Fonctions du père dans le développement de l’ enfant

Fonctions du père dans le développement de l’ enfant

L’objectif de cet essai est d’ explorer le lien père-enfant dans le contexte particulier de l’incarcération du père au Canada. La nature de cet essai est essentiellement théorique et doit être considéré comme exploratoire. Après avoir rappelé J’évolution du rôle de père et décrit les principaux impacts de son engagement auprès de l’ enfant et de la mère tels que précisés dans les études menées dans le domaine, nous entrerons dans le cœur du sujet en rendant compte, à partir de la documentation disponible, de la crise familiale que représente l’ incarcération du père, des impacts possibles sur l’enfant, la mère et le père et, plus spécifiquement, sur le lien père-enfant. Les pères incarcérés étant avant tout des pères, s’ attarder de prime abord à cet aspect général de leur identité nous permet deux choses: d’ une part, cela permet de rappeler que le rôJe de père est soumis au contexte socioéconomique dans lequel il s’ insère et est donc en constante évolution. Il apparait ainsi essentiel de décrire quelles sont les attentes et représentations sociales actuelles liées au rôle de père; d’autre part, décrire les impacts de son engagement auprès de la mère et l’ enfant permet de mettre en évidence la pertinence de s’intéresser aux impacts possibles des contextes particuliers d’exercice de la paternité tels que l’incarcération. Depuis plusieurs décennies, la société ne cesse d’évoluer, entrainant dans son sillage l’émergence et l’amplification de divers phénomènes sociaux. La famille est l’ un des contextes de vie ayant subi de profondes transformations.

Cela a nécessité une redéfinition des rôles de chacun à l’intérieur de la famille. Cette transformation des rôles, ainsi que des représentations et attentes y étant liées, a trouvé écho dans le monde scientifique. On voit alors apparaitre un intérêt pour le développement des connaissances sur la paternité, objet de recherche ayant accusé un retard considérable par rapport à la maternité. Bien qu’ à ce jour la recherche sur la paternité demeure sensiblement récente, elle représente une avancée majeure dans le sens de la reconnaissance de l’ importance du lien père-enfant et l’ apport considérable des pères au développement de l’enfant en matière d’attachement, d’ autonomie, de l’identité, de la régulation des émotions, de l’estime de soi et de l’ apprentissage.

Mais qu’ advient-il de cette reconnaissance lorsqu’ une situation particulière survient et fragilise la structure familiale? Au Canada, il n ‘y a que les pénitenciers pour femmes qui comprennent des unités mère-enfant où la cohabitation est possible. Les hommes détenus n’ont pas cette possibilité. L’ incarcération du père représente alors inévitablement une forme de rupture de lien dont l’ampleur et les répercussions peuvent varier d’une famille à l’ autre. C’est sur ce contexte particulier d’exercice de la paternité que nous nous attarderons afin d’ explorer les impacts de l’incarcération sur les membres de la famille et plus spécifiquement sur le lien père-enfant.

Méthode 

L’ essai que nous proposons est de nature essentiellement théorique et doit être considéré comme exploratoire. La rareté des études disponibles sur la thématique à l’étude, le nombre et la diversité des facteurs à prendre en compte ainsi que l’impossibilité de prélever directement des données auprès des pères incarcérés dans le cadre plus limité d’un essai doctoral ont orienté nos choix. Nous avons jugé important de décrire d’entrée de jeu la méthodologie retenue afin de préciser les motivations sousjacentes denotre démarche de recherche et de rendre plus explicite la séquence de présentation des contenus.

L’objectif de l’essai étant d’ explorer le lien père-enfant dans le contexte particulier de l’ incarcération du père, nous posons la question suivante : Quels sont les impacts, décrits dans la documentation, de l’ incarcération du père sur la relation père-enfant et sur l’exercice de la paternité? Avant d’entrer dans le cœur du sujet, soit l’ incarcération, nous avons choisi de franchir deux étapes qui nous apparaissent essentielles. La première consiste à présenter les grands traits de l’évolution sociohistorique du rôle de père. La deuxième cherche à rendre compte de la reconnaissance du rôle de père à travers certaines contributions du père au développement de l’ enfant démontrées à ce jour. Nous considérons ces étapes comme importantes pour trois raisons principales. D’abord, la majorité des recherches sur la paternité sont récentes et il semble important de rappeler leurs conclusions. Ensuite, il persiste un écart significatif entre l’évolution de connaissances issues des recherches récentes et validées et les pratiques destinées aux pères dans les organisations de soins et de services. Finalement, la réflexion sur l’incarcération peut rapidement nous amener à centrer notre attention sur ce qu’ elle a de particulier et ainsi perdre de vue le fondamental, soit ce que ces pères partagent avec l’ensemble des pères .

Contexte théorique 

Évolution sociale et reconnaissance du rôle de père 

Les pères en contexte d’incarcération étant avant tout des pères, c’ est sous l’angle général de cette dimension de leur identité que nous souhaitons amorcer cet essai. En ce sens, nous nous attarderons à trois dimensions rejoignant J’ensemble des pères, soit: 1)les grands marqueurs de changements sociaux ayant influencé le rôle de père; 2) les fonctions du père aujourd’ hui démontrées et reconnues; et 3) J’ impact institutionnel des nouvelles connaissances sur la paternité.

S’ attarder à ces trois dimensions de la paternité semble essentiel pour circonscrire quelles sont, de façon générale, les représentations sociales et attentes actuelles envers les pères en termes d’ exercice de leur paternité et d’ apport au développement de Jeurs enfants. Cela permettra par la suite de mieux saisir les enjeux liés au contexte particulier d’ exercice de la paternité qu’est J’incarcération.

Quelques changements sociohistoriques ayant influencé le rôle de père 

Rappelons tout d’abord qu’au début du XXe siècle, définir la notion de famille nordaméricaine pouvait apparaitre comme une tâche plutôt simple. La famille dite nucléaire regroupait deux individus, liés par une entente formelle (mariage), ainsi que leurs enfants biologiques. Aujourd’ hui, la multiplicité des structures familiales rend sa définition particulièrement ardue. Il est nécessaire de saisir que le contexte sociohistorique dans lequel s’inscrit la famille transforme nécessairement la définition qu’on en fait. La notion de famille actuelle est donc récente. Lacharité et Gagnier (2009) qualifient la famille de plurielle et polymorphe. Ces auteurs décrivent les familles comme étant des: « regroupements d’individus ayant des liens de filiation ou de parenté et étant liés affectivement l’ un à l’autre par des ententes tacites (concubinage, cohabitation complète ou partielle) ou des contrats formels (mariage, formule de garde, adoption). » (p.3).

La structure familiale traditionnelle s’est transformée et diversifiée et il en est de même du rôle appartenant à chacun dans la famille. Les changements sociohistoriques ont entrainé une modification des valeurs et des attentes associées aux rôles de père, de mère et d’enfant. Puisque le sujet touche le lien père-enfant, nous nous concentrerons ici sur l’évolution de la conception de la paternité et nous nous attarderons aux grands marqueurs de l’évolution du rôle de père à partir du milieu du xxre siècle.

Fonctions du père dans le développement de l’enfant 

Si la redéfinition du rôle représente l’ angle social de la paternité, les fonctions représentent, quant à elles, l’ apport du père au développement psychologique de l’enfant (Lafortune et al., 2004). La recherche sur le développement de l’enfant et sur l’interaction père-enfant démontre plusieurs de ces contributions. Le père :
• a un lien d’ attachement avec l’ enfant (Grossman & Grossman, 1998; Kotelchuck, Zelazo, Kagan, & Spelke, 1975; Lamb, 1997; Paquette, 2004; Schaffer & Emerson, 1964);
• protège le lien mère-enfant (Barette et al. 2002; Marvin & Stewart, 1990);
• favorise le développement de l’ autonomie de l’ enfant (Barette et al., 2002; Biller, 1984; Boudreau, 1989; Le Camus, 1995; Tomasello, Conti-Ramsden, & Ewert, 1990);
• favorise la socialisation (Le Camus, 2002);
• aide l’ enfant à consolider son identité sexuelle (Lemay, 1983; Roiphe & Galenson, 1987);
• favorise le développement des mécanismes d’autorégulation émotionnelle chez l’enfant (Dix on et al., 1981 ; Labrell, 1996; Yogman, 1985);
• a un impact positif sur l’ estime de soi (Biller, 1984);
• a un impact positif sur les capacités d’apprentissage de l’enfant (Belsky, 1996; Lafortune et al., 2005).

Dans les prochaines sections, nous reprendrons chacune de ces contributions de manière à les développer davantage afin de saisir l’ importance du père dans le développement de l’enfant et de circonscrire les représentations et attentes sociales liées au rôle de père. Il est essentiel de rappeler que les recherches présentées dans cette section ont été faites dans différents contextes sociohistoriques qu’il faut prendre en considération à la lecture de leurs résultats afin d’éviter le biais historique.

Impact du père sur l’attachement de l’enfant 

Le premier élément démontré par la recherche est l’ existence d’un lien d’attachement entre le père et l’enfant. Selon Schaffer et Emerson (1964), dès l’ âge de 3 mois, bien que la mère demeure la figure d’attachement centrale, le bébé commence à se référer au père. Dans le même ordre d’idées, Kotelchuck et al. (1975) ont démontré qu’à l’âge de 18 mois, 70 % des bébés ont développé un lien d’attachement significatif avec le père. En utilisant la « situation étrange» d’Ainsworth et al. (1978) l, le même groupe de chercheurs a montré que les enfants réagissent négativement tant au départ du père qu’à celui de la mère. Bien que la recherche sur l’attachement soit traditionnellement axée sur la relation mère-enfant, Lamb (1997) rapporte que les pères sont capables au même titre que les mères d’ être affectueux, d’ être sensibles aux besoins  de leurs enfants et d’ y répondre adéquatement, ce qUI constituent deux éléments essentiels à l’établissement du lien d’attachement. De plus, il fut démontré que l’ enfant peut s’ attacher non seulement à la mère, mais également aux autres figures stables 1 de son environnement (Grossman & Grossman, 1998). Aussi, Paquette (2004) rapporte les travaux de van IJzendoorn et Bakermans-Kranenburg (1996) qui montrent qu’ il est possible pour l’enfant de développer un lien d’ attachement avec plus d’ une personne significative et que le lien peut être différent avec son père et sa mère. Commentant ces constats de recherche, Paquette (2004) rappelle que: « ces résultats ont été considérés comme une confirmation que l’ attachement réfère à la relation parents-enfants, à l’histoire spécifique des interactions d’un enfant avec un adulte particulier. » (p. 208).

Impact du père sur le lien mère-enfant et développement de l’autonomie chez
l’enfant 

Le père contribue à la protection du lien mère-enfant. Barette et al. (2002) se réfèrent aux écrits de Marvin et Stewart (1990) et soulignent que le père, en favorisant une relation conjugale harmonieuse et en participant tant aux tâches ménagères qu ‘aux soins à l’ enfant, soutient sa conjointe dans l’ exercice de son rôle de mère.

En plus de protéger le lien mère-enfant, la recherche démontre que le père favorise le développement de l’ autonomie chez l’enfant. Dans un premier temps, le père favorise le processus de séparation-individuation de l’ enfant en s’ imposant comme tiers, créant une distance relationnelle et psychique suffisante entre la mère et l’ enfant (Boudreau, 1989). Cette juste distance relationnelle permet à l’enfant d’ évoluer de la relation fusionnelle avec la mère vers l’élaboration d’ une identité qui lui est propre et, par le fait même, de l’ acquisition d’une autonomie progressive (Biller, 1984). Dans un deuxième temps, il semble que le père favorise chez l’ enfant l’ exploration de l’environnement (Le Camus, 1995). Le Camus (2002) a observé des parents en interaction avec leurs enfants de un an en milieu aquatique. La stimulation sociale fut le seul type de stimulation permettant de différencier les pères et les mères. Les pères étaient plus enclins à orienter leurs enfants vers l’environnement et les bébés répondaient davantage à la stimulation sociale faite par les pères. Dans un troisième temps, le père, ayant plus de difficultés à décoder les demandes de l’enfant que la mère, serait plus exigeant en ce qui a trait à la communication de l’enfant (Tomasello et al., 1990). Dans un quatrième temps, Barette et al. (2002) rapportent les travaux de Lytton et Romney (1991) et soulignent : « la réactivité plus grande des pères aux comportements de dépendance de l’ enfant, et ceci, plus spécifiquement si l’ enfant est un garçon. )) (p. 24). Ainsi, en démontrant moins de tolérance face aux manifestations de dépendance, les pères se montrent davantage exigeant envers les enfants, ce qui favoriserait le développement de leur autonomie.

Impact du père sur l’identité et régulation des émotions de l’enfant 

L’ aide à la consolidation de l’ identification sexuelle est une autre fonction du père. Selon Lemay (1983), très tôt dans le développement, l’enfant intègre des marqueurs de différenciation sexuelle par l’expérience sensorielle vécue de manière différente avec chacun de ses parents. Puis, autour de la deuxième année de vie, l’ enfant a besoin du parent du même sexe comme modèle identificatoire pour établir les bases de son identité sexuelle. Le père joue donc ce rôle de modèle identificatoire pour les garçons (Roiphe & Galenson, 1987). De plus, l’ enfant a également besoin du parent du sexe opposé pour le confirmer dans son identité sexuelle en le reconnaissant et l’ investissant comme appartenant à ce groupe. Ainsi, le père confirmera l’ identité sexuelle de sa fille en la reconnaissant et l’ investissant comme telle (Roiphe & Galenson, 1987).

En ce qui a trait à l’autorégulation des émotions, alors que la mère a une fonction de contenance en recevant et transformant les émotions de l’ enfant, le père a, quant à lui, une fonction plus excitante (Dixon et al., 1981 ; Yogman, 1985). Les interactions davantage physiques du père confrontent l’ enfant à l’émergence d’émotions déstabilisantes. Ainsi, l’ enfant en arrive à développer diverses habiletés lui permettant de s’autoréguler (Labrell, 1996)

Impact du père sur l’estime de soi et l’apprentissage de l’enfant 

En ce qui concerne l’ estime de soi, la recherche montre que le père a un impact positif auprès de son enfant. Selon Biller (1984), les enfants dont le père est peu ou pas engagé développent une plus faible estime de soi. De plus, en ce qui concerne les capacités d’ apprentissage, il semble que l’ engagement du père soit lié au développement de compétences cognitives et intellectuelles supérieures. En ce sens, Lafortune et al. (2005) rapportent les travaux de Belsky (1996) et soulignent ceCI : «une telle complémentarité des rôles parentaux contribue à une meilleure adaptation sociale et cognitive de l’ enfant. » (p. 3).

L’ évolution des attentes liées aux rôles sexuels, la diversité des formes d’organisation familiale et la place de plus en plus grande du père auprès de son enfant semblent donc s’accorder au foisonnement de la recherche démontrant l’ importance du père dans le développement des enfants. Cette reconnaissance de plus en plus grande du rôle de père a également des ramifications dans les institutions gouvernementales et dans les décisions légales. La prochaine section vise à rendre compte des ancrages sociaux et légaux de cette reconnaissance à travers deux grands pôles institutionnels, soit celui du congé parental et celui des décisions légales en matière de garde d’enfants.

Impacts institutionnels de la reconnaissance du rôle de père 

Le congé parental à la naissance d’ un enfant ainsi que les décisions en matière de garde d’ enfants sont deux ancrages sociaux et légaux de la reconnaissance du rôle de père (Lacharité, 2012).

Au fil des années, les gouvernements canadien et québécois ont ouvert un espace de plus en plus grand aux pères désirant participer aux programmes de congé parental. Au Canada, la participation des pères passe de 3 % en 2000 à 10 % en 2001 (Statistique Canada, 2008).

Le Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) est le programme de congé parental qui est administré par le Québec et remplace le programme canadien auprès des Québécois. Accordant une place plus grande au père, le RQAP inclut une période de cinq semaines de congé exclusif au père ainsi que sept semaines de congé partageable (Statistique Canada, 2008). Dès sa création en 2006, 20 % des pères québécois prennent le congé qui leur est octroyé. En 2010, 76 % des pères admissibles au programme québécois ont pris le congé (Statistique Canada, 2008).

Conclusion

Cet essai de nature théorique avait pour objectif d’ explorer ce qu’ il advient du lien père enfant durant l’ incarcération du père. Après nous être souciés d’ inscrire notre présentation des rares études sur cette thématique dans le contexte plus large des recherches sur la paternité, nous avons porté une attention plus fine aux enjeux particuliers soulevés par l’expérience de retrait social et d’ incarcération. Les données recueillies par les recherches pionnières dans le domaine permettent d’ affirmer que les pères détenus et les membres de leur famille peuvent être soumis à des sources importantes de pression et de stress. Nous savons également que l’ incarcération entraine inévitablement une forme de rupture de lien entre le père et son enfant et que l’ampleur de cette rupture dépend de plusieurs facteurs personnels, relationnels, sociaux et organisationnels.

 

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Table des matières

Introduction
Méthode Contexte théorique
Évolution sociale et reconnaissance du rôle de père
Quelques changements sociohistoriques ayant influencé le rôle de père
Fonctions du père dans le développement de l’ enfant
Impact du père sur l’ attachement de l’enfant
Impact du père sur le lien mère-enfant et développement de l’ autonomie
chez l’enfant
Impact du père sur l’identité et régulation des émotions de l’enfant
Impact du père sur l’estime de soi et l’apprentissage de l’enfant
Impacts institutionnels de la reconnaissance du rôle de père
Incarcération du père
Prévalence des pères incarcérés au Canada
Impacts de l’incarcération du père
Impacts sur les enfants
Impacts sur la mère et conjointe
Impacts sur le père
Expérience des pères – Données qualitatives
Trois recherches qualitatives
Résultats
Identité
Sentiment de perte
Culpabilité, regrets, honte
Rôle médiateur de la mère
Enjeux organisationnels et matériels
Motivation au changement
Discussion
Conclusion

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