Evolutions des stocks de carbone des sols sous l’effet des systèmes de grande culture actuels et leurs déterminants

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Stockage et stockage additionnel de carbone

 Stockage de carbone
Le stockage de carbone est l’augmentation du stock de carbone dans le temps.
Un changement de régime d’apport ou de sorties, s’il est pérennisé, va faire évoluer le stock de carbone jusqu’à un équilibre au bout d’un temps théoriquement infini (le stock à l’équilibre étant modélisé mathématiquement par une asymptote). On définit le stockage maximal associé au changement comme la différence entre le futur stock à l’équilibre et le stock initial. Il est donc défini pour un sol donné, sous un climat donné, et un changement de gestion donné. Ce stockage peut prendre une valeur négative, il s’agit alors d’un déstockage.
La séquestration de carbone dans le sol est le retrait net de CO2 de l’atmosphère résultant du transfert de son carbone dans des compartiments à temps de renouvellement lent du carbone organique du sol par comparaison à une situation où ce CO2 serait resté dans l’atmosphère. Stockage et séquestration sont deux notions distinctes : par exemple, épandre un produit résiduaire dans une parcelle donnée induira un stockage de carbone dans cette parcelle, mais ne correspondra pas à une séquestration, par rapport à un épandage qui aurait eu lieu ailleurs. Cette étude s’intéresse en premier lieu à l’effet de pratiques sur le stockage de C dans le sol, mais elle prend aussi en considération les effets induits de ces pratiques sur le bilan des GES : émissions de N2O, de CH4 et de CO2.
 Stockage additionnel de carbone lié à un changement de pratique
Le stockage additionnel lié à une pratique agricole B est la différence entre le stock de carbone mesuré dans un sol après la mise en oeuvre de la pratique B pendant une période donnée, et le stock de ce même sol sous une pratique de référence A mise en oeuvre durant la même période, à partir d’un état initial commun. Le stockage additionnel est donc défini pour deux pratiques, un site donné, et un temps écoulé depuis la différenciation des pratiques. Un minimum de 5 à 10 ans est nécessaire pour qu’un stockage additionnel soit mesurable.
La plupart des études comparent les stocks de deux pratiques après n années de différenciation à partir d’une situation commune (études synchrones) et mesurent donc un stockage additionnel (différentiel entre A et B au temps t0+n) ; très peu d’études ont mesuré le stock au temps initial t0 (études diachrones) et évaluent donc le stockage réel (différentiel entre le temps t0 et t0+n pour une pratique donnée). A noter que le changement de stock entre t0 et t0 + n dépend à la fois de l’histoire antérieure à t0, et donc du stock de carbone à l’instant t0, et de la pratique.
 Sources de confusion concernant l’évaluation du stockage de carbone lié à une pratique
La représentation des cinétiques de stockage et l’extrapolation des mesures. Le stockage moyen annuel observé n’est valide que pour le domaine de durée de l’observation et ne doit pas être appliqué à des durées plus longues, car le stockage maximal possible est limité (représenté à droite de la Figure 1-4). L’extrapolation du stockage observé par une relation linéaire (en rouge plein) conduit à un fort risque de surestimation.
Les niveaux de référence retenus (Figure 1-4). Les stocks (actuels ou futurs) de carbone n’étant pas à l’équilibre, le stockage dans le temps consécutif à l’adoption d’une pratique et le stockage additionnel dû à cette pratique sont deux données différentes. Ainsi, pour une situation où le stock de COS est en diminution sous l’effet des pratiques passées et actuelles, il est possible que le stockage additionnel consécutif à l’adoption d’une nouvelle pratique ne parvienne pas à compenser complètement la diminution tendancielle du stock de carbone du sol : dans ce cas, le stockage additionnel est positif, mais le stockage dans le temps reste négatif (le sol continue de déstocker, mais à un rythme plus lent). L’évolution tendancielle du stock de carbone par maintien du mode de gestion actuel est appelée “ligne de base”. Le stockage additionnel se calcule toujours par l’écart à cette ligne de base (différentiel entre A et B au temps t0+n dans la Figure 1-4). Pour un objectif de modération du réchauffement climatique, le stockage additionnel associé à une pratique est la donnée la plus pertinente, même si le système ne stocke pas de carbone, car le réchauffement serait supérieur sans cette pratique.
L’effet des conditions de milieu. Le stockage additionnel dû à l’adoption d’une pratique dépend du milieu (notamment le climat local et les caractéristiques du sol) et d’autres co-variables qu’il convient de prendre en compte dans les projections.
La sensibilité d’un stockage futur à l’évolution des conditions. L’évolution future des stocks (Figure 1-4, partie droite) dépendra en plus de facteurs incertains, par exemple du réchauffement climatique, des dépôts azotés, de la pression partielle de CO2. Un stockage futur ne peut donc être chiffré que dans le cadre d’un scénario de changement climatique, et d’un modèle de réponse, voire d’adaptation, du système à ce changement. Le stockage additionnel futur est, lui, moins sensible aux scénarios climatiques et peut être prévu par projection de l’observation (en rouge sur la Figure 1-4, partie droite).

