Faire émerger la conception architecturale

  Le contexte initial : l’ingénierie système

Avant de récemment s’émanciper, ou tout du moins d’être mise en exergue, l’architecture et la conception architecturale des systèmes artificiels est une partie intégrante de l’ingénierie des systèmes. Commençons donc par étudier cette matrice originelle.

Ingénierie Système ou Ingénierie des Systèmes ? Dans son ouvrage de référence [MF12] l’AFIS (Association Française d’Ingénierie Système) emploie le vocable d’ingénierie système. Dans leur ouvrage pédagogique [LR13] Dominique Luzeaux et Jean-René Ruault parlent expressément d’ingénierie système. Dans un récent article d’introduction [LRW15] les mêmes auteurs et moi-même nommons l’ingénierie système en tant que discipline. En revanche Wikipédia [Wik], ainsi que différentes universités ou écoles d’ingénieur proposent des programmes en utilisant la dénomination Ingénierie des Systèmes.

Nous nous proposons d’adopter les conventions suivantes dans ce manuscrit :

• L’ingénierie système dénotera soit une discipline, c.-à-d. la matière et les connaissances pouvant faire l’objet d’un enseignement, bien que n’étant pas forcément reconnue en tant que tel tant d’un point de vue scientifique qu’académique, soit un génie, c.-à-d. l’art et les techniques. Nous privilégierons l’ingénierie système en tant que génie.
• L’ingénierie des systèmes désignera la pratique consistant à faire l’ingénierie appliquée à des systèmes en s’appuyant, entre autres, sur le génie de l’ingénierie système.

Historique

L’ingénierie système est un génie récent, émergeant après la Seconde Guerre Mondiale pour répondre aux défis que posait la complexité croissante de l’ingénierie des systèmes spatiaux ou de défense. Son expansion à de nombreux domaines doit entre autres à un retour sur investissement démontré, sur la maîtrise tant des coûts que des délais [INC12, INC15]. Elle reprend à son compte les concepts issus de la théorie des systèmes, de la théorie de l’information, de la cybernétique, de l’architecture afin de donner aux ingénieurs les moyens, méthodes et outils pour maîtriser les systèmes artificiels qu’ils conçoivent [Sil12]. Retraçons-en l’histoire en remontant aux années quarante où le terme commence à être prononcé  jusqu’à nos jours. Nous avons considéré ici que les contributions et les faits sur lesquels nous nous sommes appuyé pour bâtir notre perspective historique consisteraient, parfois en la parution d’articles, mais surtout très majoritairement en la publication d’ouvrages, de normes ou de standards. Le regroupement en périodes ou courants est la libre interprétation de l’auteur et constitue en cela une proposition d’une vision de l’évolution de l’ingénierie système au cours de plus d’un demi-siècle. Le lecteur pourra se reporter aux frises historiques données en annexe (cf. annexe A page 209) pour une mise en perspective graphique de cet historique.

Émergence de l’ingénierie système (1940..1970) 

Les années quarante voient la conjonction de deux tendances :

• Sur le plan scientifique et théorique, l’apparition de nouvelles théories et tendances: la cybernétique [Wie48], la théorie de l’information [SW49], la théorie générale du système [Ber50] et l’idée d’une science de la complexité [Wea48] ;
• Sur le plan industriel et économique, la Seconde Guerre Mondiale va entraîner le développement de programmes d’armement, et encourager des progrès technologiques mettant en avant la nécessité d’apporter des solutions efficaces en termes d’ingénierie de grands systèmes complexes [BR84].

L’ingénierie système commence à voir le jour en réponse à des projets de plus en plus complexes, nécessitant une intégration multidisciplinaire, et une approche globale. Les premiers fondements d’une démarche d’ingénierie des systèmes sont posés :

• Analyse système [AK54, Hoa56, KM57],
• Allocation des fonctions sur les éléments physiques ou sur des rôles humains [Fit51].

Le rapport technique de John Warfield en 1955 [War55] prône la nécessité d’une ingénierie des systèmes pour maîtriser des projets ou programmes multidisciplinaires complexes et diminuer les risques d’échecs. Il établit une première synthèse, mettant en avant en particulier, la nécessité de planifier, de coopérer entre les disciplines, de tester et d’évaluer. Il pose la différence entre idéal (point de vue fonctionnel et usager) et optimalité (point de vue de la conception). Les dix prochaines années verront la parution des premiers ouvrages de référence sur l’ingénierie système [GM57, Hal62, Gos62, Che65, Mac65, Che67, Wym67, Shi67], leurs titres comprennent explicitement le terme de Systems Engineering, donnant ainsi un corpus opérant à la fois pour les étudiants universitaires et les ingénieurs systèmes de terrain.

