Genèse des approches sensibles dans la conception de l’urbain et définitions

Genèse des approches sensibles dans la conception de l’urbain et définitions

La question du sensible : apparition et mise en œuvre dans la conception de l’urbain 

La question du sensible dans la conception urbaine est une appellation récente, qui est apparue et s’est développée principalement au cours du XXème siècle. Le sensible se révèle par la naissance de deux questionnements : la question des stimulations sensorielles d’une part et la question de la prise en compte des sentiments dans la société moderne d’autre part. Selon Benoit Feildel ; « La sensibilité renvoie à deux dimensions spécifiques bien qu’en réalité indissociables. L’une typiquement sensorielle, qui relève de la sensation et des fonctions physiologiques, autrement dit, qui concerne le fonctionnement de l’organisme, sa capacité à réagir, par les cinq sens, aux stimulations, aux sensations, qu’exerce sur nous le monde extérieur – c’est le senti. L’autre dimension de la sensibilité, renvoyant de la sorte au domaine de l’affectivité, concerne quant à elle la dimension psychosociologique de l’activité sensible – c’est le ressenti. » Chaque dimension accordée à la question du sensible sera étudiée par les chercheurs dans le cadre de la nouvelle société du XXème siècle, plus urbaine, révélant la question des sens en ville et du vivre ensemble. Dans un premier temps, la prise en compte des sens, d’un point de vue scientifique, a commencé dès le 18ème siècle avec les sensualistes selon Théa Manola, suivi de la phénoménologie. Ces théories étudient ; pour la première, les sensations comme origine des connaissances ; pour la deuxième, l’expérience vécue par un sujet. Au cours du XXème siècle, c’est l’anthropologie qui s’y intéresse, plus spécifiquement à l’histoire des sensibilités avec Alain Corbin (1982) et Lucien Febvre, suivie de la géographie, la psychologie ou encore les neurosciences. Il arrive donc, avec ces travaux, que soit mêlé au terme de « sens » le « sujet de la ville » ou de l’« espace habité » . En revanche, la question sensorielle reste, aujourd’hui, employée pour ses aspects négatifs, avec la question des pollutions ou nuisances sonores en ville, et donc très peu traitée par les chercheurs ou praticiens de la conception urbaine. Elle est, enfin, le précurseur de la problématique des émotions dans le cadre urbain. Les expériences sensorielles sont vues comme créatrices d’émotions et de sentiments chez l’usager d’un espace.

Dans un deuxième temps vient la question des émotions et de la prise en compte des sentiments dans nos sociétés modernes. En effet, selon les travaux d’Eva Illouz (2006), professeur de sociologie, la prise en compte des sentiments nait avec les nouveaux modes de vie que créent le capitalisme, ainsi qu’avec l’apparition de l’individualisme, de nouveaux modes de travail et de la question de la vie urbaine. Cette problématique se développera tout au long du XXème siècle par le biais des mouvements ayant créé notre société moderne.

« A l’insu de leurs auteurs, les grandes analyses sociologiques de la modernité multiplient les références aux sentiments, à défaut d’en proposer une théorie explicite. » (Illouz, 2006) En effet, le capitalisme révèle la nécessité de l’écoute des sentiments et des émotions des employés pour qu’ils soient efficaces dans leur travail, avec pour volonté de créer un lien affectif avec l’entreprise. De là vient la nécessité dans l’entreprise d’avoir des spécialistes comme des psychologues. La naissance de la psychologie ne sera cependant pas la seule à aider à la prise en compte des sentiments et des émotions dans les sociétés modernes. Deux autres mouvements en seraient la cause: le mouvement féministe et la démocratie. La finalité des études sociologiques traduit le fait que la prise en compte des sentiments et des émotions de la société réside dans la communication. « Trois discours, le discours thérapeutique, le discours du management et le discours féministe, unis par des liens étroits, ont fourni les arguments et les méthodes qui ont chassé les sentiments du royaume de la vie intérieure pour les mettre au centre du moi et de la sociabilité sous la forme d’un modèle culturel dominant : le modèle de la communication. » (Illouz, 2006) .

