FICTION LITTERAIRE ET RE-PRESENTATION ROMANESQUE DU GENOCIDE RWANDAIS

Le Rwanda précolonial

      C’est bien avant la colonisation européenne que l’entité du Rwanda s’est constituée, avec une organisation sociopolitique et culturelle particulière. Mais s’il reste communément admis que l’histoire de la civilisation rwandaise est très ancienne, elle n’en est pas moins l’objet d’interprétations multiples et parfois contrastées. Certains archéologues ont découvert des traces d’une civilisation maîtrisant le fer et la poterie, mais la date et le mode de peuplement du Rwanda restent encore indéfinis. Dans son ouvrage(8) consacré au Rwanda, Servilien SEBASONI avance que les premières tentatives d’écriture de l’histoire du Rwanda commencent avec le rwandais Alexis Kagamé, un prêtre érudit, philosophe, poète et professeur des Universités. Pour Kagamé, le clan des Tutsis Nyiginya est l’acteur essentiel de l’histoire du Rwanda qui plonge ses racines jusque dans le 10e siècle. Mais il y a lieu de préciser que Kagamé s’est fondé sur les données traditionnelles qu’il a recueillies auprès des récits oraux rwandais. Mais il est connu que les récits d’origine du Rwanda s’articulent auteur de deux personnages mythiques kigwa et Gihanga, ancêtres de tous les rwandais. Or ces nombreux mythes jalonnant la tradition orale rwandaise ne permettent pas toujours d’élucider de nombreuses questions socioculturelles du Rwanda actuel. A côté de Kagamé, les chercheurs de l’IRSAC (Institut de recherche scientifique en Afrique centrale) choisirent de donner une caution scientifique aux théories de races différentes, surtouts entre Hutu et Tutsi, développées antérieurement par certains explorateurs et missionnaires occidentaux. SEBASONI écrit que, selon ces chercheurs de l’IRSAC, « Les Twas, autochtones, n’avaient pas défriché la forêt ; les Hutus, arrivés ensuite, s’en étaient chargés ; les Tutsis furent les derniers arrivés. Pasteurs aux origines hamites, ils seraient venus du Nord ; ils auraient asservi Hutus et Twas en leur donnant des vaches et par leur aptitude au commandement »(9). Il faut dire que cette lecture, tendant à faire du Tutsi un être de race supérieure, sera battue en brèche par plusieurs chercheurs dont Catherine Coquio(10)qui la classe tout bonnement dans le registre des mythes et des fables relevant de l’exotisme racial occidental. Il convient donc de constater que l’histoire du Rwanda précolonial présente beaucoup de controverses et d’affabulations comme c’est souvent le cas avec les civilisations non écrites. Jean Pierre Chrétien, en ce qui le concerne, s’intéresse à l’histoire relativement récente du Rwanda, en écrivant que « Du XIVe au XIXe siècle, le Rwanda connut la féodalité sous la dynastie de rois Nyiginya issus de l’ethnie guerrière des Tutsi. »(11). De fait, l’arrivée du colonisateur à la fin du XIXe siècle au Rwanda coïncidera avec la dynastie Nyiginya dont le roi appelé Mwami appartenait au groupe tutsi.