Dépendance du stockage aux conditions pédoclimatiques et agronomiques

Estimation du potentiel de stockage additionnel : une approche basée sur la modélisation

Le potentiel de stockage quantifié dans le cadre de cette étude est le stockage additionnel lié à l’adoption de nouvelles pratiques, par rapport au stockage (ou déstockage) qui aurait été observé avec les pratiques agricoles actuelles. Pour cela, la “ligne de base”, correspondant à l’évolution du stock de C sous l’effet des pratiques actuelles, a été simulée et analysée. Le stockage additionnel de C, lié à l’adoption d’une nouvelle pratique, est calculé par différence entre le stock simulé sous hypothèse d’adoption de la pratique stockante et le stock simulé sous hypothèse de maintien de la pratique actuelle sur 30 ans.
Les pratiques considérées pour accroitre le stockage de carbone dans les sols ont été choisies au titre du stockage additionnel permis d’après la littérature.
Pour pouvoir rendre compte des nombreux processus contrôlant l’évolution des stocks de C du sol sous l’effet des pratiques, en interaction avec la variabilité du pédoclimat, l’approche choisie pour la quantification du potentiel de stockage additionnel de carbone a été celle d’une modélisation spatialement explicite à une résolution spatiale la plus fine possible pour une analyse à l’échelle nationale (de l’ordre du km2). L’intérêt est de tenir compte de l’extrême variabilité des contextes pédoclimatiques et agronomiques français, bien renseignée par les bases de données disponibles sur les sols, les climats, les systèmes de culture et d’élevage, tout en couvrant une gamme large de modes d’occupation du sol et de types d’agriculture représentatifs d’Europe de l’Ouest, donnant ainsi une certaine généricité aux résultats.
Les simulations ont été faites en utilisant les modèles STICS en grandes cultures et PaSim en prairie permanente, intégrant une représentation explicite du cycle du carbone dans le système sol-plante et pouvant rendre compte de l’effet des multiples facteurs pédoclimatiques et des pratiques sur l’évolution des stocks de carbone et d’autres variables d’intérêt (rendement, lixiviation d’azote, émissions de N2O…). Ces modèles, ou leur module carbone, ont été évalués dans les conditions françaises ou européennes sur leur capacité à prévoir l’évolution des stocks de carbone du sol5 ou des variables associées aux cycles C-N (production de biomasse, flux de carbone et d’azote) 6. Plusieurs bases de données nationales sur les sols, les climats, les pratiques agricoles ont été mobilisées pour renseigner les variables d’entrée des modèles.
L’approche de modélisation spatialement explicite mise en oeuvre dans le cadre de cette étude lui confère une forte originalité. Elle se démarque des approches classiquement publiées dans la littérature internationale, dans lesquelles les estimations du potentiel de stockage additionnel de carbone dans les sols sont obtenues en multipliant un potentiel de stockage unitaire, basé sur quelques données d’essais (généralement assez peu nombreuses), par de grandes surfaces. A titre d’exemple, la mise en oeuvre de l’approche classique pour évaluer le potentiel de stockage de C lié aux cultures intermédiaires aurait conduit à une valeur d’environ 5,36 Mt de C par an (0,31 tC par hectare et par an de stockage additionnel, déterminé par l’analyse bibliographique, multiplié par 17,3 Mha de grandes cultures), alors que l’approche par modélisation, tenant compte de la réalité des possibilités d’insertion de cultures intermédiaires dans les séquences de culture, de l’existence de cultures intermédiaires déjà présentes dans la ligne de base, et des multiples interactions contrôlant le stockage effectif localement, conduit à une estimation beaucoup plus faible de 2,02 Mt de C par an.
Pour quelques pratiques stockantes pour lesquelles on ne disposait pas de modèles susceptibles de simuler le stockage additionnel de C tenant compte de la diversité des contextes pédoclimatiques, comme l’agroforesterie intra-parcellaire et les haies, c’est l’approche classique par extrapolation de valeurs moyennes qui a été utilisée. L’inconvénient de ce choix est qu’il introduit une hétérogénéité méthodologique dans l’estimation du potentiel de stockage (simulations à une résolution spatiale fine pour certaines pratiques, estimation à partir de données de la littérature pour d’autres), mais il permettait d’explorer une gamme plus large de pratiques.