L’approche se fonde sur deux concepts essentiels [Has08] : systématique et systémique.

• Systématique, caractérisant la démarche scientifique prônée : une démarche méthodique, rigoureuse et ordonnée (« on fait tout et dans le bon ordre »). Dès le départ, l’ingénierie système spécifie et agence un certain nombre de processus ou d’activités pour non seulement spécifier et concevoir les systèmes, mais également les développer, les intégrer, les déployer, les opérer. . .
• Systémique, caractérisant la posture vis-à-vis de l’objet d’étude : l’objet est considéré dans son ensemble et dans toutes ses dimensions comme un tout (posture holistique, en opposition à une posture réductionniste), en élargissant le champ d’études en le contextualisant (posture constructiviste).

James Brill, dans son article sur une rétrospective de l’ingénierie système [Bri98], synthétise trois avancées majeures apportées par les contributions de cette époque :

• Le rassemblement et la composition d’un certain nombre d’activités jusque-là disparates en leur donnant une cohérence d’ensemble : “systems design entails many things: a new set of tools, a new classification of parts, an organized approach albeit seemingly chaotic, and a team of workers. The time is ripe to weld these many things together.” ([GM57])
• La manifestation de l’ingénierie système comme méthodologie ou processus sera une des contributions majeures de Arthur D. Hall [Hal62].
• Le meilleur conseil de Shinners [Shi67] pour adresser des problèmes de nature système est de tout d’abord bien poser et comprendre ledit problème.

Ces premiers ouvrages embrassent les différents concepts, techniques et méthodes à maîtriser dans le cadre d’une ingénierie des systèmes. Evoquons-en quelques-uns:
• La planification des activités au travers d’un cycle de vie de l’ingénierie. L’enchaînement des phases ou des étapes restant largement séquentiel (cycle d’ingénierie en chute d’eau ou waterfall), seuls sont concédés des bouclages ou des itérations locaux à des activités.
• La contextualisation du système dans ses différentes dimensions : physique (ou environnementale), technologique, économique, politique, sociale.
• La séparation entre domaine du problème et domaine de la solution.
• La recherche du besoin (des usagers) comme source primordiale à l’établissement des spécifications du système.
• La notion de valeur, aussi bien dans sa dimension économique (coût, profit. . . ) que dans sa dimension subjective ou perceptive (par exemple, en reprenant les travaux sur la théorie de l’utilité de von Neumann et Morgenstein).
• La notion d’optimalité, en incorporant entre autres les travaux sur la recherche opérationnelle, en pleine expansion à l’époque.
• La difficulté à faire un choix, et les différentes techniques pour l’aide à la décision (multi-critères, mais également théorie des jeux, analyses statistiques. . . ).
• L’art de conduire des analyses système (Systems Analysis). Nous avons déjà évoqué les travaux de la RAND Corporation dans les années cinquante [AK54, Hoa56, KM57] qui établissent un corpus et donnent ses lettres de noblesse à cette activité fondamentale de l’ingénierie des systèmes. Sans oublier de compléter cela par l’art d’effectuer des synthèses système.
• La nécessité de disposer et mettre en œuvre des connaissances disciplinaires (souvent focalisées sur les différentes divisions du génie électrique : communication, électronique, automatique, traitement du signal. . . ).
• La nécessité de contrôler et réguler les systèmes à bon escient (infusion des apports de la cybernétique), assortie de l’étude méticuleuse des différentes entrées et sorties du système, et de leurs traitements associés.
• La fiabilité des systèmes (les prémisses de la sûreté de fonctionnement).
• La modélisation comme support à l’ingénierie, à la fois mathématique, mais également diagrammatique (ce qui sera redécouvert bien des années plus tard en le nommant MBSE, Model-Based System Engineering). Nous ne pouvons pas ici ne pas rendre hommage aux travaux de A. Wayne Wymore qui contribua à poser des fondations mathématiques à l’ingénierie système dans les années soixante [Wym67], et sera un des pionniers dans l’avènement du Model-based Systems Engineering. Son livre éponyme [Wym93], certainement le premier du genre, date du début des années quatre-vingt-dix.
• La conception fonctionnelle (fonction, enchaînements, entrée/sortie, scénarios) et la conception physique (composants, liens, arrangement, groupement), ainsi que l’allocation des fonctions sur les constituants.
• L’importance de la définition et de la conduite de tests est mise en avant pour la vérification et la validation du système (son domaine fonctionnel, l’atteinte des objectifs. . . ).
• Le coût et les modèles de coût, intégrant à la fois un aspect structurel du système (les éléments qui le composent) et un aspect temporel (son cycle de vie, y compris les opérations).

