Fonctionnement, limites et crise du système agraire ancien basé sur la défrichebrûlis d’un recrû arbustif [1960 – 1990]

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Le diagnostic-agraire, une démarche systémique qui repose sur la combinaison de plusieurs échelles d’analyse

L’approche régionale est au cœur de la démarche d’agriculture comparée. Ce type d’approche a été promu dans les années 1970 et 1980 avec l’utilisation du concept de système agraire, développé en France par plusieurs géographes et agroéconomistes. Cette approche se voulait plus englobante que les démarches de Farming System Research (FSR), alors en vogue, qui mettaient en avant l’exploitation agricole comme niveau privilégié de l’analyse systémique (Cochet, Devienne et Dufumier, 2007b). Bien que conduites à l’échelle de l’unité territoriale, les démarches de Farming System Research consistaient le plus souvent en une analyse systémique des exploitations agricoles, sans considérer que « l’environnement des exploitations » était lui-même systémique ; elles n’intégraient en ce sens que très peu les aspects relatifs aux évolutions historiques de l’agriculture et aux rapports sociaux entre paysans (Cochet, Devienne et Dufumier, 2007b).
Le diagnostic agraire (ou analyse-diagnostic) – développé par l’UFR « Agriculture comparée et développement agricole » d’AgroParisTech (Cochet et Devienne, 2006; Cochet, Devienne et Dufumier, 2007b; Dufumier, 1996b; Mazoyer et Roudart, 1997b) – s’inscrit dans cette approche. Cette démarche systémique vise, en combinant les concepts et méthodes de l’agriculture comparée, à «identifier les processus de changement en cours dans [la région étudiée] et les trajectoires d’ évolution des différents systèmes de production dans une perspective d’action régionale» (Cochet, 2011a). Elle mobilise pour cela différents concepts, se référant à différentes échelles d’analyse emboitées (Cochet et Devienne, 2006) :
– le système agraire à l’échelle de la petite région ;
– le système de production et le système d’activité à l’échelle de l’unité de production ;
– les sous-systèmes que constituent les systèmes de culture, à l’échelle de la parcelle, et les systèmes d’élevage à celle du troupeau, mis en œuvre au sein des différents systèmes de production identifiés.