Définition(s) du génocide

      Avant d’en venir à la définition juridique stipulée par la convention sus évoquée, il convient de noter que le terme génocide est souvent employé dans des acceptions souvent différentes. Si la racine genos implique que l’on soit tué pour ce que l’on est, de par la naissance en particulier, il y a lieu de remarquer que le mot génocide est passé dans le vocabulaire courant avec une acception plus large se référant à l’ampleur et à la gravité des tueries. Dès lors, il est de plus en plus fréquent de voir les médias, les peuples en général, utiliser le mot génocide pour désigner tout massacre de masse exercé de façon totale ou partielle. Cette acception courante, voire populaire, définit le génocide comme la volonté d’exterminer ou simplement d’éliminer les membres d’un groupehumain sans précision explicite sur la qualification de ce groupe. En ce qui touche au droit, c’est à la première session de l’Assemblée générale desNations unies tenue en 1946 à Londres que l’ONU avait commencé à poser les premiers actes juridiques en matière de génocide, en approuvant les principes de droit international définis par le Tribunal de Nuremberg. Précisons en passant que le procès de Nuremberg, qui s’est déroulé entre le 20 novembre 1945 et le 1er octobre 1946, fut intenté contre 24 des principaux responsables du Troisième Reich accusés de complot, de crime contre la paix, de crime de guerre et de crime contre l’humanité. C’est pendant cette même session que l’Assemblée générale de l’ONU a explicité ce qu’elle entend par « génocide ». C’est cette explicitation qui finit par devenir loi en vertu de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide adopté le 9 décembre 1948. Il y’a lieu de rappeler les trois premiers articles(18) de cette dite convention : Article I. Les parties contractantes confirment que le génocide, qu’il soit commis en temps de paix ou en temps de guerre, est un crime du droit des gens, quelles s’engagent à prévenir et à punir. Article II. Dans la présente convention, le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux comme tel :
‐ Meurtre de membres du groupe ;
‐ Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
‐ Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielles ;
‐ Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
‐ Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.
Article III. Seront punis les actes suivants : le génocide ; l’entente en vue de commettre le génocide ; l’incitation directe et publique à commettre le génocide ; la tentative de génocide ; la complicité dans le génocide. Cette qualification juridique du génocide est axée pour l’essentiel sur la notion de groupe ainsi que sur l’intention particulière de détruire ce groupe. Mais dans ce cas de figure, ce n’est par la notion de groupe en soi qui pose problème mais ce sont le adjectifs adjoints au terme « groupe », que sont national, ethnique, racial ou religieux qui présentent des fois des ambiguïtés. L’exemple le plus significatif dans l’actualité récente est celui du Rwanda où la distinction des Hutu et des Tutsi sur des bases ethniques demeure problématique.

Le cas du génocide rwandais

      Si l’« ethnicisme », la peur et la haine ont été les moteurs des massacres en 1994 au Rwanda, il faut préciser que les tueries remontent vers les années 1959. Mais le 6 avril 1994, l’avion transportant les deux présidents hutu du Rwanda et du Burundi est abattu alors qu’il s’apprêtait à atterrir à l’aéroport de Kigali, au Rwanda. Cet attentat est intervenu alors que le président Habyarimana revenait d’une rencontre au terme de laquelle avait été signé un accord de réconciliation et de paix entre le gouvernement rwandais et le mouvement rebelle tutsi le F.P.R (Front Patriotique Rwandais). La mort du président Juvénal Habyarimana provoque aussitôt une vague de violence effroyable dirigée principalement contre les Tutsis, sans épargner les Hutus modérés. Cette violence était le fait des milices extrémistes hutues (Interahamwes), créées sous le régime du défunt président Habyarimana, ainsi qu’une partie des troupes régulières des Forces Armées Rwandaises (F.A.R). En ce qui concerne les massacres dirigés contre les Tutsi, l’objectif déclaré de cette fulgurante tuerie était l’effacement, la totale extinction, d’une population définie par une identité ethnique à part si l’on s’en réfère à la propagande des instigateurs de l’extermination. Ces massacres seraient donc commis suivant « une logique raciste »(22) Selon le journaliste rwandais Ntarabi Kamanzi le génocide des Tutsi a été bel et bien pensé et planifié par une clique politico-militaire fasciste, cherchant à maintenir son pouvoir. Il explique que ce plan de purge faisait partie d’une large opération baptisée du nom de « Code Hirondelle » alors que le projet d’extermination s’appelait « Plan insecticide ».(23) Il faut dire en effet que l’attentat contre Habyarimana que l’on considère généralement comme l’événement déclencheur du génocide n’est que l’arbre qui cache la forêt. En réalité, de nombreux facteurs convergeaient déjà vers ce qu’on a appelé la « solution finale » comme en attestent les avertissements adressés à l’époque à l’Organisation des Nations Unies et à la France. Donc ce qu’il faut noter, sans ambages, pour ce dernier génocide, c’est que la communauté internationale était avertie de la préparation et de l’organisation froide et préméditée des massacres de civiles tutsis et leur planification hiérarchisée. Plus grave encore, lorsque le génocide s’est produit d’avril à juillet 1994, rien n’a été mis en œuvre pour que cessent les massacres. Pourtant après l’Holocauste, l’Organisation des Nations Unies exprimait, en 1948, sa première résolution avec ces trois mots : ‘‘Plus jamais ça.’’ A la suite du génocide rwandais qui aura fait près d’un million de victimes, L’ONU a mis sept mois pour mettre en place la première commission d’enquête en vue de recueillir les premiers témoignages tardifs pour le T.P.I.R (Tribunal Pénal International pour le Rwanda) censé juger les crimes commis durant ces événements. Mais le temps passe : depuis 1994 le négationnisme fait son chemin sous diverses bannières, et la banalisation du génocide, comme ce fut le cas avec las massacres antérieures, est en route. Comble de cynisme, les ossements qui avaient été conservés dans différents sites pour rappel à la mémoire entrent en décomposition du fait du climat chaud et humide du Rwanda. Voilà donc que les moyens commencent à manquer pour la préservation des preuves irréfutables de la folie des hommes. En conséquence, les écrits sur le génocide rwandais susciteront, longtemps encore, un grand intérêt dans différents domaines.

