Fondements théoriques de l’appropriation d’outils technologiques par les acteurs

« L’être humain – et l’être humain seulement – est responsable de sa pensée, de sa connaissance et donc de ce qu’il fait » (Von Glasersfeld, 1988, p.20).

L’introduction des outils dans les entreprises a fait émerger plusieurs courants de recherche. La vision pragmatique, structurationniste ou actionnaliste considère, à travers ses auteurs, l’outillage des gestionnaires comme un ensemble d’instruments et un vecteur d’apprentissage. De plus en plus, les sciences de gestion proposent de dépasser l’opposition conception-usage (Lorino, 2002 ; Teulier et Lorino, 2005 ; de Vaujany et Grimand, 2005b) pour s’intéresser plutôt à la « conception à l’usage » (Lin et Cornford, 2000), la « conception dans l’usage » (Bourmaud et Rétaud, 2002), la « dynamique continue de l’action collective » (Lorino, 2005) ou encore l’ « appropriation des outils de gestion » (de Vaujany et Grimand, 2005b ; de Vaujany, 2005a). Cette réorientation plutôt descriptive correspond à de nouvelles normes que l’on retrouve dans les méthodes centrées sur les usages (Bansler et al., 2000). Par la suite, plusieurs auteurs se sont intéressés à l’appropriation des objets plus ou moins liés au monde des organisations. Bianchi et Kouloumdjian (1986) notamment, se sont intéressés à l’ « appropriation » au sens large ; Desanctis et Poole (1994) à l’ « appropriation des technologies avancées de l’information » ; Girod-Séville (1996) au « processus d’appropriation des téléphones mobiles » ; Digout (1997) à l’ « appropriation de l’innovation » ; Plaisent et al., (1996) à l’ « appropriation des NTIC »; Alter (2000) à l’ « appropriation de l’innovation » et Proulx (2002) à l’appropriation d’ « une culture numérique ». Digout insiste ici sur la définition commune de l’appropriation ; Desanctis et Poole quant à eux s’efforcent de conceptualiser la notion (de Vaujany, 2006). En fait, de quoi est-il questions dans ces problématiques ?

Le concept d’appropriation d’un objet technique formerait, selon nous, l’ensemble des conditions à remplir par un usager pour utiliser cet objet. D’abord, il devrait démontrer d’un minimum de maîtrise technique et cognitive de l’objet. Ensuite, cette maîtrise s’intègrerait de manière significative et créatrice à ses pratiques régulières. Enfin, l’appropriation s’ouvrirait par conséquent vers des possibilités de détournements, contournement, réinvention ou des possibilités d’accéder à la conception des innovations (Breton et Proulx, 2002). Selon la conception de ces auteurs, plusieurs concepts s’entremêlent ainsi pour expliquer la notion d’appropriation : l’utilisateur de l’outil, l’outil lui-même et les pratiques effectuées sur cet outil. Par rapport à notre thème, situons chaque concept pour savoir quelle orientation lui est donnée dans ce développement. Les termes « usager », utilisateur ou acteur, que nous considérons comme synonyme dans ce développement, font allusion aux entreprises au sein desquelles se trouvent des employés, des salariés notamment des professionnels ou des utilisateurs mettant en pratique des outils de traitement de l’information mis à leur disposition. L’outil, considéré dans ce développement comme un « objet technique », ou outil technologique ou des Technologiques de l’Information et de la Communication (TIC : acronyme que nous utilisons dans le reste de ce développement) est introduit dans une entreprise pour faciliter la réalisation des tâches de ses salariés. Les pratiques des salariés sur un outil feraient allusion aux divers modes d’usage effectués sur cet outil, de son mode d’emploi (c’est-à-dire les indications prescrites à la base par les concepteurs) jusqu’aux usages « réinventés », « contournés » et adaptés à la situation à traiter ou à gérer, de façon répétée à l’intérieur de sa structure. Cette précision faite sur les trois concepts principaux de notre étude éviterait toute confusion ou autres débats scientifiques liés à ces termes principaux : usager, outils, TIC, pratiques.