Le système agraire, concept fondamental de l’agriculture comparée

Le concept de système agraire est un outil central dans la démarche de l’agriculture comparée. Il permet de se représenter les réalités agraires comme des systèmes complexes dans lesquels les éléments écologiques, techniques, économiques et sociaux ne peuvent évoluer indépendamment les uns des autres. Il offre la possibilité « d’appréhender la complexité de toute forme d’agriculture réelle par l’analyse méthodique de son organisation et de son fonctionnement » (Mazoyer et Roudart 1997).
Alors que les premières utilisations du terme de système agraire par les géographes traduisaient un certain immobilisme, avec une définition du système centrée sur les structures agraires et leur expression dans l’espace rural, Marcel Mazoyer s’est particulièrement attaché à définir le concept de système agraire, en lui donnant une dimension plus dynamique et englobante (Cochet, 2011a; Cochet, Devienne et Dufumier, 2007b). Il définit ainsi le concept de système agraire comme « un mode d’exploitation du milieu, historiquement constitué et durable, adapté aux conditions bioclimatiques d’un espace donné, et répondant aux conditions et aux besoins sociaux du moment » (Mazoyer, 1987).
Dix ans plus tard, Marcel Mazoyer ajoutera à sa définition : « Pour comprendre ce qu’est un système agraire, il faut bien distinguer, d’un côté, l’agriculture telle qu’elle est effectivement pratiquée, telle qu’on peut l’observer, qui constitue un objet réel de connaissance, et, d’un autre côté, ce que l’observateur pense de cet objet réel, ce qu’il en dit, qui constitue un ensemble de connaissances abstraites qui peuvent être méthodiquement élaborées pour constituer un véritable objet conçu, ou objet théorique de connaissance et de réflexion » (Mazoyer et Roudart, 1997b). Suite au retour en force ces dix dernières années du « local », du « paysage », du « territoire » dans les approches environnementales, Hubert Cochet, Sophie Devienne et Marc Dufumier ont proposé une définition plus complète de ce concept afin de réaffirmer l’importance du caractère indissociable du « technique » et du « social » et la nécessité d’appréhender, à l’échelle d’analyse régionale, les problèmes dans leur globalité pour en comprendre les parties constitutives : « le système agraire englobe, en premier lieu, un mode d’exploitation du milieu, c’est-à-dire un ou plusieurs écosystèmes, un mode d’exploitation caractérisé par un bagage technique correspondant (outillage, connaissances, pratiques, savoir-faire), des formes d’artificialisation du milieu historiquement constituées et le paysage qui en résulte, des relations spécifiques entre les différentes parties du ou des écosystèmes utilisés, un ou des mécanismes de reproduction de la fertilité des terres cultivées. Il comprend aussi les rapports sociaux de production et d’échange qui ont contribué à sa mise en place et à son développement (notamment les modalités d’accès aux ressources), ainsi que les conditions de répartition de la valeur ajoutée qui en résultent. Il comprend également un nombre limité de systèmes de production, les mécanismes de différenciation entre ces systèmes et leurs trajectoires respectives. Il comprend enfin les caractéristiques de la spécialisation et de la division sociale du travail au sein des filières, ainsi que les conditions économiques, sociales et politiques – en particulier le système de prix relatifs – qui fixent les modalités et les conséquences de l’intégration des producteurs au marché mondial » (Cochet, 2011a; Cochet, Devienne et Dufumier, 2007b).
Pour appréhender la reproductibilité du système agraire, le concept de fertilité et l’étude des mécanismes de sa reproduction s’avèrent centraux. La fertilité, telle qu’elle est considérée ici, ne se limite pas à un ensemble de conditions « naturelles » mais résulte tout autant d’une évolution « agronomique » au sens strict que de processus économiques et sociaux, produits d’une histoire (Reboul, 1977, 1989). Plus largement, « ce sont les mécanismes de maintien et de reproduction des conditions d’exploitation [des] agro-écosystèmes, à savoir, outre les modalités de maintien de la fertilité, les conditions de reproduction des moyens matériels et humains de son exploitation ainsi que la stabilité des rapports sociaux dominants, bref tout ce qui participe de ce que nous pourrions appeler un mode de régulation, qui fait partie intégrante du système agraire et participe de sa définition » (Cochet, 2011a).
Le recours au concept de système agraire suppose de préciser l’échelle pertinente d’application de ce concept. Plusieurs auteurs ont fait le choix de le mobiliser à l’échelle du terroir (Sautter et Pélissier, 1964; Couty, 1983, 1992; Jouve et Tallec, 1994). Cochet laisse, quant à lui, le chercheur libre de déterminer, en fonction des objectifs de sa recherche, l’échelle la plus pertinente à laquelle appliquer ce concept.
Dans le cas de cette recherche, le concept de système agraire sera mobilisé à l’échelle de la petite région agricole : la région de La Borne, située dans la partie centrale du plateau sommital de la Chaîne des Matheux. Celle-ci s’étend sur une quinzaine de kilomètres carré seulement. Ce niveau d’analyse permet une immersion en profondeur et une étude minutieuse des pratiques d’agriculture et d’élevage, ainsi que des individus et groupes sociaux qui les développent (Cochet, Ducourtieux et Garambois, 2019). La région de La Borne présente une homogénéité et une cohérence du point de vue du mode d’exploitation de l’écosystème cultivé Il a été choisi de restreindre la région d’étude à la partie centrale du plateau où est expérimenté un projet de mise en défens et de reboisement des pentes. La petite région agricole retenue offre un cadre restreint et cohérent permettant d’appréhender finement les processus de transformation de l’agriculture, tout en considérant les relations que celle-ci entretient avec des espaces plus vastes et englobants (région, pays, pays frontaliers, pays d’émigration, pays d’influence, etc.). L’homogénéité des conditions agro-écologiques au sein de cette région permet de comprendre la différenciation diachronique des systèmes de production mis en œuvre par les agriculteurs et d’évaluer et de comparer leurs performances techniques et économiques, toutes choses égales par ailleurs.
Au-delà de sa délimitation dans l’espace, se pose la difficulté d’appréhender un système de production en mouvement. Cette évolution perpétuelle du système agraire rend complexe la caractérisation de sa structure et son fonctionnement, elle s’appuie donc sur la définition d’un état considéré « stable », le temps « d’entrevoir les interactions et mécanismes fondamentaux qui le caractérisent, étape imprescriptible pour percevoir et interpréter le mouvement, pour déceler les conditions de sa durabilité ou au contraire les causes de sa crise prochaine » (Cochet, Devienne et Dufumier, 2007b). Il est en revanche plus difficile d’appréhender une agriculture lorsque le contexte est si instable que les différents éléments du système ainsi que leurs interactions réciproques, à peine établis, viennent à se transformer à nouveau. Ces situations appellent une certaine adaptation des outils ou concepts utilisés ; il s’agit alors d’analyser le processus dans toutes ses composantes spatio-temporelles. Autrement dit, ce sont les changements qui affectent le système agraire de la région qu’il faut étudier et comprendre ainsi que leurs relations de cause à conséquence. « Chaque espace, chaque période, ne se comprend que comme partie d’un ensemble, d’une dynamique et c’est cette dynamique interne qui permet de caractériser in fine le système agraire en mouvement » (Cochet, 2011a).
Enfin, analyser et concevoir l’objet complexe et en mouvement qu’est un système agraire, c’est aussi « considérer son fonctionnement comme une combinaison de fonctions interdépendantes et complémentaires, qui assurent la circulation interne et les échanges avec l’extérieur, en matière d’énergie et, s’agissant d’un objet économique, de valeur » (Mazoyer et Roudart, 1997b). En ce sens, il est intéressant de développer les concepts de système de production et système d’activité, sous-systèmes constitutifs d’un système agraire.

Le système de production et le système d’activité

Le système de production constitue une représentation modélisée d’un ensemble d’exploitations agricoles qui possèdent la même gamme de ressources (même gamme de superficie, même niveau d’équipement, même taille de l’équipe de travail), placées dans des conditions socio-économiques comparables, et qui pratiquent une même combinaison de productions (Cochet et Devienne, 2006) (cf. Figure 2). L’exploitation agricole en tant que telle n’est pas l’objet de la modélisation et ne constitue pas en elle-même un système de production, pas plus que le système de production n’a vocation à expliquer le fonctionnement d’une exploitation agricole, et donc les choix, d’un agriculteur en particulier (Cochet, 2011a). L’analyse en termes de système de production repose sur l’élaboration d’une typologie des exploitations agricoles en présence, chaque type étant alors représenté et expliqué par un système de production.
La différenciation des systèmes de production au sein d’une même région résulte pour une large part de conditions inégales d’accès aux ressources (foncier, équipement, cheptel…). C’est pourquoi les systèmes de production ne peuvent être appréhendés sans « analyser les conditions d’accès aux ressources productives dans lesquelles se trouve placée chaque catégorie d’agriculteurs : le foncier agricole, l’eau d’irrigation, les moyens de production et la force de travail, mais aussi les conditions d’accès au marché et à l’information » (Cochet, 2011a). Il s’avère également indispensable d’analyser le tissu complexe de relations sociales dans lesquels ils sont impliqués, notamment pour parvenir à rassembler les facteurs de production dont ils ont besoin(Cochet, 2011a).

