L’approche anti-oppression et l’héritage des pédagogies critiques

Genres et sexualités sur les bancs de l’école

Impossible d’aborder la question des rapports de genre à l’école sans prendre en compte le contexte et l’histoire de la mixité en milieu scolaire. En effet, la mixité à l’école est souvent datée des années 1960, mais se construit en réalité progressivement, à partir du XIXème pour des raisons avant tout économiques visant à remplir les classes dans les petites communes (Loi Guizot 28 juillet 1833). Les considérations éducatives liées à l’adaptation des enseignement à cette nouvelle situation de mixité, arrivent quant à elles bien plus tard. Ce sont des réflexions qui viennent nourrir le courant de l’École Nouvelle, notamment. Nombres de ces questionnements s’organisent autour de la question de la co-existence des genres dans le cadre scolaire : faut-il enseigner les mêmes choses aux garçons et aux filles? Comment apprendre aux enfants de sexes différents à se comporter les uns avec les autres ? Évidemment, chaque question contient son poids de morale et de crainte. La mixité est rendue définitivement obligatoire par la loi Haby du 11 Juillet 1975 . Cette décision marque un tournant pour les rapports de genre en milieu éducatif, et coïncide avec un contexte sociétal en pleine évolution.

Depuis la seconde moitié du XXème siècle, un chemin important a été parcouru notamment grâce aux luttes féministes qui ont permis de remettre en questions certaines inégalités liées au genre, tout en théorisant une réflexion scientifique en soutien de ces luttes. À la fin des années 1970, l’entrée des études de genre dans le milieu universitaire par différents champs des sciences sociales a permis d’offrir davantage de visibilité et d’autorité à une pensée déjà développée dans les milieux militants concernés (féministes, gay, lesbien, trans). Depuis, les travaux de théorisation et les combats sociaux pour la reconnaissance des droits des femmes et des minorités de genre se poursuivent à travers les efforts de plusieurs générations de luttes féministes et LGBT+ pour l’accès à l’égalité. Sur ce long chemin, on trouve un certain nombre de victoires (dépénalisation de l’homosexualité, accès aux mariages pour les couples de même sexe, droit à la contraception, etc) aujourd’hui admises. Il ne s’agit pas ici de proposer une rétrospective historique, ni de détailler les avancées et les reculs qui ont jalonné l’évolution de la visibilité de ces sujets. En revanche, il est indispensable d’avoir une conscience globale de l’impact des avancées sociétales sur les questions de genre et de sexualités. Tout d’abord, parce qu’il s’agit justement d’une question de société dont la prise en charge dans le cadre scolaire se fait aussi en réaction aux temps forts de l’actualité. Mais aussi, afin de comprendre que les adolescent e s d’aujourd’hui évoluent dans une réalité où ces ⋅ ⋅ questions sont davantage prises en compte. Certains, notamment parce qu’il elle s ⋅ ⋅ sont directement concerné e s sont même très bien informé e s. Pour autant, et ⋅ ⋅ ⋅ ⋅ comme cela a été évoqué dès l’introduction, ce sont des sujets qui se heurtent à de nombreux tabous lorsqu’on essaie de leur faire passer les portes de l’école. Afin de prendre conscience de la porosité des relations société-école sur ce sujet, il suffit d’observer la prise en charge institutionnelle des discriminations liées aux stéréotypes de genre et à l’orientation sexuelle dans les dernières années.

Au début du XXème siècle, le sujet de « l’éducation sexuelle » émerge dans trois domaines : la médecine, l’Église, et le féminisme . Pourtant, l’éducation à la sexualité ne fait pas d’entrée officielle à l’école avant l’année 1973, grâce à la circulaire Fontanet . Cette circulaire préconise des séances facultatives, hors emploi du temps d’« information sur la sexualité » et de moralité. Depuis cette première ouverture qui a permis d’institutionnaliser la nécessité d’aborder les sexualités à l’école, on peut relever différents jalons qui ont marqué des avancées (mais aussi des reculs). Comme on pourra l’observer, ces jalons s’ancrent toujours sur un terrain sociétal et légal plus ou moins propice :

