Étudier les conditions institutionnelles de la diffusion du community organizing en France 

Intérêt du sujet

Le community organizing est un objet d’étude qui soulève des questionnements essentiels à la science politique : Quelles sont les différentes voies de participation politique possibles dans les démocraties contemporaines ? Quelles sont les nouvelles formes d’engagement citoyen de mobilisation collective ? Le community organizing touche ainsi au champ des politiques sociales urbaines, du travail social, de l’éducation populaire, des partis politiques ou encore des syndicats. De plus, parce qu’il est issu de la tradition syndicale et du mouvement ouvrier, ce concept pose les questions de l’organisation de contre-pouvoir en termes de transformation sociale. Trente ans de chômage de masse, de précarisation du travail et d’affaiblissement de l’identité ouvrière dans les banlieues auraient été des facteurs majeurs de la distanciation croissante des couches populaires avec le système politique (Héran, 1997 ; Beaud, Pialoux, 1999, 2003 ; Wacquant, 2006). Comment dès lors agir pour lutter contre les inégalités et les oppressions touchant les couches populaires qui ne font pas entendre leur voix via les instances de la démocratie représentative ?
Suite aux émeutes de l’automne 2005 dans des quartiers populaires en France, qui ont révélé l’incapacité du politique à concrétiser son discours sur le rétablissement de l’égalité républicaine, le rapport Bacqué-Mechmache commandé en 2013 par le ministère de la Ville, a conclu au besoin de la politique de la ville de s’appuyer sur les ressources et les initiatives locales dans les quartiers populaires (Bacqué, Mechmache, 2013). Cette mobilisation scientifique et politique croissante autour de la notion d’empowerment est interprétée comme l’indice d’une crise particulièrement aiguë de la démocratie dans les quartiers populaires (Epstein, 2015). C’est aussi une invitation à s’intéresser aux transformations à l’œuvre dans ces quartiers aujourd’hui.
L’application de méthodes « radicales » de participation des habitants, telle que le community organizing, semble rencontrer certaines limites dans le cadre des politiques urbaines et sociales.
Cette forme d’expérimentation politique est née outre-atlantique dans le contexte d’une société civile dynamique face à un État social minimal, d’une présence importante du religieux dans l’espace public et une représentation de la classe ouvrière mal assurée par le système partisan. Ce projet d’alliance et de politisation des communautés existantes dans les quartiers populaires de façon autonome des pouvoirs publics peut-il prendre forme en France ?
Le community organizing vise en effet à créer des alliances de communautés à l’échelle d’un territoire. Les expériences de community organizing visent donc à l’émergence de collectifs intermédiaires entre l’individu d’un côté, l’État et le marché de l’autre. Ces organisations placent en position de leadership des personnes issues de minorités habituellement difficiles à mobiliser. Pourtant, en France il existe de la part du ministère de la Ville une difficile conversion des demandes sociales des habitants des quartiers populaires en demandes politiques, même si elles sont émises par des groupes d’intérêt suffisamment structurés pour les porter dans les lieux du pouvoir (Donzelot, 2003 Le Galès, 1995). Selon Jacques Donzelot (2003), la politique de la ville, ignorerait les communautés ethniques ou religieuses par doctrine républicaine. Cette politique n’essaie pas de fédérer les forces élémentaires qu’elles constituent, mais dénonce la prétention représentative de l’une ou de l’autre contre le monopole étatique. E. Roche (2010), qui a comparé les dynamiques participatives à Saint-Denis, Berlin et Reggio Emilia (Italie) souligne l’omniprésence sur son terrain français de l’appareil politico-administratif local. La forte présence de l’État dans la politique de la ville interroge donc la capacité des habitants des quartiers populaires à disposer d’autonomie et de ressources qu’ils pourraient gérer en propre (Merklen, 2009).
De plus, le community organizing repose sur une autonomie financière et politique des pouvoirs publics locaux via des financements issus des fondations privées. Le community organizing vise ainsi à faire du lobbying auprès des décideurs publics et les amener à engager des réformes favorables aux quartiers pauvres. Il s’agit de la notion anglo-saxonne de l’accountability (Fung, 2004). C’est-à-dire le fait, pour les services publics, de rendre compte de leurs actions devant les habitants, d’expliquer leurs difficultés et de solliciter le cas échéant la coopération de la communauté pour améliorer leurs performances Mais cette constitution de contre-pouvoir locaux est rendue difficile dans un contexte français où, le recours au mécénat privé et l’indépendance financière des associations par rapport aux pouvoirs publics est peu répandue.
Les limites identifiées conduisent-elles dès lors à l’impossibilité de renouveler les pratiques de mobilisation des habitants des quartiers populaires en France ? Cela amène à s’interroger sur les lignes de tension qui apparaissent dans l’importation de pratiques « innovantes » dans un nouveau contexte culturel. En effet, outre quelques initiatives de « greffe » d’associations de community organizing en France, divers acteurs associatifs ou institutionnels se forment aux méthodes de mobilisation issues du community organizing. L’appropriation par des acteurs institutionnels de méthodes contestataires conduit-elle forcément à leur dénaturalisation et donc à leur désarmement ? A l’inverse, la diffusion de pratiques contestataires ne conduit-elle pas, à transformer le contexte culturel d’accueil ?