Les systèmes de culture et systèmes d’élevage, sous-systèmes constitutifs du système de production

Le système de culture (Sebillote, 1992) forme un « sous-ensemble du système de production ». Il se définit à l’échelle de la parcelle ou d’un groupe de parcelles traitées de manière homogène par :
– la nature et la succession des cultures ou associations de cultures ;
– l’itinéraire technique, comme « combinaison, logique et ordonnée, des techniques culturales »(Sebillotte, 1990) ;
– les produits et sous-produits ainsi que leurs rendements.
« Tout ce qui se joue au niveau de la parcelle cultivée, ce qui y pousse, les conditions dans lesquelles cela se passe, la façon dont on s’y prend pour cela, ainsi que l’histoire de la parcelle, tout cela forme système, ou du moins convient-il de l’analyser en termes de système »(Cochet, 2011b).
De même, le système d’élevage se définit à l’échelle du troupeau ou d’une partie de ce dernier.
Il s’agit « d’un ensemble d’éléments en interaction dynamique organisé par l’homme en vue de valoriser des ressources par l’intermédiaire d’animaux domestiques pour en obtenir des productions variées (lait, viande, cuir et peaux, travail, fumure…) ou pour répondre à d’autres objectifs »(Landais, 1992). Il peut être caractérisé par un certain nombre de pratiques : agrégation, conduite, exploitations, renouvellement du troupeau (Landais et Balent, 1995). Ces pratiques, étroitement liées dans l’espace et dans le temps, doivent être analysées en termes de système, l’alimentation en constituant bien souvent la clef de voûte (Cochet et Devienne, 2006).
A l’échelle d’un système de production, l’analyse d’un espace cultivé en termes de systèmes de culture, ou d’un troupeau d’animaux domestiques en termes de système d’élevage, intègre de nombreux éléments rencontrés aux niveaux d’analyse supérieurs, plus englobants : l’outillage et la force de travail par exemple (Cochet, Ducourtieux et Garambois, 2019). L’analyse fine des pratiques ne peut donc pas être conduite sans référence au système de production et au système d’activité. C’est bien la combinaison des différents systèmes de culture et systèmes d’élevage qui forme système à l’échelle de l’exploitation agricole et donc au niveau du système de production (Cochet, 2011a; Cochet, Devienne et Dufumier, 2007b).

La combinaison de ces différentes échelles d’observation, d’analyse et de compréhension

L’agriculture comparée invite à une utilisation télescopique du changement d’échelle. Elle repose sur la mobilisation de différents concepts, présentés précédemment, se référant à différentes échelles d’analyse emboitées : la région, niveau pertinent d’application du concept de système agraire ; la famille nucléaire, niveau d’intégration de l’agriculture et des activités extérieures ; l’unité de production ou l’exploitation agricole, niveau d’application du système de production ; la parcelle ou le troupeau, niveau d’observation des pratiques et d’application des concepts de systèmes de culture et systèmes d’élevage.
Le pays, les Caraïbes, la région nord-américaine et le monde ont également constitué des niveaux d’analyse indispensables dans ce travail, notamment pour comprendre le contexte géopolitique qui lie ces pays.
Ces niveaux d’analyse susmentionnés ne constituent pas seulement des échelles spatiales différentes et emboîtées mais aussi et surtout des niveaux d’organisation fonctionnelle interdépendants (cf. Figure 3) :
– La compréhension de la dynamique du système agraire repose sur celle de l’évolution et du devenir des systèmes de production qui le composent. En retour, les systèmes de production ne peuvent être appréhendés sans percevoir, à l’échelle du système agraire, le tissu de relations sociales et la diversité des rapports de production et d’échanges dans lesquels ils sont impliqués pour accéder aux différentes ressources productives ;
– La compréhension du fonctionnement des systèmes de production repose sur l’analyse de chacun de ses sous-systèmes constitutifs et du fonctionnement de leur combinaison. Il s’agit de mettre en lumière les relations de complémentarité et de concurrence pour l’affectation des ressources, notamment en repérant les périodes difficiles grâce à l’établissement de différents calendriers : calendrier de travail, calendrier des besoins et des disponibilités fourragères, calendrier de trésorerie, etc. (Devienne et Wybrecht, 2002). Cette analyse contribue en retour à la compréhension de chacun des systèmes de culture et d’élevage.
Pour aborder ces différents niveaux d’analyse, Marc Dufumier propose d’en « entreprendre l’analyse par étapes successives, en commençant à des niveaux de perception vastes et englobants (monde entier, pays, régions, …) pour terminer à des niveaux plus petits et particuliers (exploitations, parcelles, troupeaux, …) » (Dufumier, 1996b).
« Combiner différentes échelles d’observation et d’analyse revient à reconnaître qu’un problème quelconque ne peut être appréhendé et résolu à une seule échelle d’analyse. La logique « agronomique », abordée en termes de système, relève de l’échelle de la parcelle, mais sa compréhension, l’explication des choix et des pratiques des agriculteurs sont à rechercher au niveau du fonctionnement de la combinaison des différents systèmes de cultures et d’élevage, c’est-à-dire à l’échelle du système de production » (Cochet et Devienne, 2006). A titre d’exemple, les récoltes céréalières de certaines catégories d’exploitations de la région de La Borne ont lieu « précocement » au regard de l’évolution de la croissance végétative des espèces cultivées, ne permettant pas l’atteinte du rendement potentiel le plus élevé sur les parcelles concernées. La date de ces récoltes répond à différentes contraintes à rechercher à l’échelle de l’unité de production : besoins en trésorerie pour l’achat de semences permettant d’emblaver d’autres parcelles, besoins fourragers pour l’alimentation du cheptel, besoins alimentaires de la famille, etc.