Modalités de mise en oeuvre des simulations, mode d’expression des résultats et calculs des bilans GES

Les simulations en grandes cultures ont été faites sur l’horizon 0-30 cm, du fait de la capacité limitée du modèle STICS à simuler l’évolution du stock de C sur toute la profondeur de sol, et parce qu’une information sur l’horizon 0-30 cm permettait plus facilement des comparaisons avec la bibliographie tout en étant pertinente d’un point de vue agronomique. Sur les résultats agrégés finaux, des calculs de stockage sur toute la profondeur de sol ont cependant été réalisés car c’est ce qui est le plus pertinent en termes d’atténuation du changement climatique, malgré les incertitudes liées à cette extrapolation.
Les simulations ont été réalisées sur 30 années pour tenir compte du temps de réponse du stockage de C aux pratiques mises en oeuvre et de la variabilité climatique interannuelle. Les données climatiques utilisées ont été celles de la période 1983-2013. Afin de prendre en compte l’effet du changement climatique sur l’évolution des stocks de carbone, des simulations étaient prévues sous un autre scénario climatique, mais elles n’ont pas été réalisées dans le temps imparti. Elles ont été réalisées a posteriori et font l’objet d’un document séparé.
Le stockage additionnel de carbone quantifié par simulation ou calculé d’après la littérature a été complété par une analyse du bilan de GES complet tenant compte des modifications d’émissions de CO2, N2O et CH4 liées à l’adoption des pratiques stockantes.
Les résultats relatifs au stockage additionnel de C sont exprimés en kg de C par hectare et par an pour les valeurs unitaires, et en millions de tonnes (Mt) de C par an pour les valeurs agrégées à l’échelle d’un territoire (région ou pays). Une valeur positive correspond à un stockage additionnel de carbone alors qu’une valeur négative correspond à un déstockage. A l’inverse, pour les bilans de GES complets, intégrant en plus les autres émissions (N2O et CH4 notamment), et exprimés en CO2équivalent, une valeur positive correspond à une émission vers l’atmosphère alors qu’une valeur négative correspond à un retrait de l’atmosphère. Un stockage additionnel de C est donc compté positivement dans les calculs relatifs au stock de C du sol, mais négativement dans les calculs de bilan GES. Cette convention est conforme à ce qui est généralement fait dans la littérature internationale.

Déploiement des pratiques stockantes : notion d’assiette maximale technique

Pour chaque pratique stockante, une assiette maximale technique (AMT) a été déterminée aux échelles régionales et nationales, en tenant compte des obstacles techniques à sa mise en oeuvre (durée de l’interculture et type de sol pour les cultures intermédiaires, hydromorphie du sol et espèces présentes dans la succession culturale pour le semis direct, présence d’un élevage ruminant pour l’insertion de prairies temporaires, taille des parcelles et profondeur du sol pour l’agroforesterie intra-parcellaire, ressources disponibles régionalement pour la mobilisation de nouvelles ressources organiques…). Quand c’était nécessaire, ces calculs d’assiette et les modalités de mise en oeuvre des pratiques stockantes testées ont tenu compte d’autres objectifs majeurs assignés à l’agriculture, tels que la réduction de l’usage du glyphosate, en interaction avec le développement du semis direct, ou la préservation de la qualité des sols, en interaction avec la mobilisation de nouvelles ressources organiques épandables.

Du potentiel technique au potentiel économique de stockage

Le potentiel technique de stockage additionnel de C correspond au niveau de stockage qu’il est potentiellement possible d’atteindre à partir des actions techniquement réalisables sur les surfaces éligibles d’un territoire. Le potentiel économique de stockage du C inclut le stockage permis par les actions techniques et le coût associé à la mise en oeuvre de ces actions. La question n’est pas seulement de savoir “quelle quantité additionnelle de carbone peut-on stocker dans les sols français ?”, mais “quelle est la combinaison d’actions permettant d’atteindre un objectif donné de stockage de C au coût total le plus faible ?”.