A travers la communication, l’objectif est de comprendre les sentiments individuels, de les interpréter et de les contrôler. Cette question renvoie à l’objectif d’uniformisation des émotions et des liens affectifs de l’individu avec la société. On en vient alors à la question urbaine, la ville étant le lieu de socialisation, créatrice de stimulations nerveuses et de relations affectives selon G. Simmel (1903). Il apparait ainsi de nouvelles préoccupations dans la vie économique mais aussi dans la conception de la vie urbaine. Ces questionnements sont repris plus clairement lors du IXème Congrès International d’Architecture Moderne en 1953 où l’idée de ville sensible se concrétise. La jeune génération d’architectes et d’urbanistes choisit de remplacer la ville fonctionnelle de la Charte d’Athènes par des approches plus surprenantes, plus sensibles. En effet, les chercheurs tendent à s’intéresser à la ville comme à un objet habité : « L’intérêt pour le quotidien et sa spatialisation amène architectes et urbanistes à se pencher sur les phénomènes d’appropriation des espaces par leurs habitants – en d’autres termes, la manière dont ceux-ci le transforment en un lieu familier. » (Marie, 2013). On s’intéresse alors aux récits des habitants, c’est-à-dire à leur vécu dans leur ville, leurs expériences et ce qui fait leur lien affectif à la ville. On met alors en place des méthodes permettant de révéler ce récit, de les faire s’exprimer au sujet de leur ville. Denis Martouzet décrit plutôt bien ce procédé, et le rôle que peut jouer le langage employé pour décrire une ville par son usager :

« On rencontre ici ou là des amoureux de la ville qui, chacun à leur manière, tentent, avec plus ou moins de bonheur, de décrire « leur » ville et les sentiments qu’elle leur inspire, les émotions qu’elle provoque, les attentes dont elle fait l’objet. Demander aux gens de parler de la ville les amène quasiment systématiquement à opter pour un mode affectif. Telle personne décrira les ambiances, les lumières, les couleurs, « un petit pan de mur jaune », telle autre de ses rencontres avec un bâtiment, avec une personne, avec un petit coin de paradis qui prend la forme d’une arrière-cour, d’une placette, d’un souvenir de vacances ou d’enfance. Celle-là évoquera sa relation à la ville et l’un des plus beaux discours qui nous ait été donné à entendre a été celui d’une personne qui affirmait aimer – au sens fort – la ville, en l’occurrence Grenoble, mais sans pouvoir ni vouloir y habiter de façon continue. » (Martouzet, 2013)

Aujourd’hui, la question du sensible en urbanisme est un objet de recherches de plus en plus important. Les termes d’ « approches sensibles » apparaissent, révélateurs de nouvelles méthodes de conception urbaine. En effet, l’importance de ces approches apparait notamment avec la création de réseaux scientifiques comme Ambiances.net qui traitent de la question des sens en ville ainsi que par la multiplication de publications et d’ouvrages sur le sujet. De nouveaux termes apparaissent comme ceux de « rapport affectif à la ville », Feildel (2013) ; de « ville aimable », Martouzet (2013) ; de « ville charnelle », Thomas (2007) ; de « paysages multisensoriels », Manola (2012) ; ou d’ « urbanisme sensible », Feildel (2013).

Toute une théorie voit le jour aujourd’hui, proposant une définition de ces nouvelles approches, des méthodologies de conception plus sensibles de la ville. Avec l’idée de « percevoir la ville », les concepteurs et acteurs de la création de la ville ont l’envie de créer des projets jouant avec les sens et la création d’émotions. On voit alors apparaitre des projets urbains ayant une entrée sensorielle spécifique, jouant sur le toucher, l’ouïe, la vue – comme par exemple dans le cas des transports en commun. On trouve, par exemple, le tramway de Tours avec ses jeux sur les couleurs, le bien-être, les sons et l’art ; ou de nouvelles stations de métro comme dans le cas d’une station hambourgeoise, celle de l’université d’Hafencity, jouant chaque heure avec les lumières et les musiques d’ambiances.