De cette énumération, nous pouvons nous apercevoir que nombre de fondamentaux de l’ingénierie des systèmes sont d’ores et déjà établis. Une lecture attentive des ouvrages cités ferait ressortir que la grande majorité des outils et méthodes proposées s’appuient sur des théories scientifiques et des fondements mathématiques solides. Cette période-là nous laisse donc un socle précieux et un corpus de processus, méthodes, techniques et outils convenablement complet. Une faiblesse, bien compréhensible quand nous le remettons dans son contexte historique, tient sans doute dans l’absence de recours à des techniques informatiques utilisées de nos jours pour la formalisation et la capitalisation de la connaissance, l’exploration d’alternatives, la simulation de comportement, la description ou spécification normée ou standardisée de solutions. . .

La pratique de l’ingénierie système se concrétise et s’observe principalement dans de grands programmes d’armement (ICBM – Intercontinental Ballistic Missile development program –, SAGE – Semi-Automatic Ground Environment Air Defense System development program – . . . ), et dans la conquête spatiale (Mercury, Apollo, Gemini. . . ).

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Table des matières

Introduction
1 Prolégomènes
1.1 Système
1.2 Architecture
1.2.1 Première approche
1.2.2 Recherche plus étendue
1.2.3 Étude synonymique
1.3 Conception
1.3.1 Où la situer ?
1.3.2 Des définitions et des modèles
1.3.3 Synthèse
2 Faire émerger la conception architecturale
2.1 Le contexte initial : l’ingénierie système
2.1.1 Historique
2.1.2 Tentatives de définition
2.1.3 Particularités
2.2 Ingénierie et Architecture
2.2.1 Système et Architecture
2.2.2 Faire de l’ingénierie et architecturer
2.3 Distinguer l’architecture
2.3.1 Décisions architecturales
2.3.2 Les modes de raisonnement de l’architecte
2.3.3 Complexité et nécessité de l’architecture
2.4 Viser un paradigme de la conception architecturale
2.4.1 Des défis
2.4.2 Des bénéfices
2.4.3 Une démarche
3 Construire un paradigme de la conception architecturale
3.1 Le paradigme FCF d’E. Crawley
3.1.1 La fonction
3.1.2 Le concept
3.1.3 La forme
3.1.4 Critique du FCF d’E. Crawley
3.2 Le cadre FBS de J. Gero et ses extensions
3.2.1 Le FBS
3.2.2 Le FBS situé
3.2.3 Critique du FBS de J. Gero et ses extensions
3.3 Première bissociation : FCF ⊕ FBS
3.3.1 Paradigme simplifié
3.3.2 Paradigme augmenté
3.4 Le paradigme (analytico)systémique de D. Claeys
3.5 Deuxième bissociation : GC3FB2⊕ Paradigme (analytico)systémique de D. Claeys
3.5.1 Tempus rerum imperator
3.5.2 Les différents espaces
3.5.3 L’architecte : observateur et acteur
3.5.4 Processus et opérations
3.6 Synthèse
4 Définir une démarche de la conception architecturale
4.1 Fondements
4.1.1 Nature et fonction des éléments
4.1.2 Espaces
4.1.3 Modèles
4.1.4 Modèles et espaces
4.1.5 Modèles et temps
4.1.6 Modèles et qualité
4.1.7 Modèles et organisation
4.1.8 Processus et opérations
4.1.9 Processus et modèles
4.2 Démarche de conception architecturale
4.2.1 Conceptualisation
4.2.2 Archétype de la conception architecturale
4.2.3 Niveau général
4.2.4 Retour sur la respiration
4.2.5 Niveau particulier
4.3 Synthèse
Conclusion

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