Evolution de la représentation du nombre et de son enseignement

Ermel et Brissiaud face à Piaget

Dans leurs écrits, Ermel et Brissiaud se distinguent par leur manière de comprendre le nombre et se distancient chacun de Piaget: Le groupe Ermel (2005), dans sa préface, redonne à nouveau toute l’importance au comptage comme Gelman l’avait fait, remettant en doute les idées de Piaget: Partant, s’agissant des jeunes enfants, l’hypothèse est posée que « dans la genèse du concept de nombre, le nombre pour compter joue le premier rôle et le plus important », et que c’est dans le courant de la vie et dans l’action sur le réel qu’ils en découvrent l’invariance. Toutes considérations qui conduisent à l’idée qu’il serait vain de vouloir enseigner les nombres aux enfants avant qu’ils les aient longtemps « fréquentés » (p. 31). Brissiaud (2003) se distancie lui aussi de Piaget dans sa manière de s’approprier le nombre. Pour Piaget, il est incontestable que l’enfant passe par des stades, toujours les mêmes, dans lesquels ce dernier progresse par pallier.

Pour lui aussi, la conservation du nombre est l’étape ultime et ne peut se manifester chez l’enfant que tardivement. Brissiaud, lui, défend que l’enfant pouvant représenter une collection avec un système symbolique tel que les doigts est déjà dans une représentation quantitative d’une collection aussi petite soit-elle. Baruk (2003) dit également que « les doigts sont un matériel privilégié, aussi bien ‘en vrai’, incarnations de nombres-de, qu’en représentations idéalisées permettant la reconnaissance immédiate des nombres représentés » (p. 58). Pour Piaget, les bases de la construction du nombre doivent être solides, si bien qu’il n’est pas forcément souhaitable de faire progresser plus rapidement l’enfant au travers des interactions adulte-enfant. Pour Brissiaud par contre, il est essentiel que l’enfant communique au sujet des nombres avec l’adulte et que c’est par le biais de l’interaction sociale qu’il pourra concevoir les quantités. Selon l’analyse de l’évolution du nombre de Van Nieuwenhoven et De Vriendt (2010), nous pourrions penser que la conception du nombre et de son apprentissage est semblable dans tout le monde scientifique et que la pédagogie se situe désormais au-delà de Piaget, mais nous allons voir que les divergences persistent autour d’un point qui nous intéresse spécifiquement dans les comptines, la chaîne numérique et le comptage.

La mémoire de travail

Certaines difficultés mathématiques sont liées à des ressources insuffisantes en mémoire de travail définie comme un « système à capacité limitée, permettant de maintenir temporairement et de manipuler l’information durant la réalisation de tâches » (Bosson, 2015). La mémoire de travail permet donc de faire plusieurs choses de manière conjointe, comme utiliser les nombres pour un calcul mental par exemple. La mémoire de travail fait partie de la mémoire à court terme ou immédiate et son contenu peut passer en mémoire à long terme si les répétitions sont suffisamment nombreuses pour y créer des associations ou si l’information traitée aura pu intéresser assez le sujet pour qu’il en garde une trace. Avant que l’information puisse être traitée par la mémoire de travail, c’est la mémoire à ultra-court terme qui entre en scène au moyen de nos 5 sens. L’élève peut se trouver en difficulté dans l’utilisation de sa mémoire de travail. Le docteur Bosson (op.cit.) nous parle de trois difficultés notoires : La première se situe dans la perte d’informations au niveau sensoriel. L’enfant est souvent trop passif face au traitement de l’information reçue.