➢ Années 1980 : la dépénalisation de l’homosexualité en 1982 , puis la vague d’épidémie de VIH-SIDA offrent une nouvelle visibilité médiatique à la communauté homosexuelle, qui ne va pas sans une vague d’homophobie et de panique sanitaire. Ce contexte de tensions donne lieu, en 1985, à la publication d’une nouvelle Circulaire, la Circulaire Chevènement , qui rend obligatoire l’éducation à la sexualité afin de répondre au besoin grandissant de prévention des risques.
➢ Début des années 2000 : La loi de 2001 relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception  contient un article visant à imposer trois séances « d’information et d’éducation à la sexualité » par an dans tous les établissements. La  Circulaire du 17 Février 2003 officialise la mise en place de ces heures. Mais surtout, elle présente cette éducation comme « une composante essentielle de la construction de la personne et de l’éducation du citoyen. »  . De plus, l’aspect transversal y est souligné, en insistant explicitement sur le rôle de « Tous les personnels, membres de la communauté éducative, participent explicitement ou non, à la construction individuelle, sociale et sexuée des enfants et adolescents. ».
➢ À partir de 2010 : Des débats importants sont déclenchés par l’introduction de la notion de genre dans les manuels de SVT, puis renforcés par la tentative de mise en place du dispositif pédagogique inter-ministériel ABCD de l’égalité en 2013. Cette même année, l’adoption du projet loi ouvrant le mariage et l’adoption au couple de même sexe déclenche d’importantes manifestations homophobes. Les débats, trop nombreux et trop violents donnent lieu à des boycotts de la part de certains parents d’élèves qui conduisent à l’abandon du projet ABCD de l’égalité . En 2014, le plan d’action pour l’égalité fille-garçon le remplace qui entend notamment fournir des ressources et outils au personnel enseignant. C’est dans cette vision de l’éducation contre les stéréotypes de genre que s’inscrit la convention inter-ministérielle encore en vigueur aujourd’hui (2019-2024).

Le dernier dispositif d’éducation à la sexualité date de 2018, et s’inscrit dans la continuité de la circulaire de 2001. Fait marquant, c’est le premier texte institutionnel qui contient une mention explicite du thème des orientations sexuelles. Sa publication coïncide avec la décision de l’OMS de procéder au retrait de la transidentité de la liste des maladies mentales . D’ailleurs cette nouvelle circulaire donne lieu à une campagne de qui s’engage dans « la lutte contre l’homophobie et la transphobie à l’école » dès la rentrée 2019, accompagnée par un Vademecum sur lequel les équipes éducatives peuvent s’appuyer.

Cette chronologie des jalons de la prise en compte des sexualités, mais également des identités de genre par le système éducatif, permet d’observer une évolution notable depuis la fin du siècle dernier. On voit aussi que le cadre institutionnel se construit en s’adaptant aux avancées sociétales, mais rencontre toujours des obstacles à différents niveaux, générés notamment par une vision persistante de « l’école-sanctuaire »  qu’il faudrait préserver des problématiques sociales en cours. Enfin, ce qui ne peut être observé ici, mais qui l’est régulièrement sur le terrain, c’est la difficulté de mettre en œuvre des actions porteuses de sens au quotidien, et notamment pour les personnels éducatifs qui ne se sentent pas suffisamment (in)formés sur ces questions. C’est une réalité que Gabrielle Richard souligne dans son ouvrage et qu’elle déplore au regard de l’importance que peut avoir l’enseignant e dans son rôle d’exemple, et de miroir. Certain e s enseignant e s s’auto-forment parce que leur propre identité de genre, et/ou leurs attirances sexuelles/amoureuses les y ont amené e s, et leurs regards sont particulièrement ⋅ ⋅ importants, précisément pour ces raisons. Pour autant, ils et elles ne peuvent pas être les seul e s à faire ce travail et à jouer ce rôle auprès des élèves, dans la ⋅ ⋅ mesure ou il se rapporte à des compétences arrêtées comme communes par le référentiel de 2013.