Précautions méthodologiques

L’étude universitaire du community organizing nécessite de prendre des précautions méthodologiques, à la recherche d’un équilibre entre dimension analytique et normative. Cet objet  amène en effet à s’intéresser à la « participation », au « conflit » et aux « quartiers populaires. »
En ce qui concerne la « participation », une riche littérature s’est développée ces dernières décennies. La période au cours de laquelle les recherches se sont multipliées sur le sujet a d’abord été celle des mobilisations sociales autour de la participation dans les années 1970-1980. Puis vint celle de la codification de l’offre institutionnelle de participation dans les années 1990 (débat, concertation, conseils citoyens, participation), qui aurait témoigné d’une nouvelle grammaire de l’action publique (Gaudin, 1999 ; Blondiaux, Sintomer, 2009). Les recherches sur la participation sont polarisées (Blondiau, Fourniau, 2011) : certaines font de la participation un instrument de gouvernance de l’action publique, quand d’autres, dans une logique de critique sociale s’intéressent aux phénomènes participatifs en raison de leur contribution à la lutte contre les injustices sociales et pour l’égalité, de leur potentiel d’émancipation et de transformation sociale et politique. De plus, le « retour du conflit » se traduit par de nombreux travaux prenant au sérieux les luttes (Melé, 2013) et semble avoir aujourd’hui une position normative dominante dans la littérature sur la participation. Il a fallu prendre du recul sur cette dimension normative dans ce travail d’enquête. Des développements dans ce mémoire sont justement consacrés à une approche réflexive sur la valorisation et la théorisation du conflit pour expliquer la diffusion du community organizing en France. Ils invitent ainsi à dépasser la polarisation entre « mouvements sociaux » et « participation institutionnelle ».
Par ailleurs, l’étude des dispositifs de politiques participatives portées directement par les autorités publiques (Gourgues, 2012) semble sous-entendre l’émergence d’un « tournant participatif » contemporain. Pourtant, étudier les dispositifs de participation institutionnelles en démocratie ne conduit-il pas parfois à faire « beaucoup de bruit pour (presque) rien » (Blondiaux, Fourniau, 2011) ? Au contraire, une compréhension large de la participation, permet d’observer que ces interrogations sur le pouvoir d’agir traversent le champ des acteurs sociaux, urbains et éducatifs. Par ailleurs, l’éditorial du N°14 de la revue Participation(s) (2016) soulignait justement le manque de contributions sur la transnationalisation des mouvements sociaux et la circulation de formes participatives plus contestataires, dont le rôle n’est pas à négliger. Analyser l’appropriation de pratiques conflictuelles par des acteurs associatifs et institutionnels, conduit ici à s’interroger sur des transformations plus profondes des démocraties contemporaines.
Enfin, l’intérêt pour les quartiers populaires nécessite également de prendre un grand nombre de précautions méthodologiques. Entre « populisme et misérabilisme » (Passeron, Grignon, 1989), les sociologues ont une vraie difficulté à dépasser les préjugés sur la culture de masse et à trouver une manière juste de décrire les cultures populaires. Cette question est au cœur de l’étude du community organizing, qui a développé des méthodes de mobilisation jugées particulièrement efficaces auprès des habitants des quartiers paupérisés. Il faut s’interroger sur cette distinction, et rejoindre ici l’analyse de D. Merklen, (2009) sur l’intérêt d’étudier la « politicité » des quartiers populaires. Selon lui, la « politicité » reflète « l’identité et la culture politique d’un collectif ou d’un individu mais aussi l’ensemble des pratiques à travers lesquelles chacun descend dans l’arène publique se battre pour ses intérêts et défendre une conception du bien commun » (p.264). La politicité des classes populaires se distinguerait donc par des intérêts, des identités et des pratiques politiques différentes de celle des classes moyennes. Nous attribuons souvent une seule politicité à tous les individus : la citoyenneté. « On réclame aux classes populaires qu’elles aient un comportement citoyen, voulant en réalité qu’elle se comportent comme des classes moyennes » (p.266). Or, « le politique se délocalise vers les quartiers dès lors que les classes populaires se mobilisent pour que leur lieu d’habitation ne soit pas exclu de l’espace public » (p.265). Cette observation traduit l’intérêt d’étudier les transformations du rapport au politique dans les quartiers populaires.

