Évaluation du langage oral en chirurgie éveillée : adaptation d’une batterie et étude préliminaire

La chirurgie éveillée est l’intervention actuellement préconisée pour les patients atteints de certaines tumeurs cérébrales, particulièrement les gliomes. Ces tumeurs infiltrantes migrent le long des faisceaux de substance blanche, et rendent difficile la résection tumorale classique sans séquelles fonctionnelles. L’opération en condition éveillée consiste à retirer le plus de tumeur possible en réalisant une cartographie fonctionnelle en temps réel. Pendant l’intervention, alors que le patient est réveillé et effectue différents tests sous supervision d’un professionnel du langage ou des fonctions cognitives, le chirurgien applique des stimulations électriques cortico-sous corticales afin de délimiter les zones dites « éloquentes », puis effectue la résection tumorale en respectant les limites fonctionnelles. Les fonctions cognitives des patients sont testées avant et après l’opération (Duffau, 2009). Cette recherche porte sur l’évaluation du langage oral des patients opérés en chirurgie éveillée. Aujourd’hui, les épreuves utilisées ne permettent pas toujours une évaluation suffisamment fine des trois niveaux d’articulation du langage (Feuillard, 2001). Par ailleurs, les techniques de cartographie fonctionnelle et de nombreuses études sur la neuroplasticité mettent en évidence l’importance d’envisager le fonctionnement cérébral au-delà de la vision traditionnelle localisationniste, et de tendre à une conception « hodotopique ». Les processus cérébraux seraient supportés par des réseaux parallèles distribués, capables de se réorganiser et de compenser certaines aires ou sous-réseaux lorsqu’ils sont lésés ou endommagés (Duffau, 2017). Il semble donc indispensable de tenir compte des modèles linguistiques, et aussi de la dynamique des processus cognitifs dans le choix des épreuves qui seront réalisées avec le patient. Ces nouvelles perspectives ont servi de base à une équipe néerlandaise pour créer le Dutch Linguistic Intraoperative Protocol (DuLIP), une batterie standardisée permettant d’évaluer le langage oral des patients en chirurgie éveillée (De Witte et al., 2015). Nous nous proposons d’adapter le DuLIP au français dans le but d’avoir un outil permettant d’affiner l’évaluation du langage oral des patients concernés et d’homogénéiser les pratiques dans les différents services pratiquant la chirurgie éveillée. Le projet d’adaptation de cette batterie dans d’autres langues étant amorcé, l’utilisation d’un outil commun à l’échelle internationale devrait permettre de croiser plus facilement les résultats et d’effectuer des études sur des cohortes plus nombreuses. En effet, actuellement il existe de grandes différences de pratique entre les centres pratiquant la chirurgie éveillée pour l’évaluation des fonctions cognitives et langagières. La Dénomination Orale de 80 Images (DO80) (Deloche et Hannequin, 1997) est utilisée par 95% des centres européens pour le testing peropératoire du langage. Les autres types de tests (répétition, association sémantique) sont utilisés par la moitié d’entre eux (Mandonnet et al, 2017). Cette étude préliminaire consiste à adapter le DuLIP au français et à objectiver sa sensibilité dans le but d’homogénéiser les procédures. Pour ce faire, nous allons tenir rigoureusement compte des variables psycholinguistiques et comparer les performances des patients à celles de sujets-contrôles. Le langage oral des patients opérés en chirurgie éveillée sera évalué via le DuLIP et des tests classiquement utilisés. Les patients seront testés en pré, postopératoire immédiat et à distance de quatre mois de l’intervention. Nous supposons que la version française du DuLIP est une batterie de tests pertinente et sensible à l’objectivation de troubles fins du langage oral, qui ne sont pas dépistés avec les tests habituels. Ainsi, nous émettons l’hypothèse qu’à distance de l’intervention, les résultats au DuLIP seront superposables à ceux obtenus en préopératoire ou que les performances à certaines épreuves auront chuté ; que les domaines déficitaires seront sensiblement les mêmes qu’aux épreuves classiques et que le DuLIP pourrait révéler des troubles fins qui ne sont pas objectivés via les épreuves classiques ; que les résultats des patients au DuLIP en postopératoire immédiat seront moins bons qu’en préopératoire (du fait de la fatigabilité et de l’œdème cérébral).