La deuxième difficulté se trouve au niveau de la mémoire à court terme. Celle-ci peut fonctionner de manière déficitaire en raison du peu d’autorépétition ou d’une autorépétition passive. On parle ici de passivité lorsque l’élève ne sait pas comment apprendre la suite des motsnombres par exemple. Il ne répète que le dernier nombre de la liste sans en répéter les précédents ou alors de manière lacunaire. La troisième difficulté se situe au niveau de la mémoire à long terme qui est très peu organisée, les élèves en difficulté dans ce registre n’arrivent souvent pas à faire de liens sémantiques entre les choses. Concernant les mathématiques et plus spécifiquement les nombres, Geary (cité par Van Nieuwenhoven et de Vriendt, 2010), dit que: « …de faibles ressources en mémoire de travail entraînent une plus grande dépendance au comptage sur les doigts et plus d’erreurs de comptage et contribuent aux différences dans les caractéristiques de ces stratégies lorsqu’on compare des enfants qui ont des difficultés d’apprentissage arithmétique » (p.46). Les élèves en difficulté mathématique peuvent donc avoir de la peine à utiliser leur mémoire de travail et, de ce fait, ils ont besoin d’une plus grande exposition aux nombres pour les retenir; une répétition fréquente favorisera le passage des informations en mémoire à long terme et pourra ainsi améliorer les doubles tâches (dénombrement, arithmétique) pour lesquelles la mémoire de travail est requise. Utiliser les comptines sous forme de rituel quotidien pourrait aider les élèves à mémoriser de manière plus efficace. Les comptines pourraient pallier les difficultés mentionnées par le docteur Bosson et ainsi permettre aux élèves d’accéder efficacement à leur mémoire de travail en:

• agissant au travers de leurs différents sens visuel, auditif et tactile pour un accès différencié à leur mémoire à court terme

• montrant une manière ludique d’autorépétition de la chaîne numérique

• aidant à faire des liens sémantiques autour des décompositions de nombres.

Discussion Ces résultats montrent que les comptines sur les décompositions-recompositions de nombre aident plus les élèves à entrer dans la construction du nombre que les comptines nonnumériques et aussi plus que ne le font les comptines sur la chaîne numérique. Il est important de relever l’ampleur de la différence entre le pré- et le post-test .On trouve une progression supérieure à 40% pour les élèves ayant bénéficié des comptines CDR. Si l’on compare ce résultat dans les épreuves ordinales comprenant un enseignement avec des comptines de même type, on réduit la progression de moitié, ce qui revient à 20%. Je pense que Brissiaud (2003) a donc raison lorsqu’il relève l’importance d’exercer cette compétence. Pour lui, le fait de choisir des comptines avec jeux de doigts permet un apprentissage différent des autres comptines, notamment celui d’aborder les aspects cardinaux du nombre. L’enfant doit y coordonner l’énonciation d’un mot-nombre avec la production d’une configuration de doigts correspondante : la parole doit constamment être contrôlée par le geste. Ce qui est vu peut également devenir un support mnémotechnique, de sorte que ce n’est plus la parole qui guide exclusivement l’enfant (p. 122).

Je dirais également, ayant enseigné vingt ans en classes enfantines, que cette manière de travailler est peu présente, beaucoup moins en tout cas que le travail sur la chaîne ordinale. C’est peut-être aussi pour cette raison que la progression est la plus flagrante, les élèves étant peu exposés à cette manière d’aborder le nombre. L’ordinalité, par contre, s’exerce chaque jour, par exemple lors du comptage des élèves en début de demi-journée, rituel présent dans beaucoup de classes enfantines. On remarque cela dans les pré-tests orientés sur les tâches ordinales; les élèves ont déjà acquis entre 40 et 50% des items demandés, contre 15 à 25% sur les pré-tests concernant les tâches cardinales. Je dois, dans ce cas de figure-là, me distancer du groupe Ermel (Charnay et al., 2005) qui dit que « L’aspect cardinal du nombre est largement privilégié au détriment de l’aspect ordinal, en référence aux travaux de Piaget […] » (p. 22). Je ne peux rejoindre les propos de Brissiaud lorsqu’il dit que l’acquisition de la chaîne verbale au travers des comptines peut laisser l’enfant dans la confusion comptagenumérotage et l’empêcher d’accéder à la cardinalité et même parfois à l’ordinalité. Brissiaud mentionne (2003): Les comptines numériques qui sont le plus souvent utilisées (1, 2, 3, J’irai dans les bois, 4, 5, 6, Cueillir des cerises…) ne provoquent guère d’apprentissage.

Il s’agit souvent d’un savoir-faire essentiellement verbal qui n’est pas vraiment réinvestissable. Elles ne permettent même pas d’apprendre la suite des mots-nombres (1, 2, 3, 4…), car quand l’enfant dit « 3 », il a souvent besoin d’intercaler « J’irai dans les bois » pour accéder à « 4 » : la récitation de la comptine est un tout insécable (p. 121). Tout d’abord, je peux relever que les élèves ayant bénéficié des comptines CCN ont vécu un apprentissage ordinal puisqu’ils ont progressé de manière conséquente (+21%) dans des épreuves de type « chaîne sécable » et sériation des chiffres. Ensuite, les résultats aux épreuves cardinales montrent que les comptines CCN n’empêchent pas les enfants d’accéder au nombre, mais qu’elles favorisent dans une certaine mesure sa compréhension. Les résultats montrent aussi qu’il y a une progression de plus de 12% dans les tâches cardinales pour le groupe ayant reçu un enseignement avec des comptines CCN, contre 7% de progression pour les élèves ayant reçu un enseignement par comptines non-numériques. Je me rapproche donc, de ce fait, de la pensée du groupe Ermel lorsque celui dit qu’il est important d’exercer la suite ordinale du nombre sous plusieurs formes. Les comptines CCN que j’ai proposées aux élèves montrent qu’elles participent à la mise en place de la construction du nombre.

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Table des matières

1. INTRODUCTION
2. PROBLÉMATIQUE
2.1 Problème de départ
2.2 Définitions, fonctions et conceptions du nombre
2.2.1 Définition du nombre selon les constructivistes et les empiristes
2.2.2. Les fonctions du nombre
2.2.3 Opérations sous-tendant le nombre et ses propriétés
2.2.4. Evolution de la représentation du nombre et de son enseignement
2.2.5 Ermel et Brissiaud face à Piaget
2.2.6 La chaîne numérique et le dénombrement
2.3. Comptines traditionnelles et comptines numériques
2.3.1. Définition de la comptine
2.3.2. Typologie des comptines numériques
2.4 La vision des comptines au travers du groupe Ermel et de Brissiaud
2.4.1. Ermel
2.4.2. Brissiaud
2.5 Elèves en difficultés mathématiques
2.5.1 Processus affectif
2.5.2 Survol des concepts
2.5.3 Difficulté d’ordre numérique
2.5.4 La mémoire de travail
2.6 Questions de recherche
3. CADRE MÉTHODOLOGIQUE
3.1 Recherche-action
3.1.1 Les débuts de la recherche-action
3.1.2 La recherche-action en éducation
3.2 Etude de cas
4. MÉTHODOLOGIE
4.1 Questionnaires
4.1.1 Questions aux enseignantes
4.2 Participants pour la recherche
4.3 Epreuves
4.3.1 Epreuves ordinales 1H
4.4.2 Epreuves ordinales 2H
4.4.3 Epreuves cardinales 1H et 2H
4.4 Procédure 1
4.5 Procédure 2
4.5.1 Création des comptines
4.5.2 Introduction des comptines dans les classes :
4.5.3 Comptines sur les Décompositions-Recompositions
4.5.4 Comptines sur la Chaîne Numérique
4.5.5 Comptines Non-Numériques :
4.6 Procédure 3
5. PRÉSENTATION ET ANALYSE DES RÉSULTATS 28
5.1. L’apprentissage de comptines numériques favorise-t-il ou non la construction du nombre ordinal et cardinal chez l’enfant ?
5.1.2 Discussion
5.2 Quel type de comptines favorise quelles sortes d’apprentissages ?
5.2.1 Tâches ordinales
5.2.2 Discussion
5.2.3 Tâches cardinales
5.2.4 Discussion
5.3 Résultats croisés
5.3.1 Discussion
5.4 Les enfants peu performants dans les épreuves numériques lors des pré-tests, sont-ils aidés dans leur construction du nombre ordinale et cardinale au travers des différentes comptines?
5.4.1 Discussion
5.5 Analyse qualitative
5.5.1 Questions pour l’analyse:
5.5.2 Descriptif des élèves durant les tests et analyse explicative:
5.5.3 Synthèse des analyses qualitatives
5.5 Retour des enseignantes
6. LIMITE DE LA RECHERCHE ET PISTES POSSIBLES
6.1 Limitations
6.2 Conscience des faiblesses de la démarche et outils choisis
6.3 Autoévaluation de la démarche
6.4 Autoévaluation des résultats.
6.5 Pistes possibles
7. CONCLUSION
8. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
9. RÉFÉRENCES SITOGRAPHIQUES
10. ANNEXES

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