Formes et enjeux communicationnels du vandalisme contre les œuvres d’art, dans les lieux de culture et de mémoire

oup médiatique, « parasitisme de la gloire » visant à s’approprier la notoriété de l’œuvre en la détruisant pour en tirer un bénéfice de renommée , les vandales tout comme les groupes terroristes, forcent l’attention. Commis en tout lieu public, relevant d’une motivation politique, artistique, ou d’un esprit réactionnaire, prendre l’art en otage permet à certains d’exister. Cette stratégie de reconnaissance peut «fonctionner » comme une campagne publicitaire, parfois tout en restant anonyme. Car la diffusion valorise l’événement, l’introduisant dans une réalité partagée par le plus grand nombre . Ernst Gombrich, préfigurait une époque dans laquelle l’image aurait supplanté la parole et l’écriture. « Le monde comme « texte » a été remplacé par le monde comme « image » [Mitchell, 1992, 1994]. La fin des grands récits, disait déjà Lyotard dans les années 1980, est survenue parallèlement au passage d’une culture du discours, textuel et diachronique, à une culture synchronique de l’image à fort impact immédiat . » Théâtralité préméditée couplée à des pulsions destructrices , les Bouddhas de Bâmiyân dynamités par Al-Qaïda en 2001 déchaînent l’indignation mondiale. L’explosion diffusée en boucle dans les médias trouve la résonance recherchée. Dans cette guerre de l’image gouvernée par la dimension spectaculaire de l’infotainment, Daech, clamant sa haine de l’universalisme porté par l’Art qu’il détruit au nom d’une lutte contre l’idolâtrie, fait du massacre culturel un axe fort de sa communication . La médiatisation augmente considérablement l’intensité du geste et provoque des effets pervers de contagion. Selon Georges Balandier, la violence rendue plus visible, semble « s’engendrer d’elle-même, se multiplier par métamorphoses ». L’attentat contre Charlie Hebdo, du 7 janvier 2015, fait naître en France une vague de manifestations pour la défense de la liberté d’expression (Je suis Charlie, marche républicaine du 11 janvier, 1 000 crayons pour la liberté d’expression, dessins en hommage aux caricaturistes assassinés). Paradoxalement, l’année 2015 compte un nombre élevé de censures d’événements culturels. « En quatre mois, l’on peut constater que les attentats de Charlie Hebdo sont parvenus à terroriser une partie de la population : l’autocensure s’est développée, et de nombreux musées [et lieux d’expositions — à l’exemple du Mémorial de Caen, du Pavillon Vendôme à Clichy, de la Villa Tamaris à la Seyne-sur Mer ou d’Artcurial ] ont annulé des expositions ou des événements jugés trop polémiques. (…) Les acteurs du monde de l’art témoignent aujourd’hui de la difficulté de travailler et d’exposer sereinement face à un tel climat d’intolérance . » Plus violente encore est cette forme de censure qui s’en prend physiquement à l’œuvre. Ces dernières années, détracteurs et actions en tout genre se sont multipliés dans les espaces publics. Nous assistons à des atteintes de plus en plus fréquentes faites aux champs créatifs. « Casser une œuvre, interrompre une pièce, venir prier sur scène, dégonfler le Tree de McCarthy place Vendôme » et enfin dégrader à quatre reprises Dirty Corner d’Anish Kapoor en y inscrivant des insultes antisémites et néonazies, « tous ces activistes royalistes, catholiques traditionalistes, xénophobes etc., sont connus des services de l’État . » .

Appels à des opérations nocturnes, lettres anonymes, menaces… ces actions ne sont pas toutes à catégoriser sous le vocable de l’irrationnel. L’agression, trop souvent interprétée « comme une expression de l’ignorance et de l’incompréhension, une régression dans la barbarie », questionne à travers sa banalisation : destructivité sociale, violence et mal-être. Pour les institutions touchées, le saccage d’une œuvre est une crise qui impose de déployer de nouvelles logiques d’action. Médias et réseaux sociaux deviennent alors des partenaires incontournables pour informer et cadrer la perturbation.

