Exploitation minière et exploitation humaine

Les mines de charbon dans le Vietnam d’aujourd’hui et son passé colonial

Au cœur de la ville de Cẩm Phả, un des principaux centres urbains du bassin houiller du Vietnam, s’érige une statue colossale d’un groupe de mineurs, inaugurée en 2010 (Image 1). Réalisée dans le style du « réalisme socialiste », elle porte l’inscription : «la gloire des mineurs vietnamiens [Vinh quang thợ mỏ Việt Nam] ». Visages déterminés, corps musclés, ces mineurs apparaissent comme des soldats en marche combattant pour le développement économique du pays. Le nom de la place où se situe cette statue est aussi lourd de sens : la « Place du 12/11 », commémorant la grève générale des mineurs de Cẩm Phả qui eut lieu le 12 novembre 1936. Le présent se trouve ainsi directement relié au passé : les mineurs d’aujourd’hui sont représentés comme descendants de ces héroïques militants qui s’insurgèrent contre la domination coloniale et le capitalisme. La statue de Cẩm Phả fait partie de plusieurs monuments dédiés aux mineurs depuis peu partout dans la province de Quảng Ninh. Cette nouvelle exaltation de l’identité minière locale témoigne de l’intention des autorités vietnamiennes de mettre en valeur l’histoire des activités minières de la région.

Une autre image peut être mis en parallèle et en contraste avec celles mises en avant dans le Vietnam d’aujourd’hui : il s’agit du bas-relief qui se trouve au Palais de la Porte Dorée à Paris, construit pour l’exposition coloniale internationale de 1931. Sur toute la façade de ce « vestige le plus important de l’ère coloniale à Paris » , un bas-relief sculpté illustre les apports des colonies à la métropole : un foisonnement de figures représentant les principales productions coloniales qui convergent par les bateaux arrivant dans les différents ports français, vers l’allégorie de l’Abondance symbolisant la France. Dans cette scène majestueuse, une figure d’un mineur tonkinois, enfonçant sa pelle dans le charbon, occupe un coin de la façade du côté est (Image 2). Le personnage aux yeux bridés porte un chapeau traditionnel vietnamien, reproduisant le stéréotype du « coolie » vietnamien de l’époque. Docile et laborieux, il est décrit comme travaillant pour la prospérité de la France.

Ces deux représentations coloniale et socialiste qui sont celles de deux pouvoirs politiques différents à des époques différentes représentent la même activité économique… La mise en parallèle de ces deux images rappelle la pérennité de cette industrie vietnamienne. Si les mines de charbon étaient l’une des principales activités économiques du Tonkin à l’époque coloniale, elles le sont encore aujourd’hui. Contrairement à la France, qui a réduit la production de charbon dès les années 1960 et finalement choisi de fermer sa dernière mine en 2004, l’industrie charbonnière au Vietnam connait en ce début de vingt-et-unième siècle un essor sans précédent : entre 2000 et 2011, la production a été multipliée par quatre, passant de 11 609 000 tonnes à 46 611 000 tonnes. Les autorités vietnamiennes entendent accroitre encore la production afin de répondre aux besoins croissants du pays en électricité. Il ne semble pas que l’importance du charbon soit remise en cause au Vietnam pendant quelque temps encore.

La colonisation des mines

Un enjeu principal de l’expansion française au Vietnam (1874-1889) 

Le 16 mai 1883, une carte du Tonkin fut distribuée aux députés français, qui devaient voter ce jour-là sur l’envoi d’un corps expéditionnaire au Vietnam. Cette « carte aux pépites », sur laquelle on trouvait partout des indications comme « mines d’argent », « mines de cuivre », « pierres précieuses », « grosses pépites d’or », avait été préparée par Jean Dupuis, « l’inventeur de la question du Tonkin », en vue de convaincre les parlementaires de l’intérêt pour la France d’y intervenir. Cette carte fit sensation dans la presse française de l’époque, et c’est ainsi que l’opinion publique française prit connaissance des prétendues richesses du sous-sol du Vietnam. Cependant, les autorités et tout particulièrement l’administration coloniale française de la Cochinchine, la marine, les agents officiels français en poste au Vietnam ainsi que certains milieux étroitement liés à l’expansion coloniale s’y étaient déjà intéressés dès les années 1870. De fait, l’exploitation des mines du Vietnam était à l’ordre du jour de la politique française bien avant le début de la colonisation.

