Fabriquer des villes capitales entre monde arabe et Afrique noire

Nouakchott et Khartoum. Deux villes, a priori, que tout sépare. A peine un million d’habitants pour la première contre cinq millions pour la seconde. L’une a fêté récemment ses cinquante ans alors que l’autre est d’un siècle et demi son aînée. « Nouakchott l’Atlantique » et « Khartoum la Nilotique ». Mauritanie, Soudan. Afrique de l’Ouest, Afrique de l’Est. Afrique francophone, Afrique anglophone. Khartoum, ville ordonnée, à la trame claire et précise, blottie le long du Nil. Nouakchott, ville surgie du sable, qui semble évoluer hors de tout schéma d’urbanisme et s’étend sans difficulté sur les dunes qui l’entourent. Au-delà des différences de formes, ces deux villes partagent des caractéristiques communes dont la première est d’être capitale. En partant de ce statut de capitale, l’objectif de cette recherche est d’expliquer comment se fabriquent des villes-capitales, ce qui suppose de mettre au jour les interactions qui existent entre les logiques politiques (la capitale comme instrument du pouvoir) et les dynamiques sociales (la ville, espace vécu et approprié par les habitants). Parce qu’elles sont capitales, ces villes apparaissent comme des lieux de toute première importance : c’est à Nouakchott et Khartoum que les dynamiques socio-politiques se concentrent, s’expriment et se « surpolitisent ». Dans cet espace circonscrit, largement investi symboliquement et matériellement, les processus paraissent plus exacerbés et visibles que dans le reste du territoire national. Les capitales sont en cela les boîtes noires des transformations à l’œuvre dans les deux pays, ce qui explique le choix de ce lieu comme angle d’observation privilégié. Elles donnent à voir de multiples combinaisons socio-spatiales, en même temps qu’elles les complexifient car les villes sont elles-mêmes porteuses de dynamiques qui leur sont propres. Cette approche comparative s’établit donc à partir d’un même objet – la ville-capitale – et se donne pour objet d’analyse un même processus, celui de la fabrique d’une entité spatiale particulière, la capitale, et ce dans un contexte géopolitique proche. Nouakchott et Khartoum sont en effet capitales politiques d’États frontières qui se situent à la charnière entre le monde arabe et l’Afrique noire. En prenant place sur la bande latitudinale qui sépare ces deux aires, cette construction se veut profondément marquée par la multiplicité identitaire, pour ne pas dire par de forts antagonismes entre les différents groupes sociaux. Cette position géographique ambiguë implique que Nouakchott et Khartoum soient sujettes à plusieurs logiques contradictoires puisque les deux pays se sont édifiés en intériorisant la ligne-frontière culturaliste qui oppose Sahara et Sahel, populations blanches et populations noires.

Fabriquer des capitales entre l’Afrique noire et le monde arabe 

Capitale, objet politique ; ville, objet social 

Se proposer d’étudier des capitales inscrit d’emblée nos questionnements dans le champ de la géographie du politique qui, selon Jacques Lévy (1999), cherche à comprendre les articulations entre les hautes instances et la base sociale de la représentation et de la légitimation du politique. Géographie du politique ? Pas seulement car Khartoum et Nouakchott sont également des villes. Plus que le politique en tant que tel, ce sont ses manifestations spatiales et sociales qui nous intéressent. Notre approche se veut dès lors fortement marquée par la géographie sociale puisque pour mettre en évidence les processus de de la fabrique urbaine, il faut revenir sur les rapports existants entre rapports sociaux et rapports spatiaux et mesurer leurs impacts sur cet espace restreint et particulier (Di Méo, Buléon, 2005). En confrontant le concept de ville en général à celui de capitale en particulier, l’objectif est de saisir tout à la fois la dimension politique intrinsèque à ces villes du pouvoir et le processus de construction nationale de deux États nouvellement indépendants.

