Ferroélectricité induite par les structures magnétiques non-colinéaires (spirales)

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Le magnétisme

Un matériau est composé d’atomes possédant des électrons porteurs d’un moment magnétique, le spin. Ces électrons se distribuent sur des orbitales atomiques pouvant avoir deux électrons de spins opposés (up/down). Sur la dernière couche électronique, si au moins une des orbitales ne possède qu’un seul spin alors l’atome présente un moment magnétique. Un matériau possédant de tels atomes (des ions magnétiques) présente généralement une aimantation macroscopique nulle. Par contre, l’application d’un champ magnétique externe tend à aligner les spins dans la direction du champ créant alors une aimantation macroscopique. On parle alors d’un matériau paramagnétique (Fig. 1.6 a. et b.).
L’alignement des spins peut également se faire spontanément lorsque l’interaction entre eux est assez forte, on parle alors de ferromagnétisme (Fig. 1.6 c.). (Ashcroft & Mermin, 1987)

Le paramagnétisme

Le paramagnétisme se rencontre dans des composés présentant des moments magnétiques microscopiques et ayant une susceptibilité magnétique positive = 0M=B où 0 est le moment magnétique d’un atome et B l’intensité du champ magnétique. Ces moments magnétiques sont portés par les électrons non appariés des ions du matériau.
L’agitation thermique tend à désorienter aléatoirement les spins donnant une aimantation macroscopique nulle. L’application d’un champ magnétique B entraîne une compétition entre l’énergie d’agitation thermique kBT et l’énergie du système U sous champ magnétique U = 􀀀 B. La somme sur tous les spins donne ainsi une aimantation macroscopique (loi de Curie) de la forme : M = N02B 3kBT = CB T (1.10).

L’interaction Dzyaloshinskii-Moriya

L’interaction Dzyaloshinskii – Moriya est une correction relativiste du superéchange et sa force est proportionnelle à la constante de couplage spin-orbite. La théorie Dzyaloshinskii – Moriya (DM) (Dzyaloshinskii, 1958; Moriya, 1960) a été développée pour expliquer le faible moment magnétique présent dans des antiferromagnétiques telle que l’hématite Fe2O3. En 1958, I. E. Dzyaloshinskii montre dans sa théorie que la symétrie du système reste la même si les spins sont colinéaires et parallèles à l’axe de symétrie 3 ou si les spins sont non colinéaires avec une composante ferromagnétique.
En introduisant dans l’énergie libre, un terme d’interaction antisymétrique : D (S1 S2) (1.13) où D est un vecteur constant parallèle à l’axe d’ordre 3 et S1 et S2 sont deux spins voisins non équivalents, un canting des spins est favorisé donnant naissance à un faible moment ferromagnétique. Le vecteur Dzyloshinskii D est proportionnel à x r1;2 où r1;2 est le vecteur unitaire le long de la ligne connectant les ions magnétiques 1 et 2 et x le déplacement de l’ion O par rapport à cette ligne (Fig. 1.9). L’énergie DM augmente avec x. Cette théorie phénoménologique ne clarifie pas l’origine de cette interaction. En 1960, T. Moriya développe une théorie microscopique de cette interaction. Il montre que cette interaction est due au couplage spin – orbite qui ajoute une com1.1. posante antisymétrique de la forme de l’interaction Eq. 1.13 dans le mécanisme de superéchange anisotropique (couplage indirect). De plus, T. Moriya montre que si on considère deux atomes magnétiques M1 (S1) et M2 (S2) (Fig. 1.9) alors D est non nul seulement si le milieu de [M1M2] n’est pas un centre d’inversion du système. Ainsi, D est dépendant de la position de l’ion O. L’interaction DM est reliée à la symétrie du système et favorise l’alignement non colinéaire des moments magnétiques.

L’onde de spin – Le magnon

Une onde de spin correspond à l’oscillation des spins d’un réseau. Les magnons proviennent de la quantification de ces ondes de spin. Ainsi, les magnons sont des excitations magnétiques de basses énergies comme le prédit le théorème de Goldstone. (Kittel, 2007) Ils apparaissent lorsque la symétrie de rotation est brisée, il s’agit le plus souvent de boson de spin 1. Les magnons antiferromagnétiques ont une relation de dispersion telle que pour k ! 0, !(k) / k.
La Figure 1.10 présente différentes structures d’onde de spin : la spirale hélicoïdale (a.) (ferromagnétisme faible) ou cycloïdale (b.) et la structure sinusoïdale (c.).

