« Faire face » à la Mort : l’Apocalypse selon Defoe

La propagation de la mort

Le spectacle de la mort s’invite à tous les coins de rue, sur tous les visages. Les signes visuels, et plus largement sensoriels sont omniprésents. Que ce soit à la vue des fosses communes, dans lesquelles les cadavres des pestiférés sont enterrés, ou d’une rue déserte, H.F. reconnaît partout l’empreinte de la mort. La vue est particulièrement mobilisée : c’est elle qui permet de repérer en premier lieu la signature de la peste, c’est-à-dire les bubons, que H.F. nomme dès le début du compte rendu les « témoignages évidents de la maladie » (“evident Tokens of the Sickness”, 4). Plus tard, il les décrit plus précisément :
Many Persons in the Time of this Visitation never perceiv’d that they were infected, till they found to their unspeakable Surprize, the Tokens come out upon them, after which they seldom liv’d six Hours; for those Spots they call’d the Tokens were really gangreen Spots, or mortified Flesh in small Knobs as broad as a silver Peny, and hard as a piece of Callous or Horn; so that when the Disease was come up to that length, there was nothing could follow but certain Death (188).
Les bubons, l’aspect le plus visuel de la peste, semblent agir particulièrement sur les victimes à partir du moment où celles-ci découvrent qu’elles portent la maladie. Le bubon dans A Journal of the Plague Year est en quelque sorte un équivalent de la marque noire des pirates, que Stevenson utilise dans Treasure Island (1883) pour annoncer la mort imminente d’un personnage. L’apparition de cette marque, qui incarne – littéralement – la mort, semble condamner celui qui la porte, comme si le porteur de la marque ne pouvait plus se projeter que dans sa propre mort.
Le lien vue-mort rappelle, par exemple, la fable de de Giorgio Vasari dans son ouvrage Les Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes (1550), sur un certain Fivizzano, un peintre fictif, qui aurait peint la mort de façon tellement vivantequ’il en serait mort lui-même. Pascale Dubus cite l’épigramme qui aurait été écrit pour cette œuvre :
Un peintre divin m’a conçue dans son esprit conforme à la vérité. / Puis sa main exercée s’est mise à l’œuvre, / Tandis qu’il fixait ses yeux sur l’œuvre achevée / Trop attentif, il pâlit et mourut. / Moi la Mort, je suis donc vivante ; je ne suis pas une image morte de la Mort / Si j’accomplis l’office qu’accomplit la mort.
Le corps des pestiférés est mis au centre du roman, figurant la toile sur laquelle la mort va apposer sa trace. Ce n’est peut-être pas tant la peste, finalement, qui décime la population, que la terreur de découvrir que la mort est proche et inéluctable.
Celle-ci ne demeure toutefois pas limitée au corps qu’elle contamine : la porte des maisons des pestiférés enfermés chez eux est marquée d’une croix rouge bien visible (“evident to be seen”)au-dessus de laquelle est écrite la formule d’usage Lord have Mercy upon us (43). La mort, qui devrait rester cachée afin d’éviter toute transmission de la maladie, est visible, en tout cas détectable depuis la rue. Après s’être emparé du corps, la peste se propage visiblement à l’entièreté de la maison.
Or, la vue n’est pas le seul sens invoqué par la peste : les sons (ou le silence), le toucher sont aussi des éléments marquants de la progression de l’épidémie. Sur son chemin pour poster une lettre à son frère, H.F. observe un « profond silence » dans les rues désertées de la ville. C’est à ce moment que plusieurs habitants de la rue aperçoivent une bourse laissée au milieu du chemin, que personne, dans un premier temps, n’ose récupérer, craignant de contracter la peste en la touchant (102).
Ailleurs, ce sont les cris horrifiés des pauvres que le narrateur se sent incapable de décrire : “It is impossible to describe the most horrible Cries and Noise the poor People would make at their bringing the dead Bodies of their Children and Friends out to the Cart” (171). Lorsqu’il livre ses observations sur la transmission de la maladie, H.F. mentionne également l’idée que la peste se propagerait par une sorte d’effluve , de telle sorte qu’il serait quasiment impossible de s’en protéger complètement.