Corpus d’articles (presse écrite, audiovisuelle, internet) 

Les articles de presse laissent apparaître de nombreux cas de censure (« L’œuvre d’art, arme à neutraliser ? » Libération, 6 août 2015, « La censure à l’œuvre », Figaro Madame, 20 septembre 2011, etc.), de témoignages d’artistes (Ai Weiwei, Zoulikha Bouabdella, Jean-Marc Bustamente, Mounir Fatmi), et de destructions dont:

− (1990) La Ronde de nuit de Rembrandt, Rijksmuseum, Amsterdam ;
− (2006 et 2011) Fontaine, Marcel Duchamp, Centre Pompidou, Paris ;
− (2007) Sans titre, Cy Twombly, Collection Lambert, Avignon ;
− (2007) Le Pont d’Argenteuil, Claude Monet, Musée d’Orsay ;
− (2009) La Joconde, Léonard de Vinci, Musée du Louvre, Paris ;
− (2010) Cadillac Moon, Jean-Michel Basquiat, MAMVP ;
− (2011) Deux tahitiennes, Paul Gauguin, National Gallery, Washington ;
− (2011) Piss Christ, Andres Serrano, Collection Lambert, Avignon ;
− (2011) L’Adoration du Veau d’or, Nicolas Poussin, National Gallery, Londres ;
− (2012) Black on Maroon, Mark Rothko, Tate Modern, Londres ;
− (2013) La Liberté guidant le peuple, Eugène Delacroix, Louvre Lens ;
− (2014) Tree, Paul McCarthy, Place Vendôme ;
− (2015) Dialogue avec l’histoire, Jean-Pierre Raynaud, Québec ;
− (2015) Make Up, Pascale Marthine-Tayou, Fondation Izolyatsia, Ukraine ;
− (2015) Dirty Corner, Anish Kapoor, Château de Versailles.

Puis, j’ai constaté que les controverses nouées au gré des expositions pouvaient rapidement troubler l’ordre public (« En images : Anish Kapoor sème le « chaos » au Château de Versailles », France 24, 6 juin 2015 ; « Faut-il (encore) exposer le Piss Christ ? » Le Figaro, 28 août 2014 ; « Protestations contre une exposition de la Palestinienne Ahlam Shibli au Jeu de paume », Le Monde, 11 juin 2013 ; « La justice s’acharne sur « Présumés innocents » », Libération, 20 décembre 2006). Mon étude s’est alors élargie aux sciences humaines et sociales afin de mieux définir les origines d’une violence : symbolique, sociétale et médiatisée.

Une recherche autour des notions d’iconoclasme, destructivité sociale, violence dans l’espace public, blasphème, transgression, médiatisation de la violence et de ses effets sur les comportements, a participé à la définition et à l’enrichissement des champs exploratoires d’une problématique communicationnelle appliquée à l’actualité culturelle. Afin d’évaluer la pertinence de la communication de crise des trois cas étudiés et introduire d’éventuelles recommandations en conclusion, un corpus d’une sélection d’articles de presse, extraits de JT, communiqués, réactions et commentaires sur les réseaux sociaux, fera l’objet d’une analyse reposant sur les trois éléments pivots du discours journalistique à savoir :
− La titraille (selon une approche textuelle) ;
− Les photographies et légendes (selon la même approche, basée sur l’interprétation sémantique et discursive interrogeant la manière dont sont présentés le sujet et les détails fournis au lecteur) ;
− Le contenu des articles.

Andres Serrano, Collection Lambert en Avignon (2011)
La résistance de la Collection face aux associations, personnalités politiques et sacerdotales, relève du tour de force. Dans ce bras de fer médiatique qui déclencha de vives polémiques, (entraînant manifestations, menaces de mort, destruction des œuvres visées, suivi d’un procès), l’étude de la communication de crise de la Collection Lambert, régulièrement exposée aux attaques, m’a semblé incontournable. Ayant soulevé le débat dans plusieurs pays, Piss Christ offre un riche panorama des tensions qui émergent face à l’art blasphématoire. (« Le chemin de croix de Serrano », Le Journal des Arts, n° 346, 29 avril 2011) .

Vandalisme, iconoclasme : détours historiques et théoriques

« Le patrimoine est fragile. Encore trop de vols de biens culturels sont commis dans les édifices du culte, en particulier les églises en zone rurale, les demeures publiques ou privées ouvertes au public, les musées, les bibliothèques et les centres d’archives, les galeries d’art mais également dans de nombreuses institutions publiques nationales (ministères, préfectures, mairies et même palais de justice) . » [Frédéric Mitterrand] .