Posture du chercheur

Cet objet de recherche conduit à prendre de multiples précautions dans la posture du chercheur. Tout d’abord, le caractère « innovant » du community organizing est à manier avec précaution.
Cette méthode s’est en effet développée dans les années 1930, ce qui questionne sa modernité.
Par ailleurs, d’autres formes de mobilisation communautaire, de développement du pouvoir d’agir, sont au cœur du projet de l’éducation populaire en France, et mises en œuvre depuis plusieurs décennies par des associations telles qu’ATD Quart-Monde auprès de personnes en situation de grande précarité et d’exclusion sociale. Il s’agit donc plutôt de comprendre pourquoi ces méthodes furent caractérisées comme innovantes par les acteurs qui se les appropriaient, puis comment cette « modernité » a également participé à la diffusion des pratiques.
De plus, l’influence de la recherche en sciences sociales dans la diffusion de ces pratiques n’est pas à négliger. Il existe un risque à produire un discours performatif sur le succès et la diffusion de ces méthodes. Loin de postuler à une généralisation des méthodes du community organizing, il s’agit plutôt d’observer, et comprendre pourquoi ce concept anime une galaxie militante. La production d’une cartographie des réseaux de circulation du community organizing en France a servi de grille d’analyse afin d’expliquer les conditions institutionnelles qui ont favorisé la diffusion de modèles et de concepts.
Ce mémoire vise ainsi à mettre en lumière la façon dont le community organizing apparaît comme une référence étrangère mobilisable par des acteurs associatifs et institutionnels français depuis les années 2010. Il s’agit par-là d’interroger les notions mêmes de « modèle », de « bonnes pratiques », ou « d’essaimage » pour montrer comment celles-ci relèvent de constructions sociales et intellectuelles spécifiques, plutôt que d’un caractère « innovant », qui serait inhérent aux pratiques. Ce mémoire met en lumière comment des acteurs locaux engagés dans la production d’ingénierie participative, (Citoyenneté tout terrain – Grenoble) parviennent à se constituer en « expérimentation locale » (Chelle, 2012) et à susciter l’intérêt d’autres acteurs.