Pérovskites multiferroïques

Les pérovskites sont des ferroélectriques remarquables dont le plus connu est BaTiO3.
Parmi la centaine de pérovskite, peu présentent les propriétés magnétique et ferroélectrique simultanément. A quoi est due cette rareté ? Dans ces composés, la ferroélectricité provient du déplacement des ions positifs (métaux de transition) qui viennent former une liaison covalente avec les oxygènes. Dans le mécanisme de la liaison covalente, l’appariement électronique se fait via le partage des électrons. Ici c’est un électron de l’atome d’oxygène qui virtuellement saute d’un niveau rempli vers un niveau vide de la couche d de l’ion métal de transition. Ce déplacement des cations et anions à l’intérieur du cristal induit une polarisation électrique macroscopique. A contrario, le magnétisme nécessite des ions métaux de transition avec un couche d partiellement remplie. Pour être magnétique la couche d de l’ion métal de transition doit être partiellement remplie et pour être ferroélectrique sa couche d doit être vide. Ce problème est connu sous le nom “d0 vs dn”.(Hill, 2000) La solution à ce problème est que ce principe d’exclusion mutuelle n’est pas un “théorème” dans les pérovskites. On peut imaginer des pérovskites mélangeant à la fois des ions d0 et dn. Un ion possédant un niveau d0 est stable au centre d’un octaèdre d’oxygène et coexiste avec un ion magnétique dn.
Le décalage de l’ion (d0) au centre de l’octaèdre induit la polarisation spontanée qui cohabite alors avec le magnétisme via l’ion magnétique (dn) (Fig. 1.11).

Ferroélectricité induite par des paires isolées

En chimie, il est bien connu que les cations contenant des paires isolées d’électron de valence sur les couches très polarisables 5s ou 6s ont une forte tendance à briser la symétrie d’inversion locale.(Picozzi & Ederer, 2009).
Dans BiFeO3 et PbTiO3 et probablement dans BiMnO3 et PbVO3, les ions Bi3+ et Pb2+ jouent un rôle essentiel dans l’origine de la ferroélectricité.(Cohen, 1992) Dans ces ions deux électrons de valence de la couche 6s ne participent pas à la liaison chimique. Ils forment donc une paire isolée. Cette paire provenant de la couche 6s est très polarisable, condition requise pour la ferroélectricité. D’un point de vue microscopique on peut expliquer la ferroélectricité par l’alignement des paires isolées dans une direction du cristal (Fig. 1.12). Ainsi la polarisation provient du site A alors que le magnétisme provient de l’ion magnétique B de la structure pérovskite (ABO3) de ces composés.

Ferroélectricité induite par l’ordre des charges

La ferroélectricité par ordonnancement des charges apparaît dans des composés formés d’ions de métaux de transition de valences différentes tels que : Fe3O4 et LuFe2O4.
Dans ces composés, la ferroélectricité est due à la présence simultanée de sites présentant des charges différentes et ayant des liaisons inéquivalentes. (Brink & Khomskii, 2008)
Ce mécanisme peut être expliqué à l’aide du schéma de la Fig. 1.13. (Efremov et al., 2004) Tout d’abord considérons un cristal homogène où les charges sont identiques sur  chaque site. La Figure 1.13 a. montre l’ordonnancement des charges sur les sites. Cet ordre des charges sur les sites provient, par exemple ici des électrons 3+ et 4+ des ions Mn non appariés d’une manganite pérovskite. Ces électrons se localisent alors sur les sites. Ces électrons non appariés peuvent également se localiser d’une autre manière. Celle-ci consiste à avoir des sites Mn de charge identique avec une variation de la charge localisée sur les liaisons Mn-Mn (Fig. 1.13 b.). Certains composés présentent à la fois des sites de charge et des liaisons de charge (Fig 1.13 c.). C’est cet état intermédiaire qui conduit alors à l’apparition de la polarisation ferroélectrique.