Les coûts de mise en oeuvre d’une pratique pour l’agriculteur

Comme pour le stockage additionnel de carbone, le coût des pratiques stockantes est un “coût additionnel”, correspondant aux variations de dépenses et de recettes associées aux modifications induites par la pratique “stockante” par rapport aux pratiques actuelles. Le coût calculé est le coût technique pour l’agriculteur ; il peut représenter une perte (coût positif) ou un gain (coût négatif). Dans quelques cas, ce coût pour l’agriculteur a été complété par des indications relatives au coût pour la collectivité quand celui-ci était non négligeable.
Les calculs ont été effectués à l’échelle des anciennes régions administratives en utilisant les données technico-économiques (d’assolement, de prix des produits et des intrants…) disponibles dans des bases de données existantes (Statistique agricole annuelle, Réseau d’information comptable agricole…), moyennées sur la période 2009-2013 afin de lisser les variations interannuelles.
La ligne de base des scénarios sur 30 ans est une référence “statique”. Le choix d’une référence “dynamique”, avec évolution tendancielle des assolements, du cheptel, des prix des facteurs de production et des produits, aurait nécessité de disposer de projections cohérentes et complètes sur 30 années en termes de prix, quantités et ressources disponibles.

Détermination du niveau effectif de mise en oeuvre des différentes pratiques par l’optimisation économique

Pour déterminer le niveau effectif de mise en oeuvre des différentes pratiques envisagées, beaucoup de travaux procèdent par construction, à dire d’experts, de scénarios de diffusion de chaque pratique. Pour cette étude, le choix a été fait de recourir à la simulation économique pour déterminer l’assiette effective des pratiques par optimisation de l’effort pour atteindre l’objectif de stockage.
Plusieurs approches de modélisation étaient envisageables (Encadré 1-1). Les types de modèles utilisables ont été comparés selon leur capacité à simuler les pratiques actuelles et stockantes, en cohérence avec les résultats fournis par les simulations agronomiques, le scénario de référence (la ligne de base) et l’horizon temporel retenus pour l’étude. Les approches de type “analyse coût-bénéfice”, les modèles d’équilibre et les modèles d’offre économétriques ont été écartés, au profit d’une approche de type “programmation mathématique”, qui permet d’intégrer plus facilement des contraintes agronomiques et des pratiques agricoles nouvelles. L’outil choisi pour effectuer cette allocation optimale de l’effort de stockage de carbone est le modèle BANCO. Ce modèle correspond à une approche hybride entre analyse coût-bénéfice et programmation mathématique. Il présente l’avantage de ne pas nécessiter un lourd travail d’adaptation, de paramétrage et de calibrage, incompatible avec le temps limité de l’étude et de permettre une évaluation homogène et commune à toutes les pratiques, transparente et reproductible.
Le modèle d’optimisation mis en oeuvre, utilisant les informations issues des simulations agronomiques et les calculs de coûts, permet, pour une cible de stockage donnée, de sélectionner les pratiques à mobiliser, et les régions où le faire, pour atteindre la cible de stockage fixée en minimisant le coût. C’est cette procédure qui détermine la part de l’assiette maximale technique sur laquelle une pratique favorable au stockage est effectivement mise en oeuvre.