La ville qui n’existe plus

La ville de Londres décrite dans A Journal of the Plague Year a aussi la particularité de ne pas vraiment exister. L’un des éléments constitutifs du roman de Defoe – et de sa façon « d’écrire l’histoire » – consiste à raconter les événements, non au moment où ils adviennent (comme le firent Pepys et Evelyn par exemple, même si leurs journaux n’étaient pas destinés à être rendus publics), mais bien plus tard. Pour A Journal of the Plague Yearcomme pour Due Preparations for the Plaguepar exemple, le lecteur est confronté à deux périodes historiques à la fois : la Grande Peste de 1665, c’est-à-dire le contexte dans lequel les événements du roman se déroulent , et le temps de l’écriture, 1722, implicite dans le roman.
Le contexte d’écriture des œuvres de Daniel Defoe implique une connaissance des événements (par Defoe lui-même, tout du moins) qui ont pu se dérouler entre 1665 (dont, rappelons-le, l’auteur devait avoir peu de souvenirs) et 1722, notamment l’épidémie provençale, pas encore complètement éteinte, ou le Grand Incendie de Londres de 1666, qu’il semble parfois difficile de séparer de la catastrophe qui le précéda, c’est-à-dire la Grande Peste. S’il est délicat d’affirmer quel fut le rôle de l’incendie dans l’extinction de l’épidémie de peste à Londres, il est évident, même dans A Journal of the Plague Yearqui, comme son titre l’indique, tend à se focaliser sur les événements de 1665, que le Grand Incendie de Londres est pratiquement indissociable de la Grande Peste, comme s’il en constituait une suite logique. Pour H.F. également, la destruction de la ville après la peste est un événement connu auquel il fait référence à plusieurs reprises. En effet, H.F. explique que son « journal », c’est-à-dire ce qui constitue le roman lui-même, a été composé à partir de mémorandums écrits, eux, pendant la peste.
L’obsession de H.F., qui tente continuellement d’imiter, ou en tout cas de se rapprocher le plus possible dela réalité de 1665, le force à se remémorer les terribles scènes dont il a été témoin. En utilisant notamment multitudes de superlatifs – comme dans ce qui semble être, à première vue, un aveu d’échec de la description réaliste qu’il a en tête, lorsqu’il écrit “it was indeed very, very, very dreadful, and such as no Tongue can express” (60) – et en insistant sur le caractère indicible de ce qu’il a entrepris de partager avec son lecteur, H.F. parvient, paradoxalement, à rendre son sujet particulièrement vivant. Ses souvenirs de la ville et de ses gens, restés confinés dans un autre temps (le temps de la peste, avant l’incendie), prennent vie justement par l’écriture, H.F. s’évertuant à dépeindre les tableaux les plus expressifs possibles.
L’accent placé sur les sens, comme vu précédemment, rend aux habitants de Londres, y compris ceux qui sont sur le point de mourir, une réalité et un aspect bien vivant. Ceux qui, logiquement, au moment où H.F. écrit son texte – celui qu’il fournit au lecteur – ont déjà été inhumés depuis longtemps reprennent vie dans l’écriture de H.F.. Les fantômes des Londoniens resurgissent pour peupler non seulement leur ville disparue, mais l’intégralité du roman. En ce sens, l’écriture de la catastrophe consiste en une projection du sujet et de son expérience dans un nouvel espace – celui de la fiction (plus ou moins historique, comme ici) – sur lequel le temps lui-même semble avoir bien peu d’impact. La catastrophe est un monde à part.
La ville de Londres, désertée dès le début de l’épidémie par les habitants les plus riches, revêt au fil de l’exode des airs de cité morte. Elle n’est plus peuplée que de pestiférés, soit placés en quarantaine, soit errant dans les rues à la recherche de ressources pour survivre. L’air paraît contaminé par la peste, comme si la mort et l’angoisse qu’elle suscite nécessairement chez les vivants, qui ne semblent alors n’être plus que des morts en devenir, planaient comme des spectres sur les Londoniens. H.F. lui-même semble avoir été emporté. Alors que tout meurt, y compris la ville de Londres, réduite en cendres, le journal de H.F. rend à la catastrophe de 1665-1666 un territoire à occuper. Le désastre de la peste retrouve un espace dans les pages, un espace littéraire et fantasmé.