L’agriculture comparée sollicite une démarche commune aux recherches comparées en sciences sociales

L’agriculture comparée, en se nommant ainsi, s’est inscrite dans les recherches en sciences sociales faisant appel à une démarche comparative. Dans cette partie, nous allons discuter l’intérêt de cette construction intellectuelle et les similitudes de son utilisation au sein des sciences sociales.
L’approche comparée est utilisée depuis longtemps en sciences sociales, l’œuvre des pères fondateurs de la discipline reposant notamment sur l’usage de la comparaison. Néanmoins, l’institutionnalisation de la comparaison et de ses objectifs est très inégale au sein des différentes sciences sociales : alors que la méthode comparée est largement reconnue dans le domaine du droit et des sciences politiques, à tel point que son usage définit une branche au sein de chacune de ses disciplines, dans les autres sciences sociales l’approche comparée est utilisée mais sans bénéficier d’autant de ressources institutionnelles (Vigour, 2005).

Les enjeux de l’usage de la comparaison

L’un des objectifs les plus anciennement attribués à l’approche comparative est de pouvoir tirer des leçons de portée générale. Cela est notamment le cas en droit comparé mais surtout en sciences politiques puisque la recherche aspire à une « utilité pragmatique dans la mesure où elle doit être capable de fournir des informations qui contribuent à préparer des projets de mesures efficaces et réalisables en réponse à des problèmes sociétaux donnés » (Scharpf 2000 dans Vigour, 2005). Cette réflexion concerne également le domaine de l’agriculture comparée dont l’une des finalités est d’infléchir le développement agricole et de contribuer à l’élaboration des modalités d’intervention en matière de développement agricole.
L’enjeu de la recherche en sciences sociales est en effet de généraliser, c’est-à-dire de mettre en évidence des régularités sociales et de les expliquer, afin de développer une théorie plus générale. La comparaison apparaît donc comme un instrument de compréhension et d’explication des sociétés ou phénomènes étudiés. Il s’agit de rechercher les traits qui font sens pour chacune des situations étudiées, sans chercher pour autant à comparer terme à terme les différences et les similitudes, afin de monter en généralités tout en rendant compte des spécificités de chaque cas. La comparaison vise dans un double mouvement à dégager des régularités sociales, tout en faisant émerger la singularité des cas étudiés (de Verdalle, Vigour et Le Bianic, 2012).
Cette recherche de régularités sociales apparait de manière exemplaire dans Les Structures élémentaires de la parenté de Claude Lévi-Strauss (1949), où l’anthropologue dégage les règles structurant la parenté.

La construction du raisonnement comparatif

A l’épreuve des différents terrains comme à différentes échelles d’analyse, le chercheur se trouve donc confronté à la recherche de traits qui font sens pour chacune des situations étudiées et permettent de les caractériser les unes en regard des autres.
En mettant en parallèle ces différents cas, ce sont les configurations que nous cherchons à analyser et les interactions entre elles. En effet, « la comparaison porte moins sur les points isolés que sur les modalités de leur articulation, plus exactement sur les constellations dans lesquelles ces point sont insérés, font sens et participent d’une configuration et d’une dynamique culturelle plus large » (Jacob, 2014). En comparant l’évolution de l’agriculture dans différentes régions, nous cherchons à comprendre les processus et leur dynamique qui ont conduit à telle ou telle situation, différente selon chaque région étudiée. La question de la similarité des espaces étudiés est donc une fausse question : on n’étudie pas des espaces mais des processus (Gervais-Lambony, 2003). Récusant les comparaisons terme à terme, l’analyse comparative s’efforce de dégager des cohérences sociétales propres à chaque cas, impliquant de considérer chacun comme un tout, en accordant une grande importance à l’articulation entre phénomènes micro et macro. En faisant varier les échelles d’analyse spatiales ou temporelles, les opérations de comparaison nous font ainsi regarder un terrain, une situation depuis ailleurs, un moment historique du point de vue d’un autre. La comparaison est en ce sens un exercice de changement d’échelle mais aussi de décentrement du regard du chercheur.
La recherche des causes entre dans la recherche de régularités sociales, qui se double ainsi d’une démarche explicative visant à la compréhension des relations de causalité. Après avoir dégagé les principales caractéristiques d’un fait, une recherche comparée peut permettre d’en établir les raisons. Tandis que le mode de raisonnement scientifique classique et dominant dans les sciences de la nature est un raisonnement de type hypothético-déductif, en cherchant à monter en généralité, à partir de la comparaison de plusieurs cas, le chercheur utilise une démarche largement inductive. Cette démarche part des faits observés, de données recueillies sur le terrain : les enquêtes et le travail de comparaison sont menés sans avoir en tête de théorie préétablie et sans préjuger de découvertes qui seront faites sur le terrain ; c’est ensuite à partir de ces données recueillies que le chercheur induit des hypothèses et établit une théorie (Vigour, 2005). La démarche inductive conduit donc des matériaux bruts – issus des observations, des entretiens, de la documentation ou des données statistiques – vers une théorie de plus en plus formelle, qui fait suite au travail de comparaison et de généralisation.
Mais la comparaison ne vise pas seulement à formuler des hypothèses ou à établir des relations causales entre variables ; elle permet de tester la pertinence et le degré de robustesse de ces hypothèses (Vigour, 2005). Lorsque l’analyse sollicite un travail de modélisation, la comparaison est nécessaire à la fois en amont et en aval du modèle : en amont, car elle est à la base de sa construction, mais aussi en aval puisqu’elle est le meilleur moyen de confronter le modèle ainsi obtenu à la réalité, de constater les écarts et de créer éventuellement une famille de sous-modèles (Reynaud, 1984).
Enfin, la démarche comparative est d’autant plus riche qu’elle est itérative, grâce à un constant va-et-vient entre le travail de terrain, les analyses personnelles et les lectures sur le sujet. Plutôt que de penser la montée en généralité d’un travail d’analyse basé sur une enquête de terrain selon un schéma pyramidal (recueil de données, hypothèses, théorie générale), mieux vaut le penser à la manière d’une spirale (Vigour, 2005). Les aller-retours entre le recueil de données et la construction d’hypothèses et de théories conduisent à amender et préciser l’analyse. En effet, de bonnes lectures permettent d’émettre des hypothèses susceptibles d’être testées sur le terrain ; et inversement, la confrontation avec le terrain permet d’éliminer des questions non pertinentes, mais aussi de les réorienter.
En conclusion, Pélassy synthétise bien l’approche comparative en disant que « la comparaison aide à faire le partage entre le fortuit et le nécessaire, l’accidentel et le régulier. L’accumulation du savoir se fait au travers de ce mouvement qui mène du particulier au général, puis renvoie du général au particulier avec une batterie d’hypothèses nouvelles et de concepts progressivement affinés » (Pélassy 1982 dans Vigour, 2005).
Cette démarche comparative a été largement utilisée dans cette recherche pour la réalisation de l’analyse-diagnostic de la région de La Borne par une approche adaptée aux différentes échelles d’observation et d’analyse. Elle a permis, à partir d’éléments très concrets recueillis sur le terrain, de modéliser une réalité plus complexe et de monter en généralité les réflexions menées à l’échelle de la région de La Borne.
C’est également sur un raisonnement comparatif que repose le travail présenté en dernière partie de ce manuscrit (cf. chapitre 7). Celui-ci a permis, à l’échelle de la région de La Borne, à partir de la compréhension des « régularités sociales » caractérisées et modélisées dans le diagnostic agraire, d’identifier et analyser les « singularités ». Il s’est agi, grâce à une démarche itérative d’observation et d’analyse des pratiques, conduite tout au long du travail de terrain, d’identifier celles développées par les agriculteurs à rebours du « mouvement général ». Leur analyse a permis de comprendre les logiques sous-jacentes à leur mise en œuvre, les conditions qui ont permis leur émergence et celles qui permettraient leur diffusion.
Les étapes de ce travail sont également décrites dans la suite de ce chapitre, en partie 3.4.
A une échelle plus englobante, l’approche comparative a permis de monter en généralité les réflexions menées à l’échelle de la région de La Borne afin d’apporter des éléments de réponse aux questions de recherche posées.