Couplage magnétoélectrique

L’effet magnétoélectrique correspond au couplage entre les ordres magnétique et ferroélectrique, permettant ainsi de contrôler l’aimantation en appliquant un champ électrique et vice versa.
Y. F. Popov et al. montrent par des mesures de la polarisation en fonction du champ magnétique appliqué que le couplage magnétoélectrique est quadratique lorsque la cycloïde magnétique est présente (Popov et al., 1993, 2001). En effet, l’application d’un champ magnétique supérieur à 20 T fait disparaître la cycloïde et apparaître un effet magnétoélectrique linéaire (Popov et al., 1993). S’il n’y pas de couplage magnétoélectrique linéaire dans BiFeO3, la polarisation semble ancrée avec le plan de la cycloïde donnant lieu à un couplage entre les deux entités. En effet, en 2006, des mesures sur des couches minces de BiFeO3 à température ambiante ont montré l’existence d’un couplage entre l’ordre ferroélectrique et magnétique (Zhao et al., 2006). Dans les couches minces, le plan antiferromagnétique est perpendiculaire à la polarisation électrique. Les mesures montrent que l’application d’un champ électrique fait basculer la polarisation de 71 ou 109 mais également change le plan de facile aimantation. Par exemple, le basculement à 109 de la polarisation modifie le plan d’aimantation comme sur la Fig. 1.21 c. de même pour un basculement à 71 (Fig. 1.21 d.). Il semble donc que le basculement de la polarisation soit lié à une réorientation de l’ordre antiferromagnétique.
En 2008, des mesures neutrons sur des monocristaux de BiFeO3 ont mis en évidence un comportement similaire (Lebeugle et al., 2008). Notons tout d’abord que dans les monocristaux, le plan (-12-1) de propagation de la cycloïde (onde de spin) contient le vecteur de la polarisation macroscopique (Fig. 1.22 a.). Ces mesures neutrons ont montré que l’application d’un champ électrique faisait basculer la polarisation de 71 mais qu’il faisait également basculer le plan de la cycloïde de 71, la polarisation et la cycloïde restant dans le même plan (Fig. 1.22 b.).
Ces résultats semblent paradoxaux dans le sens où l’on s’attend à un comportement découplé des ordres magnétique et ferroélectrique dans un multiferroïque de type I.
D’un point de vue théorique (Kadomtseva et al., 2004) ce couplage peut être lié à un terme d’énergie magnétoélectrique invariant, l’invariant de Lifshitz : 2M0Pz(myLx 􀀀 mxLy) (1.19).

Ferroélectricité induite par les structures magnétiques non-colinéaires (spirales)

Dans ce type de multiferroïque, la polarisation électrique apparaît avec l’arrivée d’un ordre magnétique en spirale. Katsura, Nagaosa et Balatsky (KNB) via une approche microscopique (Katsura et al., 2005) et Mostovoy en utilisant une approche phénoménologique (Mostovoy, 2006), ont montré que les spins d’une spirale (spins non colinéaires) font apparaître une polarisation P. L’approche microscopique attribue une origine électronique à l’apparition de la ferroélectricité. Katsura, Nagaosa et Balatsky montrent qu’un ordre antiferromagnétique de type spirale induit des courants de spin js (/ Si Sj) entre les atomes portant les spins non colinéaires (Fig. 1.28 a.). Ces courants induisent une polarisation ferroélectrique (Katsura et al., 2007) donnée par : P eij js eij [Si Sj ] [Q rij] (1.28).
avec eij le vecteur connectant les spins voisins Si et Sj , Q le vecteur d’onde de la spirale et rij [Si Sj ] l’axe de rotation des spins.
Ce mécanisme microscopique, permettant à une spirale magnétique d’induire une polarisation, met en jeu une interaction spin-orbite que Hu (Hu, 2008) identifia comme l’interaction Dzyaloshinskii-Moriya (DM) inverse (Fig 1.29) dans laquelle des spins voisins non colinéaires brisent la symétrie d’inversion du système. Ici la polarisation électrique est due à la polarisation des orbitales électroniques, la position des ions restant inchangée. D’après cette théorie la polarisation de TbMnO3 a une valeur de l’ordre de 760 C/cm2 (valeur proche de celle mesurée expérimentalement : 700 C/cm2 (Goto et al., 2004)) le long de l’axe c.

Le multiferroïque de type II : TbMnO3

Le multiferroïque de type II le plus étudié est une manganite de terre-rare (RMnO3) : TbMnO3. La découverte de ce composé fut une grande révolution dans le domaine des multiferroïques. Il possède une grande constante diélectrique et la possibilité de faire basculer sa polarisation par l’application d’un champ magnétique externe. De plus il possède un fort couplage magnétoélectrique et montre clairement que c’est l’ordre magnétique qui induit la ferroélectricité. (Kimura et al., 2003).