Le champs de bataille

“It was not like appearing in the Head of an Army, or charging a Body of Horse in the Field…” (226), écrit H.F.. L’épidémie de Londres, en effet, ne ressemblait certainement pas à un champs de bataille – pas littéralement en tout cas. Littérairement, en revanche, chez Defoe, l’épidémie a tout de ce qui peut caractériser une guerre : antagonisme, pour commencer, mobilisation de troupes, conquête, violence, et bien sûr mort. C’est tout un conflit qui se déploie dans les pages du Journal of the Plague Year.
La chronique de H.F. fait état d’une ville qui, en plus d’être une prison hantée, se trouve assiégée par la peste. La nécessité de résister à l’occupation de la peste dans la ville convoque une véritable armée de médecins, de notables, de religieux, mais pas seulement. Le conflit mobilise tout le monde, jusqu’à devenir, peut-être, une guerre totale, dans laquelle l’ensemble des vivants comme des morts prennent part. C’est dans ce contexte que Defoe donne véritablement un visage à la calamité qui afflige Londres, un visage qui évoque notamment le Livre de la Révélation, l’Apocalypse. Cet épisode prend corps dans le texte entre autre dans la mise en scène de la libération de la ville de Londres, qui prend alors une dimension universelle, faisant du roman une parabole de la condition humaine.

L’état de guerre

A Journal of the Plague Yearregorge d’expressions issues du domaine militaire.
Les descriptions – de la ville comme de la maladie elle-même – évoquent des scènes de souffrance et de terreur aisément transposables au domaine de la guerre. La mort menace chaque habitant, et il semble désespéré de tenter d’y échapper. Ainsi se mettent en place plusieurs rapports antagonistes, sur lesquels repose l’ensemble de l’œuvre.
L’épidémie de peste à Londres, au-delà d’une grave crise sanitaire, met en scène une opposition violente entre la vie et la mort, le bien et le mal, Dieu et le Diable. Ces rapports s’illustrent dans des scènes qui se transforment peu à peu en spectacles quotidiens. La désertification de la ville, discutée précédemment, contribue à l’image désolée de la capitale. H.F. décrit les premières semaines de septembre (la période la plus meurtrière de l’année) comme si la peste s’était véritablement installée dans la ville dans le but explicite et avéré d’en détruire complètement la population : good People began to think, that God was resolved to make a full End of the People in this miserable City. This was at that Time when the Plague was fully come into the Eastern Parishes: The Parish of Algate, if I may give my Opinion buried above a thousand a Week for two Weeks, tho’ the Bills did not say so many; but it surrounded me at so dismal a rate, that there was not a House in twenty uninfected; in the Minories, in Houndsditch, and in those Parts of Algate Parish about the Butcher-Row, and the Alleys over against me, I say in those Places Death reigned in every Corner. (99)
Cet extrait permet de remettre en contexte l’écriture de Defoe (ou celle de H.F.) : la responsabilité de la catastrophe revient ici bien à Dieu, et non au Diable. La lecture religieuse de la catastrophe repose sur la croyance que Dieu est prêt à envoyer des fléaux sur Terre afin de punir les humains qui s’éloigneraient de sa voie. Pour Defoe, les hommes sont corrompus par le Diable, qui joue un rôle direct dans l’histoire de l’humanité.
La catastrophe envoyée par Dieu a donc pour but de ramener les hommes sur le droit chemin, en les mettant face à l’horreur qu’ils engendrent eux-mêmes, et en les poussant ainsi au repentir. Ici, H.F. semble presque persuadé que Dieu va mettre un terme à l’existence des hommes dans la capitale, comme si ceux-ci ne pouvaient être sauvés. Observant les maisons fermées et marquées , H.F. se sent oppressé par les signes visuels que constituent les insignes sur les portes et les rues désertes, « encerclé » par la présence toujours plus menaçante de la peste (à en croire ses estimations sur le nombre de morts des premières semaines de septembre, effectivement exagérées par rapport aux chiffres des Bills of Mortality ). H.F. voit la mort, comme personnifiée, régner sur une partie de la ville. Cette vision est de plus présentée comme un fait établi : H.F. ne compare pas la situation à une image allégorique, purement esthétique, mais évoque la présence physique de la mort dans la ville. Le pouvoir qui lui est attribué, non discutable lorsque les statistiques de la semaine la plus meurtrière sont révélées (7165 enterrements dus à la peste, 8297 en tout pour la semaine du 12 au 19 septembre), semble invincible. L’antagonisme entre la vie et la mort ainsi illustré dans A Journal of the Plague Yearn’est pas sans rappeler les danses macabres évoquées en introduction par exemple, dans lesquelles les vivants sont emportés sans moyens de résister. L’image de la mort triomphante peut aussi être comparée au frontispice de The Christians Refuge: or Heavenly Antidotes against the Plague in this time of Generall Contagion (1665), représentant la Mort sous la forme d’un monarque couronné et portant un manteau d’hermine. L’illustration est accompagnée des quatre lignes suivantes, qui font écho à la description de H.F. : “Death triumphant cloth’d in Ermine / ‘Bout whose bones do crawl the Vermine / Doth denote that each condition / To his power must yield submission”.
Cette présence terrifiante et indésirable agit sur la population par le biais de souffrances que H.F. se lamente de ne pouvoir décrire de façon véritablement réaliste. À plusieurs reprises, le narrateur décrit les douleurs insoutenables causées par la suppuration des bubons comme une véritable torture.