Une démarche diachronique tournée vers la compréhension des processus de développement

L’utilisation du concept de système agraire permet, à partir d’une démarche systémique, de comprendre, à une période donnée de son histoire, la structure et le fonctionnement du système agraire étudié. L’analyse diagnostic s’inscrit, en complément, dans une approche diachronique qui vise à replacer la situation actuelle de l’agriculture d’une région donnée dans le temps plus long des dynamiques agraires actuelles et passées dont elle est le fruit.
A travers cette étude historique, il s’agit de comprendre les enchainements de cause à conséquence à l’origine des différents changements intervenus, afin d’expliquer le fonctionnement du système agraire actuel (Cochet, Devienne et Dufumier, 2007b). Il s’agit également de comprendre les mécanismes de différenciation des systèmes de production au cours du temps, permettant d’identifier ceux actuellement mis en œuvre, afin de mesurer et comparer leur efficacité technique, économique et dans une certaine mesure sociale (Cochet, 2015; Cochet et Devienne, 2006).
Forgée grâce à la pratique et à un savoir-faire développé dans des contextes historiques et géographiques extrêmement contrastés, l’analyse-diagnostic s’appuie sur un travail de terrain dédié à l’analyse du paysage et à la réalisation d’enquêtes.

Le paysage, représentation visuelle de l’évolution d’un mode d’exploitation du milieu

La première étape de la reconstitution historique des dynamiques agraires d’une région consiste à « lire » le paysage, conçu comme « le support d’une information originale sur de nombreuses variables, relatives notamment aux systèmes de production » (Deffontaines, 1973). « [Le paysage] n’est pas un simple « environnement » : œuvre de la société, il constitue tout autant le cadre matériel qui conditionne son activité. Le paysage est donc aussi bien le produit de l’histoire, qu’une indispensable partie prenante dans le jeu du social » (D’Ans, 1987).
« [Le] paysage est l’expression visuelle, ce qui se voit à une échelle d’observation donnée, d’un mode d’exploitation du milieu, lui-même partie prenante d’un système agraire » (Cochet, 2011a). Ce qui se voit des pratiques de culture (associations de culture, techniques de préparation du sol, etc.) nous renvoie plutôt à l’échelle du système de culture tandis que ce qui a trait au mode d’exploitation du milieu exprime sa cohérence à l’échelle englobante du système agraire (Mazoyer, 1987).
Décrypter le paysage consiste, à partir de son observation détaillée et ordonnée, voire de sa modélisation à l’aide d’un ou plusieurs transects caractéristiques, à en délimiter les différentes parties pour mieux décrire chacune d’elles. Ces grands ensembles peuvent être décrits du point de vue de la géologie du substrat, de leur géomorphologie, de la nature pédologique de leurs sols. De l’observation des usages et des pratiques est déduit un certain nombre d’hypothèses sur le ou les modes d’exploitation de chacune de ces parties et sur les relations possibles entre ces différents espaces exploités (Cochet, Devienne et Dufumier, 2007b).
« Surtout, se bien persuader que l’explication de ce qui se voit a les plus grandes chances de ne pas s’expliquer simplement par ce qui se voit, mais par des mécanismes de civilisation, mécanismes qui n’ont d’ailleurs pas une action inévitable et unilinéaire, mais une action soumise à bien des modalités » (Gourou, 1973).
Ces observations et déductions émergent d’une lecture du paysage s’inscrivant à différentes échelles d’analyse. « Connaître un paysage pour le décrire de façon détaillée et cohérente impose non seulement de le regarder de loin, mais encore de le parcourir à pied en observant l’environnement immédiat » (Lizet et de Ravignan, 1987). Elles sont également le fruit d’une lecture à l’aide d’observations de plus ou moins longue durée, réalisées à différents moments de la journée (le matin pendant les travaux des champs, l’après-midi pendant le déplacement des animaux, etc.), et de l’année (cf. Figure 4). « L’information lisible dans un paysage dépend […] du moment et de la durée d’observation. Ainsi les facteurs constituant un système de production sont plus ou moins perceptibles selon la date » (Deffontaines, 1973).
Les observations directes ont été complétées à l’aide de l’analyse de documents cartographiques et de vues aériennes pour permettre in fine de réaliser un zonage fonctionnel des différentes parties de l’écosystème cultivé, auxquelles les agriculteurs ont souvent accès en proportions variables, et qui constitue une première forme de modélisation.