L’approche anti-oppression et l’héritage des pédagogies critiques

Les pédagogies critiques sont des pédagogies dites de « transformation sociale » qui se sont développées à partir des réflexions du fondateur Paulo Freire (1921-1997), suivi de près, dès les années 1980 par la pédagogie engagée de l’intellectuelle féministe afro-américaine bell hooks . Le travail du pédagogue Célestin Freinet (1896-1966) est également régulièrement rapproché du courant critique. Aujourd’hui, et particulièrement en France, elles sont souvent confondues avec les pédagogies dites alternatives. Pourtant, elles nourrissent d’autres ambitions puisque leur approche se fonde sur une volonté de prise de conscience des inégalités et des oppressions visant une remise en cause de celles-ci. Si on en parle au pluriel, c’est que la démarche initiale a donné lieu à une variété de courants qui se focalisent sur différentes formes d’oppressions. C’est pourquoi, on peut également retrouver la formulation « pédagogie anti-oppression », ou « anti-oppressive ». Dans l’ouvrage collectif Les Pédagogies critiques dirigé par Irène Pereira en 2019, cette approche pédagogique est définie comme suit :

La pédagogie anti-oppression vise à faire prendre conscience à chacun et chacune de sa place dans les différents systèmes de privilèges et d’oppression afin de prendre conscience des privilège dont il ou elle bénéficie et des oppressions mises en œuvre souvent inconsciemment. (2019, p. 17)

Les discriminations liées au genre et à l’orientation sexuelles sont le fruit d’oppressions reposant sur une norme établie. Dans les pays scandinaves, l’héritage des pédagogies critiques a donné naissance à un courant dont on pourrait traduire le nom en « pédagogie critique de la norme », et qui s’inscrit en réaction à la pédagogie dite « de la tolérance », en centrant son approche sur la conscientisation des privilèges et la remise en question de la définition de la norme par la majorité. Dans ce courant de réflexion sur le poids de la norme dans le système éducatif, on compte également des pédagogies féministes, et des pédagogies queer qui perçoivent l’éducation comme l’un des principaux leviers d’action contre la banalisation du sexisme, de l’homophobie, ou de la transphobie. De plus, la pédagogie queer intègre également la lutte pour l’inclusion des personnes en situation de handicap en se reposant sur des oppressions communes liées au poids des normes sociales, mais aussi à la pathologisation et la médicalisation subies par les deux communautés (personnes LGBT+ et personnes en situation de handicap). Les pédagogies féministes et queer travaillent à restructurer l’espace scolaire, que ce soit l’espace physique par un travail sur l’accessibilité des lieux, ou l’espace intellectuel en travaillant notamment à « dégenrer »  le langage pour le rendre plus inclusif. L’objectif de ces pédagogies vise la déconstruction par l’éducation de la norme dominante sur laquelle se construisent encore largement les espaces, les programmes, les relations, afin de reconstruire un cadre éducatif suffisamment accueillant et sécurisant pour tous les élèves.

En tant que professeure-documentaliste, et qui plus est en tant que personne queer, je perçois les différents axes de mes missions comme des leviers d’actions pour lutter contre les discriminations liées au genre et à l’orientation sexuelle/amoureuse au sein de mon établissement. Par conséquent, je fais l’hypothèse que cette posture, en plus de soutenir un rapport bienveillant, me permettra de mettre en place une diversité d’actions dans mon quotidien professionnel, et que celles-ci favoriseront une meilleur prise en compte des discriminations liées au genre et à l’orientation sexuelle/amoureuse au sein de l’établissement. Je fais également l’hypothèse que la lutte contre les discriminations nécessite une remise en question des normes qui les génèrent et que cette posture ouvre un espace pour cette critique à travers des échanges ou des activités avec les élèves.

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Table des matières

DÉFINITIONS DES TERMES / ÉCRITURE INCLUSIVE
INTRODUCTION
CADRE DE L’ÉTUDE
I.Genres et sexualités sur les bancs de l’école
II.L’approche anti-oppression et l’héritage des pédagogies critiques
1. Le CDI, lieu-ressource bienveillant et sécurisant pour tous et toutes au sein de l’établissement
1.1. Éviter la mise en genre : penser et adapter le langage dans le cadre de l’accueil au CDI
1.2. Inscrire la diversification des représentations dans la politique documentaire
2. Enseigner contre la reproduction des schémas oppressifs
2.1. Accueillir les réactions oppressives : combiner l’outil de l’inconfort et le cadre de l’activité de recherche informationnelle au cours d’une séance d’EMC
2.2. L’Exercice d’inversion : renverser la norme pour déconstruire les stéréotypes de genre dans un court-métrage
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES

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