Une guerre totale

La guerre engagée contre la peste force une mobilisation générale des Londoniens, concrètement comme métaphoriquement. Trois organismes sont particulièrement sollicités : les autorités politiques de la ville sont chargées de contenir la propagation de l’épidémie en mettant en place des mesures pour lutter contre les risques de contamination. Le corps médical, évidemment, doit faire face, plus que jamais, à la menace à la fois familière et mystérieuse de la peste. Enfin le clergé est mobilisé, et incarne le seul espoir de rédemption de la ville. Le désespoir semé par l’épidémie au fur et à mesure qu’elle se répand, même s’il affecte les Londoniens, qu’il s’agisse du peuple ou des notables, ne les prive pas de toutes leurs armes. Les plague orders recopiés dans le journal de H.F. – qui permettent à Defoe de transmettre une impression d’authenticité de son texte – sont un exemple de réponse des autorités à l’avancée de la peste dans la ville. S’il s’agit effectivement d’une réponse contestée, en tout cas critiquée car jugée injuste et même cruelle, la décision d’enfermer les malades chez eux (et leur famille avec eux) révèle l’antagonisme au sein même de la société londonienne : l’ennemi à combattre, la peste, n’est pas seulement une maladie, une figure allégorique, ou fantasmagorique ; elle est incarnée par les citoyens malades, faisant d’eux les ennemis de la ville. Fermer les maisons des malades revient à emprisonner les porteurs de la maladie, c’est-à-dire ceux qui, potentiellement, participeront à sa progression.
Pour assurer le bon déroulement de cette opération, Sir John Lawrence, Sir George Waterman et Sir Charles Doe, les signataires des plague orders(46), exigent la mobilisation de plusieurs corps de métiers : les Examinerssont chargés de repérer les personnes ou foyers infectés par la peste, de façon à fermer ces maisons ; les Searchers ont pour mission de diagnostiquer les malades repérés préalablement, afin de confirmer leur maladie ; ces Searchers sont assistés par des médecins ou chirurgiens. Les Watchmen, appelés à garder les portes d’entrée de ces maisons, jouent le rôle de gardiens de prison (38-40).
Les plague orders, à partir de leur publication, mettent en place une véritable armée, dont le but est d’isoler les victimes de la peste, victimes qui, malgré elles, servent de support à l’avancée de l’ennemi. Les autorités politiques orchestrent l’opération, les médecins et leurs subordonnés tentent de la mener à son terme. Ceux-ci, eux-mêmes divisés en plusieurs écoles , ont pour mission, quelle que soit leur conception de la maladie et des moyens pour la soigner, de guérir les pestiférés, et ainsi de sauver la ville. Leur tâche est couplée à celle du clergé qui, dans le contexte chaotique de l’épidémie, est chargé de pousser les habitants au repentir, perçu comme le seul moyen susceptible de libérer la ville de la colère divine. Avec une telle conception de la catastrophe, le travail acharné des quelques médecins présents dans Londres au moment de l’épidémie paraît presque inutile.
H.F. écrit même que les Londoniens n’attendaient pas d’eux qu’ils parviennent à arrêter l’épidémie, « les jugements de Dieu » :
But we were not to expect, that the Physicians could stop God’s Judgments, or prevent a Distemper eminently armed from Heaven, from executing the Errand it was sent about.
Doubtless, the Physicians assisted many by their Skill, and by their Prudence and Applications, to the saving of their Lives, and restoring their Health: But it is no lessening their Character, or their Skill, to say, they could not cure those that had the Tokens upon them, or those who were mortally infected before the Physicians were sent for, as was frequently the Case. (36-37).
L’aspect absolu de la mobilisation est atteint, non pas grâce à l’organisation politique, sanitaire et religieuse de Londres, mais lorsque l’antagonisme intrinsèque au principe de la guerre est incarné. La théorie des effluves, comparée à la conception du « monde invisible » de Defoe (c’est-à-dire le monde des anges, fantômes et apparitions), comme développé plus tôt, crée un espace aérien où les défunts, transformés en fantômes au moment de leur mort, transportent avec eux, ou en eux, l’effluve de la peste, favorisant ainsi sa transmission. D’une certaine manière, les morts eux-mêmes sont mobilisés dans la guerre de 1665 : alors que les autorités luttent contre l’épidémie, les morts, ou leur esprit échappé de leur corps, rejoignent les rangs de l’ennemi en semant la maladie. Le conflit qui oppose les Londoniens à la peste est alors généralisé au point d’opposer les vivants aux morts, voire à la mort. Cette mobilisation abstraite traduit également le côté surprenant de l’épidémie de peste, souvent discuté par H.F.. L’invisibilité de la maladie sur le corps de certains vivants participe aussi de cette traîtrise, puisque les porteurs de la maladie, sans même le savoir, permettent au fléau qui les détruira bientôt de prospérer.