Les performances économiques des systèmes de production calculées sur la base de la  caractérisation de leur fonctionnement technique

Basé sur la typologie des systèmes de production préalablement établie, un premier échantillonnage raisonné des unités de production qui seront étudiées en détail a été effectué, de manière à appréhender la diversité des situations et à favoriser la comparaison des processus et des résultats technico-économiques (Cochet, Devienne et Dufumier, 2007b). Des entretiens réalisés auprès des unités de production choisies sur la base de cet échantillonnage ont permis de recueillir le matériel nécessaire à la modélisation du fonctionnement technique de chaque système de production, pour ensuite en évaluer les performances économiques en lien étroit avec le fonctionnement technique.
Pour chaque système de production préalablement identifié, autant d’enquêtes que nécessaire ont été réalisées pour en comprendre la logique de fonctionnement. Une discussion introductive sur la situation familiale de l’agriculteur ainsi que des questions concernant la localisation de l’habitat, la taille du jardin verger, le nombre de parcelles et leur répartition dans l’espace, le type d’associations pratiquées, la taille et la diversité du troupeau, les flux de main d’œuvre et les éventuelles autres activités réalisées permettent de positionner assez rapidement l’exploitation dans la typologie préalablement construite. Souvent très au fait de la situation de leurs voisins et des systèmes de production qu’ils mettent en œuvre, il est relativement facile d’identifier de cette manière des agriculteurs qu’il serait judicieux d’aller enquêter pour compléter notre échantillon.
Par le biais de ces entretiens, il s’est agi de comprendre comment les agriculteurs utilisent les ressources dont ils disposent afin de faire émerger la logique globale du fonctionnement de leur système de production et d’analyser en quoi elle diffère de celle des autres systèmes de production identifiés dans la région (Cochet et Devienne, 2006). Chacun des sous-systèmes (systèmes de culture et systèmes d’élevage) a été caractérisé et modélisé et leurs interactions analysées afin d’appréhender in fine la logique de leur combinaison. Différents types de calendrier (calendrier de travail, fourrager, de trésorerie d’alimentation…) ont été étudiés afin de comprendre les relations de concurrence et de complémentarité qui s’exercent entre les différents systèmes de culture et systèmes d’élevage. Ce travail a ainsi ouvert la voie à la caractérisation et à la modélisation du fonctionnement du système de production dans sa globalité, en s’appuyant sur la logique de fonctionnement propre à chacun des systèmes identifiés. Les activités extra-agricoles ont elles aussi été identifiées et caractérisées afin d’analyser leur combinaison avec l’activité agricole. Il s’est agi de comprendre les relations de concurrence ou de complémentarité entre ces différentes activités et ainsi mettre en évidence la logique de fonctionnement du système d’activité.
La compréhension du fonctionnement technique de chaque système de production agricole, et notamment de ses impératifs, permet d’évaluer ses performances économiques, qui en dépendent. Les calculs économiques permettent en retour d’éclairer certains aspects de ce fonctionnement, de comprendre pourquoi, dans une même région, les agriculteurs pratiquent des systèmes de production différents, et de formuler des hypothèses quant aux perspectives d’évolution des exploitations (Devienne et Wybrecht, 2002). De même, l’analyse de la combinaison des différentes activités agricoles et extra-agricoles précède l’évaluation des performances économiques des systèmes d’activité.

Le choix des indicateurs utilisés pour mesurer et évaluer les performances économiques des systèmes de production