À la lumière des différentes théories liées à notre thème, nous nous efforçons d’une part d’analyser la nature profonde des relations établies entre les phénomènes de l’appropriation d’outils par les acteurs et la modification des caractéristiques de l’outil voire de l’organisation et d’autre part, d’examiner les problèmes posés par l’appropriation d’outils par les entreprises. Pour atteindre ce double objectif, cette première partie est composée de deux chapitres.

Littérature sur l’appropriation d’outils par les entreprises

Usage d’outils dans l’entreprise 

Les organisations consacrent habituellement assez de moyens financiers à l’acquisition des outils de modernité. Malgré ces dépenses élevées accordées aux investissements, l’intention à l’usage est éloignée des pratiques réelles (Noy et Ruiz, 2007). Dans cette première section, pour fixer le sens donné à notre développement, il est nécessaire d’édifier le concept d’outils et la notion d’usage d’outils tels que conçus dans les entreprises.

Outils utilisés par les organisations 

Typologie descriptive des outils

Pour revisiter les différentes conceptions d’outils par les chercheurs, certains éléments qui le décrivent sont récapitulés, sans exhaustivité, dans le tableau 1.1 ci dessous. Plusieurs éléments décrivent les outils utilisés par les entreprises (tableau 1.1). À la différence des outils figés, les dispositifs numériques ou technologiques en interrelation avec l’utilisateur l’aidant à amplifier ses actions, considérés ici comme outils technologiques font l’objet de notre préoccupation. Remarquons néanmoins que le concept outil en lui seul ne saurait avoir de sens s’il n’indique pas le but auquel il est destiné. Les différentes expressions émises dans ce tableau se ressemblent mais différent selon les auteurs et leur positionnement théorique.

Pour Moisdon (1997), l’outil de gestion est toute formalisation d’une activité organisée, un ensemble de raisonnements et de connaissances reliant de façon formelle un certain nombre de variables issues de l’organisation et destinées à instruire les divers actes classiques de la gestion. Cette définition, fait allusion aux outils de traitement des données chiffrées à cause du concept de « variables » qui y est indiqué. Elle s’appliquerait aussi à un groupe d’individus ayant un objectif commun à cause de l’expression « activité organisée » (David, 1996). Concernant l’«ensemble de raisonnements et de connaissances », il évoquerait des informations diverses et parfois ignorées des acteurs du groupe à intégrer dans un schéma général pour structurer le cadre de l’action organisée (Martineau, 2008). Cette définition montre jusqu’à quel point un outil mis à la disposition des salariés peut influer sur les traitements et procédures administratives et sur les utilisateurs eux mêmes. Toutefois, notre objectif n’est pas d’étudier, à part entière, les objets ou outils introduits dans les entreprises mais plutôt de comprendre ce que les utilisateurs font exactement de ces outils pour réaliser la finalité envisagée par leur entreprise.

Dans ce développement, l’utilisation de l’un ou l’autre des concepts ou expressions se rapportant aux outils ne devrait gêner en aucun cas notre compréhension. Au contraire, pour éviter d’utiliser avec répétition le même terme, nous considérons dans ce cadre que l’outil technologique désigne ce dispositif ou cet appareil mis à la disposition du salarié pour l’aider dans sa réalisation des tâches et lui permettre d’effectuer ses transactions de communication aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’entreprise qui l’emploie.

Visions épistémologiques notées 

À l’aide des recherches antérieures, dans ce développement théorique relatif à l’appropriation d’outils technologiques par les entreprises, il est nécessaire de rappeler certaines perspectives théoriques liées à notre concept principal, pour comprendre l’orientation donnée à notre démarche. Plusieurs visions ont prévalu pour concevoir l’usage d’outils dans les organisations ; ce paragraphe les revisite sans exhaustivité aucune.