Présentation du matériel 

Le DuLIP

Le DuLIP est une batterie néerlandaise conçue pour évaluer le langage oral des patients opérés en chirurgie éveillée. Les épreuves évaluent les aspects phonétique, phonologique et sémantique du langage ainsi que la syntaxe et la dénomination orale d’images (De Witte et al., 2015). Il a été conçu pour permettre une étude longitudinale du patient. En effet, certaines épreuves sont plus spécifiquement dédiées aux évaluations pré et postopératoires (ou au cours de l’intervention en dehors des stimulations électriques), et d’autres à la cartographie fonctionnelle en peropératoire : les réponses peuvent être données en moins de quatre secondes, les images sont nettes, la police assez grande pour être lue en position allongée. Les épreuves ont été élaborées de sorte que chacun des sites stimulés électriquement puisse être précisément testé aux niveaux cortical et sous-cortical afin d’aider le chirurgien à préserver les fonctions langagières lors de la résection de la tumeur. En, elles prennent en considération la vision hodotopique du fonctionnement cérébral.

Descriptif des épreuves
Le DuLIP est composé de dix-huit épreuves destinées à tester les domaines suivants: l’articulation, la phonologie, la sémantique, la syntaxe et la dénomination d’images. Les épreuves évaluant la phonologie sont : la répétition de mots (RM), la répétition de phrases (RP), la lecture d’intrus phonologiques (LIP), le jugement phonologique de phrases (JP) et les fluences phonologiques (FP). La dénomination et la lecture d’intrus sémantiques (DOI et LIS), la complétion de phrases en contexte fermé (CCF) et en contexte ouvert (CCO), le jugement sémantique de phrases (JSe), l’association sémantique (ASS) et les fluences sémantiques d’animaux et de métiers (FSA et FSM) sont les épreuves visant à évaluer le niveau sémantique. Les épreuves évaluant la syntaxe sont les suivantes : la génération de verbes (GV), le jugement syntaxique de phrases (JSy) et la fluence de verbes (FSy). L’articulation est évaluée par une épreuve d’agilité verbale : des diadococinésies (Dia). Enfin, le DuLIP comporte une épreuve de dénomination orale d’images (DO) (De Witte et al., 2015). Certaines épreuves sont présentées en modalité orale par l’examinateur, d’autres sont informatisées. Les gliomes de grade II étant susceptibles de n’impacter parfois que la vitesse de traitement de l’information au début de la maladie (Le Rhun, Delbeuck, Devos, Pasquier et Dubois, 2009), nous avons décidé de chronométrer chaque subtest, ce qui n’est pas le cas dans la version néerlandaise.

Adaptation au français
Adapter une batterie d’évaluation du langage à une nouvelle langue est un processus complexe (Bonin, Méot, Ferrand et Roux, 2011). Le point de départ de l’étude fut la traduction du test, du néerlandais au français, à l’aide d’un dictionnaire et d’outils de traduction tel que « DeepL traducteur ». Les traductions ont ensuite été vérifiées par une étudiante néerlandaise bilingue. Les variables linguistiques et psycholinguistiques étant propres à chaque langue, les différents items n’ont pas été traduits littéralement mais adaptés afin de respecter les critères appliqués dans la version néerlandaise.

Certaines de ces variables ont été contrôlées à l’aide d’outils informatiques. Le « French Lexicon Project » nous a permis d’estimer l’imageabilité ainsi que les âges d’acquisition des mots monosyllabiques (Ferrand et al., 2008) (Ferrand et al., 2010). L’étude de Bonin et al., (2003), nous a permis de contrôler l’imageabilité des mots plurisyllabiques. La fréquence, la longueur des mots et la structure syllabique ont été examinées à l’aide du site « lexique.org » (New, 2004). Les items dont les variables en français étaient éloignées de celles en néerlandais ont été modifiés. De même, certaines images prototypiques aux PaysBas sont sensiblement différentes des représentations en France. Ainsi, nous avons dû remplacer l’image du pain, jugée trop éloignée de la représentation de la baguette française.

Caractère acceptable des réponses
Chaque réponse donnée par les patients et les sujets-contrôles a été notée sur la grille de cotation. Certaines épreuves appelant des réponses ouvertes nous ont amenées à analyser chacune d’entre elles et à nous concerter pour établir une liste de réponses consensuelles. En dénomination, l’analyse des productions nous a aussi permis de relever chez les patients d’éventuelles paraphasies phonémiques, sémantiques ou verbales, des néologismes ou des hyperonymes. Le choix du caractère acceptable ou non des réponses pour cette épreuve a été fait en regard des corpus de la population contrôle et du dictionnaire. Tout synonyme du mot cible ayant été trouvé dans le dictionnaire a été accepté (pain pour baguette). Toute réponse plausible visuellement et se rapprochant de la définition en dénomination a été acceptée (chameau pour dromadaire). Toutes les réponses génériques/hyperonymes n’ont pas été acceptées (vêtement pour veste, seuls bateau pour voilier et doigt pour index ont été retenus) mais nous avons refusé toute réponse dénommant une partie lorsque le tout était une réponse attendue (main pour bras), ou l’inverse (poils pour barbe). Les réponses en langage familier n’ont pas été retenues (bouquin pour livre). Parmi les réponses données à l’épreuve de complétion de phrases, ont été refusées toutes les phrases syntaxiquement ou sémantiquement incorrectes, ainsi que celles ne respectant pas la concordance des temps. Nous nous sommes interrogées quant à l’épreuve de génération de verbes, sur l’acceptation d’un même verbe, lexicalement pauvre (faire, mettre) à plusieurs reprises. Nous avons décidé d’accepter un même verbe pour différents items, ce qui donne une importance particulière à l’analyse qualitative des productions du sujet. Nous avons refusé tous les verbes n’ayant aucun lien avec le mot cible. Pour la tâche d’association sémantique, nous avons considéré comme réponses fausses les mots n’appartenant pas à la catégorie sémantique imposée, ainsi que les termes génériques (légume est refusé pour compléter la suite carotte, brocoli…).