Propriété ferroélectrique

Dans les ferroélectriques displacifs conventionnels, la polarisation apparaît avec le déplacement des ions. Cette transition de phase est généralement accompagnée par un mode mou de phonon. Or dans TbMnO3, les mesures de diffusion de neutron inélastique (Kajimoto et al., 2009) et de réflectivité infrarouge (Schmidt et al., 2009) n’ont révélé aucune anomalie dans la fréquence des phonons. Ainsi dans TbMnO3 la ferroélectricité est un paramètre d’ordre secondaire lié à l’ordre magnétique. Il s’agit donc d’un ferroélectrique impropre avec une température de Curie TC = 28 K, température qui coïncide avec la température de transition magnétique TN2 . A cette température une polarisation spontanée apparaît parallèle à l’axe c du cristal. (Kimura et al., 2003)

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Table des matières

Introduction : De l’histoire aux applications
1 Les multiferroïques 
1.1 Les propriétés ferroïques
1.1.1 La ferroélectricité
1.1.1.1 Définition
1.1.1.2 Transition de phase et paramètre d’ordre
1.1.1.3 Transition ferroélectrique et mode mou
1.1.2 Le magnétisme
1.1.2.1 Le paramagnétisme
1.1.2.2 Le ferromagnétisme
1.1.2.3 L’antiferromagnétisme
1.1.2.4 L’interaction Dzyaloshinskii-Moriya
1.1.2.5 L’onde de spin – Le magnon
1.1.3 Le couplage magnétoélectrique
1.2 Les multiferroïques de type I
1.2.1 L’origine de la ferroélectricité
1.2.1.1 Pérovskites multiferroïques
1.2.1.2 Ferroélectricité induite par des paires isolées
1.2.1.3 Ferroélectricité induite par l’ordre des charges
1.2.1.4 Ferroélectricité induite par la géométrie
1.2.2 Le multiferroïque de type I : BiFeO3
1.2.2.1 Structure
1.2.2.2 Propriété ferroélectrique
1.2.2.3 Propriété magnétique
1.2.2.4 Couplage magnétoélectrique
1.2.2.5 Etat de l’art expérimental et théorique
1.3 Les multiferroïques de type II
1.3.1 Ferroélectricité induite par les structures magnétiques non-colinéaires (spirales)
1.3.2 Structure magnétique colinéaire
1.3.3 Electromagnons
1.3.4 Le multiferroïque de type II : TbMnO3
1.3.4.1 Structure
1.3.4.2 Propriétés magnétiques
1.3.4.3 Propriété ferroélectrique
1.3.4.4 Couplage magnétoélectrique
1.3.4.5 Ondes de spin et électromagnons
2 La diffusion Raman 
2.1 Le principe
2.2 L’approche classique phononique
2.3 Les tenseurs Raman et règles de sélection
2.3.1 Cas de BiFeO3
2.3.2 Cas de TbMnO3
2.4 L’approche quantique phononique
2.4.1 L’Hamiltonien d’interaction rayonnement-matière
2.4.2 Le processus de diffusion
2.5 La diffusion Raman de systèmes magnétiques
2.5.1 Onde de spin ferromagnétique
2.5.2 Onde de spin antiferromagnétique
2.5.3 Diffusion Raman de spin et magnon : diffusion spin-photon
3 Dispositif expérimental 
3.1 Laser et chemin optique
3.2 Spectromètre et caméra CCD
3.3 Les enceintes
3.3.1 Les mesures en température : cryostats et four
3.3.1.1 Les cryostats
3.3.1.2 Le four
3.3.2 Les mesures sous champ électrique
3.3.3 Les mesures sous champ magnétique
3.4 Les échantillons
3.4.1 Les échantillons de BiFeO3
3.4.2 Les échantillons de TbMnO3
4 BiFeO3 : un composé pour la magnonique 
4.1 Phonons et ondes de spin de BiFeO3
4.2 Couplage magnons-phonons
4.3 Mesures sous champ électrique
4.3.1 La magnonique
4.3.2 Contrôle des ondes de spin par un champ électrique à température ambiante
4.3.3 Les phonons sous champ électrique
4.4 Effet d’un champ magnétique
4.4.1 Application d’un champ magnétique sur les magnons
4.4.2 Le champ magnétique a-t-il un effet sur les phonons ?
4.5 Conclusion
5 Les électromagnons dans TbMnO3 
5.1 Les phonons dans TbMnO3
5.1.1 Identification des modes de phonon
5.1.2 TbMnO3 présente-t-il un mode mou ?
5.2 La découverte des électromagnons dans TbMnO3
5.2.1 La découverte
5.2.2 Les mesures en température
5.2.3 Bande à 128 cm􀀀1
5.3 TbMnO3 sous champ magnétique
5.3.1 Electromagnons sous champ magnétique
5.3.1.1 Champ magnétique appliqué selon l’axe b en E!//a
5.3.1.2 Champ magnétique appliqué selon l’axe b et a en E!//c
5.3.1.3 Champ magnétique appliqué selon l’axe c
5.3.2 L’effet du champ magnétique sur les phonons
5.4 Conclusion
Conclusion et perspectives 
Bibliographie 

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