« Faire face » à la Mort : l’Apocalypse selon Defoe

La Grande Peste de Londres dans A Journal of the Plague Yearcorrespond à une période autant qu’à une zone de guerre, c’est-à-dire à un champ de bataille sur lequel le combat semble ne jamais totalement prendre fin. Le roman commence en effet par les nouvelles d’une épidémie de peste en Hollande, très vite suivies par l’annonce des tout premiers cas à Londres. Àpartir de ce moment, toute l’action se déroule dans la ville (à l’exception de l’histoire des trois hommes qui fuient Londres), et ce jusqu’aux derniers mots du roman, à savoir la strophe rédigée par H.F.. La peste de 1665 a beau être un souvenir au moment où Defoe écrit son roman, le contexte dans lequel il le rédige (avec une épidémie toujours meurtrière dans le sud de la France) ravive des angoisses liées à la propagation de maladies. L’écriture de cette catastrophe vise à ranimer les souvenirs de la détresse des Londoniens pendant cette période. La lecture providentielle de la peste de Londres donne à l’épidémie une dimension morale, dont il est nécessaire de se souvenir. Parmi les choix esthétiques marquants de Defoe se trouve l’allégorie de la mort, déjà discutée, mais qui mérite plus d’attention en ce qu’elle fait écho à l’épisode biblique de l’Apocalypse. Emmanuelle Peraldo affirme que, « pour Defoe, la Bible était le premier et le plus grand des livres d’histoire (…). Comme tout puritain, Defoe partage la conception radicale selon laquelle la Bible constitue la Vérité la plus élevée » . La reprise d’images de l’Apocalypse lui permet non seulement d’affirmer l’historicité de la Bible, qui contient les instructions de Dieu, mais également que la catastrophe de la Grande Peste de Londres (et celle de Provence depuis l’arrivée à Marseille du Grand-Saint-Antoine) est un avertissement divin, un appel à la repentance.
La plus explicite de ces images est celle des Cavaliers de l’Apocalypse, particulièrement – et très logiquement – celui représentant la Mort, invoqué lorsque H.F. décrit le travail de lutte contre l’épidémie comme équivalent à « charger la mort ellemême sur son cheval pâle » (“charging Death it self on his pale Horse”, 226).
Le cavalier nommé la Mort, par ailleurs, est aussi souvent interprété comme représentant la maladie, ou la Pestilence, particulièrement redoutée. La présence dans le texte des trois autres Cavaliers de l’Apocalypse, censés représenter respectivement la Conquête, la Guerre et la Famine, est aussi perceptible, quoique plus implicite. La Guerre est présente de façon généralisée dans l’atmosphère décrite par H.F. ; la Famine est l’un des effets de l’épidémie. Londres se trouve peuplée principalement des classes les plus démunies de sa population. Dans un contexte si alarmant, ces habitants sont en situation de détresse provoquée autant par la maladie que par la faim.