Les marques toponymiques

      Il convient, bien évidemment, de signaler que tout ce que désigne le roman n’existe que dans l’univers de la fiction. Donc, les signes donnés par la fiction romanesque ne sauraient être considérés exactement comme des doubles de la réalité auxquels ils renvoient. Tout de même, nous savons que la spécificité du style réaliste réside en ce qu’il se réfère délibérément à l’espace réel pour créer une analogie. En outre, du point de vue de la lecture, l’introspection montre que le lecteur en général ne conçoit pas les images qui lui sont livrées par la fiction sans les rétablir dans leur contexte spatial. Aussi, nous est-il donné de constater que dans le traitement de l’espace de ces écrits sur le génocide rwandais, les auteurs empruntent généralement leurs matériaux à la réalité qui leur est contemporaine et semblent présenter leur fiction comme vraisemblable et authentifiable. Les toponymes renvoient à des indications précises correspondant à l’univers géographique rwandais en particulier, et font fonctionner ces œuvres comme une structure insistant sur un hors-texte déjà connu. De fait, l’ancrage réaliste tient à l’évocation de toponymes qui peuvent se classer dans trois catégories d’espaces : les macro-espaces, les micro-espaces et les espaces ouverts. Dans les œuvres romanesques issues du Fest’Africa, l’espace principal ou macro-espace renvoie au Rwanda, tandis que les micro-espaces coïncident généralement avec les principaux foyers de massacres tels que les bourgades de Murambi, Nyakabanda, Butaré, Nyamata…Par ailleurs, l’évolution des intrigues et les pérégrinations des personnages romanesques conduisent à l’évocation des espaces ouverts que représentent les pays frontaliers du Rwanda, principalement la R.D. Congo, le Burundi, la Tanzanie et l’Ouganda, espaces souvent rêvés par les victimes comme des issues vitales. Dans le roman de Boubacar Boris DIOP, Murambi, le livre des ossements, le titre annonce un souci d’ancrage géographique évident, car le toponyme Murambi renvoie à une ville connue du Rwanda, théâtre d’horribles massacres dont le foyer principal fut l’Ecole Technique où avaient trouvé refuge des milliers de Tutsi fuyant la mort pendant le génocide. Il est à noter également la relation métonymique que l’auteur établit entre le micro-espace qu’est la ville de Murambi et le macro-espace représenté par le Rwanda. D’ailleurs, la deuxième composante du titre « … le livre des ossements » est une métaphore qui renvoie à une réalité extra-diégétique bien connue, les ‘‘sites’’ du génocide. Dans ceux-ci, les amoncellements d’ossements humains sont encore visibles, délibérément conservés par l’Etat rwandais pour servir d’éléments probants des carnages et de rappel à la conscience humaine. De fait, c’est en partie par ces ossements que Boubacar Boris DIOP, comme les autres écrivains impliqués dans cette initiative d’écriture, a pris connaissance, quatre années après, de la réalité du génocide rwandais. Chez Véronique Tadjo, le sous-titre de son roman Voyage jusqu’au bout du Rwanda fait clairement apparaître le toponyme extra-diégétique du Rwanda qui se révèle d’entrée comme l’univers macro-spatial de sa fiction romanesque. On pourrait en dire autant du titre du roman de Koulsy Lamko, La phalène des collines qui rappelle de toute évidence l’espace rwandais. En effet, la mention toponymique sur le relief que suggère le mot colline n’est pas sans rappeler la spécificité topographique rwandaise qui justifie le surnom de ’’ Pays des mille de collines’’. On sait par ailleurs qu’en ce qui relève du génocide rwandais, des foules humaines avaient pris refuge dans les collines où elles étaient souvent traquées et massacrées. Ces collines devenaient ainsi des lieux mortifères et participaient à la création d’un espace clos qui emprisonnaient et étouffaient la vie.

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Table des matières

INTRODUCTION
1ère PARTIE LES CONDITIONS D’EMERGENCE DU TEXTE FICTIONNEL
CHAPITRE 1 LE CONTEXTE DE PRODUCTION : UNE REALITE CAUCHEMARDESQUE 
I-Aperçu géographique et socio-historique sur le Rwanda
1. Présentation géographique
2. Aperçu socio-historique
2.1 Le Rwanda précolonial
2.2 Le Rwanda colonial
2.3 Le Rwanda indépendant
II- La crise rwandaise
1. Quid du concept de génocide ?
1.1 Etymologie et histoire
1.2 Définition(s) du génocide
1.3 Controverses sur la notion de génocide
2. Le cas du Rwanda
3. Du projet du Fest’Africa : « Rwanda, écrire par devoir de mémoire »
CHAPITRE 2 L’ANCRAGE REFERENTIEL ET FACTUEL : UNE REFIGURATION MIMETIQUE 
I. Espaces fictifs et références géographiques
1. Les marques toponymiques
2. Un espace chaotique et fragmenté
3. La veine du style picaresque
II- Temps fictifs et événements historiques
1. Les chrononymes ou marqueurs temporels
2. De l’errance comme motif d’intemporalité
3. De la fréquence du présent aoristique
III-Les intertextes ethnoculturels
1. Les anthroponymes
2. Les ethnotextes ou l’intertexte ethnographique
3. La prégnance de l’oralité
3.1 Les intertextes mythiques
3.2 Des images et des proverbes
3.3 Les xénismes ou insertions en kinyarwanda
3.4 Le conte comme mode de narrativisation
2ème PARTIE LA RE-FIGURATION LITTERAIRE DU GENOCIDE : ETHIQUE ET ESTHETIQUE 
CHAPITRE 1 DU SOUCI DE VERITE ET D’AUTHENTICITE 
I. Un engagement véridictionnel
1. Du principe du devoir de mémoire
2. Construire une mémoire des événements
3. De la crédibilité des témoignages
II-La littérarisation des témoignages
1. Le témoignage comme objet social et littéraire
2. L’insertion des témoignages dans les récits
2.1 Les incipits
2.2 Les collages et autres intertextes
CHAPITRE 2 REALITE ET FICTIONNALISATION 
I. Pour une éthique de la fiction
1. De la crédibilité du récit fictionnel
2. Le rapport de la fiction au réel
3. La construction de la vraisemblance
II. La création de l’univers fictionnel
1. Les protagonistes fictifs
2. De la vue des ossuaires aux hallucinations
3. Une narration symbolique et détournée des événements
3ème PARTIE DES PROCEDES NARRATIFS : LES MARQUES DE NOUVELLES STRATEGIES D’ECRITURE 
CHAPITRE 1 LES INSTANCES NARRATIVES : UNE POETIQUE DE LA DISCONTINUITE 
I. Les complexités énonciatives
1. L’effacement du héros
2. Du langage des personnages-narrateurs
3. Témoignages et énonciation
II. Les pratiques de distanciation
1. L’incertitude ou la mémoire fluctuante
2. L’ironie et l’humour
3. Une narration polyphonique
CHAPITRE 2 LES VISEES ESTHETICO-IDEOLOGIQUES 
I. Une esthétique du chaos et de la subversion
1. Des limites du langage littéraire
2. Les formes dures d’une esthétique de l’horreur
2.1 Un univers anomique et tragique
2.2 Le grotesque et l’obscène
2.3 La symbolique du corps proscrit
II. Vers une nouvelle forme d’engagement
1. Un engagement problématique et distancié
2. Du savoir des écrivains
2.1 Le souci didactique et informatif
2.2 L’intention morale
3. Le ton de la dénonciation
II. Les appels au lecteur
1. Le pacte référentiel et factuel
2. Du dialogue écrivain-lecteur
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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