L’exploitation des mines au Vietnam avant la colonisation française 

Lorsque les Français s’établirent au Nord du Vietnam, l’exploitation minière avait déjà une longue histoire dans le royaume de Đại Nam. Le Khâm định Đại Nam hội điển sự lệ [Répertoire des édits royaux du Đại Nam] énumère 124 mines exploitées de 1802 à 1851 dans tout le pays, dont 34 mines d’or, 29 de fer, 14 d’argent, 9 de cuivre, 7 de zinc, etc. L’État exploitait directement certaines d’entre elles, en ayant recours à des soldats et des corvéables. Ces exploitations d’État, dirigées par les mandarins n’ayant pas de connaissance particulière en la matière, se caractérisaient pourtant le plus souvent par une faible productivité. Par conséquent, un grand nombre de mines étaient concédées à des entrepreneurs privés contre le versement annuel d’une somme forfaitaire. Ces entrepreneurs ainsi que les travailleurs qualifiés qu’ils employaient étaient, en grande partie, chinois d’origine du Yunnan ou d’autres régions limitrophes. Disposant d’une technique plus avancée, les exploitants chinois s’imposaient comme un élément dont les autorités vietnamiennes ne pouvaient se passer sans porter préjudice au Trésor.

Parmi les 124 mines énumérées dans le Khâm định Đại Nam hội điển sự lệ, aucune mine de charbon ne figurait. Cela ne veut pas dire que le charbon n’était pas exploité à cette époquelà. Le charbon apparait pour la première fois en 1837 parmi les produits achetés par la Cour dans le Nord. Pendant le règne de Minh Mạng (1820 1841), le ministère des Travaux [bộ Công] fit transporter de Đông Triều, province de Quảng Yên, à la capitale 100 000 cân de charbon, soit environ 60 tonnes. L’utilisation du charbon était également attestée en 1841 dans la province de Quảng Nam, où ce combustible servait à traiter le zinc. Ces faits témoignent que le charbon était exploité, sans que les mines fussent régulièrement concédées.

En 1840, le gouverneur général [tổng đốc] de Hải Dương et Quảng Yên, Tôn Thất Bật, adressa une requête à l’empereur pour solliciter des ouvriers afin d’exploiter une mine de charbon située sur la montagne de An Lãng dans le district [huyện] de Đông Triều. L’empereur approuva son projet, mais les documents vietnamiens ne nous racontent pas les résultats concrets de cette première exploitation des mines de charbon menée par les autorités vietnamiennes. En tout cas, il semble qu’elle était entreprise comme une opération temporaire.