Premiers constats

Le territoire compte en 2015 près de 1 200 lieux d’exposition ouverts au public, dont plus de 1 100 musées de France. La création de nouvelles institutions publiques et privées dans le monde (Centre Pompidou Metz, Louvre Abu Dhabi, The Eli and Edithe Broad Foundation, l’extension de la Tate Modern, le musée Soulages à Rodez, la Fondation Louis Vuitton, le MUCEM, l’ouverture prochaine de Lafayette Anticipation et de la seconde antenne de la Fondation Pinault au centre de Paris…), la multiplication des expositions et la fréquentation toujours croissante des collections, centres d’art, musées, Fonds régionaux et sites patrimoniaux, traduisent un intérêt considérable et toujours croissant du public pour les biens culturels. Enjeu de prestige et d’économie du tourisme, les grands musées français figurent parmi les plus fréquentés avec 61,5 millions visiteurs en 2015 concentrés à 59 % en Ile deFrance. Sur le reste du territoire, le rapport entre la fréquentation des musées de France et la population de la région est de 472 visiteurs pour 1 000 habitants. Les 22 fonds régionaux d’art contemporain ont accueilli près de 1,4 million de visiteurs en 2015 et près de 1,5 million pour les 51 centres d’art (Palais de Tokyo et Jeu de Paume inclus) . Le Centre Pompidou dépasse le seuil des 3 millions pour la huitième année consécutive. Le Louvre quant à lui comptabilise 7,5 millions d’entrées en 2016, soit plus d’un visiteur toutes les secondes.

Néanmoins, le désir accru du public de connaître et d’apprécier les richesses du patrimoine a entraîné un accroissement des dangers encourus par les biens culturels, du fait d’un accès particulièrement facile, ou d’une protection insuffisante et de la recrudescence d’actes de vandalisme. Un constat similaire en signe d’alerte clôt la dixseptième session de la Conférence générale de l’UNESCO de 1972 : « le patrimoine culturel et le patrimoine naturel sont de plus en plus menacés, non seulement par les causes traditionnelles de dégradation mais encore par l’évolution de la vie sociale et économique qui les aggrave par des phénomènes d’altération ou de destruction encore plus redoutables. »

En France, environ 300 000 actes de vandalisme contre des biens publics sont signalés chaque année pour à peine 13 % de plaintes. Dégradations, voire destructions du patrimoine pour les cas les plus graves, sont régulièrement rapportées par les médias. Atteintes aux édifices religieux et aux sépultures, départs de feux de forêt d’origine criminelle , hooliganisme, tags, bris de vitrines, dégradations de biens publics, destruction d’œuvres d’art… sont en constante augmentation .

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Table des matières

INTRODUCTION GÉNÉRALE
PREMIÈRE PARTIE : L’ŒUVRE MISE À MAL, DE L’ÉVÉNEMENT À SA MISE EN RÉCIT
CHAPITRE PREMIER. DE LA PROFANATION À LA DESTRUCTION DES ŒUVRES ET DES PATRIMOINES : PROPOSITION DE DÉFINITIONS
1. Vandalisme, iconoclasme : détours historiques et théoriques
2. Patrimoine et biens culturels
3. Approche juridique du vandalisme contre les œuvres d’art
CHAPITRE 2. ENTRE VALEUR ET JUGEMENT, COMMENT L’ART AGIT SUR LA SOCIÉTÉ ?
1. Les frontières de l’art
2. L’artiste, l’institution et les publics
3. L’évolution des musées
CHAPITRE 3. DES LIEUX PUBLICS AUX INSTITUTIONS CULTURELLES : SCÈNES DE VIOLENCES INDIVIDUELLE ET COLLECTIVE
1. Violence et destructivité sociale
2. Le vandalisme : approches symboliques et communicationnelles
3. Des violences et des médias
DEUXIÈME PARTIE : FOCUS SUR TROIS CAS CONTEMPORAINS. DE LEUR MÉDIATISATION À LEUR RELECTURE COMMUNICATIONNELLE
CHAPITRE 4. ANDRES SERRANO, COLLECTION LAMBERT EN AVIGNON
1. Rappel des faits
2. Opinion publique et communication journalistique
3. Communication institutionnelle
4. Synthèse et conséquences
CHAPITRE 5. EUGÈNE DELACROIX, LOUVRE LENS / MARK ROTHKO, TATE BRITAIN
1. Rappel des faits
2. Opinion publique et communication journalistique
3. Communication institutionnelle
4. Synthèse et conséquences
CHAPITRE 6. ANISH KAPOOR, CHÂTEAU DE VERSAILLES
1. Rappel des faits
2. Opinion publique et communication journalistique
3. Communication institutionnelle
4. Synthèse et conséquences
TROISIÈME PARTIE : LES LIEUX PUBLICS DE CULTURE ET DE MÉMOIRE : DE LA VULNÉRABILITÉ À LA RÉSILIENCE MÉDIATIQUE
CHAPITRE 7. PARADOXES DU VANDALISME CONTRE LES ŒUVRES D’ART
1. Une action destructrice et/ou créatrice
2. Médiatisation et réception
3. Lieux de culture et de mémoire, nouvelles scènes de violences politiques, militantes et sociales ?
CHAPITRE 8. PRÉVENIR
1. Mesures collaboratives et communicationnelles
2. Perspectives
CONCLUSION GÉNÉRALE

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