L’aspect sensoriel est, de par le fait, plutôt bien pris en compte, son objectif principal étant de rendre la ville agréable, de la considérer comme un élément perçu, où l’on se sent bien. Mais si cet aspect est traité dans la conception du projet par les ambiances, l’idée des approches sensibles en urbanisme est loin de s’arrêter là. La création de la ville est, en effet, directement liée aux personnes qui vont être acteurs de sa perception. Selon Théa Manola, les approches sensibles ou sensorielles réfèrent aux sens révélés par les habitants de la ville et par leur interprétation de l’espace ressenti : « Par le biais de cette approche sensorielle de l’urbain, il s’agit de s’intéresser aux processus quotidiens et aux pratiques ; d’articuler les registres (sensoriels, spatiaux, sociaux, voire politiques) de l’expérience urbaine ; d’analyser l’emprise de la ville sur le corps et les affects ; de s’intéresser alors aussi et surtout aux personnes, habitants de cette ville, à leurs sentirs, ressentirs et aux significations de ceux-ci… à leur sensible. » (Manola, 2012) .

Le sensible et l’urbanisme : des champs interdisciplinaires

Tout d’abord, si l’urbanisme sensible n’est qu’un concept idéologique, qu’une étudiante en urbanisme traduit par « La création de la ville par ses émotions » , les approches sensibles sont considérées, dans la théorie, comme des méthodes concrètes pouvant conduire à une façon idéologique de concevoir la ville. Ma recherche se concentrera davantage sur les approches sensibles dans la conception de projets urbains et la définition qu’apportent les acteurs de la formation à la conception de la ville à ce type d’urbanisme.

Mais, avant d’en arriver là, toute la difficulté réside dans la définition du terme sensible, et en particulier lorsqu’il est appliqué à l’espace. En effet, nous l’avons vu précédemment, la sensorialité et l’émotionnel sont les deux dimensions associées à la question du sensible, et elles sont pour autant indissociables. Mais, que peut-on en déduire lorsque l’on parle d’émotions en ville, ou de sens en ville ? Comment la question des sens ou des sentiments peut-elle être reliée à la question de la conception de l’urbain ? Quelles sont, en plus de celles exprimées dans la théorie des dernières décennies, les dimensions à prendre en compte, en résonnance à la définition du « sensible » ?

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Table des matières

Introduction
I. Genèse des approches sensibles dans la conception de l’urbain et définitions
a) La question du sensible : apparition et mise en œuvre dans la conception de l’urbain
b) Le sensible et l’urbanisme : des champs interdisciplinaires
i) Quelles définitions d’une approche sensible ? Un mot polysémique, et une traduction qui diverge en allemand
ii) L’urbanisme et sa pluridisciplinarité : comment qualifier un projet urbain réalisé avec une approche sensible ?
c) Les approches sensibles et l’enseignement à la conception urbaine
II. Méthode d’enquête et contexte particulier
a) Cadre d’étude : deux pays pour deux types d’enseignement
i) L’Allemagne et la France ou deux façons de concevoir la participation habitante
iii) Les formations et les professions à la conception urbaine
b) Profil des personnes interrogées
c) L’entretien comme protocole d’enquête
III. Résultats : Le sensible vu par les acteurs de la formation à l’urbanisme et à l’architecture
a) L’analyse du territoire pour une meilleure sensibilité du professionnel
i) La sensibilité et le sujet qui ressent : existe-t-il un territoire objectif ?
ii) L’affect et son rôle dans la conception de l’urbain : quelle considération de l’habitant ?
iii) Comment l’urbanisme peut-il prendre soin des individus ?
b) L’approche sensible en architecture par la sensibilité du concepteur
i) Le rôle des sens : pour une meilleure perception de la ville et des ambiances urbaines
ii) L’expérience esthétique et sa place dans la conception de l’urbain
iii) La communication et la représentation pour l’acceptation des projets : l’instrumentalisation de l’affect ?
Conclusion
Le rôle de la formation dans la conception de la ville
Quel rôle pour le professionnel dans une approche sensible de la ville ?
Bibliographie
Annexes
Annexe 1 : Tableau d’analyse des entretiens
Annexe 2 : Le sensible et l’urbanisme : schéma mental
Annexe 3 : Les trames d’entretien en anglais et en allemand
Annexe 4 : Entretiens retranscris

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