Replacée dans le continent africain, et plus précisément au Soudan et en Mauritanie, la problématique de la fabrique urbaine se pose avec acuité puisque le fait urbain change de nature dans la contemporanéité de la formation de l’État et de la Nation. Depuis les indépendances, les sociétés africaines évoluent en effet dans un cadre politique unique, l’Étatnation qui s’inscrit dans un territoire délimité par des frontières nationales. Parallèlement à l’État-nation, l’urbanisation s’est généralisée à l’échelle du continent, tant et si bien que les groupes sociaux, tout comme le pouvoir, n’ont semble-t-il d’autres alternatives que de se glisser dans ces deux nouvelles enveloppes spatiales que sont la ville et l’État (Retaillé, 2006). La capitale politique et nationale se veut à l’intersection de ces deux matrices puisqu’elle est la première ville du pays et la ville du Pouvoir. En ce lieu qui concentre tous les appareils étatiques se joue la politique. Le terme même de capitale renvoie davantage à un statut politique qu’à une forme urbaine dans la mesure où la capitale est, dans son acception même, au service de la puissance d’État. Les capitales du Soudan et de la Mauritanie sont en ce sens nécessairement porteuses d’une identité définie par les pouvoirs en place qu’elles sont censées matérialiser puis diffuser.

premiers jalons de notre recherche, ce n’est pas tant la forme, la taille ou la morphologie de la capitale qui retiennent notre attention que la façon dont elle est pensée comme nœud de la souveraineté de l’État, élément indispensable à son existence, pour ne pas dire à sa survie. Nouakchott et Khartoum se présentent comme de véritables lieux clefs, et ce d’autant plus qu’elles se démarquent de certaines villes qui ne seraient que des capitales politiques (Yamoussoukro, Washington, Brasilia ou Ankara…). Dans les deux cas, la suprématie politique se combine à une supériorité économique et démographique. Si leur rayonnement à l’échelle mondiale est quasi-nul, elles jouissent en revanche d’une position centrale et disposent par là même d’une certaine aire d’influence sur le territoire national étatique qu’elles dominent et administrent.

Etudier les projections et manipulations de l’espace par les dirigeants soudanais et mauritaniens est un passage obligé, particulièrement éclairant, mais ne suffit pas à rendre compte de la fabrication et du fonctionnement de Khartoum et Nouakchott. Rapidement, il semble indispensable de dépasser la seule analyse historique et politique pour changer d’échelle et descendre au niveau de l’individu et du groupe social. Si la ville est construite et pensée par l’État, on ne doit oublier pour autant qu’elle sécrète simultanément une société particulière. Parce qu’elle initie certaines transformations sociologiques qui influencent les actions des habitants, la ville ne peut être envisagée dans sa seule « version papier » de plan, carte ou schéma directeur dessinés par les pouvoirs publics. En ce sens, la ville est un système socio spatial complexe. Dans cette phase préliminaire, il faut pourtant nous accorder sur une définition, tâche bien ardue comme le rappelle George Perec :

« Ne pas essayer trop vite de trouver une définition de la ville ; c’est beaucoup trop gros, on a toutes les chances de se tromper. […] Il faudrait, ou bien renoncer à parler de la ville, à parler sur la ville, ou bien s’obliger à en parler le plus simplement du monde, en parler évidemment familièrement. » (Perec, 2000 : 119-122) .

