Friction de gouttes en mouillage nul

Lorsqu’une goutte en caléfaction est déposée sur une surface, la moindre pente la met en mouvement, et la friction qui s’oppose au mouvement d’une telle goutte est très faible, comme le montre la distance considérable, généralement supérieure à la taille de la pièce, nécessaire pour observer l’arrêt d’une goutte d’azote liquide lancée sur le sol. Au cours de ce chapitre, l’origine de ces forces de frottement sera étudiée, et on tentera de les mesurer.

Le phénomène de caléfaction 

Lorsqu’on cuisine des pâtes, on assiste à un changement net de comportement lorsque l’eau se met à bouillonner, rompant ainsi avec son aspect banal. Une autre surprise attend l’étourdi qui laisserait l’eau de cuisson déborder : l’eau cesse de bouillir sur la surface pourtant brûlante des plaques chauffantes, et retrouve son aspect lisse et paisible. Encore plus étonnant, les gouttes ainsi formées sont extrêmement mobiles et glissent sur leur support. De plus, elles gardent une forme ronde au lieu de s’étaler comme elles le font sur la même surface lorsqu’elle est froide. Enfin, elles sont silencieuses, alors que les gouttes crépitent et sifflent lorsqu’elles bouent. Ces nettes différences de comportement sont d’ailleurs à l’origine d’une astuce culinaire pour la préparation des crêpes : on jette une goutte d’eau dans la poêle ; si elle bout, c’est qu’il faut encore attendre avant d’y mettre la pâte. Au contraire si l’eau glisse silencieusement sur la poêle à crêpes, c’est que cette dernière est assez chaude.

Définition

Ces observations de physique dans la cuisine sont générales : si une goutte d’un liquide volatil est déposée sur une surface chaude, différents comportements sont observés suivant la température. A température ambiante et tant qu’on reste en dessous de la température d’ébullition du liquide, le liquide s’évapore lentement dans l’air sec, sur des durées très supérieures à la minute. Plus la température est élevée, plus l’évaporation est rapide, jusqu’à ce que le liquide se mette à bouillir (Figure 1.1(a)), ce qui réduit considérablement le temps de vie de la goutte. Cependant, à une température nettement supérieure à la température d’ébullition, on observe un nouvel état de la goutte, qui ne bout plus. Elle ne s’étale pas sur la surface, et en regardant de côté, il est possible de distinguer un mince film de vapeur sous le liquide (voir figure 1.1(b)). On parle alors d’état de Leidenfrost, ou de caléfaction. Une propriété remarquable de cet état est la grande mobilité du liquide : il se met en mouvement au moindre courant d’air ou à la moindre inclinaison du substrat. De manière plus quantitative, on s’aperçoit que contrairement à l’intuition, le temps de vie de la goutte ne fait pas que diminuer avec la température. En dessous de la température d’ébullition, il diminue bien lorsque la température augmente, et un comportement semblable est aussi observé à très haute température. Entre les deux, il existe un régime dans lequel le temps de vie de la goutte augmente avec la température (Figure 1.2, d’après [HB04]). Le maximum est atteint pour une certaine température, appelée « température de Leidenfrost ». Cette température dépend de nombreux paramètres  , et correspond à l’apparition du film de vapeur sous la goutte qui, bien que très mince (épaisseur de l’ordre de 50 μm), l’isole thermiquement et physiquement du solide chaud, ce qui explique à la fois la longue durée de vie de la goutte et sa grande mobilité. On peut enfin noter que ce phénomène n’est pas restreint aux liquides, puisqu’on peut aussi l’observer avec des solides en sublimation, comme par exemple la carboglace [LLMCQ11].

Histoire et contexte scientifique

Lors de la fabrication de nombreux matériaux comme les métaux ou le verre, réaliser une trempe permet d’améliorer les qualités mécaniques du solide. La méthode la plus accessible pour effectuer ce refroidissement rapide est de plonger le matériau à haute température dans de l’eau et il est donc probable que la caléfaction ait été observée dès l’apparition de la métallurgie. Selon Curzon [Cur78], le premier rapport scientifique à ce sujet est à attribuer à Boerhaave en 1732, qui fait remarquer qu’une goutte d’éthanol placée sur du fer porté à incandescence ne s’enflamme pas mais forme un globule qu’il compare à du mercure pour sa mobilité [Boe54]. Il note également que la goutte disparait très rapidement lorsqu’elle atteint une zone plus froide qui provoque son ébullition. Près d’un quart de siècle plus tard sont publiés les travaux de celui qui va donner son nom au phénomène, le docteur allemand Leidenfrost qui observe également ce phénomène avec des gouttes d’eau dans des cuillères portées au rouge [Lei56, Lei66]. L’histoire a retenu son nom plutôt que celui de Boerhaave grâce aux études quantitatives que Leidenfrost mène, en particulier sur la durée de vie de gouttes d’eau. A cause du manque de précision de ses thermomètres pour les hautes températures [GLB66], il estime que la durée de vie croît avec la température et propose même d’utiliser ce protocole pour mesurer la température d’un corps. Par ailleurs, en observant la flamme d’une bougie par dessous la goutte, il montre aussi l’existence du film de vapeur sous-jacent.

Ce résultat est confirmé en 1841 par les expériences de Poggendorff qui établit l’existence d’un isolant électrique entre la goutte et son substrat chaud [GLB66], ainsi que quelques années plus tard par Boutigny [Bou47]. Ce dernier dépose des gouttes de différents acides forts sur des plaques de cuivre chauffées. Il montre ainsi qu’en caléfaction, il n’y a pas de contact avec le substrat chaud puisque l’acide n’attaque pas la plaque. A cause de la nette différence de comportement entre caléfaction et ébullition, Boutigny défend l’idée qu’il s’agit d’un nouvel état de la matière, qu’il nomme « état sphéroïdal » (ou « ellipsoïdal », pour les volumes plus importants), un terme qui va rester employé pendant plus d’un siècle. Il y consacre d’ailleurs de nombreuses expériences comme celle décrite dans la figure 1.3(a) : en laissant refroidir une coupelle contenant une goutte d’eau en caléfaction, il observe une violente ébullition qu’il commente non sans humour : « Dans cette expérience, nous avons résolu ce singulier problème : étant donné un vase, le remplir d’eau sans qu’il soit mouillé, et la faire bouillir en refroidissant ce même vase »  . Parmi ses résultats, il montre que la caléfaction peut être obtenue avec de nombreux liquides, et met en évidence que la durée de vie d’une goutte diminue alors avec la température. Il mesure une température de 96.5◦ à l’intérieur d’un volume d’eau en caléfaction, légèrement inférieure, donc, à la température d’ébullition de l’eau et estime pour cette raison que la goutte dans cet état ne respecte pas la loi d’équilibre de chaleur avec son substrat nettement plus chaud. Il faut attendre plus d’un siècle pour voir apparaître les premiers modèles analytiques expliquant la caléfaction. Le premier modèle partant du premier principe de la thermodynamique (en particulier de l’équilibre de chaleur) est proposé par Gorton [Gor53] en 1953. Il suppose en revanche un écoulement potentiel sous la goutte, erreur corrigée par la suite, en particulier par Gottfried et al. [GLB66].

Le lien entre expériences de laboratoire et manifestations courantes de la caléfaction est présent depuis l’époque de Boutigny [Bou47] : il présente une expérience, où la vapeur brutalement dégagée par une goutte qui entre en ébullition fait sauter un bouchon (figure 1.3(b)) et relie cette expérience à l’explosion de chaudières de machines à vapeur. Il attribue ces accidents meurtriers et fréquents au XIXème siècle à la grande quantité de gaz dégagée par l’ébullition brutale d’une masse d’eau quittant l’état de Leidenfrost, que ce soit à cause de l’ajout d’une quantité importante d’eau froide, ou à cause de la diminution de la température de la chaudière. Il préconise de surveiller les écarts de température entre le liquide et la vapeur pour détecter un état de Leidenfrost et éviter l’explosion qui en découle. Ce problème reste actuel, afin d’éviter l’explosion de chaudières lorsque par exemple, elles sont par erreur chauffées à vide. Plus généralement la caléfaction est un phénomène à éviter lorsqu’on veut refroidir efficacement une surface chaude, comme par exemple dans des centrales thermiques ou nucléaires. En effet, le film de vapeur qui s’intercale limite les échanges thermiques à de la diffusion dans le gaz. Ils sont alors bien moins efficaces que lors de l’ébullition où les effets du contact direct avec le liquide et de la convection par les bulles sont combinés. Au-delà d’un problème d’optimisation de la puissance dissipée, il s’agit aussi d’éviter la dégradation des surfaces pendant la « crise d’ébullition », c’est-à-dire au cours de la transition de l’ébullition à la caléfaction : lors de la formation du film de vapeur, le transfert thermique entre la surface et le bain diminue brutalement , et la température de la surface augmente rapidement si on ne contrôle pas l’énergie thermique dégagée, ce qui peut même conduire localement à sa fusion [NB99].

Les recherches récentes ont aussi porté sur les propriétés de mouillage particulières de l’état Leidenfrost. Une goutte en caléfaction ne mouille absolument pas la surface, ce qui a permis à différentes équipes [BCC+06, KF00] d’étudier le rebond d’une goutte sur un substrat au dessus de la température de Leidenfrost (voir figure 1.4(b)). La présence d’un film d’air sous la goutte réduit considérablement la friction entre la goutte et son substrat. Linke et al. [LAM+06] ont exploité cette propriété en texturant le substrat pour rectifier l’écoulement de vapeur sous la goutte, et ont ainsi obtenu une force de propulsion qui, bien que faible, est suffisante pour mettre en mouvement la goutte. Vakarelski et al. [VMCT11] ont montré récemment que la trainée d’une sphère tombant dans un liquide peut être très nettement réduite (d’un facteur 5 !) lorsqu’elle est chauffée au dessus de la température de Leidenfrost. Cela est dû au film de vapeur alors présent autour de la sphère qui modifie la surface au contact du liquide et provoque la crise de trainée à un nombre de Reynolds beaucoup plus bas. Enfin, encore plus proche de notre étude, Le Merrer et al. [LMCQ+11, LM10] ont décrit la décélération de gouttes en caléfaction sur des surfaces solides, afin de les comparer à des mesures de friction sur un bain liquide.

Quand une goutte fait son film

Les gouttes en caléfaction sont isolées de leur substrat par un film de vapeur, ce qui leur confère leur longue durée de vie, ainsi que leur mobilité. Elles sont donc non mouillantes, pareilles à celles décrites en introduction. Pour s’en convaincre, on peut regarder comment le rayon équatorial de la goutte varie avec son volume Ω . Les résultats expérimentaux d’A.-L. Biance [HB04] montrent que le comportement observé est très proche des propriétés en mouillage nul, à savoir une loi R ∝ Ω 1/3 pour des gouttes petites devant la longueur capillaire (R ≪ a), et une relation R ∝ Ω 1/2 pour les grosses gouttes. Les gouttes adoptent donc une forme sphériques lorsqu’elles sont petites ; lorsque les effets de la gravité  se font sentir (c’est-à-dire lorsque le rayon atteint la longueur capillaire), elles prennent une forme de galette, d’épaisseur constante 2a.

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Table des matières

Introduction
1 Interfaces mobiles
2 Capillarité et mouillage
3 Anatomie d’une goutte non mouillante
I Friction de gouttes en mouillage nul
1 Caléfriction
1.1 Le phénomène de caléfaction
1.1.1 Définition
1.1.2 Histoire et contexte scientifique
1.1.3 Quand une goutte fait son film
1.2 Friction d’un solide en caléfaction
1.2.1 Dispositif expérimental
1.2.2 Résultats
1.2.3 Discussion
1.3 Gouttes en caléfaction
1.3.1 Mesure des forces
1.3.2 Deux régimes différents
1.3.3 Quelques remarques
1.3.4 Caléfaction double
1.4 Bilan sur la friction en caléfaction
2 Friction sur un substrat superhydrophobe
2.1 L’effet lotus
2.1.1 De l’hydrophobie à la superhydrophobie
2.1.2 Surfaces naturelles et artificielles
2.1.3 Dynamique sur des surfaces superhydrophobes
2.2 Dévalement d’une goutte
2.2.1 Une expérience galiléenne
2.2.2 Préparation et caractéristiques des substrats
2.2.3 Résultats expérimentaux
2.3 Modèles de friction
2.3.1 Ordres de grandeur
2.3.2 Dissipation visqueuse sur le sommet des textures
2.3.3 Goutte qui roule
2.3.4 Dissipation dans l’air sous-jacent
2.3.5 Couche limite visqueuse
2.4 Bilan
2.4.1 Modèle à deux couches
2.4.2 Diagramme de phase
2.4.3 Comparaisons
2.4.4 Limites du modèle
2.5 Conclusion
3 Friction de gouttes enrobées
3.1 Gouttes et grains hydrophobes
3.1.1 La nature aussi joue aux billes
3.1.2 Naissance et stabilité d’une interface composite
3.1.3 Billes liquides
3.2 Formation de gouttes enrobées
3.2.1 Ingrédients
3.2.2 Préparation de la goutte
3.2.3 Formes statiques, répartition des grains
3.3 Dynamique
3.3.1 Préliminaires : dévalement d’une goutte visqueuse
3.3.2 Gouttes peu visqueuses
3.3.3 Modèle de couche limite
3.3.4 Influence des grains
3.4 Friction de gouttes non mouillantes : bilan
3.4.1 Gouttes enrobées
3.4.2 Superhydrophobie et gouttes enrobées
3.4.3 Dissipation à des interfaces variées
II Dynamiques de fronts
4 Conditions d’imprégnation d’une poudre
4.1 Prologue .
4.1.1 Imprégnation de milieux poreux
4.1.2 La montée capillaire
4.1.3 Des liquides et des grains
4.2 Imprégnation de grains : cas monodisperse
4.2.1 Méthodes expérimentales
4.2.2 Angle critique d’imprégnation
4.2.3 Description théorique
4.3 Polydispersité
4.3.1 Exemple élémentaire de polydispersité
4.3.2 Dispositif expérimental
4.3.3 Modélisation
4.4 Forçage hydrostatique
4.4.1 Observations expérimentales
4.4.2 Un peu de théorie
4.4.3 Comparaison avec l’expérience
4.5 Défauts dans l’empilement
4.5.1 Mesures de compacité
4.5.2 Interprétation
4.6 Conclusion
5 Erosion de sols hydrophobes
5.1 Différents mécanismes d’érosion
5.1.1 Transport éolien et sédimentaire
5.1.2 Du tas au château de sable
5.1.3 Egrainer par des grains
5.1.4 Sols hydrophobes et gouttes enrobées
5.2 Erosion d’une goutte
5.2.1 Lit incliné
5.2.2 Fraction de surface
5.2.3 Distance d’enrobage
5.2.4 Arrêt et fragmentation
5.3 Gouttes successives
5.3.1 Pesée de grains
5.3.2 Influence du mouillage
5.3.3 Préliminaires à la rivière
5.3.4 La goutte creuse aussi son lit
5.4 Perspectives
Conclusion

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