Méthodologie et plan

Ce mémoire propose une analyse des conditions institutionnelles qui permettent la diffusion et la transformation de pratiques. La « diffusion » est définie ici comme « un processus à partir duquel un élément, ou un ensemble d’éléments, d’ordre politique (idées, paradigmes, institutions, solutions pour l’action publique, dispositifs normatifs, programmes, modèl es, technologies, etc.), situé quelque part, dans le temps et dans l’espace, est adopté ailleurs » (Porto de Oliveira, 2015, p. 69). Il s’agit de rendre compte de la complexité des dynamiques de circulations transnationales verticales (de l’international vers le national ou le local) et des dynamiques de circulations transnationales qui sont, elles, horizontales (territoires entre eux, acteurs de même niveau) (Béal et al., 2015). Cela nécessite d’être attentifs aux idées comme vecteur et objet de la circulation, ainsi qu’aux réseaux d’acteurs et aux dispositifs d’action, afin de montrer que les idées ne peuvent être pensées sans les acteurs et les institutions qui les portent.
Ainsi, la première partie sera consacrée au cadrage théorique de l’objet d’étude : la circulation du community organizing. Dans cette partie, l’approche méthodologique sera explicitée. La définition précise du community organizing justifiera l’intérêt d’étudier les interactions et les apports conjoints des « luttes » et de la « participation institutionnelle ». Une seconde partie, mobilisera la littérature autour des public policy transfer et de la circulation des mouvements sociaux. Elle expliquera l’intérêt d’étudier les conditions institutionnelles plutôt que les réseaux relationnels dans la diffusion du community organizing. Enfin, la présentation l’état de l’art sur la circulation transnationale de l’ingénierie participative permettra d’illustrer les contributions que ce travail d’enquête apporte à la littérature existante.
La seconde partie sera consacrée à la confrontation entre les hypothèses de recherche et l’enquête de terrain. Plusieurs hypothèses sur les conditions institutionnelles qui permettent l’appropriation et/ou la transformation de modèles seront présentées. Elles ont été confrontées au travail d’enquête : l’entretien avec des organisateurs salariés de Citoyenneté tout terrain – Grenoble et des structures, associatives ou publics qui ont sollicité des formations au community organizing. Leurs différentes interprétations et degrés d’appropriation du modèle permettent d’élaborer des pistes de réflexion sur les différentes traductions du community organizing.
Ainsi, dans une troisième partie, les résultats sont discutés au regard des travaux de recherche sur la participation et les transformations des démocraties contemporaines.

CADRAGE THEORIQUE : LA DIFFUSION DES METHODES PARTICIPATIVES CONTESTATAIRES

Cette partie sera consacrée à la définition du cadre théorique de ce mémoire. Dans un premier temps, sont définies précisément les caractéristiques de l’objet de recherche – le community organizing – afin de justifier que ces techniques de mobilisation protestataires doivent être étudiées à la croisée des mouvements sociaux et de la participation institutionnelle (chapitre 1).
Cette étude s’intéresse au transfert du community organizing des États-Unis vers la France, et sa mise en circulation en France. Ainsi, cette recherche s’inscrit dans le champ de la diffusion des innovations culturelles. Le cadre théorique sera explicité, afin de montrer l’intérêt dans ce cas d’étudier les conditions institutionnelles de la diffusion du community organizing (chapitre 2).
Enfin, l’état de l’art sur la circulation transnationale de l’ingénierie participative, permettra de mettre en lumière les apports théoriques sur lesquels ce travail d’enquête s’est appuyé, avant de justifier de sa contribution à ce champ de recherche (chapitre 3.)

Le community organizing : démocratie « sauvage » ou « d’élevage ? »

Dans ce premier chapitre, la polarisation traditionnelle entre les mouvements sociaux d’une part, et les dispositifs de participation publique de l’autre est interrogée. Ces deux champs sont souvent traités de façon distincte dans la littérature scientifique. Celle-ci tend aujourd’hui à valoriser l’étude du « conflit » et des « luttes », ce qui pourrait en partie expliquer le regain d’intérêt pour le community organizing (section 1). Pourtant, retracer les références historiques et les spécificités organisationnelles du community organizing, amène à le considérer comme un concept à la croisée des luttes urbaines et de la démocratie participative institutionnelle (section 2). Ainsi, cette dichotomie sera questionnée. Ici, c’est l’étude des interactions entre méthodes participatives « contestataires » et « institutionnelles » qui sera privilégiée (section 3).