La Mauritanie pétrolière ou comment se tourner vers l’est 

La Mauritanie pâtit d’une mauvaise image au sein du monde arabe. Pendant longtemps, le gouvernement mauritanien est dédaigné par ses confrères arabes qui ne voient là qu’un État de seconde zone, dénué d’intérêt, bien grand… mais bien pauvre. A l’image de Djibouti, la Mauritanie a été mise sur le banc de touche, ce qui a entraîné un fort ressentiment de la part du peuple maure. Les événements de 1989 ont montré combien Nouakchott était isolée sur la scène arabe. Mis à part l’Irak, aucun autre pays n’a tenu à exprimer sa solidarité, certains, comme le Maroc, allant même jusqu’à soutenir Dakar. De facto, la Mauritanie a encore du mal à trouver sa place au cœur de cet ensemble. En réaction à ce mépris mal feint par les frères arabes, et surtout suite à des pressions américaines, le pays a opté pour un virage périlleux : elle a rompu le consensus arabe en établissant des liens avec Israël et suit là le chemin emprunté avant elle par l’Égypte et la Jordanie. En 2001, le Ministre mauritanien des Affaires étrangères se rend à Jérusalem. Les articles fustigent la Mauritanie « La Mauritanie fait-elle encore partie du monde arabe ? » se demande un journaliste de Al Hayat (Courrier International n°554, 14/06/2001). Depuis, les deux États entretiennent des relations cordiales. La capitale s’est même dotée d’une ambassade israélienne, hautement surveillée. Pour l’instant, le pays n’a aucun rôle médiateur entre Israël et les membres de la Ligue Arabe, mais tout le monde s’interroge sur la raison de ce rapprochement diplomatique, sujet à bien des controverses.

Quoiqu’il en soit, ce rapprochement augure un véritable divorce entre le peuple mauritanien, farouchement opposé à ces tractations avec Israël, et les ambitions diplomatiques du gouvernement Taya. Les Mauritaniens se sentent bafoués, trahis et méprisés par leurs dirigeants dont la politique va à l’encontre totale de leurs convictions. Pour les Maures en particulier, la Mauritanie n’est plus ce pays porteur du message musulman et de l’arabité. Les dernières manifestations de ce rejet ont eu lieu au début du mois de mai 2005, lorsque le Ministre des Affaires Étrangères israélien, Sylvain Shalom, a rendu visite à Ould Taya et a souligné le « courage » de la Mauritanie. Des émeutes ont éclaté – notamment à l’université – traduisant un fort mécontentement. Parallèlement à cette visite, des rafles d’individus supposés terroristes, dans la mouvance salafiste, n’ont en rien détendu le climat. En juillet 2005, soit deux mois après, c’est Mahmoud Abbas qui se rend à Nouakchott.

La politique extérieure mauritanienne est donc on ne peut plus ambiguë. Le pays ne cesse de se réclamer du monde arabe au point que la République Islamique de Mauritanie tend à devenir République arabe de Mauritanie. L’amalgame est fait entre arabe/islamique/musulman, ce qui ne va pas pour déplaire aux dirigeants. Mais, paradoxalement, la Mauritanie n’hésite pas à passer pour le canard boiteux des nations arabes en s’affichant au côté d’Israël.

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela rapport-gratuit.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
PREMIÈRE PARTIE : De l’espace saharo-sahélien précolonial aux États soudanais et mauritanien : la lente et problématique construction du territoire, de la nation et de la capitale
CHAPITRE I. Dispositif socio-spatial à l’époque précoloniale : le continuum saharosahélien
CHAPITRE II. Colonisation et reconfiguration de l’espace : la ville dans une logique de contrôle spatial
CHAPITRE III. La difficile mise en place de l’État-nation et l’affirmation de la villecapitale
CHAPITRE IV. Crise urbaine sur fond de crises politiques : ..des États qui se cherchent, des capitales qu’on délaisse
DEUXIÈME PARTIE : La fabrique idéologique de la capitale, centre politique
CHAPITRE V. Orienter idéologiquement l’identité urbaine, un enjeu capital
CHAPITRE VI. La ville primatiale : centre des pouvoirs, au cœur des réseaux
CHAPITRE VII. Multiplication des acteurs et nouvelles conceptions de l’urbain : des contre-pouvoirs ?
TROISIÈME PARTIE : Urbanité et société urbaine politisée : la (re)construction de la ville par les habitants
CHAPITRE VIII. Urbanité et société civile : production de nouveaux rapports sociaux dans un espace politisé
CHAPITRE IX. Territorialités politisées et ethnicisées : vers l’urbanité du conflit
CHAPITRE X. De la coprésence à l’échange social : quelle urbanité de la rencontre possible ?
CONCLUSION GENERALE
LEXIQUE DES TERMES ARABES
LISTE DES ACRONYMES
BIBLIOGRAPHIE

Rapport PFE, mémoire et thèse PDFTélécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *