érotomanies secondaires sont associées à un autre trouble psychiatrique préexistant.
Les grandes catégories que nous pouvons retrouver dans les textes classiques et plus récents sont les troubles bipolaires, la schizophrénie, et la schizophrénie dysthymique. Les troubles de la personnalité qui représentent une entité décrite plus récemment, se révèlent associés régulièrement dans ces processus.
L’étude de Rudden et al., 41 menée sur 80 cas d’érotomanie retrouve en diagnostic associé une proportion de 43% de cas de schizophrénie, 25% de schizophrénie dysthymique, et 7% de troubles bipolaires.
Brüne 42 quantifie chez ces 246 cas une proportion de 39% atteinte de trouble délirant associé (autre thématique que l’érotomanie) et 33% de schizophrénie.
L’érotomanie et troubles bipolaires :
Bien qu’un diagnostic de schizophrénie ou de trouble schizo-affectif soit régulièrement posé, Signer et Swinson 52 considèrent que de nombreux cas présentent les caractéristiques cliniques d’un trouble affectif majeur, probablement les troubles bipolaires et leur spectre, en introduisant dans leur article deux cas de femmes suivies pour un trouble bipolaire de longue date qui vérifient le paradigme de l’érotomanie en phase d’euthymie. Les thymorégulateurs représentent un traitement de choix, qui fonctionnent et qui valident l’hypothèse diagnostique de départ.
Dans sa reconsidération des « psychoses passionnelles » en 1991, Signer recense 14 cas d’érotomanie 53, dont 5 considérées primaires, et les 9 autres des érotomanies secondaires. Dans les 5 cas d’érotomanie primaire, il retrouve une note hypomaniaque rattachée, ainsi qu’un cas rattaché à un épisode dépressif sévère. Une hypersexualité est retrouvée dans 2 des cas. Un trouble délirant de persécution fait également irruption dans 4 cas sur 5.
Dans les 9 cas d’érotomanie secondaire, l’hypomanie se retrouve dans 6 cas, et une dépression dont une avec tentative de suicide dans 2 des cas. Il existe 5 cas qui retrouvent des éléments nets de persécution.
Des réponses cliniques satisfaisantes avec des molécules thymorégulatrices et aux antidépresseurs viennent valider l’hypothèse du trouble bipolaire sous-jacent.
L’érotomanie revêt volontiers un habit d’accélération psychomotrice. La présentation maniaque ou plus souvent hypomaniaque observée dans la phase d’espoir ou parfois celle de rancune est mentionnée par plusieurs auteurs, comme Ferdière, Clérambault ou Lagache. On parle alors d’hypersthénie amoureuse, également teintée d’une dimension mégalomaniaque rapportée par Portemer, qui se justifie par le choix d’un objet de rang élevé.
Il est aussi possible que l’érotomanie se déguise en syndrome dépressif franc lors des phases de dépit, lors desquelles le risque auto-agressif accroît. Ce dernier représente d’ailleurs un motif de prise en charge psychiatrique et une étape diagnostique par les médecins. Les antidépresseurs semblent occuper une place de choix parmi l’arsenal médicamenteux.
Mais comment savoir si le trouble bipolaire entraîne l’érotomanie, et en ce cas, si cette dernière le potentialise ? Ou bien s’agit-il du schéma inverse ? La nature du lien n’est pas toujours claire.
L’érotomanie et troubles de la personnalité :
Un fonctionnement pré-morbide à l’érotomanie est régulièrement retrouvé lors des anamnèses des patients.
Ce dernier se cantonne bien souvent à de simples traits volontiers narcissiques comme le mentionnent les auteurs. Quelquefois, le délire se cristallise autour d’un véritable trouble de personnalité, ayant un impact direct sur la qualité de vie du sujet.
Ce n’est pas une condition sine qua non au développement ultérieur d’une érotomanie. Une anamnèse minutieuse ne retrouve pas forcément de fonctionnement pré morbide chez le sujet. En outre, la prévalence des troubles de personnalité associées à une érotomanie secondaire reste inconnue, à cause du manque d’études épidémiologiques sur ces questions, mais l’on suppose, une fois n’est pas coutume, qu’elle est sous-estimée.