Les décisions prises par les agriculteurs sont conformes à leur intérêt, dans la limite des moyens auxquels ils ont accès, mais rien n’indique en revanche que tous aient les mêmes intérêts, ni que la maximisation de leur production ou de leur revenu ait leur préférence. « Pour reproduire au mieux leurs conditions matérielles d’existence et accroître éventuellement leur « niveau de vie », les paysans adoptent des attitudes très différentes selon les rapports de production et d’échange auxquels ils sont soumis. Les critères économiques qu’ils essaient d’optimiser peuvent varier sensiblement selon la plus ou moins grande précarité de la tenure de la terre, l’importance de la force de travail et des moyens de production disponibles, les difficultés d’accès au capital, les aléas du marché, les opportunités d’emploi et de revenus en dehors de la sphère agricole, la concurrence éventuelle d’autres régions, etc… » (Dufumier, 1985). En cela, le choix des grandeurs économiques destinées à mesurer les performances économiques des unités de production revêt une importance particulière.
L’utilisation de la comptabilité de l’exploitation n’est ici pas pertinente puisque les agriculteurs haïtiens ne tiennent pas de comptabilité comme en France. Même si cela était le cas, ce ne serait nullement l’approche retenue puisque nous rejoignons le constat de Claude Reboul pour qui « la comptabilité ne se confond pas avec l’économie », et donc « l’analyse économique de la combinaison des facteurs de production sur l’exploitation agricole implique l’élaboration de données spécifiques » (Reboul, 1976).
En cherchant à̀ rendre compte de façon globale de la dynamique de l’agriculture d’une région, il faut pouvoir raisonner sur des rendements et des prix « moyens » en s’affranchissant de la variabilité interannuelle des rendements et des prix. L’analyse de l’étendue et des causes de ces variations a fait partie intégrante de la caractérisation technico-économique des systèmes de production.
Afin de rendre compte du fonctionnement du système de production, d’évaluer l’efficacité du travail des agriculteurs et de comparer les résultats des différents systèmes de production entre eux, l’approche retenue est celle de l’économie de production, qui est fondée sur le fonctionnement technique des systèmes de production et centrée sur trois grandeurs économiques, utilisées dans ce travail et plus largement en agriculture comparée(Cochet, 2011a, 2015; Cochet et Devienne, 2006) :
– la valeur ajoutée (VA) exprime la création de richesse résultant du fonctionnement du système ;
– le revenu agricole (RA), résultant du processus de répartition de la valeur ajoutée.
La valeur ajoutée est une grandeur économique qui mesure la quantité de richesse créée par la mise en œuvre d’un processus productif donné. Elle est calculée en soustrayant au produit brut, défini comme la valeur des productions finales y compris l’autoconsommation mesurée au prix du marché, la valeur des biens et services consommés au cours du processus de production annuel, regroupés sous le terme de consommations intermédiaires. Le produit brut et les consommations intermédiaires sont évalués par culture et par atelier d’élevage, à partir des rendements et des prix moyens des différents produits, en tenant compte des itinéraires techniques de culture ou d’élevage. La valeur ajoutée est calculée par système de culture et système d’élevage ; l’addition de l’ensemble constitue la valeur ajoutée brute du système de production dont est soustraite la dépréciation annuelle moyenne du capital, majoritairement limité en Haïti à un équipement restreint. La dépréciation de l’équipement, d’une valeur relativement faible en Haïti, est en effet évaluée sur la base de sa durée probable d’utilisation. Cette durée est considérée propre à chaque système de production car elle dépend d’une part de l’intensité d’utilisation de l’équipement et d’autre part des moyens dont disposent les exploitations pour le renouveler ou l’accroître(Cochet et Devienne, 2006).
Valeur Ajoutée Nette (VAN) = Produit Brut (PB) – Consommations Intermédiaires (CI) – Dépréciations du capital (DC)
La notion de valeur ajoutée présente l’intérêt de permettre de comparer l’efficacité économique des différents systèmes de production, indépendamment des conditions d’accès aux ressources mobilisées dans le processus de production.
Pour évaluer les performances économiques d’un système de production et les comparer avec ceux d’autres systèmes de production, il est également intéressant de rapporter la valeur ajoutée aux facteurs mobilisés pour sa création. La valeur ajoutée ramenée à la surface totale de l’unité de production (VA/ha) exprime l’intensification du processus productif. La productivité du travail – la valeur ajoutée ramenée à la quantité de travail effectué – mesure l’efficacité du travail incorporé au processus productif. Dans ce travail, le calcul de la productivité annuelle du travail par actif a été utilisé pour mesurer l’efficacité économique d’un travailleur dans un système de production donné. Le calcul la productivité journalière du travail (VA par journée homme travail (JHT)) a permis d’effectuer des comparaisons à l’échelle des systèmes de culture ou d’élevage, dans la mesure où il est possible de comptabiliser le travail dédié à chacun de ces sous-systèmes. Cela introduit la notion de coût d’opportunité du travail, et donc celle du choix opéré par les agriculteurs de consacrer une journée de travail à une activité plutôt qu’une autre(Cochet, 2011a).
Le revenu agricole résulte de la répartition de la valeur ajoutée et des transferts éventuels opérés par la collectivité. Il se mesure par la différence entre la valeur ajoutée nette et l’ensemble des répartitions qui traduisent les conditions d’accès aux ressources mobilisées dans le processus de production (rente foncière, rémunération de la main d’œuvre extérieure, intérêts sur le capital emprunté, taxes sur le foncier et les produits), à laquelle viennent s’ajouter les subventions lorsqu’on est dans le contexte d’une agriculture subventionnée(Cochet et Devienne, 2006).

Les enquêtes visant à caractériser le fonctionnement technique et les performances économiques des différents systèmes de production et d’activité

Comme pour les enquêtes historiques, ces exploitations ont été, dans un premier temps, choisies à partir d’observations : localisation et type d’habitat, densité et âge des arbres du jardin-verger, taille et diversité du cheptel, etc. La réalisation de ces premières enquêtes a permis d’identifier le type de système de production mis en œuvre par ces agriculteurs, de se renseigner sur les exploitations avoisinantes, d’identifier d’éventuelles autres unités de production à enquêter et de les replacer dans la typologie préétablie.
Ces entretiens se sont déroulés en deux passages en moyenne (entre un et six passages au maximum), réalisés de quelques jours à plusieurs mois d’intervalle. La multiplicité des passages a été propice au développement d’un climat de confiance avec l’interlocuteur. Lors des différents échanges, la diversité du lieu (devant l’habitat, dans un champ cultivé, sur le marché, etc.), de la saison (durant la période de soudure, en période de récolte, etc.) et du moment de la journée (à l’aube lors du déplacement des animaux, le matin durant les travaux agricoles, le soir durant un temps de repos, etc.) a conduit à approfondir certains sujets sous différents angles et à en aborder de nouveaux. La saisie des précédents échanges, relue préalablement à la nouvelle séquence d’entretien, a permis d’orienter la discussion vers l’obtention de compléments d’informations, de clarifications, etc.
Les agriculteurs sont souvent très au fait du fonctionnement des exploitations avoisinantes – localisation des parcelles de culture, nombre d’actifs, nature des productions et taille du cheptel – auxquelles ils font référence ainsi qu’à certaines anecdotes particulières pour illustrer des propos. Le recueil de ces informations annexes est particulièrement précieux, car il permet de recouper les informations collectées auprès des exploitations concernées et d’appréhender finement les rapports sociaux de voisinage.