La libération du fléau qui s’abattait sur Londres depuis un an est attribuée à Dieu directement. En le rendant actif dans une véritable bataille (puisqu’il prive son ennemi de toute arme, au point de le chasser de la ville), Defoe brosse le tableau d’un combat épique entre les forces du Bien et du Mal, comme on peut en trouver chez Milton dans Paradise Lost(1674).
Comme le Diable intervient dans l’histoire de l’humanité, Dieu opère ses miracles sur Terre, pour redonner vie aux moribonds.
La libération de Londres dans A Journal of the Plague Yearrésonne également avec l’épisode du Jugement dernier. L’intervention directe de Dieu pour libérer Londres semble amener un événement proche du salut des âmes, c’est-à-dire le « retour à la vie » des Londoniens, jusqu’alors condamnés à succomber à la catastrophe. H.F. décrit la joie, voire la béatitude des habitants lorsqu’ils apprennent que l’épidémie s’essouffle. Il écrit : “such was the Joy of the People that it was as it were Life to them from the Grave” (235). Cette idée de retour à la vie rappelle le jugement des morts et leur salut, là où « la mort ne sera plus et il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur, car ce qui existait avant a disparu » . Cette description de l’au-delà dans la Bible, atteint par ceux qui ont été sauvés, correspond exactement à l’inverse de ce que les Londoniens ont enduré pendant l’épidémie de peste (c’est-à-dire une très forte mortalité, qui entraîne le deuil des vivants, leur terreur, leur détresse). L’assertion selon laquelle « ce qui existait avant a disparu » peut être rapportée à l’incendie de 1666 , qui détruisit une part considérable de la ville de Londres, servant ici d’allégorie pour l’ensemble du monde. La ville renaît ensuite de ses cendres, comme la nouvelle Jérusalem descend du ciel.

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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE : PAYSAGES DE LA PESTE
Introduction
1. L’utilisation de l’espace : un labyrinthe
a) La propagation de la peste
b) La contagion par le discours
c) La mobilité
2. La ville fantôme
a) La désertification de Londres
b) La propagation de la mort
c) La ville qui n’existe plus
3. Le champs de bataille
a) L’état de guerre
b) Une guerre totale
c) « Faire face » à la Mort : l’Apocalypse selon Defoe
Conclusion
DEUXIÈME PARTIE : LES HOMMES ET LA PESTE
Introduction
1. Catastrophe et identité
a) La fragmentation de la société
b) L’individu
c) L’identité : de la rue au cimetière
2. Le « soi » à l’épreuve de la peste
a) « La première Loi »
b) La superstition
c) L’abandon
3. Survivre à la catastrophe
a) Sortir de la crise
b) L’expérience
c) “The Projecting Age”
Conclusion
CONCLUSION
ANNEXES
BIBLIOGRAPHIE

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