Critique de la démocratie participative et valorisation du conflit

Dans la littérature autour de la participation, les études sur le « monde sauvage » de la lutte et le « monde domestiqué » du débat organisé (Neveu, 2011) sont polarisées. H. Wagenaar (2014) distingue ainsi « l’invited participation » de l’« uninvited participation », c’est à dire les situations dans lesquelles les citoyens participent en étant, ou sans avoir été « invités », dans des cas de participation par le conflit par exemple. D. Mermet (2007) polarise quant à lui une démocratie « d’élevage » et une démocratie « sauvage. » Cette distinction implique de prendre parti quand, à la dimension analytique, s’ajoute bien souvent une dimension « normative » (Gourgues et al., 2013). En effet, il parait difficile de ne pas voir dans les procédures participatives un moyen de « domestiquer » les volontés d’implication des acteurs au cœur des mouvements sociaux (Neveu, 2011), et de canaliser les contestations habitantes dans la construction d’un projet commun (Fauchard et Mocellin, 2012).
La science politique francophone est connue pour pratiquer une critique serrée des dispositifs participatifs institutionnels (Lefebvre, Nonjon 2003 ; Blatrix, 2009). Les études sur les mouvements agonistiques présentent la participation – institutionnalisée – comme le contraire de la lutte : la recherche du consensus nierait le conflit. Les critiques marxistes formulées dès les années 1970 ont qualifié « l’urbanisme participatif » de « comédie urbaine d’une cité sans classe » (Garnier, Goldschmidt, 1978) dénonçant le fait que les dispositifs accroissent le pouvoir des institutions sur les individus, au lieu de leur fournir des armes politique. Ces théoriciens défendaient ainsi le droit « droit à la ville » des citoyens (Lefebvre, 1968, 1970 ; Castells 1972 ; Harvey, 1973). Des travaux plus récents, s’inscrivant dans une démarche de réforme des dispositifs institutionnels, ont tenté d’expliquer le contraste existant entre les ambitions de la rhétorique et la modestie de la mise en œuvre de la participation. Ils mettent en avant le caractère descendant de la politique de la ville qui n’est pas pensée pour accroître les capacités d’initiative des catégories populaires (Donzelot et al, 2003 ; Villechaise, Rui, 2008.) La difficile publicisation des habitants au sein des dispositifs participatifs est également analysée dans une perspective d’ethnographie de la participation (Carrel 2006, 2013 ; Neveu, 2002). Pour d’autres, les dispositifs participatifs sont instrumentalisés par l’acteur public. La figure de l’habitant est dans ce cas mobilisée dans des processus de « mise en acceptation » de projets élaborés en amont (Noyer, Raoul, 2008). La politique de la ville serait particulièrement le lieu de l’instrumentalisation de la participation à des fins de gestion des publics « difficiles », sans que de véritables changements ne s’observent en termes de réduction des inégalités ou de paupérisation (Donzelot, Epstein, 2006 ; De Maillard, Sintomer, 2007). La participation institutionnalisée, en dévalorisant la conflictualité, traduirait une réorientation des politiques sociales en tant qu’interventions « « individualisantes et « responsabilisantes » dans une tendance à la psychologisation et donc à la dépolitisation des problèmes sociaux (Tissot, 2007).
Ces critiques vont de pair avec un valorisation des mouvements sociaux contre l’offre institutionnelle. L. Blondiaux et J-M. Fourniau ont récemment noté que « l’évolution est allée vers la réhabilitation du conflit » (2014, p. 7) depuis les années 2000. Ce « retour du conflit » se traduit par de nombreux travaux prenant au sérieux les luttes (Melé, 2013). Le community organizing est traditionnellement considéré dans la catégorie des « luttes », ce serait une partie de l’explication de son succès, face au désenchantement de la démocratie participative institutionnelle. En effet, le community organizing est qualifié comme un « ensemble de pratiques militantes spécifiques, un répertoire d’action et un style organisationnel, qui le rendent particulièrement efficace pour mobiliser les habitants des quartiers paupérisés » (Talpin, 2013).

Le community organizing : une organisation rationalisée au service de la transformation sociale