Entrées de carbone dans le sol : nature et flux

Les matières organiques entrant dans le système sol sont synthétisées par les végétaux supérieurs. Elles arrivent au sol par les racines et les parties aériennes non récoltées. Hors apports exogènes, le flux d’entrée de carbone dans le sol est la production primaire nette* de l’écosystème, déduction faite de la production exportée, de la production et de la respiration des herbivores. La production primaire récoltée est transformée, et une partie peut être apportée ensuite à d’autres sols, par épandage des effluents des animaux (fumiers et lisiers) ou des effluents et produits résiduaires des activités humaines (boues de stations d’épurations, composts d’origines diverses…).
 Flux des entrées aériennes et souterraines
Les apports aériens correspondent aux litières, restitutions de parties aériennes non récoltées, fèces et apports exogènes. Les estimations des flux de restitution au sol sont souvent fondées sur des équations d’allocation du carbone végétal aux différents organes de la plante. L’indice de récolte (HI, Harvest Index) est la proportion récoltée de la production primaire nette aérienne, le reste étant restitué au sol. Le HI atteint des valeurs de 45 à 55% pour les céréales très productives. L’optimisation génétique et agronomique des rendements a en général augmenté le HI. Par conséquent, pour une production donnée, les restitutions au sol augmentent avec la production primaire, mais le rapport restitution/rendement diminue quand le rendement s’accroit.
Les flux d’apports souterrains, beaucoup moins bien connus, comprennent :
– la biomasse racinaire. Le rapport de la biomasse souterraine aux parties aériennes (root/shoot) est très variable (de 10 à 30%), et très dépendant des conditions de milieu. De façon générale, la proportion souterraine de la production primaire est d’autant plus importante que les conditions édaphiques sont limitantes (eau, azote, phosphore, fer) ;
– la rhizodéposition, terme qui désigne les apports de matières organiques au sol par les racines de plantes vivantes. Elle comprend des tissus (renouvellement racinaire), des cellules (épiderme, poils absorbants…), des macromolécules (mucilages, enzymes) ou de petites molécules (“exsudat” racinaire). On estime que le flux de rhizodéposition peut être de l’ordre de 0,2 à 0,5 fois la production racinaire nette.
Un ordre de grandeur des apports de carbone au sol en grandes cultures est donné en Figure 2-2. Dans les prairies et les cultures fourragères, une plus grande proportion des parties aériennes est exportée ou pâturée, et les entrées souterraines forment la majorité des apports au sol.

Transferts des matières organiques au sein du profil de sol

Les matières organiques sont transférées dans le profil de sol sous formes particulaire, colloïdale, ou dissoute.
Dans les sols non travaillés, le mélange des couches de terre est principalement lié à une action biologique (bioturbation). La faune du sol (vers de terre, fourmis, termites, campagnols, taupes…) enfouit les résidus végétaux, mélange la terre de proche en proche, ou ramène à la surface du matériau plutôt minéral depuis les horizons profonds. Les vers de terre sont des acteurs essentiels de la bioturbation. Le processus de mélange décroît rapidement avec la profondeur, pour devenir négligeable en dessous de 50 cm à l’échelle des décennies. La bioturbation est notoirement plus importante et plus profonde en prairies permanentes ou en agriculture de conservation que sous les cultures conventionnelles.
L’eau qui circule dans l’espace poral du sol est aussi un vecteur du transport vertical des MO dans le sol. Ce transfert est dénommé lessivage pour les particules solides, qui vont migrer depuis les horizons d’éluviation vers les horizons d’illuviation dans lesquelles elles sont immobilisées, et lixiviation pour les éléments solubles, qui peuvent être entrainés au-delà du profil de sol par les eaux d’infiltration. Il peut s’agir de matières organiques libres, adsorbées sur des minéraux, coprécipitées avec des oxy-hydroxides, ou complexées avec des métaux. Les MO dissoutes (MOD) sont en fait préférentiellement des molécules de petite taille (< 100 kDa) pour lesquelles les mécanismes de diffusion et de dispersion sont favorisés. L’eau drainant les horizons supérieurs des sols (horizons organiques et horizons minéraux de surface) peut être riche en MOD alors que l’eau drainant les sols en profondeur est plutôt appauvrie en MOD. Les concentrations en MOD sont souvent corrélées à la texture du sol, les sols sableux présentant souvent des solutions de sol plus riches en MOD que les sols argileux (à climat équivalent). En conséquence, les nappes dont le toit est proche de la surface du sol (zones humides, zones de bas de versant) présentent des concentrations en MOD notables et alimentent les cours d’eau en MOD.

Sorties de carbone

La minéralisation désigne les processus de transformation, dans le sol, de différentes molécules organiques en composés minéraux : principalement CO2, H2O, NH4+, HPO42- et SO42-. La minéralisation résulte de la respiration et de l’excrétion des organismes du sol. C’est le processus de la destruction des matières organiques, et le processus majeur de sortie du carbone du sol. D’un point de vue quantitatif, les sols émettent à l’échelle globale 10 fois plus de CO2 provenant de la respiration autotrophe (racines) et hétérotrophe (microorganismes et faune) que les activités humaines (IPCC 2013).
Les autres postes sont la perte de carbone organique dissout (COD), et les transferts liés à l’érosion des sols. Les exportations de C par flux de COD mesurés varient selon les sites de 2 à 50 kgC/ha/an, avec une tendance à l’augmentation. Dans beaucoup de situations de la zone tempérée, où l’érosion est modérée, les pertes de C dissout sont plus importantes que les pertes par érosion. A l’échelle globale, ces pertes représentent un ordre de grandeur de 0,7 Gt/an. L’érosion, principalement hydrique sous nos climats, est le facteur majeur de dégradation des sols, particulièrement en grandes cultures. Dans les systèmes naturels non perturbés, la perte de matériau par érosion est approximativement compensée par la pédogenèse. L’usage agricole, en supprimant la végétation naturelle et réduisant les taux de MO de surface, multiplie les vitesses d’érosion par cent. La grande variabilité spatiale et temporelle de l’érosion des sols est ainsi associée à l’historique de l’utilisation et de la gestion des terres. L’érosion des sols a éliminé une quantité considérable d’horizons de surface. A l’échelle globale, la quantité de C des sols exportée par érosion latérale est estimée entre 0,3 et 1 GtC/an.
L’omission de la contribution de l’érosion aux bilans de flux de C reste une source d’erreurs significatives dans l’interprétation des sorties de modèles de dynamique du C des sols. Si le C transféré latéralement par érosion est perdu à l’échelle du sol considéré, l’intégration des processus à l’échelle des bassins versants (détachement, transport, sédimentation, enfouissement dans les zones en dépression, transfert de nappe) aboutit à des bilans de C qui font débat entre puits et source de C.

Stabilisation et déstabilisation des matières organiques des sols, rendement de production de COS

 Stabilisation des matières organiques des sols
La stabilisation ou protection des MO résulte des processus qui s’opposent à la biodégradation des composés, et finalement à leur minéralisation. La rencontre ou la réaction entre le composé organique (le substrat) et les enzymes responsables de sa dégradation sont empêchées, notamment en raison du piégeage de l’un ou de l’autre : dans une association avec des minéraux (formation de complexes organo-minéraux) ou avec d’autres composés organiques (formation d’assemblages supramoléculaires), ou au sein d’agrégats minéraux (Figure 2-3). C’est l’ensemble de ces processus qui explique la persistance à long terme des MO dans les sols.
Les interactions organo-minérales tendent maintenant à être reconnues comme le facteur clef de la stabilisation des MO dans les sols. L’adsorption à la surface des minéraux empêche la réaction enzymatique de dégradation, dès lors que l’affinité d’adsorption d’une fonction organique sur la surface minérale est supérieure à son affinité pour le site enzymatique actif. Les minéraux du sol les plus impliqués dans ces interactions organo-minérales, et qui assurent donc le plus efficacement cette protection des MO, sont les minéraux d’une taille inférieure à 2 μm (les “argiles” des agronomes) et, dans cette classe granulométrique, ceux qui présentent les plus grandes réactivités de surface et les surfaces spécifiques les plus élevées. Ce sont notamment les phyllosilicates (les “argiles” des minéralogistes), différentes formes d’oxy-hydroxydes métalliques et les alumino-silicates mal cristallisés. Les MO stabilisées par ces minéraux sont majoritairement des petites molécules issues de produits microbiens.
La représentation conceptuelle de la stabilisation du carbone par la seule sorption sur les minéraux argileux a fait naître le concept de saturation des phases minérales, dans une logique qui voudrait que les surfaces minérales puissent accueillir une quantité limitée de carbone et que le stockage de COS soit ainsi borné. Cependant le concept n’apparaît pas suffisamment validé pour être opérationnel.
La minéralisation des MO est aussi ralentie par les processus d’agrégation des particules de sol. Ainsi, le temps de résidence du C dans les débris végétaux est plus long s’ils sont inclus dans les agrégats plutôt que libres, et s’il s’agit de micro-agrégats (< 50 μm) plutôt que de macro-agrégats (> 50 μm). Les agrégats, et surtout les micro-agrégats, sont d’ailleurs utilisés comme fractions indicatrices du degré de protection physique du carbone.
L’action des décomposeurs sur leurs substrats organiques se déroule dans le réseau de pores du sol. C’est à une échelle micrométrique, correspondant à la taille des bactéries, que la structure du sol contrôle la biodégradation. Ainsi, la vitesse de minéralisation de substrats simples dépend en partie de la taille des pores dans lesquels ils sont localisés. La géométrie des associations de particules minérales crée des microsites (micro- à nanométriques) dans lesquels les MO sont protégées de l’action enzymatique (par la limitation de l’accès des enzymes et de la diffusion de l’O2).
 Composition des matières organiques des sols, et rendement de production de COS
Les MOS sont donc constituées d’un continuum de composés organiques à différentes étapes des réactions de biotransformations, depuis les matières organiques particulaires (MOP) jusqu’aux briques élémentaires du vivant (sucres simples, acides aminés, acides gras, acides organiques…). Les composés les plus aptes à être protégés des dégradations ultérieures, et en particulier de la minéralisation, sont les molécules les plus simples et dont le contenu en énergie est faible (densité d’énergie exprimée en joules par gramme de COS), qui peuvent former des assemblages avec d’autres composés organiques (structures supramoléculaires) ou avec des minéraux. Cette protection des MO dépend des caractéristiques du sol : quantité et nature des argiles, structure et taille des agrégats. L’hypothèse d’une préservation de certaines MO arrivant au sol du fait de leur récalcitrance chimique propre a été invalidée. On sait maintenant que cette récalcitrance ne contribue pas à la rémanence à long terme (décennies) du carbone du composé, excepté pour les charbons. Les communautés microbiennes du sol sont dotées du répertoire enzymatique nécessaire pour dégrader tous les types de substrats. Le rendement de formation de matières organiques des sols n’est pas corrélé à la stabilité chimique ou à la résistance aux attaques chimiques des molécules arrivant au sol. De manière contre-intuitive, les composés les plus biodégradables ont à long terme des rendements de formation de matières organiques du sol élevés. De nombreux travaux ont montré que les composés d’origine microbienne (polysaccharides, protéines…) ont une durée de vie plus longue dans le sol que les composés structuraux des végétaux (celluloses, lignines…). In fine, les microorganismes sont la principale source des composés organiques stabilisés à long terme (par rapport aux végétaux).
Deux facteurs majeurs déterminent le “rendement” de production de carbone organique du sol à partir des substrats initiaux : le rendement d’utilisation du carbone par les microorganismes et l’association avec les minéraux, en particulier mal cristallisés.
L’efficacité d’utilisation du C par les microorganismes (CUE pour carbon use efficency) estime, pour un substrat donné, la quantité de C microbien formé par rapport au C consommé pendant une unité de temps. Le flux de production de matière microbienne est estimé à 0,3-0,4 fois le flux d’apport de matière végétale au sol. La CUE varie en fonction : des espèces microbiennes et de leur physiologie ; de la disponibilité des nutriments (N, P…) nécessaires au métabolisme microbien ; des interactions avec la matrice sol, et des conditions de l’environnement local (température, pH, humidité du sol…). Elle est de plus susceptible d’évoluer en fonction des conditions climatiques et atmosphériques.