Dans les approches rationalistes , les instruments de gestion sont des moyens au service de fins (Gilbert, 1998). S’inscrivant pleinement dans une rationalité économique visant efficacité et efficience, Lorino (2002) parle des théories de « l’action instrumentée » orientée vers la création de valeur. Pour Hatchuel et Weil (1992), la philosophie gestionnaire reflète le paradigme de la théorie de l’outil. La « vision simplifiée de l’organisation » s’intéresse à la représentation de l’organisation idéale, c’est-à-dire celle qui œuvre pour le fonctionnement parfait de l’outil (David, 1996). Elle véhicule une théorie de l’action qui vise une certaine organisation « idéale » à suivre (Martineau, 2008). Dans l’idée de David (1998), certains outils de gestion facilitent d’abord et explicitement les relations entre les acteurs. D’autres outils s’intéressent ensuite à la fois aux relations et aux connaissances. En généralisant l’analyse de Hatchuel et Weil à l’ensemble des innovations managériales, David distingue ainsi les innovations orientées connaissances (IOC), les innovations orientées relations (IOR) et les deux innovations mixtes (IM). Pour cet auteur, dans une innovation orientée connaissances, l’outil technique concerne uniquement les connaissances, la vision simplifiée de l’organisation uniquement les relations entre acteurs. Dans une innovation orientée relations, le substrat technique est relationnel et la vision simplifiée de l’organisation intéresse uniquement les connaissances. Un outil possède ainsi toujours implicitement et explicitement, de par son substrat technique ou à travers sa vision simplifiée de l’organisation, une double composante connaissances/relations. David conclut ce raisonnement en estimant que toute organisation et ses outils dépendent donc d’une « rationalité limitée de même nature ». L’outil technologique ferait aussi partie de cette vision dès lors qu’il nécessite des connaissances pour son usage et établit des relations entre les parties d’une entreprise.

La vision épistémologique du déterminisme technologique repose, quant à elle, sur deux idées (Vedel, 1994) : d’une part, la génération des technologies est déterminée par la science et les contraintes propres à la technique ; d’autre part, les technologies structurent les usages ou l’organisation sociale. Dans la théorie de la diffusion des innovations, Rogers (1995) considère l’innovation comme une idée, une pratique ou un objet qui est perçu comme nouveau par un individu ou toute autre structure d’adoption. Les tenants de ce courant estiment qu’il suffit qu’un acteur considère un objet comme nouveau pour qu’il soit traitée, comme une innovation (Alcouffe et al., 2003).

Sous l’angle sociologique, Latour (1991) pense que la technologie, dans une première phase de conception, est un « objet malléable » soumis à un canevas de la part des acteurs sociaux (mais pas encore considérés comme utilisateurs). Dans une seconde phase, la technologie devient un « objet figé », c’est-à-dire un ensemble structuré d’exploitations et de pratiques conçues dans une première phase et dans laquelle les utilisateurs devraient s’y incorporer. Dans cette même approche, en examinant les effets du média qu’est la télévision, Vitalis (1994) conclut que ce support technique d’information conditionne le contenu. En d’autres termes, loin de faciliter la participation, les TIC renforceraient dans les sociétés plutôt de l’individualisme, la simulation ou la médiation.

Les différentes visions ayant prévalu sur le concept d’outil sont donc nombreuses. Le rappel de celles émises dans cette recherche faciliterait la compréhension des multiples sens que regorge ce concept. La vision rationaliste qui a pour objectif d’atteindre « efficacité », « efficience », « création de la valeur » et « fonctionnement parfait de l’outil » serait le souhait de tout gestionnaire. Toutefois, avant d’adopter un courant épistémologique, il faudrait d’abord éviter le piège d’un double déterminisme (technologique et sociologique) ; ensuite se donner les moyens d’observer finement l’action effective ou la mise en œuvre de la technologie dans une entreprise (Breton et Proulx, 2006).

Évolution des outils et modifications de leurs usages 

Au regard des modifications et innovations dans le domaine à la fois des outils et des usages des TIC, leur évolution influerait la manière des usages actuels. Trois époques ont été évoquées dans ce travail  mais l’examen de l’évolution actuelle des outils technologiques dans ce paragraphe justifierait leur appropriation par les acteurs.

On participe ces dernières années, à travers les technologies liées au « multimédia», à des convergences capables de passer sur des mêmes supports de la voix, de la donnée et de l’image dans l’acquisition et d’effectuer le traitement, le stockage et la diffusion d’informations ; tel que noté sur les mobiles, Internet, la visioconférence, etc. (DupuichRabasse, 2006). Les technologies mobiles forment un ensemble de technologies (outils, réseaux, logiciels, etc.) dont les usages sont différents mais souvent complémentaires et qui ont même tendance à se rapprocher de plus en plus dans le cadre d’une convergence de ces technologies (Besseyre Des Horts et Isaac, 2006).

Au début du XXIème siècle, il y a une généralisation mondiale de la présence d’Internet. Son avènement se situe dans un contexte socio-historique plus vaste que le seul développement des machines à communiquer (Proulx, 2004). Avec la mise en place de la World Wide Web (WWW) en particulier et la commercialisation du réseau des réseaux en 1995, Internet a connu un succès grâce à l’adoption universelle de la norme IP (Internet Protocol) (Proulx, 2005). L’adoption d’Internet a transformé les conditions d’usage des TIC de plusieurs façons. Les usages collectifs et en réseau sont désormais importants ou quasi omniprésents. Au sein et entre les entreprises, apparaissent les « communautés » d’usagers en ligne, les « communautés de pratique » (Wenger, 1998) ; de nouvelles formes de communication de groupe émergent : Intranet, plateformes collaboratives, service Web, messageries instantanées (Chat), listes de discussion, etc. Il y a une diversification croissante de l’offre des outils technologiques agissant comme supports aux pratiques de communication en ligne : micro-ordinateur, téléphone mobile, console de jeux vidéos, assistants numériques personnels, IPod, etc. Plusieurs études menées au laboratoire de sociologie sur les usages en France, analysées par Cardon, Smoreda et Baudouin, (2005), estiment entre autres qu’il y a plutôt un entrecroisement des usages plutôt qu’une rivalité entre outils de communication et des effets de remplacement entre les nouveaux et anciens usages.

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Table des matières

INTRODUCTION GÉNÉRALE
PREMIÈRE PARTIE FONDEMENTS THÉORIQUES DE L’APPROPRIATION D’OUTILS TECHNOLOGIQUES PAR LES ACTEURS
Présentation de la première
CHAPITRE 1 LITTERATURE SUR L’APPROPRIATION D’OUTILS PAR LES ENTREPRISES
Section 1 – Usage d’outils dans l’entreprise
Section 2 – Appropriation d’outils dans les entreprises
Section 3 – Modèles d’analyse de l’appropriation d’outils
CHAPITRE 2 OUTILS TECHNOLOGIQUES ET PHENOMENES DE LEUR APPROPRIATION DANS LES ENTREPRISES
Section 1 – Outils technologiques de l’entreprise
Section 2 – Phénomènes liés à l’appropriation d’outils par les acteurs
Section 3 – Évaluation de l’appropriation d’outils dans les entreprises
Récapitulatif de la première partie
SECONDE PARTIE EXAMEN DE L’APPROPRIATION D’OUTILS TECHNOLOGIQUES PAR LES ENTREPRISES DU SECTEUR FINANCIER AU CAMEROUN
Présentation de la seconde partie
CHAPITRE 3 ÉPISTEMOLOGIE ET CHAMP D’OBSERVATION DE L’APPROPRIATION D’OUTILS TECHNOLOGIQUES
Section 1 – Usage des outils technologiques au Cameroun
Section 2 – Positionnement épistémologique choisi
Section 3 – Méthodologie de l’examen de l’appropriation d’outils par les acteurs
CHAPITRE 4 PRESENTATION ET DISCUSSIONS DES RESULTATS DE L’APPROPRIATION D’OUTILS TECHNOLOGIQUES
Section 1 – Contrôle des variables d’appropriation d’outils technologiques
Section 2 – Résultats de l’appropriation d’outils technologiques
Section 3 – Discussions et implications de l’appropriation d’outils par les acteurs
Récapitulatif de la seconde partie
CONCLUSION GÉNÉRALE

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