Les enquêtes visant à évaluer la pondération des systèmes de production actuels

Afin d’évaluer l’importance relative des différents systèmes de production, en termes de nombre d’unités de production les mettant en œuvre, un travail de comptage et d’enquêtes succinctes a été réalisé auprès de 112 unités de production d’une sous-partie de la région d’étude. La délimitation de celle-ci répondait à l’exigence qu’elle soit la plus représentative possible de l’ensemble du système agraire. S’étendant de Bois Roi jusqu’à Barbe, elle englobe la diversité des sous-ensembles que l’on peut observer au sein de la région d’étude : dolines, buttes résiduelles (versants et replats sommitaux) et vallées qui découpent les rebords du plateau.
Ces enquêtes sommaires ont visé à comprendre les principales caractéristiques de l’unité de production afin d’être en mesure, grâce au travail préalablement réalisé de caractérisation du fonctionnement technico-économique des différents systèmes de production, de replacer celles-ci au sein de la typologie des exploitations. A une présentation succincte de la démarche a succédé un court entretien avec un des membres de la famille. L’absence de certaines familles lors des différents passages a conduit, dans de rares cas, à collecter les données concernant l’unité de production par le biais des témoignages apportées par les agriculteurs apparentés et voisins.
Outre l’évaluation de l’importance relative des différents systèmes de production, ce travail d’enquêtes systématiques a également permis d’analyser, à l’échelle de la sous-région ciblée, la répartition dans l’espace des habitats des différents membres d’une même famille, reflétant l’éclatement du jardin-verger parental et mettant en évidence la colonisation de nouveaux espaces par l’habitat.

Les enquêtes visant à caractériser les pratiques nouvelles développées par certains agriculteurs

Ces entretiens ont été conduits auprès d’agriculteurs choisis à partir d’observations. Il s’est agi qu’enquêter de façon privilégiée ceux développant des pratiques nouvelles, participant à transformer le mode d’exploitation et de reproduction de la fertilité.
Ces entretiens, souvent longs, se sont déroulés en plusieurs passages. Ceux-ci ont mêlé l’observation des pratiques et les discussions en elles-mêmes avec l’agriculteur. Les échanges ont revêtu un caractère historique lorsqu’il s’est agi de comprendre les conditions d’émergence de ces pratiques. Elles ont également porté sur leurs conséquences, aux différentes échelles (parcelle, troupeau, unité de production) et sous différents angles (économique, social, environnemental). Enfin, s’agissant d’un processus de développement en cours, la réflexion a été ouverte avec l’interlocuteur quant aux prochaines transformations envisagées à l’échelle de l’unité de production (investissements prévus, expérimentation de nouvelles pratiques, etc.). Les conditions nécessaires à une généralisation de ces pratiques à l’ensemble des catégories socio-économiques d’agriculteurs, y compris les plus pauvres, ont également parfois été discutées ensemble.
L’émergence de ces pratiques et la réflexion quant aux conditions de leur généralisation comptent également parmi les sujets qui ont été discutés lors de la restitution collective des résultats de cette recherche auprès des agriculteurs enquêtés (cf. infra). Cela a suscité des débats animés, mettant en lumière les intérêts divergents des différentes catégories socio-économiques d’agriculteurs (cf. chapitre 7).

Une fiabilité des informations rendue possible par le recoupement et la vérification des données

Ce travail de recherche repose très largement sur les informations collectées au cours de ce travail de terrain. Il s’avérait donc impératif d’assurer la fiabilité et la finesse des informations qualitatives comme quantitatives recueillies lors des entretiens et observations sur le terrain.
Les échanges directs, en créole et sans intermédiaire, et l’immersion sur place durant un temps relativement long ont favorisé l’instauration d’un lien de confiance avec les agriculteurs, qui est un facteur facilitant la collecte de données fiables. Le faible nombre de refus d’entretiens est un indicateur de la confiance qu’exprimaient les agriculteurs en ce qui concerne la démarche de terrain adoptée.
La mémoire des agriculteurs n’étant pas infaillible, certaines approximations involontaires ont pu avoir lieu. La question de la vraisemblance de certaines données faisant référence à des époques passées et paraissant exagérées, a pu se poser. Lorsqu’elles portaient sur des époques révolues, rendant impossible une vérification visuelle, elles ont autant que possible été recoupées avec d’autres entretiens ou à défaut confrontées aux connaissances produites par ailleurs dans les domaines écologique, agronomique, technique et démographique.
En ce qui concerne la période contemporaine, la collecte de données a porté sur les saisons de culture récentes et révolues, permettant de faire référence autant que possible à des faits avérés et d’orienter le discours vers les pratiques effectives de l’interlocuteur. La collecte de données relatives à la saison en cours, obligeant l’agriculteur à une projection dans le futur, a au contraire souvent favorisé un discours portant sur la représentation des pratiques « optimales »(Paul, 2012). Aborder les campagnes écoulées a en revanche permis le glissement du registre de la généralité, utilisé au présent pour traiter de ces représentations, à celui de la situation particulière de l’agriculteur, faisant référence à son vécu personnel. La comparaison entre ces deux discours, la représentation et les pratiques effectives, a participé à mettre en exergue les logiques propres au fonctionnement de l’unité de production de l’interlocuteur.

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Table des matières

Sigles et abréviations
Introduction Quelles voies de développement des écosystèmes de montagne en Haïti ?
Chapitre 1. Une recherche basée sur une démarche systémique et diachronique de diagnostic agraire régional
Chapitre 2. La région de La Borne, une région de montagne enclavée en partie sommitale de la Chaîne des Matheux
Chapitre 3 Fonctionnement, limites et crise du système agraire ancien basé sur la défrichebrûlis d’un recrû arbustif [1960 – 1990]
Chapitre 4 Le développement d’un système agro-pastoral à recrû herbeux pâturé [1990 – 2010]
Chapitre 5 Limites et contradictions du développement en cours
Chapitre 6 La restriction des usages agricoles sur les pentes pour leur reboisement : vers une exacerbation de la crise du système agraire ?
Chapitre 7 Des agriculteurs engagés dans une autre voie de développement : l’esquisse d’un nouveau système agraire ?
Conclusion générale
Bibliographie

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