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Table des matières

Introduction
Contexte et motivations de l’étude
Objectifs et modalités de mise en oeuvre de l’étude
Plan du document
1. Stocks et stockage de carbone dans le sol : définitions et choix méthodologiques de l’étude
1.1. Stocks de carbone dans le sol : nature, ordre de grandeur
1.1.1. Origine et composition du carbone, répartition dans le sol
1.1.2. Les stocks de carbone dans les sols métropolitains : ordre de grandeur et répartition géographique
1.2. Stock, stockage et stockage additionnel de carbone dans le sol
1.2.1. Stocks de carbone du sol
1.2.2. Stockage et stockage additionnel de carbone
1.3. Dépendance du stockage aux conditions pédoclimatiques et agronomiques
1.3.1. Estimation du potentiel de stockage additionnel : une approche basée sur la modélisation
1.3.2. Modalités de mise en oeuvre des simulations, mode d’expression des résultats et calculs des bilans GES
1.3.3. Déploiement des pratiques stockantes : notion d’assiette maximale technique
1.4. Du potentiel technique au potentiel économique de stockage
1.4.1. Les coûts de mise en oeuvre d’une pratique pour l’agriculteur
1.4.2. Détermination du niveau effectif de mise en oeuvre des différentes pratiques par l’optimisation économique
2. Analyse bibliographique
2.1. Les mécanismes à l’origine du stockage/déstockage de carbone dans les sols
2.1.1. Principaux processus
2.1.2. Cinétique de décomposition des matières organiques et temps moyen de résidence du carbone
2.1.3. Conclusion
2.2. Les modèles d’évolution des stocks de carbone dans les sols
2.2.1. Représentation de la dynamique du carbone dans le sol
2.2.2. Représentation des interactions sol-végétation dans la modélisation du carbone
2.2.3. Evaluation, incertitude et sensibilité des modèles
2.2.4. Spatialisation des modèles de dynamique du carbone
2.2.5. Conclusions
2.3. Effets de la teneur en C des sols sur le fonctionnement des agroécosystèmes
2.3.1. Propriétés, fonctions et services écosystémiques intéressant principalement les agriculteurs
2.3.2. Propriétés, fonctions et services écosystémiques intéressant principalement la société
2.3.3. Conclusion
2.4. Stocks de carbone des sols métropolitains, évolutions tendancielles et effet des changements d’occupation des sols
2.4.1. Niveaux des stocks de C des sols sous différents modes d’occupation des sols
2.4.2. Tendance actuelle d’évolution des stocks de COS sous différents modes d’occupation des sols en France métropolitaine
2.4.3. Effets des changements d’occupation sur les stocks de carbone des sols
2.4.4. Effets du changement climatique
2.4.5. Conclusion
3. Potentiel technico-économique de stockage additionnel de carbone dans les sols français : pratiques stockantes retenues et méthodes de quantification du stockage et du coût
3.1. Les pratiques stockantes retenues
3.1.1. En forêt
3.1.2. En prairies
3.1.3. En grandes cultures et cultures pérennes
3.1.4. Conclusion
3.2. Approche globale mise en oeuvre pour l’analyse conjointe du potentiel de stockage additionnel et du coût
3.2.1. Etapes du calcul et variables calculées
3.2.2. Situation de référence et ligne de base
3.2.3. Sources de données mobilisées
3.3. Estimation du stockage additionnel de carbone lié à l’adoption de pratiques stockantes
3.3.1. Modèles utilisés (et cas hors modèles)
3.3.2. Construction d’une représentation de l’agriculture française
3.3.3. Simulations réalisées pour l’estimation du stockage additionnel – Plan de simulation
3.3.4. Sorties et présentation des résultats
3.3.5. Calculs des bilans de gaz à effet de serre
3.4. Estimation du coût technique unitaire de mise en oeuvre des pratiques stockantes
3.5. Assemblage des résultats et allocation coût-efficace de l’effort de stockage
3.5.1. Détermination de l’assiette de chaque pratique
3.5.2. Calcul de l’efficience de chaque pratique
3.5.3 Détermination de l’allocation optimale de l’effort de stockage par le modèle BANCO
4. Potentiel technico-économique de stockage additionnel de carbone dans les sols français : résultats
4.1. Evolutions des stocks de carbone des sols sous les systèmes actuels de grandes cultures et de prairies permanentes
4.1.1. Stocks de carbone actuels
4.1.2. Evolutions des stocks de carbone des sols sous l’effet des systèmes de grande culture actuels et leurs déterminants
4.1.3. Evolutions des stocks de carbone des sols sous l’effet des systèmes actuels de prairies permanentes, et leurs déterminants
4.1.4. Conclusion
4.2. Potentiel technico-économique de stockage additionnel de carbone dans les systèmes de grande culture (et de cultures pérennes)
4.2.1. Réduction du travail du sol – passage au semis direct
4.2.2. Insertion et allongement des cultures intermédiaires
4.2.3. Allongement et insertion de prairies temporaires dans les successions de grandes cultures
4.2.4. Apport au sol de matières organiques exogènes – Mobilisation de nouvelles ressources
4.2.5. Développement de l’agroforesterie intra-parcellaire
4.2.6. Implantation de haies
4.2.7. Enherbement des vignobles
4.3. Potentiel technico-économique de stockage additionnel de carbone dans les systèmes de prairies permanentes
4.3.1. Réduction de la fauche au profit du pâturage
4.3.2. Fertilisation additionnelle modérée des prairies peu fertilisées
4.4. Analyse transversale du potentiel de stockage et du coût, et allocation coût-efficace de l’effort de stockage
4.4.1. Stockage additionnel, variations tendancielles des stocks et contribution à l’atténuation du changement climatique
4.4.2. Coût technique des pratiques stockantes et allocation coût efficace de l’effort de stockage
Conclusion générale
Principaux enseignements de l’étude
Conséquences en termes de politiques publiques
Originalité de l’étude, suites à donner et besoins de recherche
Glossaire spécifique au stockage de carbone dans les sols
Sigles et abréviations
Sélection bibliographique

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