Les tests comparatifs
Dans le but d’objectiver la sensibilité du DuLIP, nous avons décidé d’apparier par domaine (dénomination, sémantique, phonologie, syntaxe, articulation) les épreuves de la nouvelle batterie de tests à celles habituellement utilisées pour ce type de prise en charge. Cette comparaison nous permettra d’observer une éventuelle corrélation entre les deux types d’évaluation. Les résultats aux épreuves de la batterie néerlandaise devraient être superposables à ceux des tests classiques, et probablement objectiver des troubles fins du langage oral, non mis en évidence par ces derniers. Parmi les épreuves du DuLIP : la dénomination orale d’images a été comparée à la DO80 ; les épreuves de phonologie à la répétition de phrases de la batterie d’Évaluation du Langage Élaboré de l’Adulte (ELEA) (Moreira-Gendreau, 2016) ; les épreuves sémantiques à l’appariement sémantique en images de la Batterie d’Évaluation des Connaissances Sémantiques (BECS) (Merck et al., 2011) ou au Pyramids and Palm Trees test (PTTT) (Howard et Patterson, 1992). Il n’existe actuellement pas d’épreuves de syntaxe et d’articulation normées pouvant être comparées à celles du DuLIP.

Les tests d’inclusion aux participants
Nous avons élaboré un questionnaire recensant tous les critères d’inclusion nécessaires à notre recherche (cf infra), afin de déterminer si les personnes se proposant de participer à l’étude pouvaient être incluses dans notre cohorte de sujets-contrôles.

Présentation de la population

Les patients

Les évaluations ont été réalisées au Centre Hospitalier Lariboisière, à Paris, de septembre 2018 à mars 2019. Les patients devaient être des adultes francophones de langue maternelle française, âgés de plus de dix-huit ans, porteurs d’un gliome infiltrant de grade II et localisé dans l’hémisphère dominant pour le langage, et devant être opérés en condition éveillée. Pour participer à cette étude, ils ne devaient pas avoir reçu de traitements complémentaires par radiothérapie et/ou chimiothérapie avant l’intervention chirurgicale.  Nous avons exclu tous les patients ayant : une autre lésion cérébrale que celle rentrant dans les critères d’inclusion ; un trouble spécifique de l’acquisition du langage oral ou écrit diagnostiqué dans l’enfance ; un déficit neurologique ou un trouble cognitif et langagier autre que d’étiologie tumorale ; des troubles visuels ou auditifs non corrigés.

Les sujets-contrôles

Une population de quarante-sept sujets-contrôles âgés de dix-huit à quatre-vingt-trois ans (Moyenne=37,13 ; ET=19,66 ; Médiane=48) a participé à l’étude, afin d’établir une première norme. Les critères d’inclusion (calqués sur l’étude-mère) étaient les suivants : un score à la version française du Mini-Mental State Examination (MMSE) (Folstein, Folstein et MCHugu, 1975) supérieur à 24/30, avoir le français comme langue maternelle ou avoir fait sa scolarité en France. Tous les sujets ayant eu les antécédents suivants ont été exclus de l’étude : pathologies cardiovasculaires, cognitives, neurologiques, psychiatriques, troubles du langage, déficience intellectuelle, dépendance à l’alcool ou une autre drogue, prise régulière de psychotropes ou neuroleptiques, troubles visuels ou auditifs trop importants non corrigés. Les sujets-contrôles ont été recrutés dans le service d’orthopédie de l’Hôpital Lariboisière, dans une université ainsi que dans notre environnement personnel, en ciblant certaines tranches d’âge et niveaux socio-culturels. Les sujets participants étaient des hommes et des femmes, originaires d’Ile-de-France et de la région Centre-Val-de Loire.

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Table des matières

I)INTRODUCTION
II) GENERALITES
III) METHODOLOGIE
IV) RESULTATS
V) COMMENTAIRES ET DISCUSSION
VI) CONCLUSION  
VII) REFERENCES
ANNEXES
RESUME

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