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Table des matières

Introduction
Les mines de charbon dans le Vietnam d’aujourd’hui et son passé colonial
Réflexions historiographiques
Problématiques et objets d’étude
Sources
Plan
Chapitre 1. La colonisation des mines : un enjeu principal de l’expansion française au Vietnam (1874-1889)
L’exploitation des mines au Vietnam avant la colonisation française
L’intérêt français pour le charbon du Vietnam et les premières recherches
L’implantation française dans le royaume de Đại Nam après le traité du 15 mars 1874
Les premières recherches sur le charbon du Vietnam
La question de la concession des mines jusqu’en 1881
Les positions des autorités françaises et vietnamiennes à l’égard de l’exploitation des mines
L’affaire de la mine de Nông Sơn
Les suites de l’affaire de la mine de Nông Sơn
La mission Fuchs et ses études sur le charbon du Vietnam
Les activités de la mission
La démonstration de l’exploitabilité du charbon du Tonkin et son implication politique
Les mines du Tonkin au moment de la conquête coloniale
La question des mines au cœur des relations franco-vietnamiennes
L’expédition Rivière et l’occupation de Hòn Gai
Le mythe du « Tonkin-mines » et la conquête du Vietnam
La mise en place du régime minier
La convention minière du 18 février 1885
Le règlement minier de 1888
La mission de recherche de Sarran
La concession des mines de Hòn Gai et de Kế Bào
L’intention des autorités françaises sur la concession des mines
La concession de la mine de Hòn Gai à Bavier-Chauffour
La concession de la mine de Kế Bào à Jean Dupuis
La cession de la mine de Nông Sơn à la Société française des houillères de Tourane
Chapitre 2. Des débuts difficiles : le développement des exploitations des mines et la naissance de la classe ouvrière (1889-1918)
Le démarrage de l’exploitation des mines de charbon : 1889-1899
Les préparations de l’exploitation à Hòn Gai, à Kế Bào et à Nông Sơn
Les difficultés financières des charbonnages
L’essor des charbonnages de Hòn Gai et la faillite des charbonnages de Kế Bào
Le manque de dynamisme pour les nouvelles exploitations
Le soutien de l’administration aux charbonnages en difficultés et la réforme du règlement minier
Le triomphe de Hòn Gai et les nouvelles tentatives : 1900-1913
Hòn Gai : une entreprise fluctuante, mais florissante
Nông Sơn : l’échec d’un projet liant l’exploitation minière et le développement portuaire
Kế Bào, écrasé par le poids du passé
Vigueur et précarité des nouvelles exploitations
Le problème des débouchés
La structure des débouchés : la faiblesse des demandes intérieures
Les charbons tonkinois sur le marché de l’Asie orientale
Le problème de la main-d’œuvre et la classe ouvrière naissante
Le faible rendement, les difficultés du recrutement, le manque de stabilité
Les différentes solutions pour le recrutement des ouvriers mineurs
Les conditions du travail des ouvriers et la formation d’une nouvelle classe sociale
L’interruption de la croissance : les contrecoups de la Première Guerre mondiale sur les charbonnages indochinois (1914-1918)
Le rythme de la production et des exportations des minerais indochinois
La situation des charbonnages de Hòn Gai et des autres mines de charbon
La mobilisation du personnel français
Chapitre 3. Le « boum minier » : les charbonnages à l’apogée du capitalisme colonial en Indochine (1919-1929)
L’afflux des capitaux vers les charbonnages indochinois
L’Indochine, un « refuge » pour les capitaux français
La multiplication des recherches et des exploitations minières
La constitution de nouvelles compagnies et les capitaux engagés dans les mines de charbon
La spéculation boursière
L’apparition de nouveaux exploitants des mines de charbon
Le rôle principal du patronat français d’Indochine dans les nouvelles exploitations
Les exploitants vietnamiens : Bạch Thái Bưởi et les autres
La Société française des charbonnages du Tonkin et le développement des charbonnages de Hòn Gai
« La plus belle affaire française d’Extrême-Orient »
Le grand programme de nouveaux travaux
Le développement de nouveaux sièges d’extraction et l’introduction de nouvelles techniques d’exploitation
Le développement progressif et inégal des autres charbonnages
SCDT, SAT et SDK : les plus importantes sociétés de charbonnages après la SFCT
SFCAD et SCNB : des entreprises décevantes
SMT et SICMM : le problème de l’évacuation des produits
SCTQ : une modeste, mais rentable entreprise
La diversité des situations des autres exploitations
Le développement de l’industrie charbonnière et l’économie vietnamienne
Les ouvriers mineurs : marginalisés malgré le boum minier
Chapitre 4. La crise économique et la mutation du monde des ouvriers : les charbonnages à l’épreuve de la grande dépression et des conflits sociaux (1930-1939)
Chapitre 5. Contraintes et adaptations : les charbonnages pendant la Deuxième Guerre mondiale (1939-1945)
Conclusion

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