Une forme minoritaire parmi la nébuleuse communautaire

Plusieurs caractéristiques du community organizing amènent à le « classer » dans les mouvements sociaux. Dans une acception large, le community organizing renvoie à un « processus qui engage des personnes, des organisations et des communautés vers des objectifs tels que (…) l’amélioration de la qualité de la vie et la justice sociale » (Orr, 2007). Il s’agit d’un type d’organisation parmi une « nébuleuse communautaire » où coexiste une grande variété de formes d’organisations collectives à l’échelle locale visant à la participation des citoyens à la vie de leur communauté.
Ces community-based organizations (CBO) renvoient à des pratiques différentes, plus ou moins conflictuelles : le community organizing, les associations de service et le développement communautaire. Les associations de service et le développement communautaire sont plutôt tournées vers la coopération entre associations et pouvoirs publics, dans une perspective de développement économique du quartier ou de rénovation du patrimoine immobilier des quartiers sinistrés. C’est par exemple le cas des Community Development Corporations (CDC), nées dans les années 1960 avec le soutien de l’administration Johnson et de son programme de la « Guerre contre la pauvreté ». Par opposition, le community organizing apparaît « comme une des formes, minoritaire, politisée et critique, du recours à la société civile aux États-Unis » (Talpin, 2013). Ce mouvement vise à susciter le conflit avec le système politique et économique, avec pour projet projet politique, l’auto-organisation des quartiers populaires pour réaliser l’émancipation de ses habitants et la transformation sociale (Médard, 1969). Encadrés par des community organizers salariés, les habitants façonnent leur agenda et demandent des comptes aux élites économiques et politiques du territoire sur lequel ils s’organisent. Au sein même de cette dénomination, différentes méthodes s’appuyant plutôt sur les communautés ou plutôt sur les individus peuvent être encore définies.

Le community organizing : héritage syndical et défense du mouvement ouvrier

Ce positionnement du community organizing parmi la nébuleuse communautaire américaine tient à son histoire et à ses références idéologiques. Saul Alinsky (1909-1972) est souvent désigné comme « le père » du community organizing (Fisher et Kling, 1987 ; Stall et Stoecker, 1998 ; Sirianni et Friedland, 2001). Né dans un ghetto de Chicago en 1909, sa famille est originaire de Russie. Après des études à l’université de Chicago, son intérêt pour la criminologie lui permet d’obtenir une bourse sur la vie des gangs urbains. A partir de 1938, il commence à « organiser » le quartier Back of the Yards de Chicago, dans une démarche d’animateur social. Son idée fondamentale est que, pour s’attaquer aux problèmes sociaux, il faut bâtir des « organisations populaires » (People’s Organizations) où les habitants puissent se mobiliser. Dans son ouvrage Rules for Radicals, il annonce « chercher avant tout à développer l’autonomie des pauvres, leur donner leurs propres outils organisationnels et politiques » (Alinsky, 1971, p.9).
Quand il présente sa vision du changement social dans Reveille for Radicals en 1945, Alinsky s’inscrit dans le courant des radicaux et de la rénovation du mouvement syndical. En effet, Saul Alinsky était fortement influencé par le syndicaliste John L. Lewis (1880 – 1969), qui a eu un impact important sur le mouvement ouvrier américain. A la tête du United Mine Workers, syndicat des mineurs américains (1920-1960) et du Congress of Industrial Organizations (CIO) (1935-1940), il avait mené des négociations dans les années trente et été à la tête d’importantes grèves ouvrières dans le secteur automobile en 1937. Alinsky s’inspire des rénovations des tactiques syndicales de l’époque, et les applique à l’échelle d’un quartier. C’est par un travail d’organisation collective et d’union de la communauté que les habitants des quartiers paupérisés vont pouvoir exercer un rapport de force avec les acteurs qui ont de l’influence sur les conditions de vie du quartier – propriétaires, administrations, entreprises –, en vue d’obtenir des concessions de leur part.

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Table des matières
REMERCIEMENTS 
TABLE DES ABREVIATIONS 
INTRODUCTION 
PREMIERE PARTIE : CADRAGE THEORIQUE : LA DIFFUSION DES METHODES
PARTICIPATIVES CONTESTATAIRES
Chapitre 1 : Le community organizing : démocratie « sauvage » ou « d’élevage ? »
Chapitre 2 : Modèles explicatifs de diffusion de concepts exogènes
Chapitre 3 : Éclairages sur la circulation transnationale des méthodes participatives
SECONDE PARTIE : CIRCULATIONS ET TRADUCTIONS DU COMMUNITY ORGANIZING EN FRANCE 
Chapitre 1 : Étudier les conditions institutionnelles de la diffusion du community organizing en France
Chapitre 2 : Les constructions sociales et intellectuelles favorisant la diffusion du community organizing
Chapitre 3 : La circulation du community organizing, vecteur et témoin de transformations culturelles
CONCLUSION 
TABLE DES ILLUSTRATIONS 
BIBLIOGRAPHIE 
SITOGRAPHIE

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