– erotomanie et personnalité borderline :
L’APA propose une définition clinique de la personnalité borderline en 2013, lors de la publication du DSM5. Il s’agit « d’un modèle omniprésent d’instabilité dans les relations interpersonnelles, de l’image de soi et des affects, et marquée par l’impulsivité, commençant au début de l’âge adulte et présent dans une variété de contextes ».
Christina Rizk consacre sa thèse à l’érotomanie dans ses rapports avec la personnalité borderline.54 Elle s’interroge sur les facteurs communs aux deux entités, et leurs mesures préventives.
Elle revient sur les similitudes des deux entités comme :
– l’instabilité comportementale et relationnelle.
– la peur de l’abandon (sans doute exacerbée par un vécu abandonnique dans le passé).
– la recherche affective de l’autre.
En effet, les personnalités borderline ayant eu un attachement dans l’enfance de style préoccupé sont plus à même à l’âge adulte de développer une érotomanie.
Le besoin d’un autre individu dans leur vie est l’un des déclencheurs des comportements instables, à la fois pour les érotomanes, mais aussi pour les borderline.
Meloy en 1989 55 propose une alternative à la description classique de l’érotomanie. Il la désigne comme une entité singulière, qu’il appelle l’érotomanie borderline.
Il n’est pas question ici de perte de contact avec la réalité, ni de rupture brutale avec un état antérieur mais d’un trouble extrême de l’attachement qui éclate dans la poursuite obsessionnelle de l’objet.
Le sujet a pourtant conscience de l’amour non partagé mais la séparation vécue comme un véritable abandon lui est impossible à accepter.
Le risque de passage à l’acte en est d’autant plus élevé. Cette entité s’inscrit dans la lignée des comportements harcelants ou du « stalking », que nous étudierons en détail ultérieurement.
– Erotomanie et personnalité hystérique :
La personnalité hystérique se caractérise par une quête de l’attention d’autrui et des réponses émotionnelles excessives et inadaptées.
Corcos et al., 56 présentent le cas d’une jeune fille de vingt et un an, atteinte d’anorexie mentale et hospitalisée pendant un mois avec un contrat de poids. Elle développe un trouble érotomaniaque dont l’objet est son médecin traitant, ainsi que des idées délirantes de dépersonnalisation et de perte de ses parents. Malgré les traitements, le délire ne cède qu’à la fin de l’hospitalisation, lorsqu’elle retrouve ses parents, desquels elle avait été séparée.
Les auteurs supputent que cette relation érotomaniaque est venue remplacer le vide objectal laissé par les parents. Ils le justifient par un début brutal, un état pré-morbide hystérique, la relation temporelle aigue à l’évènement traumatique, un amendement des symptômes une fois les parents retrouvés, la résistance au traitement antidépresseur et neuroleptique entrepris et l’amnésie des idées délirantes à la sortie de l’hôpital.
Le patient à la structuration hystérique développe un délire ordonné qui lui permet une mise à distance psychique suffisante de l’évènement traumatique. C’est ce qu’on nomme « les psychoses hystériques » ; le délire apparaît comme une solution défensive contre un sentiment d’anéantissement et de mort imminente.
Quand bien même ce délire devient chronique, il se distingue de la schizophrénie par une adaptation conservée au réel et une absence d’évolution vers un caractère autistique.
L’érotomanie et l’anorexie mentale :
Les précédents auteurs s’imaginent aussi que l’anorexie mentale dont souffre la patiente et le rapport au corps et à la nourriture disloqué, puissent avoir un lien indirect avec la construction érotomaniaque.
Perrier avait déjà évoqué la faille narcissique en lien avec la structuration corporelle de l’érotomane, qui ressentait de la haine et du dégoût envers sa propre enveloppe charnelle. L’érotomanie vient questionner le sujet dans son rapport brut avec la féminité, et apparaît alors comme une solution défensive des angoisses d’anéantissement que ce rapport provoque.
Michel Lehmann 57 évoque le lien entre l’érotomanie et l’anorexie mentale lorsqu’il présente une patiente de trente ans aux antécédents d’anorexie-boulimie qui est encore dans un maintien du contrôle alimentaire rigoureux.
Alors qu’elle est hospitalisée, elle s’éprend d’un jeune homme. L’état amoureux qui apparaît chez elle peut être compris comme une première tentative pour maintenir la relation à un objet sans faille : elle place le jeune homme comme un objet imaginaire idéal. Après bon nombre de sollicitations, ce dernier refuse des avances, à la suite de quoi, elle commence à faire l’expérience d’hallucinations acoustiques et verbales.
L’auteur penche pour une signification à l’hallucination en tant que survivance de cette modalité archaïque de rapport à l’objet : il s’agit de la perception dans la réalité de la représentation d’un objet satisfaisant à un désir frustré.
Les hallucinations acoustiques et verbales apparaissent après la déception amoureuse assurant ainsi la pérennité d’une présence constante, la voix représentant l’objet aimé.
Cela est encore plus manifeste dans les cas d’érotomanie où l’image de l’être aimé, sous la forme d’une hallucination visuelle, est souvent rencontrée dans la vie quotidienne.
Freud parle de satisfaction « hallucinatoire du désir ».
Quand le nourrisson est confronté au manque de l’objet satisfaisant, quand ses besoins archaïques ne sont pas apaisés (comme la nourriture), alors la représentation de l’objet satisfaisant est activée et investie. Il se produit alors la perception de sa présence dans la réalité et une sensation de plaisir associée.
L’érotomanie et la schizophrénie :
La schizophrénie est la première cause d’érotomanie secondaire dans la littérature, avec une prévalence entre 30 à 40%.
Rudden et al., retrouvent presque la moitié de schizophrénie dans leur étude autour de 80 cas d’érotomanie. De nombreux auteurs la pensent en association avec l’érotomanie.
Phillips et al., 58 choisissent d’inclure une population de 448 patients randomisés et diagnostiqués schizophrènes en Chine. Cette évaluation se faisait à l’aide d’un item portant sur la question érotomaniaque qu’on avait ajouté à l’échelle d’évaluation des symptomes positifs.
Les 42 patients retrouvés finalement qui souffraient d’érotomanie secondaire à la schizophrénie étaient plus souvent des hommes, célibataires, avaient des symptomes négatifs moins grave, une hostilité et des idées de grandeur plus marquees, et un niveau éducationnel moyen.
Les auteurs concluent également que l’occurrence importante retrouvée au sein de cette population chinoise a pu être marquée de l’influence culturelle et liée à une manière indirecte d’exprimer leur intérêt pour les dimensions affectives et sexuelles.

Formes secondaires organiques

Alors que nous associons par habitude l’érotomanie secondaire aux autres troubles psychiatriques, Brüne 42 établit que parmi 246 cas d’érotomanie 5% d’entre eux s’intriquent dans un tableau organique.
Erotomanie et médicaments ou toxiques:
Garcia Toro 69 publie le cas d’un patient traité pour une hépatite C par la mise sous traitement anti viral composé de l’association interféron et ribavirine. Le patient, après quelques jours de traitement seulement, développe des troubles en faveur d’une érotomanie, son objet étant le médecin qui a initié le traitement. Le patient a pour seul antécédent une consommation sevrée d’alcool. Les traitements interféron et ribavirine ont déjà été décrits comme générateurs de symptômes psychotiques 70, et certaines maladies psychiatriques connues représentent une contre-indication partielle de la mise sous traitement rétroviral 71, en évaluant le rapport bénéfice-risque. Le patient étant bon répondeur est maintenu sous traitement pour la VHC, et on introduit l’olanzapine qui permet une accalmie de l’illusion délirante, puis son abrasion.
Adamou et Hale 72 formulent de leur côté des hypothèses autour de la question d’une érotomanie induite par la mise en place de la venlafaxine chez une patiente souffrant de dépression unipolaire récidivante. Une érotomanie survient lors du passage à doses élevées du traitement antidépresseur, et ce, à deux reprises, et les symptômes s’amoindrissent à chaque fois que le traitement décroît.
Pour eux, il s’agirait de l’action dopaminergique en excès de la venlafaxine sur la zone mésolimbique, qui serait à l’origine de la production de symptômes psychotiques, comme décrit également dans le papier de Waldemeir 73 ou celui de Risch 74.
Ce cas ouvre le champ des possibles quant au développement futur de molécules anti dépressives ayant moins d’impact dopaminergique sur le système limbique.
Des formes d’érotomanie s’intriquant dans des tableaux d’alcoolisme chronique sans comorbidité psychiatrique ont également été décrites. 75 La prise en charge addictologique adéquate associée à une psychothérapie permettrait une accalmie des symptômes.
Érotomanie et troubles hématologiques:
Singh et al., 76 présentent le cas d’une érotomanie secondaire complétée d’un syndrome de Frégoli (syndrome du persécuteur désigné), évoluant dans un contexte d’anémie ferriprive (carence en fer) et cobalaminique (carence en vitamine B12).
Seuls quelques cas de présence simultanée d’érotomanie et de syndrome de Frégoli ont été décrits 66,65.
La patiente est une femme de vingt-trois ans, sans antécédent notable. Depuis six mois, elle est convaincue d’être en relation avec un homme qui l’a aimé en premier, mariée avec lui, mais ne sait pas où il se trouve, et qu’il prend la forme de n’importe qui, et que les autres lui ressemblent beaucoup.
Les examens sanguins objectivent l’anémie par carence en fer et vitamine B12. La patiente est mise sous risperidone 6mg, et son anémie corrigée par multi vitamines et l’apport en fer. En une semaine, une fois le taux d’hémoglobine dans le sang normalisé, la patiente n’a plus d’idée délirante. Le traitement neuroleptique est diminué, prolongé à 4 mg jusqu’à six semaines, puis arrêté, sans qu’aucune résurgence délirante ne soit observée.
La carence en vitamine B12 provoque une diminution de la synthèse des mono amines neurotransmetteurs et une destruction neuronale pouvant avoir des conséquences neurologiques et psychiatriques 77.
Quant au fer, il est nécessaire au développement des différents systèmes de neurotransmetteurs (dont dopamine, noradrénaline, et sérotonine) 78 et une étude récente a démontré que les patient  souffrant d’anémie ferriprive présentaient un risque plus élevé de troubles psychiatriques (troubles de l’humeur, troubles du spectre autistique, troubles de l’hyperactivité avec déficit de l’attention) 79
Erotomanie et génétique:
Morali et Bénezech 80 déclinent, dans le cadre d’une expertise pré-sentencielle menée à cause d’un harcèlement sexuel téléphonique, le cas d’une érotomanie secondaire chez un patient atteint du syndrome de Klinfelter.
Ce diagnostic est une anomalie chromosomique qui consiste à l’ajout d’un chromosome sexuel, aussi noté 47 XXY (diagnostiqué par la lecture du caryotype de l’individu). Il s’ensuit ce qu’on appelle un hypogonadisme hypergonadotrope, avec une diminution de la testostérone plasmatique et une augmentation de LH, hormone hypophysaire.
Les manifestations sont dues à cette carence en testostérone : petits testicules mais verge normale, répartition gynoïde de la graisse sous cutanée, grande taille, augmentation des membres, gynécomastie, difficultés érectiles, et une stérilité par azoospermie (signe constant). Les comorbidités les plus fréquentes sont l’ostéoporose, le diabète, les tumeurs médiastinales, cancer du sein. 81 La littérature met également en lumière l’augmentation d’incidence de troubles psychiatriques au sein de la population atteinte du syndrome de Klinfelter 82, variés et non spécifiques, comme la schizophrénie, 83 le délire paranoïaque, le trouble bipolaire, les troubles de la personnalité, les troubles du langage et autistiques 84.
Le patient est âgé de vingt-trois ans lorsqu’on lui diagnostique, devant une dysfonction érectile et une atrophie des testicules, l’anomalie chromosomique. Il est supplémenté par voie intra musculaire de testostérone depuis cet âge.
Il est également hospitalisé quelques jours en psychiatrie cette même période, et le compte-rendu souligne la présence d’éléments délirants, dont certains de la lignée érotomaniaque. Un traitement neuroleptique avait été initié, mais rapidement interrompu, à l’initiative du patient.
Il a quarante-deux ans lors de l’expertise pré sentencielle. Il est sous traitement antidépresseur (miansérine), traitement hormonal (testostérone en intra-musculaire), traitement thyroïdien, traitement anti-diabétique oral, traitement hypocholestérolémiant. Il consomme également de l’alcool de manière régulière, également avant d’appeler cette femme, afin d’en quelque sorte se donner du courage.
Depuis plusieurs mois, il est accusé d’harcèlement sexuel de la même femme par téléphone. Il rapporte un évènement marquant survenu à l’âge de dix-huit ans ; un rapport sexuel avec cette dite femme, prenant des allures assez violentes et bestiales. Depuis cette date, il affirme l’avoir rencontré à de multiples reprises, sans jamais lui parler, mais que, par son style vestimentaire, elle lui adresse des messages. Il connaît des périodes de dépression plus marquées, lorsqu’elle est inaccessible. Perturbé par le fait qu’elle s’éloigne de lui, commencent alors les appels inopinés. Les auteurs reconsidèrent le traitement androgénique pris depuis vingt-cinq ans dans ce double contexte (organique et psychiatrique) avec le souci de réduire le risque potentiel d’hétéro-agressivité ; sachant que les auteurs s’accordent pour dire que le taux de testostérone plasmatique est probablement impliqué dans la survenue de comportements agressifs 85 (sexuels ou non) mais sa seule présence ne suffit pas.
Un cas d’érotomanie secondaire à la suite d’un cas de syndrome du X fragile a également été rapporté par Silva et al., 86. L’X fragile est une maladie génétique chromosomique rare qui atteint les deux sexes et qui peut être associée à un déficit intellectuel léger à sévère et à des troubles du comportement.

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Table des matières

I. Introduction
A. Contexte
B. Méthodologie
C. Annonce de plan
II. Evolution de la pensée
A. Ouverture historique à la maladie d’amour
a. A l’époque Antique
b. « Traité de l’essence et guérison de l’amour »
c. « Traité des passions de l’âme »
B. La littérature psychiatrique française
a. Les auteurs classiques
b. L’érotomanie des délires passionnels
c. Les apports psychanalytiques
d. Les contemporains français
C. Le débat Anglo-saxon
D. L’érotomanie, sa place dans les nomenclatures internationales
a. Classification DSM
b. La CIM (classification internationale des maladies)
E. Représentations de l’érotomanie dans la culture populaire
a. Dans le monde cinématographique
b. L’univers des séries
c. Les romans
d. Au théâtre
III. L’érotomanie et sa clinique
A. Epidémiologie
B. Psychopathologie
C. Les érotomanies pures
D. Les érotomanies mixtes
a. Formes secondaires psychiatriques
b. Formes secondaires organiques
c. Formes liées à l’environnement
E. Pronostic
IV. Les diagnostics différentiels de l’érotomanie
A. Les étapes de la vie amoureuse
a. La passion amoureuse
b. L’adolescence et le flirt
c. La jalousie
B. Le harcèlement
a. Evolution du concept
b. Définition
c. Caractéristiques cliniques
d. Cas particulier du cyberstalking
f. Stalking et intervenants en santé mentale
C. Les déviances sexuelles
a. Le voyeurisme
b. Le fétichisme
D. Les addictions sexuelles
a. Nosologie actuelle
b. Glissement historique entre la nymphomanie et l’érotomanie
E. Les causes psychiatriques
a. Les troubles de la personnalité
b. Les troubles hypomaniaques ou maniaques
c. La mélancolie
d. La schizophrénie
e. Les troubles délirants persistants
F. Les causes non psychiatriques
V. La prise en charge
A. La place de l’institution
a. Le début de la prise en charge
b. Le temps de l’hospitalisation
c. Le suivi en ambulatoire
B. La psychothérapie
a. La psychothérapie individuelle
b. La thérapie à plusieurs
C. Les traitements médicamenteux
a. Les antipsychotiques
b. Les thymorégulateurs
c. Les antidépresseurs
d. Le traitement de fond des maladies causales
e. L’ECT
D. La prévention
a. Primaire
b. Secondaire
c. Tertiaire
VI. Enjeux médico-légaux
A. Ouverture historique aux questions médico-légales
a. L’ordonnance de Zieller
b. Alphonse Portemer
B. Erotomanie, de la dangerosité induite ?
a. Expertises psychiatriques
b. Evaluation de la dangerosité
C. Cas particulier des auteurs de violences sexuelles
a. Les violences sexuelles en quelques chiffres
b. Les violences sexuelles chez l’érotomane
c. Evolution de la législation
d. Les soins pénalement ordonnés pour les auteurs des violences sexuelles
D. Soins en milieu carcéral
a. Soins psychiatriques
b. Soins somatiques
VII. Cas cliniques
A. Monsieur M
B. Monsieur S
C. Madame V
VIII. Conclusion
IX. BIBLIOGRAPHIE

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